Paris, Maisonneuve & Larose, 1983, 278 p.
A propos des thèses défendues par Cheikh Hamahoullah au sein du tijânisme, certains ont parlé de « tijânisme différencié » 1 ou de « tijânisme à caractère subversif » 2 et d'autres de « secte dissidente de la Tijâniyya » 3.
Enfin, des marabouts locaux ont crié à l'hérésie. Jugements
abrupts et laconiques ! Qu'en était-il exactement ?
Cheikh Hamahoullah n'avait pas apporté de réformes au sein de la Tijâniyya. Il voulut simplement que l'on revînt à la doctrine originelle du fondateur du tijânisme — telle qu'elle fut codifiée dans Jawâhir al-ma'ânî, l'ouvrage de référence qu'aucun tijâni ne conteste. En clair, avant l'apparition de Cheikh Hamahoullah comme khalife du tijânisme, les fidèles récitaient la formule Jawharatu-l-Kamâli douze fois au lieu de onze. Or, nulle part, Cheikh Tijânî n'avait prescrit de réciter douze fois cette formule et personne avant Cheikh Lakhdar et Cheikh Hamahoullah ne s'était, semble-t-il, interrogé à ce sujet en Afrique occidentale.
Pour revenir aux sources et appliquer strictement les instructions du fondateur de la Tijâniyya clairement exposées par Ali Ḥarâzim dans Jawâhir al-ma'ânî, Hamahoullah avait demandé à ses fidèles de réciter onze fois la formule sacrée. C'est la seule « innovation » qu'on peut attribuer au Chérif de Nioro. En vérité, il ne s'agissait pas d'innovation ou de réforme mais plutôt d'un retour aux sources, aux textes anciens élaborés sous la dictée de Cheikh Ahmed Tijânî lui-même.
Jawâhir al-ma'ânî, sur lequel se fonde Cheikh Hamahoullah, nous paraît particulièrement important. C'est le bréviaire du tijânisme. Il a été rédigé sous la dictée de Cheikh Ahmed Tijânî par le célèbre Ḥâjj Ali Ḥarâzim dont nous avons déjà parlé. En effet, à la page 186 de cet important ouvrage, on peut lire ce qui suit : « Je n'ai rien écrit dans ce livre qui n'ait été dicté et vérifié par Cheikh Ahmed Tijânî lui-même. »
Accusé par ses adversaires d'avoir apporté des modifications au sein de la doctrine tijâni, Cheikh Hamahoullah s'était défendu de toute idée de réforme de l'enseignement du Cheikh Tijânî qui lui paraissait aussi sacré que la Sunna du prophète Mohammed : « Vous qui avez eu confiance en mon maître Cheikh Ahmed Tijânî pour guider vos pas chancelants sur le Chemin du Salut, soyez témoins de ce qui suit : je n'ai rien réformé, rien apporté de nouveau dans la doctrine tijâniyya. Qu'Allah le Tout-Puissant me préserve d'une telle tentative. Bien au contraire, je vous demande d'observer strictement les prescriptions de Jawâhir al-ma'ânî. Après le saint Coran et la Sunna du Prophète, lui seul, lu et médité, doit guider votre religion et votre vie. Le retour à Jawâhir al-ma'ânî est le seul moyen pour le tijâni de rester sur la voie que lui traça notre Grand Maître, et de pratiquer une morale inspirée par la confiance en Dieu 4. »
Il convient d'examiner de près la question de la prière Jawharatu-l-Kamâli à laquelle Hamahoullah fait allusion en prêchant le retour aux prescriptions du livre Jawâhir al-ma'ânî.
L'une des prières recommandées par Cheikh Ahmed Tijânî
consiste à réciter un certain nombre de fois un texte intitulé Jawharatu-l-Kamâli, littéralement la « perle de perfection ». Au sud du Sahara, la Jawharatu-l-Kamâli constitue l'un des points les plus controversés de la doctrine tijâni.
En Afrique de l'Ouest, elle a pris sans raison une importance qu'on n'aurait pas dû lui accorder par rapport au reste de la doctrine tijâni.
Prière facultative; la Jawharatu-l-Kamâli a cependant été à l'origine des dissensions internes de la confrérie. Les hamallistes qui la récitaient onze fois ont été appelés les « onze » ou « onze grains ». Les autres adeptes du Tijânisme d'obédience omarienne ou ḥâfiẓienne (de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ) la récitaient douze fois. On les a surnommés les « douze grains » 5.
Afin de ramener à ses dimensions véritables la Jawharatu-l-Kamâli, il nous paraît utile de rappeler ici les prescriptions fondamentales de Cheikh Ahmed Tijânî.
Les fondements moraux ou recommandations de la Tijâniyya sont au nombre de vingt-trois.
L'impression que nous laisse la lecture des commandements du fondateur de la zâwiya de Fès est que seul un bon musulman peut devenir un tijâni exemplaire.
En plus de ses obligations canoniques 6 de musulman, l'adepte du tijânisme doit réciter trois litanies :
Cette dernière consiste à répéter plusieurs fois Lâ ilâha illâ-llâh. Il n'est pas précisé combien de fois cette formule doit être récitée. Elle est généralement répétée mille à mille six cents fois. Le Taḥlîl doit être récité après la prière de al-Asr, vers la seizième heure le vendredi et de préférence en groupe à la zâwiya.
Le Lâzim est la prière tijâni la plus importante, il est d'ailleurs
obligatoire. Dès qu'un affilié de la confrérie s'abstient volontairement de le faire, il rompt ipso facto le contrat moral qui le lie à la Tijâniyya.
Le Lâzim représente en effet les recommandations les plus importantes de Cheikh Ahmed Tijânî et mérite par conséquent d'être connu.
Cette prière consiste à répéter chaque jour cent fois chacune des formules ou expressions suivantes :
La troisième prière spéciale, celle qui nous intéresse ici, est la Waẓîfa. Elle consiste à réciter :
Réciter onze ou douze fois la formule Jawharatu-l-Kamâli ? Telle était la grande question, voire la pomme de discorde au sein du tijânisme en Afrique occidentale au début du XXe siècle. Selon les traditions orales recueillies en Mauritanie, notamment chez les Idaou Ali qui ont introduit la Tijâniyya au Fouta sénégalo-mauritanien, la Jawharatu-l-Kamâli doit être répétée douze fois et non onze.
La pratique des « douze Jawharatu-l-Kamâli » s'appuierait sur l'anecdote suivante rapportée par des traditions orales que nous avons recueillies au Sénégal, en Mauritanie, au Mali et au Maroc :
« Un jour, Cheikh Ahmed Tijânî arriva à la zâwiya de Fès juste à la fin de la prière. Les fidèles avaient déjà récité onze fois la Jawharatu-l-Kamâli. Mais pour que le Cheikh participât à la prière, ils la récitèrent une douzième fois. Le Cheikh ne dit rien. C'est depuis ce jour qu'on prit l'habitude de répéter douze fois cette formule. »
Cette tradition orale qui constitue l'argument principal des défenseurs des douze Jawharatu-l-Kamâli a été recueillie dès 1923 par le capitaine André 8, responsable des affaires musulmanes au Gouvernement général :
« El Hadj Omar, le Prophète du Fouta, récitait douze fois la Djahourat el Kémal mais, dans son traité Djavar el Mahani 9, il déclare que la véritable diction est de onze. En effet, Sidi Ahmed Tidjani, devenu vieux, laissa dire par son vicaire, devant lui, cette prière douze fois, le Cheikh ne dit rien, les fidèles prirent le chapelet à douze grains au lieu de onze. Le tidjanisme importé de Fès au Soudan comptait par douzegrains. »
Au sujet de la fameuse Jawharatu-l-Kamâli, de nombreuses thèses plus crédibles que la précédente s'affrontent toujours 10. A notre connaissance, aucune source écrite émanant de Cheikh Tijânî ne vient corroborer cette tradition. Rien ne semble prouver que la cérémonie dont il est question ait eu lieu.
Des faits d'une telle importance qui marquent une évolution au niveau d'un point de doctrine n'auraient pas manqué de retenir l'attention des compagnons ou scribes de Cheikh Tijânî qui ont révélé la doctrine tijâni au monde.
En tout cas, Ḥâjj Ali Ḥarâzim, l'auteur de Jawâhir al-ma'ânî, n'en parle nulle part dans ses écrits.
Quand on sait que Cheikh Ahmed Tijânî n'avait d'autres activités que la prière et le recueillement, il nous est difficile de croire que le marabout de Fès se serait présenté si tardivement à la prière. C'est pour toutes ces raisons que nous avons mené une enquête en Afrique de l'Ouest et à Fès même, sur le problème de la Jawharatu-l-Kamâli.
Les avis que nous avons recueillis méritent d'être publiés ici.
Le professeur marocain Idriss Iraki 11, moqaddem de la zâwiya tijâni de Fès, avance la thèse selon laquelle tous ceux qui ne récitent pas la fameuse formule douze fois ne suivent pas la vraie Voie et n'appartiennent pas à la confrérie tijâni. Nous devons nous attarder sur cette thèse car l'homme qui la soutient n'est pas inconnu en Afrique occidentale. En effet, il serait titulaire de quarante-neuf diplômes décernés par des professeurs éminents tels que Mohammed Arabî Assayih et Ahmed Sukayrij. D'une vaste érudition, il a adhéré à la Tijâniyya depuis 1353 de l'Hégire (1942). Fils de Mohammed Ibn Ubayd al-Iraqî al-Ḥusaynî, l'un des plus célèbres imams de la zâwiya tijâni de Fès, Idriss Iraki, que nombre de chefs ouest-africains du tijânisme considèrent comme l'une des voix les plus autorisées au sein de la confrérie, a reçu le wird de l'honorable Ṭayyib Sufyânî.
Idriss Iraki fonde sa thèse sur plusieurs points d'histoire et de jurisprudence. Il affirme que de tout temps la Jawharatu-l-Kamâli a été récitée onze fois mais qu'« une année avant sa mort, Cheikh Ahmed Tijânî aurait procédé à une modification de la doctrine sur les ordres du prophète Mohammed». L'innovation essentielle consisterait à répéter la Jawharatu-l-Kamâli douze fois.
Le moqaddem de Fès révèle ensuite qu'il détient un document signé de Ḥâjj Ali Temasînî qui prouverait que seule la pratique des « douze » Jawharatu-l-Kamâli serait licite. Il s'agirait du texte d'une ijâza (diplôme de moqaddem) que ce prestigieux compagnon de Cheikh Tijânî aurait délivré à l'un de ses fidèles.
Enfin, Idriss Iraki se fonde sur ce qu'il appelle un « précédent jurisprudentiel ». Selon lui, l'Imam Mâlik Ibn Anas, fondateur de l'école juridique la plus répandue en Afrique de l'Ouest et au Maroc, précise dans l'un de ses nombreux traités de droit musulman qu'en cas de controverse juridique sur un point de jurisprudence islamique, l'avis des ulémas de la ville du Prophète (Médine) devrait prévaloir sur tous les autres. Idriss Iraki déduit de ce qui précède et par analogie que s'il y a litige sur un point de la doctrine tijâniyya l'avis des ulémas de Fès, la ville de Cheikh Tijânî, devrait primer l'opinion des autres ulémas de la confrérie.
A la thèse du moqaddem de Fès, il faut apporter un complément d'informations ou même des avis différents d'autres responsables tels que le célèbre érudit Ḥâjj Mohammed Ibn Maghî, directeur et moqaddem de la zâwiya de Meknès : « Au début on récitait onze fois la Jawharatu-l-Kamâli mais actuellement on la récite douze fois. Toutefois, après la onzième récitation de la formule, on dépose le chapelet car la douzième est surérogatoire. ll n'y a ni péché, ni hérésie, si l'on récite onze ou douze fois la Jawharatu-l-Kamâli. »
Le petit-fils du célèbre Ḥâjj Ali Ḥarâzim est du même avis que le moqaddem de Meknès :
« Réciter onze fois, c'est bon, comme réciter douze fois c'est bon également. »
C'est la même thèse que défend Ben Salem Tijânî (Fès), un des descendants de Cheikh Tijânî :
« Ceux qui récitent onze fois la Jawharatu-l-Kamâli et comme ceux qui la répètent douze fois sont tous des adeptes du tijânisme. Ceux qui en Afrique noire tentent de jouer sur cette divergence mineure pour diviser les membres de la confrérie ont d'autres raisons inavouées, politiques, peut-être. En tout cas, j'ai conseillé à des marabouts sénégalais de ne pas accorder d'importance à ces détails.
En 1970, j'ai été en Haute-Volta où j'ai rendu visite à des fidèles qui récitent onze fois la Jawharatu-l-Kamâli. On psalmodiait ensemble cette litanie. Eux, ils s'arrêtaient à la onzième récitation et moi je faisais la douzième. Je n'étais nullement gêné, ni eux d'ailleurs. Je me suis entretenu avec leurs chefs, Fodié Abdallahi Doucouré et Mohammed Sidi Mohammed.
Je considère que tous ceux qui sont dans la voie « onze » (les hamallistes) sont tijâni à part entière puisqu'ils se réfèrent à Jawâhir-al-ma'ânî.
Parlant de Jawâhir al-ma'ânî, le prophète Mohammed (que la paix soit sur lui) a dit à Cheikh Ahmed Tijânî (en songe) : C'est ça mon livre et c'est moi qui l'ai fait.
Peut-on donc reprocher aux hamallistes de se conformer aux prescriptions de ce livre ? Non ! Il faut cependant faire remarquer que Cheikh Tijânî était décédé douze ans après la parution de l'ouvrage. Il est donc possible qu'il ait procédé pendant cette période à des modifications qui n'avaient pu être communiquées à tous les adeptes avant sa mort.
Bref, aucune preuve écrite ne confirme que Cheikh Tijânî aurait dit de réciter douze fois la Jawharatu-l-Kamâli.
Seulement, l'imam Sayyidî Tijânî Ibn Bâbâ al-Alawî ash-Shinqîṭî, auteur de Munyat al-murîd, dit au sujet de la formule qui nous intéresse ici, que du vivant de notre Cheikh, ils ont ajouté une fois. On pourrait donc dire que cette augmentation n'a pas été autorisée par le Cheikh. ll n'y a rien de clair à ce sujet. Quoi qu'il en soit pour moi, on peut réciter douze ou onze fois la formule, les deux voies sont valables 12. »
L'avis d'Idriss Iraki sur le problème de la Jawharatu-l-Kamâli n'est nullement partagé par Cheikh Tahirou Doucouré13, une voix autorisée du hamallisme. Après avoir pris connaissance de la déclaration du moqaddem de Fès, il donne non seulement son point de vue sur la question, mais il entreprend aussi la réfutation, point par point, des thèses d'Idriss Iraki. Il s'appuie également sur le droit musulman et l'histoire.
En effet, pour Cheikh Tahirou Doucouré, Idriss Iraki n'a pas prouvé que Cheikh Tijânî avait reçu du Prophète Mohammed une année avant sa mort, l'autorisation de faire réciter douze fois la Jawharatu-l-Kamâli. Il affirme que les arguments d'Idriss Iraki selon lesquels il n'aurait été question de prescriptions abrogatives ou additionnelles de certaines prières qu'une année avant la mort de Cheikh Tijânî sont contestables dans la mesure où l'imam Mohammed Ibn Mushri (mort six ans avant Cheikh Tijânî) révèle déjà dans son
Kitâb al-jâmi' des modifications de certains points de la doctrine tijâniyya. Une partie de la déclaration de Cheikh Tahirou Doucouré a retenu notre attention :
« En admettant avec Idriss Iraki que la modification au sujet de la formule dite de la Perle de perfection n'ait été révélée qu'une année avant la mort du Cheikh Tijânî, donc après la parution de Jawâhir al-ma'ânî et de Kitâb al-jâmi', on peut cependant s'étonner du fait que cette fameuse modification tardive dont on fait provenir l'initiative non seulement de Cheikh Tijânî mais du Prophète n'ait pas été évoquée dans les ouvrages de références de la Tijâniyya rédigés après le décès du fondateur de la confrérie. En tout état de cause, dans Mîzâb al-raḥma al-rabbâniyya, dans Kashf al-ḥijâb, dans Fatḥ al-rabbânî, dans Ifâdat al-Aḥmadiyya et dans Durrat al-kharîda de Nawifî qui n'ont rien omis de l'histoire et de la doctrine du tijânisme (même les détails les plus insignifiants), il n'est nulle part question de cette fameuse modification tardive dont le Prophète serait responsable, d'après Idriss Iraki. »
Continuant à réfuter les thèses d'Idriss, le professeur Doucouré relève, entre autres, un point de la déclaration du moqaddem de Fès :
« En effet notre frère semble se fonder sur une citation tirée de Munyat al-murîd dans le but de nous faire accepter le point de vue selon lequel “l'augmentation” aurait été prescrite ou acceptée par Cheikh Tijânî : Du vivant de notre Cheikh, ils ont ajouté une fois 14. N'est-ce pas qu'on dit ils (au pluriel) ont ajouté. Ce n'est donc pas le Cheikh (il au singulier) qui a ajouté une fois. En tant qu'adepte du tijânisme nous suivons le Cheikh et non ses « talibés » …
Toujours à propos de cette modification concernant la Jawharatu-l-Kamâli qu'il faut réciter onze fois ou douze n'est-ce pas que Mohammed Assayih, auteur de Bughyat al-mustafîd (qui n'est pas moins crédible que l'auteur de Munyat al-murîd), écrit à la page 360 en commentant justement la citation tirée par Idriss Iraki de Munyat al-murîd :
Cette augmentation peut être considérée comme acceptée par le Cheikh. Ceci prouve bien … que l'augmentation ne provient pas de l'initiative du Cheikh Tijânî. »
Cheikh Tahirou Doucouré aborde ensuite le raisonnement par analogie proposé par Idriss Iraki. Il conteste l'analogie établie par le moqaddem de Fès, entre le Coran et la Sunna d'une part, et la doctrine tijâni d'autre part, en ce qui concerne l'abrogation d'une prescription par une autre plus récente. Pour lui, le Cheikh Tijânî n'a jamais procédé à des abrogations dans la doctrine tijâni mais à des allègements, d'où le caractère facultatif des dernières prescriptions. Rappelons que Cheikh Tahirou Doucouré insiste sur le fait que Cheikh Ahmed Tijânî emploie dans les textes où il est question de nouvelles prescriptions l'expression « Si vous voulez » (in shi'tum) ou la conjonction « ou » (aw), qui impliquent un choix et non une obligation.
En ce qui concerne la seconde analogie établie par Idriss Iraki entre les ulémas médinois au sein de l'Islam et les ulémas de Fès dans la confrérie des tijâniyya, Cheikh Tahirou Doucouré se fonde sur deux ouvrages pour faire remarquer que la thèse de l'imam Mâlik avait été vivement contestée par l'imam al-Shâfi'î et par al-'Âṣ Ibn Sa'd, l'un des plus grands jurisconsultes égyptiens de la génération de Mâlik 15.
Il s'étonne dès lors que le moqaddem de Fès puisse étayer son argumentation par une thèse que Mâlik lui-même ne défendit pas après la controverse qu'elle suscita. Après avoir dit que les ulémas de Fès n'étaient pas plus crédibles que ceux d'ailleurs à l'instar de ceux de Médine par rapport à leurs collègues des autres régions du monde, le professeur Doucouré termine sa déclaration en prêchant le retour au bréviaire tijâni, Jawâhir al-ma'ânî, qui prescrit la récitation de la Jawharatu-l-Kamâli onze fois.
Toutefois, il se garde de condamner ceux qui récitent douze fois la fameuse formule.
Il convient de faire remarquer que la plupart des personnes interrogées semblent faire preuve de modération au sujet de la récitation de la formule en question. Elles pensent qu'on peut la répéter onze ou douze fois.
C'est là, à notre avis, la voie la meilleure, puisqu'elle est celle de la tolérance.
La waẓîfa n'étant que facultative, en ne faisant pas l'une des prières qui la composent, il n'y a aucune entorse à la doctrine tijâni.
On peut donc s'abstenir de réciter la Jawharatu-l-Kamâli et rester un bon tijâni.
Dans ces conditions, il est difficile de partager l'avis d'Idriss Iraki lorsqu'il déclare que les fidèles de la Tijâniyya qui ne répètent pas douze fois la Jawharatu-l-Kamâli s'excluent eux-mêmes ipso facto de la confrérie.
D'autre part, le diplôme de moqaddem qu'aurait rédigé Ali
Temasînî et sur lequel Idriss Iraki semble s'appuyer, ne nous a pas été présenté. Mais il est peu probable que la publication de ce diplôme de moqaddem puisse renforcer la thèse des douze Jawharatu-l-Kamâli dans la mesure où, au sein de la Tijâniyya, Ali Temasînî n'avait pas autant d'autorité qu'Ali Ḥarâzim, l'auteur de Jawâhir al-ma'ânî.
Il ne nous semble guère possible et souhaitable de vouloir trancher ce débat où s'affrontent ulémas, jurisconsultes et moqaddem. La tolérance et la compréhension dont firent preuve presque tous ceux qui ont bien voulu nous informer, nous paraissent les attitudes les plus recommandables en ce domaine où la passion enflamme plus que la raison ne le permet. Dans son humilité d'historien, Marc Bloch ne nous proposait-il pas une attitude de prudence et de compréhension? :
« Pour séparer dans la troupe de nos pères les justes des damnés, sommes-nous donc si sûrs de nous-mêmes et de notre temps? »
Qu'il nous soit simplement permis, à partir des ouvrages de référence de la Tijâniyya, de dégager un point de vue sinon une synthèse. Si on se fonde sur Jawâhir al-ma'ânî, l'ouvrage rédigé sous la dictée de Cheikh Ahmed Tijânî lui-même, la Jawharatu-l-Kamâli doit être récitée onze fois. Dans le Kitâb al-jâmi' de l'imam Ibn Mushri 16, il est question de répéter la pieuse formule « onze fois ou plus ».
Dans son traité ar-Rimâḥ (Les lances), El-Hadj Omar écrit sans toutefois donner ses sources :
« La Waẓîfa comprend douze fois la récitation de la prière Jawharatu-l-Kamâli 17. »
Plus près de nous, Mohammed al-Arabî Assayih écrivait dans Bughyat al-mustafîd (en citant Munyat al-munâ) :
« On récite la Jawharatu-l-Kamâli onze fois précisément ; mais du vivant de notre Cheikh, ils ont ajouté une fois. Cette augmentation est louable 18. »
Cette phrase de Mohammed Arabî a déjà suscité des commentaires tels que ceux de Ben Salem Tijânî que nous avons rapportés plus haut.
Cette version a été citée par Idriss Iraki 19. Elle nous suggère
cependant quelques questions : qui sont-ils, ceux qui ont ajouté une fois ? S'agirait-il du Cheikh Tijânî et de ses fidèles ou de ces derniers seulement ? Il est bien regrettable que Mohammed al-Arabî Assayih n'ait pas donné plus de précisions. Et lorsqu'il poursuit : « cette augmentation est louable », on peut penser que la douzième récitation de la Jawharatu-l-Kamâli n'est pas une prière obligatoire mais surérogatoire.
Son texte aurait eu beaucoup plus d'intérêt pour nous s'il avait donné les raisons profondes et les circonstances de cette « augmentation ». Etant lui-même tijâni « douze grains », Assayih ne pouvait que qualifier cette « augmentation » de louable.
Rappelons-le, les hamallistes sont des membres à part entière de la Tijâniyya qui récitent la Jawharatu-l-Kamâli onze fois. Ils s'appuient sur l'autorité de Cheikh Hamahoullah et de son maître, Cheikh Lakhdar.
Il nous a paru intéressant de reconstituer, avec l'aide des moqaddem hamallistes, l'argumentation de Cheikh Hamahoullah à propos de la Jawharatu-l-Kamâli. Le Cheikh se fondait d'abord sur le livre Jawâhir al-ma'ânî 20, le bréviaire de la Tijâniyya rédigé sous la dictée du Cheikh Ahmed Tijânî lui-même. Il s'appuyait sur la valeur ésotérique du nombre « onze » dans la Waẓifa, argument de poids qui permit à Lakhdar de s'imposer à tous les ulémas qu'il avait rencontrés.
C'est cette connaissance de toute la valeur mystique du nombre onze, qui permit à Cheikh Hamahoullah de convaincre des érudits et des hommes de sciences tels que Thierno Bokar de Bandiagara et Moulaye Idriss de Banamba. Il s'appuyait également sur une thèse admise par tous les membres de la Tijâniyya, selon laquelle les règles de la confrérie auraient été communiquées à Cheikh Tijânî 21 au cours d'une retraite spirituelle, par le Prophète Mohammed lui-même.
Il en déduisait que la doctrine et les pratiques cultuelles du marabout de Fès avaient valeur de Sunna 22 avant d'exprimer sa méfiance vis-à-vis de toute pratique non prescrite dans le livre Jawâhir al-ma'ânî. Il invitait par conséquent ses fidèles à respecter scrupuleusement les prescriptions exposées dans cet ouvrage. Mais il ne condamnait pas ceux qui récitaient la Jawharatu-l-Kamâli douze fois, même s'il affirmait n'avoir aucune raison de faire comme eux.
Ainsi se trouvent présentées et commentées les différentes exégèses des textes, des traditions ou des usages, ayant abouti à la fixation des diverses tendances de la Tijâniyya. La divergence essentielle et unique entre les deux écoles de la confrérie se situe au niveau de la formule Jawharatu-l-Kamâli. La contradiction est mineure et sans intérêt, surtout quand on sait que l'ensemble de la prière Waẓîfa, dont la Jawharatu-l-kamâli n'est qu'une des parties, est facultative.
A priori, on peut penser que le problème de la Jawharatu-l-Kamâli n'était qu'une question de détail sans importance dans la doctrine tijâni et qu'elle ne pouvait susciter d'intérêt que chez des marabouts passionnés par les arguties juridiques et les controverses religieuses.
En vérité, la Jawharatu-l-Kamâli ou tout au moins sa récitation onze fois avait pris en Afrique de l'Ouest, sous le régime colonial, un sens politique.
Voici comment un point de détail de la doctrine tijâni, qui aurait dû rester l'affaire des maîtres de zâwiya, avait pu glisser dans les rapports politiques des gouverneurs de l'A.O.F.
En Afrique du Nord, après le décès de Cheikh Ahmed Tijânî en 1815, il y eut des divergences au sein de la Tijâniyya. Les principales zâwiya étaient celles de Fès, de Tlemcen, d'Aïn Madi et de Temasîn.
Toutes, sauf celle de Tlemcen dirigée par le célèbre Cheikh Tâhar, récitaient la Jawharatu-l-Kamâli douze fois. Jusque-là, il n'y eut rien de particulier.
Mais lorsque l'émir Abd-el-Kader (1808-1883) entreprit de lutter contre les envahisseurs français, il sollicita en 1832 l'appui de Mohammed Tijânî, le chef de la zâwiya d'Aïn Madi. Ce dernier repoussa l'appel du nationaliste algérien. A la tête de son armée, le 12 juin 1838, l'Emir Abd-el-Kader marcha sur Aïn Madi.
Sommé de se rendre, Mohammed Tijânî répondit à l'envoyé de l'émir :
« Dites à votre maître que je ne suis ni un révolté, ni un ennemi mais le chef d'une confrérie religieuse ne s'occupant que des choses du Ciel. Je veux éviter tout contact avec les princes de la terre. Je proteste de nouveau de mes intentions pacifiques ; mais si le sultan (l'émir) veut me voir, il devra d'abord renverser les murailles de ma ville et percer la poitrine de mes serviteurs. »
Mohammed Tijânî ne veut pas lutter contre la France, il préfère s'exiler au Maroc (novembre 1838). En 1840, la zâwiya d'Aïn Madi apporte son aide matérielle et son appui moral au maréchal Valée en lutte contre l'émir Abd-el-Kader.
La zâwiya de Temasîn, dirigée par Ali Ibn Isâ, refuse également de résister aux Français, s'alignant ainsi sur les positions d'Aïn Madi.
Seule la zâwiya de Tlemcen, dirigée par Cheikh Tâhar, appuie l'émir et proclame la guerre sainte contre la France.
Depuis cette époque, les Français considéraient que le tijânisme à douze Jawharatu-l-kamâli (Aïn Madi, Temasîn) était favorable à leur cause, tandis que la Tijâniyya à onze Jawharatu-l-Kamâli (Tlemcen) leur était franchement hostile, donc « subversive ».
C'est la raison pour laquelle Cheikh Hamahoullah, qui prêchait le tijânisme à onze Jawharatu-l-Kamâli, ne pouvait bénéficier dès le départ d'un préjugé favorable auprès de l'administration coloniale.
Les marabouts hostiles à Cheikh Hamahoullah et proches des autorités n'eurent aucun mal à le présenter comme « un danger pour la France », et sa confrérie comme l'héritière des idées politiques des tijânis algériens qui avaient soutenu l'émir Abd-el-Kader contre les troupes françaises.
On comprend dès lors avec quel acharnement, des administrateurs de l'A.O.F., interpellés par certains marabouts maures et noirs, ont déclaré la guerre au hamallisme dès son apparition, sans même savoir s'il avait des revendications politiques. En fait, ces chefs de zâwiya impliquèrent très adroitement les autorités françaises dans un conflit d'ordre strictement religieux qui les opposait à Hamahoullah à propos de la Jawharatu-l-Kamâli. Ils étaient inquiets de la montée du hamallisme qui exerçait un attrait irrésistible sur leurs fidèles.
En vérité, dès la désignation de Cheikh Hamahoullah comme chef de confrérie, il y eut de nombreuses réactions dans les milieux maraboutiques.
Les premiers ralliements à la thèse hamalliste ont été signalés dans des villes imprégnées de culture islamique. En effet, ce sont des ulémas, des poètes et des jurisconsultes de Oualata, de Kaëdi, de Tichitt (Mauritanie), de Nioro, de Mourdiah et de Banamba (Mali) qui répondirent en premier lieu aux appels de Cheikh Hamahoullah. Ces premières adhésions furent incontestablement l'une des causes essentielles du succès de l'école hamalliste. C'est pourquoi il nous paraît utile d'insister non seulement sur ces adhésions mais sur la manière dont elles étaient faites. Le plus souvent, ce sont les représentants des villes, des familles ou des tribus qui se rendent à Nioro pour informer Cheikh Hamahoullah de leur intention et de celle de leurs mandants d'adhérer à la nouvelle confrérie. Généralement, les délégués s'exprimaient publiquement. Les textes de leurs déclarations sont encore conservés à Nioro, dans la famille de Cheikh Hamahoullah. Selon une tradition établie au Sahel soudano-mauritanien, ces adhésions étaient exprimées sous forme de poèmes. Il convient cependant de faire remarquer que les affiliations individuelles étaient les plus nombreuses.
Le ralliement qui fit à l'époque le plus de sensation dans les milieux maraboutiques du Sahel fut celui de la famille du célèbre jurisconsulte mâlikite, Mohammed Yahya, de Oualata. Cette famille était considérée comme l'une des plus instruites de toute la Mauritanie.
Elle se fit représenter à Nioro par Mohammed Mokhtar ould Mohammed Yahya et son frère Hassan ould Mohammed Yahya. Ce dernier s'exprima en ces termes dans un poème célèbre, le jour de son arrivée à Nioro, devant une assistance nombreuse où prenait place Cheikh Hamahoullah lui-même :
« L'homme chez qui nous arrivons aujourd'hui est devenu mon guide spirituel. C'est le protégé de Dieu, c'est le plus grand mystique de notre temps. Il a surclassé tous les mystiques connus de notre époque, sur le plan de la générosité, de l'honnêteté intellectuelle parce qu'il a deux couronnes sur la tête, la couronne du « Pôle » et celle du saint. C'est l'homme dont nous respectons les paroles et les actes. Il a mérité toute notre admiration. »
Peu de temps après, des hommes influents, des marabouts, des poètes et des chefs de tribu accoururent de toutes parts. De la région de Kiffa, arriva l'homme qui était considéré comme le plus instruit des Idaou el-Haj, Cheikh Mohammed Lémine ould Khtour. Dans son poème de ralliement, il s'exprimait ainsi :
« A partir d'aujourd'hui, je n'ai plus qu'un seul guide, qu'un seul maître au plan spirituel, c'est Cheikh Hamahoullah. »
C'est à la suite de ces premières adhésions que les ulémas de Tichitt, ville natale du père de Cheikh Hamahoullah, se réunirent en congrès en vue d'arrêter une position commune à l'égard du nouveau « Pôle » de la Tijâniyya. Ils décidèrent, à l'issue de leur réunion, d'envoyer l'un des hommes les plus cultivés de Tichitt auprès de Chérif Hamahoullah pour lui exprimer de vive voix leur adhésion à la nouvelle confrérie hamalliste. Il est à noter que le délégué de Tichitt s'appelait Mohammed el-Mokhtar ould M'Ballé et que cet homme était considéré comme le plus grand spécialiste de la jurisprudence mâlikite au Hodh. S'adressant à Cheikh Hamahoullah en termes poétiques, il déclare :
« Le représentant de Cheikh Ahmed Tijânî s'est imposé à nous, à nos esprits et à nos conceptions. Ses méthodes et ses idées font jaillir la lumière qui nous éclaire. Je parle de Cheikh Hamahoullah, le « Pôle » de l'Univers et le défenseur de la vérité. C'est grâce à sa venue que les nuages du doute qui planaient sur la Tijâniyya se sont dissipés. »
Quant à Sidati ould Baba Aïnina de Néma, les éloges qu'il présenta dans son poème de ralliement n'étaient pas moins dithyrambiques :
« Chérif Hamahoullah que je suis venu voir aujourd'hui est l'homme parfait, c'est le dépositaire de l'héritage spirituel de Cheikh Tijânî. Nous en avions eu les indices et nous en avons aujourd'hui les preuves irréfutables. Une fois qu'on prend contact avec cet homme dont le rôle est de guider sur le chemin de Dieu, on se rend compte qu'il tire sa force d'un océan de connaissances 23. »
Venue des lointaines rives du fleuve Sénégal, la délégation de
Kaëdi, composée d'érudits aux cheveux blancs, se présenta à la zâwiya de Cheikh Hamahoullah.
Tour à tour, Fodié Bakary Doucouré, Fodié Abdallahi Diagana, Fodié Cheikhou Diagana et Mohammed Youssouf Diagana, tous, anciens disciples de Lakhdar, demandèrent un chapelet d'élève au Chérif de Nioro qui ne tarda pas à les élever au rang de moqaddem.
Quant à Moulaye Idriss de Banamba (Mali), son adhésion causa une grande surprise dans tous les confins soudano-mauritaniens. Cet homme d'ascendance chérifienne était à la fois jurisconsulte, grammairien, poète et surtout thaumaturge. Il était craint et respecté. Il aurait décidé d'adhérer au hamallisme après avoir fait des investigations d'ordre ésotérique sur la ṭarîqa (Voie) proposée par le Chérif Hamahoullah. Dans son poème de ralliement il révèle qu'il avait mené de longues recherches non seulement sur la valeur mystique du nombre onze et la récitation de la Jawharatu-l-Kamâli, mais aussi sur les origines chérifiennes de l'élève de Lakhdar. Dans ce poème de toute beauté, Moulaye Idriss rétablit pour la première fois la généalogie de Chérif Hamahoullah en remontant au Prophète Mohammed. Pour lui, le fils d'Assa Diallo est « notre guide, le Choisi de Dieu et le descendant de la famille la plus illustre du monde musulman ».
On comprend dès lors le souci de la plupart de ces hommes de faire remarquer qu'il s'agissait pour eux de prêter un serment de fidélité mais non d'effectuer une simple adhésion 24.
Après s'être renseigné sur la nouvelle confrérie, Mohammed Doucouré, le grand muftî de Mourdiah (Mali) réunit tous ses proches en vue de dégager une position commune à l'égard du hamallisme. La tradition rapporte que des hommes de culture tels que Demba Wagué et Baye Doucouré avaient participé à cette réunion où il fut décidé d'adhérer à la confrérie de Cheikh Hamahoullah. En conséquence, Mohammed Doucouré se rendit à Nioro.
Là, il lut un poème d'adhésion que nombre de hamallistes récitent encore par coeur. Ce texte, qui luî valut un réel succès au plan littéraire, était intitulé Yâ ṣâhib al-waqt (Oh ! l'homme de notre temps !). Dans ce texte, il présente Cheikh Hamahoullah comme un homme hors de l'ordre commun :
« Tu es le guide dont les bienfaits ont comblé tous les hommes de bonne foi. De tes actions jaillit la lumière qui éclaire les villages, les villes, les campements et les déserts. Tu me connais mieux que moi-même, tu peux également me défendre plus que je ne le peux. Oh mon Cheikh ! (…) qui ne dévie pas d'un pas du chemin de la vérité ! Oh ! qu'ils sont à plaindre ceux qui te contestent ! »
De Touba (Mali) arriva Madiou Sylla, un autre juriste noir de grande renommée. Il lut également un poème, marquant ainsi son adhésion au hamallisme.
Sept ans seulement après sa désignation par Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar comme son successeur, la réputation de Cheik Hamahoullah avait dépassé les frontières des territoires du Sahel.
Dès 1916, un érudit aux cheveux blancs, le Cheikh Thierno Aliou Ɓuuɓa Ndiyan (1850-1927), prend position en faveur du Chérif de Nioro.
Chef spirituel incontesté de Labé, Thierno était lui-même un soufi, un exégète du Coran, un théologien émérite et un juriste distingué. Sa perception théologique était des plus rigoureuses. Considéré comme un des saints musulmans les plus dignes de respect et de vénération, Thierno Aliou était pour les marabouts du Fouta-Djallon le maître, le guide inspiré dont toute la vie n'aurait été qu'une imitation de celle du Prophète Mohammed.
Thierno, qui excellait dans l'enseignement du fiqh et le commentaire des ḥadîth, était lui-même une sommité de la Tijâniyya douze grains.
Panégyriste du Prophète et chantre du soufisme, le marabout Peul était attiré par tous les hommes de Dieu. Il n'avait jamais rencontré personnellement Cheikh Hamahoullah, mais après avoir pris connaissance d'opinions discordantes sur le marabout de Nioro, il se livra, à la demande de ses proches, à une longue méditation doublée d'une investigation mystique. Son verdict était clair. Pour que personne au Fouta ne doutât plus de la sainteté du Cheikh maure, Thierno lui dédia un beau poème.
Dans son oeuvre poétique, Thierno ne parle pas d'adhésion à la confrérie du Chérif de Nioro, mais il atteste devant Dieu et les hommes que Cheikh Hamahoullah est un saint, titre combien édifiant qu'un homme de la trempe de Thierno Aliou Ɓuuɓa Ndiyan ne pouvait attribuer à quelqu'un qui ne lui paraissait pas proche de Dieu et digne de vénération.
Cet hommage appuyé du savant Peul eut de grandes répercussions dans tout le Sahel soudano-mauritanien et bien évidemment en Guinée, où Cheikh Hamahoullah jouit encore d'une réputation d'ascète et de saint auprès des marabouts de Labé et de Kankan. Le poème de Thierno, dont la tombe constitue un lieu de pélerinage pour de nombreux musulmans de la Moyenne Guinée, est un chef-d'oeuvre littéraire. Il est de nos jours récité en choeur dans les zâwiya du Sahel 25.
De nombreux soufis noirs tels que Fodié Abdoulaye Doucouré de Ouahigouya (Haute-Volta), Aboubacar Mangané de Bron (Mali) ont adhéré au hamallisme dès les premières heures de la confrérie. A Nioro même, le célèbre poète et juriste soninké, Bakary Cissé le frère de Madi Assa Diakité, l'imam de Nioro, devint non seulement le disciple de celui qu'il qualifia lui-même de revivificateur du tijânisme, mais aussi son secrétaire particulier. Cet homme était considéré comme l'un des plus instruits de Nioro. N'est-il pas aussi de la lignée du grand Dioumou Kaba Diakité, chef religieux de la ville avant l'intrusion des armées omariennes ? Quoi qu'il en soit, Bakary Cissé adhéra sans complexe à la Voie de celui qu'il considérait comme l'héritier spirituel de Cheikh Ahmed Tijânî. Il récita le panégyrique de son nouveau maître à l'instar des autres poètes qui l'ont précédé. Dans son oeuvre poétique, il dit que Chérif Hamahoullah est « une lumière qui attire et ramène vers elle l'homme béni, mais qui reste invisible à l'homme maudit ».
Ce verdict rendu par un homme de la trempe de Bakary Cissé ne pouvait laisser indifférents ceux qui hésitaient encore à Nioro. On peut donc penser que le succès de Cheikh Hamahoullah est essentiellement dû à l'adhésion des grands lettrés du Sahel soudano-mauritanien et à l'appui d'érudits tels que Thierno Aliou Ɓuuɓa Ndiyan, qui avait une ancienne réputation de sainteté et qui, de surcroît, ne lui devait rien et n'avait à priori aucune raison — en dehors des motifs religieux — de le soutenir. Les adhésions telles que celles de Tierno Bokar Salif de Bandiagara dont nous parlerons plus loin, confirmèrent, aux yeux de beaucoup, que Cheikh Hamahoullah n'était pas un marabout comme les autres mais bien le défenseur désigné de l'héritage spirituel de Cheikh Ahmed Tijânî.
Le ralliement d'un seul marabout pouvait entraîner celui de tous ses disciples.
Lorsque les foules affluèrent dans les zâwiya de Cheikh Hamahoullah, il ne se laissa pas griser par le succès. Il ne changea en rien ses habitudes et son train de vie. Il resta isolé dans la prière et le recueillement. Rien ne troubla son existence recluse.
Sous les tentes du Hodh, les caravaniers rentrant de Nioro ne cessaient de présenter son comportement de tous les jours et sa piété comme un modèle à suivre. Mais son succès rapide lui suscita de nombreux rivaux parmi les marabouts maures. Il fut contesté et critiqué violemment par des adversaires de taille dont les plus célèbres furent Mohammed Qadir ould Mayaba et Fah ould Cheikh el-Mehdi.
Mayaba 26 est le surnom donné par un griot à Sidi Ahmed ould Abdallah, un dignitaire de la prestigieuse tribu des Tajakant, mort vers la fin du XVIIIe siècle à Togba 27.
Considérée comme une pépinière de savants, la tribu des Tajakant, qui se réclame de la lignée des célèbres Lemtouna, nomadisait dans tout le Trab-Chinguît, notamment dans la région de Kiffa.
Parmi les fils de Mayaba, Mohammed el-Qadir s'est particulièrement distingué comme théologien et grammairien. Il fit de brillantes études chez les Ahel Mohammed Salem de l'Inchiri, une famille réputée pour sa vaste culture.
L'influence et l'action de Mohammed el-Qadir n'avaient pas échappé à l'administration coloniale qui lui avait consacré de nombreuses correspondances officielles et d'intéressantes notices de renseignements dans lesquelles on pouvait lire notamment : « Notable très cultivé, c'est un juriste, un grammairien et un théologien remarquable. Appartient à une famille instruite administrant la justice dans la tribu (Tadjakant) avec un réel souci d'honnêteté et de loyalisme. Il appartient à la sous-fraction des Ahel Aya de la fraction d'Idechef (tribu Tadjakant) qui habite le cercle de l'Assaba, chef-lieu Kiffa (Mauritanie).
Il est à noter que ce personnage est parti en dissidence vers 1905 avec son frère Mohammed Habib Allah. Les deux frères ont ensuite continué leur marche jusqu'aux lieux saints ; puis, après avoir fait le pèlerinage à La Mecque, ils allèrent séjourner à Médine où Mohammed el-Qadir fut élu cadi officiel. A l'occupation du Hedjaz par les Wahabites, ceux-ci expulsèrent les deux frères non seulement de Médine mais de tout le pays dépendant d'Ibn Séoud.
Maintenant, Mohammed Habib Allah habite Le Caire (Egypte) où il enseigne dans la medersah de la mosquée Azhar ; Mohammed el-Qadir demeure à Chark l'Ardane (Palestine) … Mohammed el-Qadir et son frère entretiennent une correspondance régulière avec leurs parents et disciples demeurés en Mauritanie (cercles d'Assaba et du Trarza) 28. »
Ces renseignements concordent fort bien avec ce que rapportent les traditions orales recueillies en Mauritanie. Il faut tout simplement ajouter que le second frère et compagnon de voyage de Mohammed el-Qadir dont le nom n'est pas mentionné dans la notice de renseignements précitée s'appelle Mohammed Taghiyoullah. C'est donc en Palestine que Mohammed el-Qadir a rédigé le livre intitulé Mushtahâ al-khârif al-jânî fî zalaqât at-Tijânî al-jânî (Lumière sur les élucubrations mensongères de Tijânî le pécheur) qui a paru en Mauritanie vers 1928 29.
Cet ouvrage était déjà connu en 1929 dans les milieux musulmans de l'ex-A.O.F. Des extraits de ce livre furent publiés par la revue Al-Fatḥ du Caire : « Le numéro du 23 mai 1935 contient un article où l'accusation de plagiat est lancée contre le fondateur de la confrérie des Tidjanis, Abou Abbas Ahmed Tidjani. D'après l'auteur de l'article, le Kitab Jawahirou el maani jusqu'à présent attribué à ce personnage et où se trouvent exposées la doctrine et les pratiques du Tidjanisme, serait la copie d'un ouvrage écrit bien antérieurement … Cet article dont la traduction analytique jointe 30 serait susceptible, s'il venait à être diffusé en Afrique occidentale française, de ranimer les vives controverses déchaînées en 1929 dans les milieux musulmans de la Fédération par l'apparition du livre Mochtaha el-kharif serait écrit par Mohammed ould Khattar ould Mayaba 31 contre le Cheikh Tidjani et sa Voie 32. »
Dans son livre, Ould Mayaba présentait ainsi Cheikh Hamahoullah :
« Le principal Cheikh actuel de cette confrérie (la Tijâniyya) en Afrique occidentale est un homme qui habite au chef-lieu d'un cercle du Soudan dirigé par les Français (Que Dieu les extermine). Il demeure au voisinage des chrétiens ; les gardes-cercles et les tirailleurs forment la majeure partie de ses disciples. Il jouit au milieu d'eux d'un grand respect et d'une parfaite considération. Il a une influence très florissante.
Il reçoit des visites de tous les côtés. Il est considéré comme le Pôle de ette époque. Cet homme est d'accord avec les infidèles, il n'a même pas voulu s'éloigner d'eux, même de quelques centimètres, il croit peut-être qu'à courir vers les infidèles et habiter avec eux est le sens du ḥadîth suivant : celui qui émigre pour sa religion à un autre lieu même de quelques centimètres méritera d'être agréé au Ciel et deviendra le compagnon du Prophète Mohammed et d'Abraham. (Que Dieu répande sur eux le salut). Cet homme s'appelle Hamahoullah 33. »
Il convient de faire remarquer qu'en portant des jugements d'une telle sévérité sur la personne du Chérif de Nioro, Ould Mayaba semble avoir été guidé par plus de passion que de raison.
En effet toutes les accusations avancées par Mayaba pour ternir l'image de l'ancien élève de Lakhdar sont sans fondement. A l'époque nul n'ignorait que Cheikh Hamahoullah était en résidence surveillée à Méderdra, justement parce qu'il ne voulait collaborer ni de près ni de loin, peu ou prou, avec ceux que l'auteur de Mushtahâ appelle les « infidèles ».
Entaché d'assertions visiblement contraires à la vérité, ce réquisitoire ne servit finalement qu'à jeter le discrédit sur Ould Mayaba qui apparut alors à nombre de ses contemporains comme un adversaire trop sévère et parfois injuste de la Tijâniyya.
Son Mushtahâ consacré à la réfutation des thèses de Cheikh
Ahmed Tijânî a servi cependant, mais de façon absolument involontaire, à faire connaître le nom de Cheikh Hamahoullah en Jordanie, en Egypte, en Arabie Saoudite et au Maghreb où le prestige et l'influence du fondateur de la Tijâniyya étaient restés intacts.
Pour de nombreux moqaddem hamallistes, les attaques de Mayaba, « l'ennemi de Cheikh Tijânî », dirigées contre Cheikh Hamahoullah, constituaient une preuve supplémentaire que le Chérif de Nioro était sur la « bonne voie tijâni ».
Comme l'indique son nom, Fah était le fils du vénérable Cheikh el-Mehdi, l'un des érudits les plus respectés de la Mauritanie à la fin du XIXe siècle. Fah lui-même était considéré comme un brillant exégète du Coran et un thaumaturge. Il s'était distingué en particulier par son hostilité à l'égard des soufis de son temps. Il s'était violemment attaqué aux grandes familles maraboutiques du Hodh.
Il apparaissait aux yeux de ses contemporains comme un théologien dogmatique résolument opposé aux confréries, au soufisme et au culte des saints dans l'Islam, alors qu'il était lui-même vénéré par la plupart des Tinouajiou. Même s'il se voulait sunnite fondamentaliste, on reste surpris de son opposition presque maladive aux soufis respectueux des données de la loi 34.
Il semblait mettre en doute sans raison la sainteté (walâya) de certains de ses contemporains les plus dignes de cette qualité.
Au plan purement dogmatique, ses diatribes contre Cheikh Hamahoullah ne se justifiaient guère. Mais dès 1910, le marabout tinouajiou s'attacha avec passion à jeter le discrédit sur le Chérif de Nioro — qui venait d'être désigné comme khalife du tijânisme par Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar.
Les autorités coloniales s'inquiétèrent du mécontentement général qu'avaient provoqué les imprécations de Fah contre Cheikh Hamahoullah dans la plupart des tribus du Hodh.
William Ponty, gouverneur général de l'A .O.F. de 1908 à 1916, fit venir au Soudan, peu avant la guerre de 1914, Sî Ahmed Ben Sayyid al-Abd-al-Alawî, un marabout d'Aïn Madi, pour réconcilier Fah et Cheikh Hamahoullah 35.
Mais cette médiation aboutit à un échec car les motivations de Fah n'étaient pas essentiellement religieuses. Ce que l'administration ne comprit que bien plus tard, en 1924, année où le marabout tinouajiou fut envoyé en résidence surveillée au Trarza.
De toute évidence, c'est du contexte social qui était le sien qu'il convient de partir pour comprendre l'attitude de Fah ould Cheikh el-Mehdi à l'égard de Cheikh Hamahoullah.
Une longue tradition d'inimitié s'était établie entre les tribus Laghlal et les Tinouajiou (celle de Fah), bien avant la pénétration coloniale et l'émergence du mouvement hamalliste dans la région.
Elles se pillaient mutuellement et tout les opposait 36.
L'adhésion massive des Laghlal au tijânisme onze grains accrut la méfiance de Fah à l'égard de Cheikh Hamahoullah. Elle coïncida avec une période de tensions entre les tribus rivales.
En effet, à partir de 1923, les rixes se multiplièrent 37. La même année, Fah s'attaqua à Cheikh Hamahoullah dans une dizaine de philippiques présentées sous forme de poèmes. Le Cheikh ne réagit pas. Mais deux de ses lieutenants, Mohammed Lémine ould Khtour et Sidi ould Brahim, de redoutables polémistes, donnèrent la réplique à Fah qui cherchait vainement à arrêter la progression du hamallisme au
Hodh.
Malgré les mises en garde réitérées de Fah, nombre de marabouts tinouajiou plus sensibles aux questions religieuses qu'aux rivalités tribales, se rallièrent à Cheikh Hamahoullah.
L'échec de Fah dans sa tentative d'étouffer le hamallisme fut d'autant plus grand qu'il contribua lui-même à faire connaître de façon absolument involontaire le nom de Cheikh Hamahoullah sous les tentes de sa tribu.
En définitive, ni Ould Mayaba, ni Fah ould Cheikh El Mehdi n'avaient réussi à disloquer la confrérie hamalliste. Grâce à l'action de ses moqaddem et au charisme de Cheikh
Hamahoullah, la nouvelle confrérie s'imposa dans certaines parties de l'Afrique de l'Ouest comme le véhicule de la doctrine originelle de la Tijâniyya.
Avant d'en venir à l'organisation et à la diffusion du tijânisme « onze grains », il nous paraît utile de faire remarquer que le vocabulaire théologique et sociologique de la langue française pose souvent problème dans l'étude de l'Islam. Par exemple, nous venons de parler de confrérie hamalliste. D'aucuns parleraient volontiers de secte. Mais à la vérité, en Afrique de l'Ouest, les notions de confrérie et de secte comme celles de « cheikh » ou de « khalife » restent très ambiguës, elles se confondent parfois ou s'emploient différemment selon les pays ou les régions. Quelques remarques générales s'imposent.
En principe, le « cheikh » est le fondateur d'une ṭarîqa (confrérie ou Voie) qui offre, par les règles mystiques et les prières qu'elle propose, le moyen d'une démarche spirituelle permettant une approche personnelle de Dieu.
Les successeurs du « cheikh » sont ses « khalifes » ; ses délégués et représentants sont ses moqaddem. En Afrique occidentale, la plupart de ceux qu'on appelle « cheikhs » n'ont pas fondé de confrérie (au sens de ṭarîqa) mais ont regroupé autour d'eux des fidèles en poursuivant l'enseignement des cheikhs maghrébins ou moyen-orientaux.
C'est le cas d'El-Hadj Omar, de Mohammed al-Ḥâfiẓ ou de Ahmédou Hamahoullah, qui sont pourtant tous des cheikhs. Mais aucun d'entre eux n'a fondé une ṭarîqa nouvelle. Au plan du dogme, ils se réclament tous à juste titre d'un seul cheikh, Ahmed Tijânî. Ils se situent tous, en effet, dans la continuité spirituelle et historique de la confrérie tijâni. Pour cette raison, on ne peut appeler « sectes » ces branches de la Tijâniyya.
Pour la commodité de l'expression, nous nous permettrons de parler de confrérie hamalliste, bien qu'il n'y eut pas de ṭarîqa hamalliste selon Cheikh Hamahoullah lui-même, car il s'agissait plus exactement de ṭarîqa tijâni. Ce sont en effet les adversaires de Cheikh Hamahoullah qui parlaient de ṭarîqa Ḥamâwiyya estimant que les « onze grains » n'étaient pas du tijânisme orthodoxe. Quant aux néologismes « hamallisme » et « hamalliste » que nous utilisons tout au long du texte faute de trouver une expression plus heureuse, ils ont été forgés et imposés dans la langue française par les administrateurs coloniaux.
Dans l'organisation de la confrérie qu'il dirigeait, Cheikh Hamahoullah n'apporta aucune innovation par rapport aux autres formations religieuses qui se réclamaient de la Tijâniyya. On distinguait dans la foule de ses fidèles, le moqaddem (l'initié) et le murîd (le postulant, l'adepte). C'était la même hiérarchie qu'on retrouvait dans toutes les confréries islamiques répandues dans l'Ouest africain. C'est pourquoi nous donnerons des extraits d'ar-Rimâḥ 38 où El-Hadj Omar définit le rôle du Cheikh, de l'initié et de l'adepte dans la confrérie tijâni :
« Sache que le successeur du Cheikh est celui qui enseigne aux disciples les mêmes remémorations, prières et séances liturgiques (wird et ḥizb), secrets, directions, résolutions, retraites, morale, sciences et connaissances que son Cheikh lui enseignait. En résumé, il doit traiter les disciples de la même manière que son Cheikh le traitait, tout en ayant sur eux les mêmes droits de la succession. Si tu désires connaître la différence qu'il y a entre un successeur et un initié, la voici : l'initié est celui à qui le Cheikh donne l'ordre ou l'autorisation d'enseigner les remémorations nécessaires ou particulières à ceux qui vivent sur terre et d'en faire l'héritage de Dieu. Cette autorisation a des limites, mais, tout initié sincère jouit d'un rang élevé qui lui mérite obéissance et respect… Le successeur diffère de l'initié. Il remplace le Cheikh, absolument sur tous les plans. Les initiés et leurs disciples font partie de ses ouailles. Ils lui doivent obéissance. En effet, la loi de la Voie exige de tous les adeptes l'obéissance au successeur, que ce soit de la part de ses propres disciples, ou de la part de ceux des autres. »
Quant à l'autorité et à la légitimité spirituelles du Cheikh, elles sont fondées essentiellement sur la silsila, la chaîne mystique ou chaîne d'initiation (liste des saints dont le fondateur a reçu son enseignement).
Chaque fondateur de confrérie se prévaut d'une chaîne d'initiation qui le rattache au Prophète Mohammed.
La silsila de Cheikh Ahmed Tijânî est des plus simples car il tiendrait directement les préceptes de sa confrérie du Prophète Mohammed 39.
La chaîne mystique de Hamahoullah le rattache à Cheikh Ahmed Tijânî par l'intermédiaire de Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar et de son maître, Cheikh Sîdî Tâhar Bû Tayyib de Tlemcen.
D'après de nombreux ulémas et marabouts du Soudan (Mali actuel) et de la Mauritanie, Cheikh Hamahoullah aurait reçu de Cheikh Mohammed Lakhdar une formule secrète qui confère la puissance mystique et permet de réaliser des miracles.
Pour Thierno Bokar, l'érudit de Bandiagara, « l'homme de Dieu » de Théodore Monod, Hamahoullah était par son savoir, sa baraka, ses origines, ses karâmât et la volonté souveraine d'Allah, le Quṭb zamânihi (le Pôle de son temps).
Pour l'esprit cartésien, les saints en général n'ont qu'une réalité historique assez difficilement saisissable. Selon l'expression d'Emile Dermenghem, « personne n'est d'ailleurs forcé de croire » aux miracles ou karâmât qu'on attribue aux saints 40. »
Mais en pays musulman, notamment en Afrique occidentale, les saints n'ont jamais cherché à prouver leur sainteté. En bon musulman, on y croit ou on n'y croit pas. Mais il y a surtout, nous dit-on, des signes qui ne trompent pas, les miracles qu'ils accomplissent.
Le Pôle c'est aussi par définition pour les soufis le « Choisi », l'Elu de Dieu, il n'a pas d'égal parmi les hommes de son temps. Le Chérif est un descendant du Prophète de l'Islam ; à ce titre, il doit être respecté. Enfin, tout musulman doit du respect à n'importe quel cheikh, même si ce dernier n'est pas le sien. On comprend dès lors que toute une mystique naquit autour du Chérif de Nioro et trouva son épanouissement dans une profonde affection populaire.
Le marabout exerçait un attrait irrésistible sur les foules. Celles-ci se présentèrent spontanément dans sa zâwiya pour s'organiser en confrérie.
Les premiers adhérents à la nouvelle confrérie furent les anciens disciples de Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar. Ce dernier avait en effet demandé à tous ses élèves de se joindre à la communauté religieuse dirigée par Hamahoullah. Mais trois moqaddem nommés par le missionnaire de la zâwiya de Tlemcen avaient refusé de reconnaître l'autorité du Chérif de Nioro. Il s'agit de Chérif Mohammed el-Mokhtar, Fadel Mowla 41 et Abdallahi ould Limam, un célèbre jurisconsulte
du Hodh. Pour ces trois contestataires, il n'était pas question de reconnaître comme guide spirituel un jeune homme de vingt ans.
L'administrateur de Kayes semble bien informé au sujet de Chérif Mohammed el-Mokhtar et de Mourtada, lorsqu'il écrit :
« Chacun d'eux caressait intérieurement le dessein de se créer un fief religieux dès qu'ils auront en main le secret de la Baraka. Quand Mourtada et Chérif Mohammed Mokhtar furent convaincus que Cheikh Sidi Mohammed n'avait pas l'intention de confier ni à l'un ni à l'autre le secret du nom qui procure la Baraka, ils résolurent de s'en débarrasser, ils le calomnièrent si bien que Cheikh Sidi Mohammed fut expulsé de Nioro. Arrivé à Saint-Louis, Cheikh Sidi Mohammed Lakhdar réussira à se justifier et obtint l'autorisation de revenir à Nioro où il mourut en 1909 42. »
Dès lors, il n'était pas étonnant de voir Chérif el-Mokhtar et ses amis s'attaquer à l'héritier de la Baraka qui confère la puissance mystique et le pouvoir sur les esprits et la nature.
Finalement, abandonnés par leurs propres partisans en faveur de Hamahoullah, les contestataires moururent dans l'oubli.
Le successeur de Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar désigna de nombreux moqaddem dans la plupart des colonies françaises de l'Ouest africain. Ces maîtres de zâwiya avaient pour mission d'implanter le tijânisme à onze Jawharatu-l-Kamâli dans leurs régions et d'assurer aux fidèles un enseignement religieux fondé essentiellement sur le Coran, la Sunna et Jawâhir al-ma'ânî. La plupart d'entre eux étaient habilités à nommer de nouveaux moqaddem selon des critères bien précis. En effet, pour être moqaddem de Cheikh Hamahoullah, il fallait avoir une solide connaissance de l'Islam et être surtout d'une grande probité intellectuelle et morale.
Les moqaddem désignés par le Chérif de Nioro étaient surtout des ulémas, des cadis et des enseignants respectés pour leur savoir et leur piété.
Une liste complète de ces moqaddem, même fastidieuse, permettrait d'avoir une idée sur le niveau intellectuel et l'implantation de la confrérie hamalliste. La plupart de ces hommes sélectionnés par Hamahoullah lui-même sont encore très connus dans leurs régions comme des érudits d'une piété exemplaire.
Voici la liste de ces moqaddem par pays :
Comme nous l'avons déjà fait remarquer, partout où se retrouvaient des adeptes de Cheikh Hamahoullah, ils se regroupaient autour d'un ou de plusieurs moqaddem pour construire une zâwiya. Le moqaddem est le représentant personnel du Cheikh. Il dirige les prières, initie les néophytes, leur confère le chapelet tijâni dès qu'ils sont en mesure de réciter toutes les prières et remémorations prescrites dans Jawâhir al-ma'ânî. Il doit être capable de répondre correctement aux questions des fidèles sur l'ensemble des passages du Coran et de la Sunna et sur les principes essentiels de la doctrine de Cheikh Ahmed Tijânî. Il doit veiller au bon fonctionnement de la zâwiya, le lieu de prières des membres de la confrérie. C'est là qu'étaient communiquées aux fidèles les instructions du Chérif de Nioro.
C'est aussi dans les zâwiya qu'on offrait l'hospitalité à de nombreux hamallistes en déplacement.
C'est grâce aux Soninkés et aux Maures, animateurs de zâwiya par excellence, que la confrérie a connu une expansion rapide en Afrique de l'Ouest. Les premiers sont par tradition ou vocation colporteurs ou marchands, les seconds des nomades, tous sont de grands voyageurs. Ce sont des commerçants maures qui ont fait connaître le nom du Chérif de Nioro sous les tentes du Hodh et de l'Assaba (Mauritanie).
On comprend dès lors pourquoi la Mauritanie orientale fut l'une des premières régions à basculer dans le camp hamalliste. A ce propos, l'administrateur Descemet écrivait en 1925 dans un rapport politique :
« On peut dire que la plupart des nomades sahéliens sont acquis à la ṭarîqa de Cheikh Hamallah, particulièrement la grande confédération des Mechdouf depuis l'adhésion des Ahel M'Haïmid et la Hellé du chef général Ely Mahmoud. Cette adhésion fut pour Hamallah une véritable victoire qui eut dans le Hodh une grosse répercussion. D'autre part, Oualata presqu'en entier est avec Hamallah, Néma par contre semble résister quoique déjà entamée. »
Quant aux marchands soninkés, ils furent les principaux responsables de la diffusion du tijânisme « onze grains » en Afrique de l'Ouest, surtout le long des grands axes commerciaux. C'est en effet dans les villes marchandes de l'époque, situées le long des grandes voies de communications, que l'administration coloniale avait repéré de nombreux hamallistes :
« … Et si le long de la voie ferrée comme le long du Niger, Hamallah ne paraît pas avoir encore de moqaddem, il n'en est pas moins certain qu'il compte des adeptes, notamment dans les cercles de Bafoulabé, Ségou, Sansanding et Tombouctou. Son nom, d'autre part, n'est pas ignoré dans la boucle (…) Sa tariqa, enfin, a commencé à s'infiltrer au Sénégal, en Mauritanie et dans la Haute-Guinée 43 »
En 1942, le gouverneur du Soudan signale dans son rapport politique annuel qu'« il y a 53 000 tidjanistes « onze grains » à Ouahigouya (Haute-Volta), sans compter ceux des circonscriptions voisines du Niger et de la Côte d'Ivoire 44. » Cette diffusion du hamallisme est décrite par Alphonse Gouilly de façon plus précise :
« La secte, à l'heure actuelle, a son foyer principal dans la région de Nioro d'où la doctrine gagne le nord par les terrains de parcours des nomades jusqu'à Chinguetti, Ouadane et quelques localités de l'Adrar, puis elle se propage dans le désert à partir de Oualata. Elle rayonne également en direction du fleuve Niger, notamment vers Bamako et Ségou. Elle s'infiltre le long du Sénégal jusqu'à Saint-Louis. Par la voie ferrée, elle parvient à Dakar où elle rejoint un rameau arrivé de Kayes par la voie du chemin de fer Dakar-Niger. Dakar constitue un deuxième foyer, moins ardent, de prosélytisme, avec environ cinq cents adeptes. De même, la région de Kayes constitue un centre de rassemblement hamalliste … De Kayes, le hamallisme pénètre par les communications fluviales et routières jusqu'en Guinée, notamment les régions de Labé et de Mamou. A Dabola, il atteint le chemin de fer de Conakry au Niger, et de là il pousse deux pointes le long du rail, l'une sur Conakry, l'autre sur Kankan.
A l'est, le hamallisme gagne la colonie du Niger 45 par le chapelet des Etats peuls : Dori, Haribinda, etc.
Un petit foyer existe en Haute-Volta, dans la région de Yoko et s'étend au nord-ouest, en direction de Ouahigouya et de Bandiagara, au nord-est, vers Kaya et Dori. Un autre foyer se maintient à Bobo-Dioulasso. Un troisième centre actif s'est constitué à Sassandra où Yacouba Sylla fut mis en résidence obligatoire. Il est à noter qu'ils ont déterminé de façon directe des conversions en milieu animiste.
Enfin, ceux des adeptes de Hamallah qui, en punition d'avoir trempé dans l'affaire de l' Assaba, ont été internés dans la région de l'Ansongo, ont provoqué des conversions locales. A leur tour, les nouveaux convertis, lorsqu'ils se montraient turbulents, ont été refoulés du Niger où la doctrine se répand grâce à eux 46. »
Si l'adhésion de Moulaye Idriss de Banamba (Mali) au hamallisme (1909) eut un grand retentissement sous les tentes de la Mauritanie orientale et sur les contreforts des plateaux mandingues, celle de Thierno Bokar Salif Tall (1884-1940), même tardive (1938), eut également des répercussions dans toute la région de Bandiagara et jusqu'au Nigeria (Hodeïja et Sokoto).
Si nous avons exposé les raisons du succès hamalliste sans évoquer le nom de Thierno Bokar, c'est parce que son ralliement fut tardif. Cette adhésion fut cependant l'une des dernières victoires du « Sage de Nioro ». Elle renforça beaucoup de hamallistes du Macina dans leur conviction que la voie tijânienne de Cheikh Hamahoullah était orthodoxe.
ll convient de le rappeler, Thierno Bokar était l'un des petits-neveux d'El-Hadj Omar Tall. Tout le monde respectait son exemple et admirait son savoir.
Malgré l'opposition de la plupart des membres de sa famille, Thierno avait choisi d'abandonner le tijânisme « douze grains » dont il était l'un des moqaddem les plus prestigieux pour devenir l'élève de Cheikh Hamahoullah. ll était âgé de cinquante-quatre ans. Depuis le jour de son entrée dans la zâwiya hamalliste de Nioro (1938) jusqu'à sa mort (1940), la plupart de ses proches parents toucouleurs ne lui adressèrent plus la parole.
Mais le marabout de Bandiagara était sûr de sa vérité car il n'avait adhéré à la nouvelle voie qu'après de longues retraites spirituelles d'investigation. La pratique des onze Jawharatu-l-Kamâli lui parut une démarche spirituelle permettant une approche personnelle plus intime et plus sûre de Dieu. Son ralliement au Chérif de Nioro entraîna de nombreux fidèles du Macina dans le camp hamalliste.
Du côté officiel, c'est à la suite du ralliement de Thierno Bokar au camp hamalliste que certains administrateurs coloniaux avaient commencé à s'interroger avec discernement sur la personnalité et l'enseignement de Cheikh Hamahoullah qu'on leur présentait depuis une trentaine d'années comme un hérétique ou un vulgaire charlatan.
D'ailleurs, quelques années plus tard, un administrateur français d'origine arménienne fit paraître sous son pseudonyme de Gouilly un ouvrage où il écrivait :
« Thierno Bokar avait atteint sa maturité intellectuelle avant de se placer sous l'obédience du Cheikh. Il n'était pas l'homme des engouements faciles et s'il a donné son adhésion à la doctrine, c'est qu'apparemment, elle n'était pas vide de tout contenu philosophique ou moral 47. »
Pourtant la position des autorités françaises ne varia pas. Celles-ci restèrent hostiles au hamallisme jusqu'à la loi-cadre votée le 23 juin 1956.
Avant le départ de Cheikh Hamahoullah pour son troisième internement administratif (1941), le hamallisme s'était solidement implanté dans de nombreuses colonies de l'Ouest africain. Durement touchés par une répression constante et aveugle, les hamallistes travaillaient au renforcement et à l'élargissement de leur confrérie dans la clandestinité. C'est la raison pour laquelle on ne dispose pas de statistiques sûres quant au nombre des hamallistes. Ceux-ci étaient beaucoup plus nombreux que ne le laissent croire les rapports
politiques de l'époque 48.
Cheikh Hamahoullah était devenu le chef spirituel vénéré de
centaines de milliers de fidèles disséminés mais organisés dans au moins sept colonies de l'ex-A.O.F. Il était obéi par de nombreux chefs de tribus maures, des goumiers nomadisant au Hodh et en Assaba, des chefs de cantons, des éleveurs, des paysans, des ulémas influents, de certains fonctionnaires noirs appartenant au fameux « cadre secondaire » de l'époque coloniale, ainsi que de nombreux marchands ambulants soninkés et maures qui sillonnaient les pistes de l'Ouest africain. En un mot, il représentait une force que l'administration coloniale ne pouvait et ne voulait ignorer. L'entente entre le hamallisme et le colonialisme paraissait impossible. Tout devait opposer le marabout de Nioro aux administrateurs coloniaux. Pour mieux comprendre cette situation, il est indispensable de prendre d'abord connaissance des grandes orientations de la politique musulmane de la France en Afrique occidentale au cours de la première partie du XXe siècle.
Notes
1. L. Albert, Bull. I.F.A.N., 1943, 3-4, p. 467.
2. J. Vieroz, S.E. 2/33, A.N.M.
3. H. Deschamps et J. Ganiage, 1966, p. 361.
4. Cette déclaration a été retrouvée dans les archives privées de feu Fodié Bakary Doucouré, l'un des moqaddem les plus prestigieux de Cheikh Hamahoullah, qui residait, peu avant son décès en 1968, à Malicounda, au Sénégal, non loin de M'Bour.
5. Sur le chapelet hamalliste, les onze premiers grains sont séparés du reste par une grosse perle, tandis que sur celui des autres tijâni de l'obédience d'El-Hadj Omar ou de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ, la séparation est faite après le douzième grain, ce qui permet de réciter la Jawharatu-l-Kamâli onze ou douze fois sans risque de se tromper.
6. Voir au sujet de ces prières : Ḥâjj Ali Ḥ arâzim, Jawâhir al-ma'ânî, pp. 122-124, ou encore Mohammed Ibn Abdallah, FaḤh al-Rabbânî, pp. 119-121.
7. Voir A. Ḥ arâzim, 1963, pp. 122-124.
8. Rapport du 10 août 1923 du capitaine André, versement 108 (19G-23), A.N.S., ou encore série E 2/33, A.N.M .
9. Une erreur de la part du capitaine André ou de la part de ses informateurs ; Jawîhir al-ma'ânî a été rédigé par Harâzim et non par El-Hadj Omar.
10. Voir en annexe la déclaration du professeur Iraki.
11. Nous l'avons rencontré plusieurs fois à Fès où nous avons effectué une mission de recherches en 1974 à la zâwiya de Cheikh Ahmed Tijânî.
12. Extrait de la déclaration que Ben Salem Tijânî nous a faite à Fès en octobre 1974.
13. Voir en annexe la déclaration du professeur Doucouré de Dakar.
14. Nous reviendrons plus loin sur cette citation.
15. A ce sujet, Cheikh Tahirou Doucouré se fonde d'une part sur Abû Yûsuf Fasâri, Kitâb târikh al-ma'rifa (livre de l'histoire de la connaissance) et d'autre part sur Ibn Al-Qayyim, l'lâm al-muwaqqi'în, tome III.
16. Kitâb al-jâmi' : Il s'agit d'un important manuscrit qui complète Jawâhir al-ma'ânî sur certains points essentiels de la doctrine de Cheikh Ahmed Tijânî. Ce document est menacé de disparition. Nous l'avons consulté en 1974 chez un marabout de Fès.
17. Ar-Rimâḥ in édition de 1963 de Jawâhir al-ma'ânî, p. 229.
18. Mohammed al-Arabî Assayih, Bughyat al-mustafîd, 1re édition, 1959, p. 360.
19. Voir déclaration en annexe.
20. Il est bien précisé à la page 124 de Jawâhir al-ma'ânî que la Jawharatu-l-Kamâli doit être récitée onze fois.
21. A propos des apparitions du Prophète Mohammed aux soufis au cours des retraites spirituelles ou des visions extatiques de ces derniers, voir les explications qu'en donne El-Hadj Omar dans ar-Rimâḥ, traduit par Puech, 1967, pp. 35-36.
22. Pour rappeler l'importance de la sunna à ses fidèles Cheikh Hamahoullah citait souvent les paroles suivantes prononcées par le Prophète Mohammed en l'an 10 de l'Hégire dans son sermon d'adieu : « Et en vérité, j'ai laissé auprès de vous de quoi empêcher l'égarement : le Livre de Dieu (le Coran) et la Conduite de son Prophète. »
23. Sidati ould Baba Aïnina, l'auteur de ce poème dont il est ici question, est très connu dans les milieux hamallistes pour avoir rédigé un ouvrage réfutant avec une sévérité rare les thèses de Mayaba dont nous parlerons dans le paragraphe concernant les réactions hostiles à Cheikh Hamahoullah.
24. Puisque la plupart de ces hommes furent d'abord des élèves de Lakhdar.
25. L'existence de ce poème nous a été révélée par des hamallistes du Hodh oriental. Nous en avons obtenu le texte original par l'intermédiaire d'un des petits-fils du marabout Peul. Le texte retrouvé en Mauritanie est absolument identique à celui qu'on nous a envoyé de Guinée. Il est publié en annexe.
26. Mayaba signifie en langue hassaniyya « Qui ne refuse pas » (généreux). Voir en annexe la liste des descendants du célèbre Mayaba.
27. Togba : Tell constitué aujourd'hui d'une petite ville en ruines, située à une cinquantaine de kilomètres au nord-est de Tamchakett (Mauritanie).
28. Extraits de la notice de renseignements sur Mohammed el-Qadir ould Mayaba. 15 G 8, A.N.S.
29. D'après la notice de renseignements, op. cit.
30. Voir en annexe cette traduction analytique.
31. Il s'agit de Mohammed el-Qadir ould Mayaba.
32. Extrait d'une lettre (du gouverneur général). Réf. : D.A.P. n°297/DF en date du 17 juillet 1935. (Série IV -48-1, n° 3327, A.N.C.I.).
33. Texte retrouvé dans le dossier n° 39, série E. 2/ 33, A.N.M. Voir en annexe la traduction exacte de ce document qui est également cité par le grand poète du hamallisme, Mohammed Mokhtar ould Marouf qui répond à Ould Mayaba.
34. Sur les rapports du soufisme et du sunnisme, Henri Laoust donne des précisions intéressantes dans son ouvrage, Les Schismes dans l'Islam, Payot, 1965, pp. 159-161.
35. Pour plus de détails, voir les dossiers S E2/41 , SE 2/67-68, A.N.M.
36. Voir à ce propos les dossiers de la série E 2/33, A.N.M.
37. La responsabilité de Fah dans les rixes qui opposèrent Tinouajiou et Laghlal lui valut d'être déporté au Trarza, dans la région de Boutilimit, en 1924 (voir dossier AIS internement Fah, SE 2 33, op. cit.).
38. Ar-Rimâḥ, op. cit. La responsabilité de Fah dans les rixes qui opposèrent Tinouajiou et Laghlal lui valut d'être déporté au Trarza, dans la région de Boutilimit, en 1924 (voir dossier AIS internement Fah, SE 2 33, op. cit.)., pp. 184-185 (trad. Puech) .
39. Ce principe est l'un des fondements de la doctrine tijâni. Mais l'historien ou le profane peut s'étonner de ce postulat tijâni dans la mesure où Cheikh Ahmed Tijânî (XVIIIe siècle) et le Prophète Mohammed (XVIIe siècle) ne sont pas contemporains l'un de l'autre. A ce sujet, nous avons déjà évoqué la possibilité pour le prophète d'apparaître à qui il veut, même après sa mort. Ce principe qu'expose El-Hadj Omar dans ar-Rimâḥ, est admis par tous les soufis.
40. « Il y a une hiérarchie ésotérique qui comprend avec des variantes, outre les 4 000 saints cachés, sel de la terre, 300 Akhyar ou Nouqaba, 40 ou 70 Abdâl, 4 Abrar correspondant aux points cardinaux, un Pôle (Quṭb), un Ghaouts (grand secours). » (E. Dermenghem, 1954, p. 21).
41. Pour plus de détails sur la personnalité de Fadel Mowla, voir Paul Marty, t. IV, 1920, p. 223.
42. Extraits d'un rapport confidentiel du 14 septembre 1943 intitulé : « Sur l'origine des onze et des douze », S.E. 2/67/ 68, A.N.M.
43. Rapport Descemet, op. cit. (en annexe).
44. Extrait du rapport politique du Soudan, p. 49 (2 G-42-3, A.N.S.).
45. Voir pour plus de détails sur le hamallisme au Niger (Tera, Tillabery, etc.) et en Haute-Volta (Ouahigouya et Bobo-Dioulasso) le rapport administratif n°1475 APA/2, en date du 31 août 1940 (objet : activité hamalliste dans la région de Moaga). Dans ce rapport du gouverneur du Soudan, il est question du « prosélytisme des hamallistes Raguimia Savadogo et Fodié Abdoulaye Doucouré ». S.E. 2/13, A.N.M.
46. A. Gouilly, 1952, p. 146.
47. A. Gouilly, 1952, p. 149.
48. Selon le rapport politique annuel du gouverneur du Soudan français (1942), les hamallistes représentaient 23 % de la population du Hodh avec 28 000 fidèles et 42 % des habitants de Nioro avec 13 000 adeptes. Dans le même rapport, les hamallistes de la seule circonscription de Ouahigouya (Haute· Volta) sont estimés à 53 000 fidèles (2 G-42-3, A.N.S.).