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Maasina


Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget
L'empire peul du Macina (1818-1853)

Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.


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Chapitre IV

Par sa victoire rapide sur les animistes coalisés, Amadou Hammadi Boubou avait acquis l'adhésion totale de tous les groupements musulmans à son parti, qu'il s'agisse de Peuls, de Marka ou de Bozo. Son nom était devenu synonyme de protecteur puissant. D'autre part, le titre de Cheik que lui avait décerné Ousmane dan Fodio, lui permit de doter le pays d'une solide administration théocratique, car tous ceux qui s'étaient ralliés à son parti lui avaient juré fidélité et s'étaient placés sous son obédience religieuse. Dès qu'il fut à l'abri des intrigues intérieures et extérieures toujours possibles et avec lesquelles il eut d'ailleurs à compter durant les premières années de la Dina, Cheikou Amadou réunit une centaine 1 de marabouts et leur dit :
— Je voudrais ne pas avoir seul la charge d'administrer la Dina. Un tel pouvoir n'appartient qu'à Dieu. Vous me reconnaissez comme votre cheik, c'est-à-dire votre guide spirituel. Mais il faut que tous ensemble, nous unissions nos efforts pour donner au pays une organisation solide de manière à substituer au despotisme des Arɓe et des autres chefs un organisme administratif et religieux qui puisse assurer à tous une vie économique et sociale meilleure.
Après plusieurs mois de travail, les marabouts présentèrent individuellement des projets écrits que Cheikou Amadou examina attentivement dans les moindres détails. Il convoqua les quarante auteurs qui lui avaient paru les plus objectifs et les plus sages et leur donna pouvoir absolu 2. Leur assemblée porta le nom de batu mawDo, grand conseil ou madjilis consultatif. Cheikou Amadou demanda à ces quarante conseillers de se grouper en commissions, par région d'origine et sans distinction de race, afin de refondre les projets retenus et de les mettre en concordance avec les lois essentielles de l'Islam. Les grands conseillers se répartirent en cinq commissions correspondant aux cinq régions suivantes :

Le grand conseil proposa de conserver cette répartition territoriale et de nommer à la tête de chacune de ces régions un amiiru militaire, assisté d'un conseil religieux, judiciaire et technique. Les membres du conseil religieux et du conseil judiciaire avaient une certaine indépendance. Ils pouvaient le cas échéant en appeler au grand conseil de Hamdallay, présidé par Cheikou Amadou, contre l'amiiru militaire.
Parmi les quarante, Cheikou Amadou choisit deux hommes sûrs pour en faire ses conseillers personnels. Il ne présentait aucun projet aux délibérations du grand conseil sans en avoir discuté tous les aspects avec les deux hommes en privé. Au début, ils siégeaient avec les autres grands conseillers et Cheikou Amadou les convoquait chez lui chaque fois qu'il en éprouvait le besoin. Finalement et sur sa demande, les deux marabouts restèrent à ses côtés de façon permanente. Ils vinrent s'installer chez lui avec leur famille et l'assistaient depuis son lever jusqu'à son coucher. Voici les raisons qui auraient poussé Cheikou Amadou à exiger la présence constante de deux marabouts auprès de lui. On raconte qu'un jour où il se trouvait seul devant sa porte, un jeune homme nouvellement converti et transféré à Hamdallay avec sa vieille mère, sa femme et plusieurs enfants en bas âge, vint le trouver et lui dit :
— Cheikou Amadou, j'ai commis cette nuit l'adultère. Je viens me dénoncer pour subir le châtiment prévu par la loi. Je préfère subir la peine ici-bas et avoir mon salut éternel assuré.
Cheikou Amadou lui répondit :
— Tu as mal agi en succombant à la tentation, mais tu as bien fait de venir toi-même demander l'application de la loi pour sauver ton âme. Va, demain tu te présenteras à la salle du grand conseil pour renouveler ta courageuse démarche.
Après avoir quitté Cheikou Amadou, le jeune homme en rentrant chez lui croisa un intime. Il lui raconta ce qui s'était passé. Son ami le traita d'imbécile et lui révéla le danger qu'il courrait :
— Si tu te présentes devant le grand conseil, tu seras condamné à être lapidé jusqu'à ce que mort s'ensuive. Tu laisseras ta mère, ta femme et tes enfants dans la misère morale et matérielle. Pour moi, ce ne sera qu'un sot suicide. Dieu exige quatre témoins venus de quatre points différents pour que la preuve de l'adultère soit établie. Et toi, tu vas bêtement mettre ta tête dans la gueule de la justice. Tu seras homicide non seulement de toi-même mais aussi de ta complice qui sera lapidée en même temps que toi.
Le jeune homme se mordit la lèvre de chagrin. Il dit à son ami :
— Que faire maintenant pour sortir de cette situation où je vais entraîner une personne que j'aime et qui m'aime ?
— Allons voir Bouréma Khalilou. Il pourra peut-être égarer la justice pour te sauver. Il aime mettre les marabouts dans l'embarras et rit aux éclats chaque fois qu'il réussit à déjouer les accusations d'Hambarké Samatata.
Les deux jeunes gens allèrent trouver le vieux renard et lui contèrent les faits.
— Pauvre enfant ! dit Bouréma Khalilou, tu ne sais donc pas que Dieu est infiniment bon et clément. Ce sont les interprètes de sa loi, les hommes aux grands turbans qui sont durs et parfois mesquins. Tu as commis un péché grave, très grave même. Mais douter du pardon de Dieu est encore plus grave. Devant qui t'es-tu dénoncé ?
— Devant Cheikou Amadou tout seul.
— Eh bien, je crois qu'il y a un moyen.
Et Bouréma indiqua au délinquant la façon de se disculper devant les quarante.
Le lendemain, le jeune homme se présenta devant le grand conseil, mais se garda de souffler mot, conformément à l'avis que lui avait donné Bouréma Khalilou. Cheikou Amadou, remarquant le peu d'enthousiasme du jeune homme pour renouveler sa dénonciation, s'écria :
— Serviteur de Dieu, puisque tu n'as pas l'air de vouloir renouveler la déclaration que tu m'as faite hier, mon devoir me commande de te citer devant les marabouts comme ayant commis l'adultère selon ton propre témoignage.
— Effectivement, Cheikou, je me suis permis d'aller jusqu'à toi pour m'accuser d'avoir commis l'adultère. C'est une métaphore que j'ai employée. Je considère la misère comme la femme d'autrui. Or, ruiné, je couche chaque nuit avec elle.
Cheikou Amadou sourit doucement et dit aux marabouts :
— Je demande qu'un secours en argent soit accordé à ce jeune homme pour le sortir de la misère.
Puis s'adressant à l'intéressé :
— Si tu as l'occasion de voir Bouréma Khalilou, dis-lui de ma part que le Prophète de Dieu a fait passer la charité avant le devoir au moins dix fois dans sa vie.
Les marabouts comprirent que l'affaire était quelque peu obscure. Ils voulurent en savoir davantage. Mais Cheikou Amadou, pour toute réponse, déclara :
— J'exige du grand conseil qu'à partir de demain, deux marabouts soient désignés pour m'assister matin et soir. Je demande qu'il soit porté à la connaissance de tous qu'en l'absence de ces deux témoins, je ne recevrai aucune confidence, ni doléance de qui que ce soit.
A partir de ce jour, Cheikou Amadou fut toujours flanqué de ses deux marabouts. Il ne faisait rien sans les avoir consultés. Ils étaient aussi bien informés que lui-même sur toutes les affaires qu'on lui soumettait. Ainsi la Dina avait à sa tête un conseil privé de trois hommes, toujours au courant de tout, mais qui ne pouvaient prendre aucune décision sans en avoir référé au grand conseil et sans avoir obtenu l'assentiment de ce dernier.
Le grand conseil était donc en définitive composé de quarante membres, dont trente-huit siégeaient dans la salle aux sept portes et deux dans la propre maison de Cheikou Amadou. Nul ne pouvait être admis au sein du grand conseil à moins d'avoir quarante ans accomplis 3, d'être marié, de pouvoir justifier d'une bonne culture et d'une vie irréprochable. En cas de décès d'un grand conseiller, le remplaçant était choisi par Cheikou Amadou parmi soixante marabouts appelés « arbitres ». Les grands conseillers choisissaient ensuite un nouvel arbitre parmi les marabouts réputés de Hamdallay ou du pays. Les membres du grand conseil étaient tenus de résider à Hamdallay. Aucun d'eux ne pouvait s'éloigner à plus d'une journée de marche sans avoir averti au préalable ses collègues et avoir obtenu le consentement de ceux-ci. Un membre du conseil qui s'absentait se faisait remplacer par un marabout de son choix désigné parmi les arbitres. Les conseillers étaient entretenus par le beyt el maal. Les arbitres pouvaient résider n'importe où ; ceux qui étaient fixés à Hamdallay jouissaient de prérogatives à peu près égales à celles des grands conseillers.
Le grand conseil était chargé de la direction du pays et avait la haute autorité sur tout. Mais le conseil privé de Cheikou Amadou pouvait demander et même exiger que le grand conseil révise une position prise. En cas de conflit entre le conseil privé et le grand conseil, Cheikou Amadou faisait urwa 4 et désignait quarante marabouts parmi les soixante arbitres. La décision de ces quarante était souveraine.
Au début, Cheikou Amadou avait parfois de sérieuses difficultés à faire admettre son point de vue, faute de pouvoir citer des textes de droit à l'appui. Il n'avait en effet jamais eu beaucoup de livres à sa disposition et le grand conseil comptait quelques marabouts plus âgés et plus instruits que lui. Cette situation dura sept ans, jusqu'à ce qu'il ait reçu, de la famille d'Ousmane dan Fodio, quatre livres traitant du commandement, du comportement du prince, des instructions pour les juges et des passages difficiles du Coran 5. Le grand conseil examina les livres reçus et les trouva conformes aux trois sources : Coran, Sounna et Idjma. Cheikou Amadou put dès lors s'y référer en cas de besoin. Tous les livres étaient conservés dans le petit édifice appelé beembal kitaabu, grenier de livres, et dont Cheikou Amadou conservait lui-même la clef. Les ouvrages ne devaient pas sortir ; on était tenu de les consulter dans la salle aux sept portes. Des copistes recopiaient les passages ou les livres entiers pour les chefs qui en avaient besoin.
Cheikou Amadou avait doté chaque imam d'un petit volume d'instructions dans lequel il interdisait certaines pratiques locales, non conformes au rite malékite et rappelant certaines pratiques chiites.
Tout l'empire suivait le rite malékite. La secte dominante était la Qadriya Kounta. Quelques rares adeptes de la Tidjaniya se rencontraient à Dienné parmi les Songhay et les Marka. Tous étaient astreints aux cinq obligations rituelles suivantes :

  1. la récitation de la double formule de profession de foi
  2. l'accomplissement des cinq prières quotidiennes
  3. le payement de la zakkat annuelle
  4. le jeûne du Ramadan
  5. le pèlerinage à la Maison sacrée

La prière est la marque de l'état de musulman et bien que chaque fidèle puisse valablement la faire seul à son domicile, Cheikou Amadou exigeait que ses hommes prient en commun à la mosquée, sauf cas de maladie ou d'empêchement notoire. Les négligents étaient ainsi facilement repérés et leur crédit en souffrait aux yeux de tous. Les cinq prières de chaque jour comportent en tout vingt-deux rekât, dont dix-sept sont prescrites par le canon et cinq par la tradition. A ce nombre, le fidèle est libre d'ajouter autant de rekât surérogatoire s qu'il désire, avant ou après celles qui sont obligatoires, à la seule condition que ce ne soit ni juste au lever ni juste au coucher du soleil. Le vendredi était partout respecté et solennellement célébré. Le prône qui constitue l'essentiel de la cérémonie était prononcé à Hamdallay par Cheikou Amadou et dans chaque localité par l'imam régulier. Ce dernier agissait en tant que mandataire de Cheikou Amadou, représentant Allah et Mohammed. Le chef du lieu où se déroule la prière devait être présent ou représenté en cas d'empêchement. On lui réservait au
premier rang une place d'honneur. Mais cette place pouvait être occupée si le chef ou son représentant était en retard ou ne venait pas. On raconte que lorsque El Hadji, un cousin de Cheikou Amadou, fut nommé à la tête du Kounari 6, il était devenu obèse au point de ne pas pouvoir se déplacer facilement. De ce fait, il arrivait toujours en retard à la mosquée. Un saa'i, agent de renseignement ambulant, rapporta le fait à Cheikou Amadou. Celui-ci cita son cousin devant le grand conseil et demanda à ce qu'il soit relevé de son commandement. C'était une mesure vexatoire qu'El Hadji ne pouvait accepter : il promit d'être désormais exact à la prière et le grand conseil le maintint à son poste. Mais Cheikou Amadou demanda que son cousin fut nommé muezzin ouvrant l'appel à la prière. Aussi la surprise des habitants de Nyakongo fut grande quand ils entendirent la voix d'El Hadji, qui avait l'habitude de se faire toujours attendre, ouvrir l'appel qui précède l'heure de la prière.
Le personnel du culte comprenait :

L'imam préside à la prière ; il est assisté d'un suppléant et de muezzins chargés d'appeler les fidèles. Les muezzins assurent en outre le service intérieur de la mosquée : propreté, éclairage, etc. Le cadi représente l'autorité judiciaire chargée de faire appliquer la loi selon le rite malékite. Les marabouts sont chargés de l'instruction des enfants et de la propagande religieuse. Ils peuvent dénoncer les abus et rectifier les erreurs, tant au point de vue religieux que judiciaire, mais en restant dans les limites de la courtoisie imposée par la loi. L'imam et le cadi relevaient administrativement du dyooro dyom wuro, sans être obligés de passer obligatoirement par ce dernier pour entrer en relation avec l'amiiru provincial, le grand conseil ou Cheikou Amadou lui-même. Par contre, le dyooro dyom wuro était toujours informé par l'autorité supérieure des griefs qui avaient été formulés contre lui et il pouvait à son tour porter plainte contre son accusateur. Les aumônes portées à la mosquée étaient abandonnées à l'imam qui les distribuait au personnel de la mosquée.
Dans l'empire de Cheikou Amadou, l'enseignement était réglementé et quiconque désirait ouvrir une école devait auparavant justifier de ses titres. Le grand conseil, par l'entremise des saa'i, surveillait les écoles et s'assurait que rien de contraire aux trois sources, Coran, Sounna et Idjma, n'y était enseigné. Dans chaque chef-lieu de province on de canton, existaient des écoles coraniques dont les maîtres recevaient des subsides de la Dina, tandis que d'autres établissements étaient entretenus par la piété publique.
L'âge scolaire était fixé, conformément au rite malékite, à sept ans. Garçons et filles devaient obligatoirement être envoyés à l'école s'ils habitaient Hamdallay ou un centre pourvu d'une école d'état, duDe diina. Les pères de famille maraboutique qui n'envoyaient pas leurs enfants à l'école étaient cités devant le conseil des notables, batu saahiiBe ; les reproches formulés par ce conseil entraînaient une véritable mise au bon de la société. Si chaque marabout, reconnu comme tel, était libre d'ouvrir une école et d'y enseigner, il ne pouvait se permettre d'exiger des parents plus que le tarif fixé par le grand conseil pour l'enseignement de la lettre du Coran. Ce tarif était de 800 cauris par hibz, c'est-à-dire par soixantième ce qui faisait 48.000 cauris pour tout le Coran. Le maître d'école était autorisé à faire travailler ses élèves, en tenant compte de leur âge et de leur force. Il recevait en outre sept cauris par semaine pour les plus jeunes élèves dits biibinnaadyi. Il n'était pas rare de voir des familles aisées détacher des vaches laitières ou des captifs au service des marabouts qui instruisaient leurs enfants, pour racheter leur travail. Des marabouts ambulants parcouraient le pays pour recruter des élèves ou simplement prêcher en vue de disposer les enfants à accepter la religion. Les uns étaient envoyés par le grand conseil ou les amiiraaBe provinciaux, d'autres étaient bénévoles.
L'enseignement était couronné par une sorte d'examen dit heDeneede. Quand un élève avait fini d'apprendre par coeur tout le Coran et que son maître était sûr de lui, une séance publique était organisée. Tous les récitateurs du Coran y étaient invités et le chef du lieu avisé. L'épreuve durait une nuit entière : c'était la veillée du Coran. Les marabouts prenaient place aux côtés du maître ; les parents et amis formaient cercle ; l'élève récitait. Les marabouts notaient entre autres :

L'élève qui avait récité sans défaillance, venait s'agenouiller devant son maître pour terminer par les sept versets de la sourate initiale par lesquels il avait commencé. Les marabouts assistants lui décernaient alors le titre de haafiz kar.
Le père de l'élève recevait des félicitations. Il donnait à son enfant une récompense proportionnée à sa fortune. Les tantes, les soeurs et la mère faisaient également des cadeaux au nouvel haafiz kar. Le maître n'était pas oublié dans cette distribution. Celui qui savait psalmodier le Coran et connaissait tous les signes conventionnels placés au-dessus ou au-dessous du texte, pouvait sur sa demande se rendre à Hamdallay pour se faire entendre de Cheikou Amadou, le doyen des santaadyi. Celui qui sortait victorieux de cette seconde épreuve, plus ardue que la première en raison de la quantité de et la qualité des auditeurs, avait sa fortune assurée. Il pouvait dire :
Seeku heDanike kam, Cheikou m'a écouté.
Ainsi lancé, l'élève pouvait suivre des cours de théologie et de droit et devenir à partir de quarante ans un maître enseignant ou un homme d'état.
Le ndefu était un grand repas que la famille de l'élève offrait aux camarades de son enfant lorsque celui-ci avait terminé les trente premières sourates du Coran. Le même repas se renouvelait, plus solennel à la fin des trente dernières sourates : les parents, les amis, les élèves des écoles et tout le village en profitaient. C'était une grande fête de famille qui avait lieu le lendemain de la veillée du Coran.
La justice était rendue selon la loi musulmane et le rite malékite mais bon nombre de coutumes locales qui ne heurtaient pas la lettre du Coran, furent considérées comme canoniques ou tolérées. Elles eurent dans certaines régions force de loi.
Le madjilis consultatif, ou grand conseil, qui cumulait les pouvoirs législatif et exécutif, était en même temps la cour de haute justice. Alfa Nouhoun Tayrou, dès qu'il eut embrassé la cause de Cheikou Amadou, en devint le doyen. Hambarké Samatata 7 était chargé du ministère public. On lui avait confié ces fonctions parce qu'il avait été reconnu le plus intègre et le plus implacable. Il avait toujours à portée de la main son livre de jurisprudence, son Coran, son sabre et un fouet. Durant tout le temps où la Dina se trouvait à Noukouma, il rendait la justice sur place et exécutait lui-même la sentence séance tenante.
Indépendamment des cadis du grand conseil, il y avait un cadi à Hamdallay et un au chef-lieu de chaque province et de chaque canton. Chaque localité et chaque quartier de Hamdallay possédait un tribunal à compétence limitée. C'était plutôt un conseil de conciliation qui émettait des sentences d'arbitrage, lesquelles ne, devenaient exécutives que par le consentement des parties. Les cadis de canton et de province connaissaient de toutes les affaires, mais s'ils avaient à statuer sur des délits ayant entraîné mort d'homme ou effusion de sang, l'exécution de la sentence n'avait lieu qu'à Hamdallay et après confirmation du jugement initial. Les cadis du grand conseil connaissaient de toutes les affaires soit en premier ressort, soit en appel. Cependant, à titre exceptionnel, toutes les affaires concernant Hamdallay étaient jugées en première instance par le cadi de cette ville. Les cadis du grand conseil pouvaient se déplacer pour rendre la justice, mais ils ne le faisaient que pour des délits graves, susceptibles d'avoir des conséquences fâcheuses pour la paix et l'ordre de la Dina. Tous les cadis recevaient des salaires fixés selon les régions et les ressources locales.
Cheikou Amadou n'avait pas en fait le droit de grâce. Mais il pouvait demander le recul de la date d'exécution, afin d'examiner avec ses deux conseillers privés si aucune circonstance atténuante ne pouvait être invoquée en faveur du condamné. Toute partie s'estimant lésée par un jugement, avait le droit d'en appeler à Cheikou Amadou lui-même.
Ce dernier agissait alors comme un avocat et cherchait dans la loi un moyen de sauver son client. En cas d'échec, il assistait le condamné de ses exhortations pour l'aider à supporter la peine. Les amendes judiciaires alimentaient les caisses de la Dina, un cinquième revenant à la caisse centrale de Hamdallay et les quatre autres au beyt el maal local.
Parmi les auxiliaires de la justice, il faut citer les saa'i, agents assermentés, envoyés discrètement pour relever les exactions des agents publics. Ils étaient recrutés parmi les compagnons de Cheikou Amadou qui avaient prouvé leur mépris des honneurs et des biens de ce monde et qui n'avaient jamais été convaincus de corruption. On les appelait misikimBe nunDuBe, c'est-à-dire les pauvres justes. Un mutasibi, dit aussi tyulumpu (plongeon), était une sorte d'agent détaché dans les villages pour veiller sur l'ordre public. Il dépendait du dyooro dyom wuro et dénonçait à l'imam ou au cadi toutes les infractions qu'il découvrait. Le kaatibu saare ou kaatibu batu était une sorte de greffier. C'était un marabout chargé par un conseil d'arbitrage de consigner par écrit les différends tranchés ou de faire un compte-rendu des débats. Sa fonction était purement honorifique et valable seulement dans son village pour la durée d'une séance. Enfin, les haalooBe, (sing. kaloowo) étaient des hommes astucieux, entreprenants et beaux parleurs, qui servaient d'intermédiaires dans toutes sortes d'affaires. C'étaient généralement des DiawamBe. Les plus célèbres d'entre eux furent Bouréma Khalilou et des SoosooBe du Macina. Les haalooBe n'étaient pas à proprement parler des agents administratifs ni des agents religieux. Mais grâce aux ressources de leur esprit, ils ne perdaient jamais une occasion de placer leur mot et jouaient un rôle dans tous les débats. Autour d'eux se créaient des cercles où des farceurs et orateurs donnaient libre cours à leur verve caustique au dépens des faits et gestes des grands.
Les exécutions capitales étaient toujours faites à l'une des portes de Hamdallay par le bourreau dit kirsoowo (littéralement égorgeur). Ce dernier tranchait la nuque du condamné qui avait ou non les yeux bandés. La loi du talion était appliquée par le taYoowo, les autres châtiments corporels par le piyoowo. Ces deux dernières catégories d'exécuteurs étaient recrutées parmi les familles de captifs ou de gens castés.
Les hommes de la Dina étaient divisés en

Les hommes libres appartenaient à toutes les races et à toutes les castes. Les captifs étaient répartis en deux catégories : les captifs de beyt el maal, propriété de l'état et inaliénables ; les captifs de particuliers dont les uns étaient aliénables et les autres non.
Les captifs de beyt el maal étaient astreints à l'exploitation des terres de la Dina. Ils comprenaient tous les prisonniers de guerre qui ne pratiquaient pas volontairement la religion musulmane. Fixés dans des régions où l'Etat possédait des terres cultivables, ils étaient surveillés par des marabouts moniteurs qui, tout en leur donnant des instructions sur les travaux à effectuer, les initiaient sans contrainte aux pratiques religieuses du Coran. Le jour où un esclave de beyt el maal pouvait justifier de la pureté de sa foi et où ses connaissances islamiques lui permettaient de faire la prière sans guide, il devenait libre.
Il y avait à Hamdallay plusieurs préposés à la garde des biens de la Dina. Ces agents, gérants du beyt el maal, recevaient les dépôts et tenaient le compte des entrées et sorties. Ils avaient des correspondants dans les territoires, qui dépendaient de l'amiiru provincial ou cantonal de leur résidence. Les amendes, les biens confisqués par la justice, une partie des biens trouvés, les successions en déshérence, le cinquième du butin de guerre, les dîmes annuelles sur les récoltes et les troupeaux, les droits de douane qui tenaient lieu de droits de marché, les dons pieux, les legs, le muddi, dîme de rupture du jeûne annuel (Ramadan), constituaient autant de sources de recettes pour la Dina.
En plus des dîmes prévues par la loi musulmane, le grand conseil institua deux contributions supplémentaires : le karaadye et le paabe. Le karaadye était un impôt sur les récoltes, fixé à un cauri par sawal de riz et deux cauris par sawal de gros mit, petit mil on maïs. Le paabe était un impôt exclusivement destiné aux dépenses militaires et payé en principe par tous ceux qui ne participaient pas à l'effort de guerre, soit en partant eux-mêmes, soit en travaillant pour l'armée. Les pasteurs, obligés de rester pour garder leurs troupeaux, payaient 300 à 500 cauris par tête de gros bétail. Les commerçants et artisans étrangers versaient un paabe en or on en cauris, fixé par le grand conseil après estimation de leurs ressources. Les captifs de particuliers que leurs maîtres ne voulaient pas laisser partir en guerre, payaient également un paabe.
Le paabe et le karaadye n'étant pas des impôts conformes au droit malékite, n'étaient pas versés directement au beyt el maal, mais à des percepteurs appelés nanngooBe karaadye, dont Alfa Hammadoun Karaadye installé à Koningo 9, était le plus notoire. Quant aux gérants du beyt el maal, les plus célèbres étaient :

Citons encore :

Les marabouts du grand conseil, se basant sur le verset coranique : « tous les croyants sont des frères », avaient demandé l'abolition des castes. Le lendemain, Cheikou Amadou fit cuire des lézards, des grenouilles, des poissons, des poulets et du mouton, tout ensemble. Il présenta le plat aux marabouts et les invita à manger.
— Comment, s'écrièrent-ils, tu veux nous faire goûter un tel mélange ?
— Y a-t-il dans toutes ces viandes, une seule qui soit interdite par le Coran ? répliqua Cheikou Amadou.
— Non, mais bien que le Livre ne l'interdise pas, il nous répugne de manger du lézard et de la grenouille et de mélanger ces viandes avec celles que nous avons l'habitude de consommer. De même, bien que le Livre ne l'interdise pas, il me répugne de mélanger les nobles et les gens de caste et de supprimer la barrière par laquelle nous avons l'habitude de les séparer.
On continua donc à distinguer parmi les hommes libres, rimBe, les nobles, rimBe Be nyagataako, qui ne demandent pas de cadeaux et les gens de caste, rimBe nyagotooBe, qui demandent des cadeaux (gratuits ou comme rétribution de leur travail).

L'armée était commandée par cinq amiraaBe (sing. amiiru), 11 chefs de guerre placés à la tête d'une région composée de plusieurs provinces et cantons. Ils représentaient la Dina et étaient responsables de l'ordre intérieur et extérieur du pays qu'ils parcouraient chaque année à la tête d'une colonne de surveillance.

  1. A la veille de la bataille de Noukouma, Cheikou Amadou avait confié le commandement suprême de l'armée à Ousmane, son premier partisan et le doyen de la Dina, auquel il avait donné le titre d'Amirou Mangal. Il résidait habituellement à Dienné. Le gros de ses forces était fixé à Sénossa et des détachements tenaient garnison à Abdou Dyabbar, à Wakana et à Ngounya 12. Ces troupes devaient surveiller le Niger, l'entrée du Diaka et la frontière ouest entre le Niger et le Bani. La garnison de Ngounya se tenait toujours prête à marcher contre les Bambara du Saro et de Ségou, source permanente d'inquiétude pour la Dina. A la mort d'Amirou Mangal, le titre fut supprimé et le commandement militaire attribué à un de ses fils, Ibrahima Amirou Mangal.
  2. Bori Hamsala 13, neveu de Cheikou Amadou, portait le titre d'amiiru Masina. Il résidait à Ténenkou et avait sous sa responsabilité tout le pays situé sur la rive gauche du Niger, de Diafarabé au lac Débo. Il devait surveiller la frontière ouest, dans la région dite Kiguiri et qui est située en bordure de la zone d'inondation. Son fils Allay Bori lui succéda.
  3. Alfa Samba Fouta, portait le titre d'amiiru Fakala. Son armée se trouvait à Poromani et devait surveiller la rive droite du Bani. Après la trahison de Guéladio qui avait le commandement militaire du Kounari et devait assurer la défense de Hamdallay, Alfa Samba Fouta vint résider dans la capitale et eut sous ses ordres les 10.000 cavaliers, qui constituaient la garde de la ville. Il eut pour adjoint Ba Lobbo qui devint chef général de l'armée à l'avènement d'Amadou Cheikou, et son fils Maliki Alfa Samba Fouta.
  4. Gouro MalaDo portait le titre d'amiiru Hayre. Il surveillait toutes les frontières est, du côté des Dogon, des Mossi, des Samo, des gens de Hombori et du Dyilgodyi. Il était secondé par Alfa Séyoma dont les troupes contrôlaient la région de Dalla et Douentza et par Moussa BoDedyo qui campait à Aribinda et patrouillait dans tout le pays environnant.
  5. Al Hadji Modi, cousin de Cheikou Amadou, portait le titre d'amiiru Nabbe e DuDe. Grand spécialiste de la guerre contre les Touareg et les Maures, il surveillait la région des lacs jusqu'à Tombouctou, secondé dans sa tâche par Bori Borel.

Au-dessous des amiraaBe, venaient dans la hiérarchie militaire les dyom tuBe 14, possesseurs de tambour de guerre. C'étaient des chefs qui combattaient, pour leur propre compte avant la Dina et dont l'autorité militaire était reconnue par un ou plusieurs pays. Le grand conseil supérieur supprima certains dyom tuBe et les rattacha à d'autres qu'il avait créés. Parmi plus célèbres du temps de Cheikou Amadou, il faut citer ceux de Awsa, Wouro Nguiya, Attara, Farimaké, Sa, Dari, Konsa, Wakambé, Tégé, Kagnoumé, Poromani, Bambara Mawnde, etc.
Dyom konu était un titre temporaire porté par le chef d'une expédition pendant la durée de celle-ci. Le hoore puCCi était le chef d'un détachement de cavaliers. Ce titre était généralement décerné à des fils de famille réputés pour leurs exploits militaires. Le tutoowo desewal était le porte-étendard. Chaque colonne en déplacement possédait une enseigne, desewal et celui qui la portait était désigné par le chef. Les grands chefs militaires avaient des tutooBe deseedye attitrés. Bori Hamsala devait une partie de sa réputation au fait d'avoir été choisi comme premier porte-étendard de la Dina. Partout où il était présent, c'est à lui que revenait cet honneur, sauf pour les troupes d'Amirou Mangal.
A vingt ans, les hommes étaient aptes au service armé ; ils restaient mobilisables jusqu'à soixante ans. L'état civil n'existant pas, chaque chef de famille était tenu de déclarer ses fils en âge de porter les armes. Les jeunes gens étaient examinés par des experts. La barbe, les poils du pubis et la sécrétion spermatique étaient considérés comme les preuves de l'aptitude au service armé. Pour leurs territoires respectifs, les grands chefs militaires fixaient le contingent pour le temps de paix comme pour le temps de guerre. La situation des effectifs était portée à la connaissance du grand conseil qui pouvait les faire augmenter ou diminuer. Tout conflit entre le grand conseil et les chefs militaires était tranché par les « arbitres » de Hamdallay sous la présidence d'Alfa Nouhoun Tayrou, Hambarké Samatata ou Hafiz Dyaba. Aucune question d'ordre militaire ne pouvait être tranchée sans que l'un des cinq grands amiraaBe soit présent. Bori Hamsala était le plus régulièrement convoqué. Amirou Mangal, auquel le grand âge ne permettait pas de supporter de longs et fréquents voyages, allait rarement à Hamdallay surtout vers la fin de sa carrière.
Dans l'armée de Hamdallay, il n'y avait ni insignes ni tenues réglementaires. Les chefs recevaient cependant un turban et un sabre. A la veille d'une expédition, les soldats percevaient une allocation pour s'équiper, variable suivant les ressources de chacun et pouvant atteindre jusqu'à 10.000 cauris pour un cavalier et 5.000 cauris pour un fantassin. Les guerriers s'adressaient aux artisans de caste, forgerons, cordonniers, ouvriers du bois, etc., qui étaient chargés de la fabrication des armes, harnachements, sellerie, etc. Les maîtres artisans avaient des captifs qui leur étaient affectés par la Dina pour les aider dans leur travail. Ces auxiliaires touchaient des primes et finissaient par pouvoir racheter leur liberté avec l'argent ainsi amassé. Pour les longues expéditions, des artisans suivaient l'armée. Ils étaient alors rétribués par la Dina pour la réparation des armes et des équipements. Ils ne pouvaient se faire payer par les soldats que si ceux-ci réclamaient un ornement supplémentaire ou un modèle inusité.
Dans chaque village, la Dina possédait des greniers où étaient conservés des grains qui pouvaient être distribués aux combattants, sur leur demande, au moment d'un départ en expédition. L'armée en campagne se ravitaillait sur place à prix d'argent lorsque c'était possible. Dans le cas contraire, des convois de vivres, setten dyooBaari, étaient organisés. Chaque homme, libre ou captif, avait en principe droit à cinq poignées de grain par jour. Les chevaux dits moyens et faibles recevaient un demi sawal et les chevaux dits de choc un sawal de grain par jour. Les cavaliers se faisaient souvent accompagner par des palefreniers qui transportaient le matériel et les vivres pour deux ou trois jours. Les difficultés du ravitaillement obligeaient les armées à se scinder en détachements qui se déplaçaient à une journée ou plus de marche les uns des autres.
La Dina entretenait en outre des corps de cavalerie permanents qui tenaient garnison aux abords des centres importants : telles étaient les gardes de Hamdallay, de Ténenkou, Dienné, Poromani, Gimndam, Tyouki, Tombouctou, Bambara Mawnde, Douentza, Dyibo, Béléhêdé, Sono. Les chevaux et les équipements étaient alors fournis par l'Etat. Chaque cavalier détenait en principe les objets suivants :

une selle kirke
un tapis de selle dyappeere
une paire d'étriers keebeedye
une paire de sacoches danngaadyi
un mors labangal
un licou faram
un chasse-mouche monginne
une martingale lohol
une bricole gandeere, pièce de cuir ornée, de forme triangulaire, doublée d'étoffe et fixée sur la martingale de façon à parer le poitrail du cheval
une longe golol
une entrave ngadaare
un piquet d'attache dyuggal, généralement sculpté
une paire de bottes kurfaanuudye
une paire d'éperons nheCCuudye
une muserolle mbonyewal, portant des franges
une musette mangeoire gagakke
une outre à eau sumalle
une écuelle dyabagawal, de bois ou de fer et munie d'un anneau pour être suspendue à la selle
une étrille nhaanyirgal, faite d'un épi de maïs égréné
un bouchon de chiffon littere
des sangles nukureedyi

Chaque cavalier auquel la Dina fournissait un cheval était tenu de prodiguer certains soins à sa monture, sous peine de retrait de la bête ou même de poursuite et de remboursement. Il devait une fois tous les deux jours laver, lootude, son cheval et lui passer une légère couche de beurre de vache sur tout le corps, wujude ; le panser, soCCude, et le promener, yiilinde, fréquemment en longe, le faire rouler, tallinde, dans le sable ou la poussière, lui raser, laBude, les poils de l'intérieur du pavillon de l'oreille, lui tailler les sabots, holCude 15. Le cavalier était encore tenu de nourrir une fois par jour son cheval avec du monnudi. Cet aliment se compose de mil réduit en farine avec le son, pétri avec de l'eau, de la poudre de feuille de baobab et de la potasse. La pâte ainsi obtenue était réduite en boulettes. Le cavalier saisissait de la main gauche les ganaches du cheval de façon à maintenir la langue abaissée, et de la main droite introduisait dans le fond de la bouche autant de boulettes de monnudi qu'il jugeait nécessaire. Ce nombre ne devait en aucun cas dépasser 123. Il était enfin obligatoire de déclarer, dès les premiers symptômes, les maladies suivantes :

rhume durma
lampas karu
conjonctivite gite
coliques reedu
rétention d'urine duhol
plaie entre les épaules 'uure wuddere
effort des muscles du train arrière dyorngal
enflure du pied ndiyam
luxation du paturon DaDol
molettes gigel
gale Borke

L'armée entretenait également des chevaux de choc, dirooji, âgés de 8 à 12 ans, spécialement dressés et entretenus pour briser les murs de défense des villages. Le nombre de chevaux à employer dépendait de l'épaisseur du mur. Celle-ci était évaluée en njundi gaawal, c'est-à-dire en longueur de la lance dite gawal, fer et manche compris, environ quatre coudées. Il fallait 150 diroodyi pour briser un mur d'un demi gaawal d'épaisseur. Les chevaux, maintenus en ligne, étaient dirigés sur le mur à abattre ; arrivés à proximité de ce dernier, les cavaliers sortaient le pied de l'étrier et en donnaient un coup. L'opération était recommencée autant de fois qu'il fallait pour obtenir le résultat attendu.

L'armement des cavaliers comprenait :

Les fantassins possédaient les mêmes armes et en plus

On distinguait trois sortes de guerres.

  1. Celle dite nootaagu est la riposte à une invasion du territoire de la Dina. C'est la seule guerre qui puisse juridiquement être déclarée sainte. Après la défaite de Diamogo Sêri, il n'y eut aucun cas de nootaagu sous le règne de Cheikou Amadou. Le terme nootaagu est employé par ailleurs pour désigner tout renfort envoyé à des unités combattantes.
  2. La guerre dite konu était une expédition envoyée par la Dina contre un territoire qu'elle désirait conquérir.
  3. Enfin, on appelait fiCCuru une opération de razzia ou de harcèlement contre des populations hostiles à l'Islam pour les obliger à se convertir ou à abandonner leur territoire.
    Du temps de Cheikou Amadou, il était expressément interdit de tuer au cours d'un fiCCuru 21, sauf en cas de force majeure, et il n'était nullement honteux de fuir pour sauver sa vie. Cheikou Amadou ne semble d'ailleurs pas avoir recommandé ce genre de guerre qui fut plutôt pratiquée par Ba Lobbo et Amadou Amadou, à l'époque où le grand conseil n'exerçait plus aucun contrôle effectif sur l'armée.

Les diverses parties d'une armée étaient assimilées à celles d'un corps humain.

Par son armement, son entraînement et la valeur individuelle de ses éléments, l'armée peule, surtout la cavalerie, représentait une force réelle. Sa grande faiblesse était son absence complète de sens tactique. Le manque absolu de discipline empêchait le plus souvent le chef d'expédition d'amener ses troupes en position de combat, de tenter une manoeuvre ou d'opérer une retraite systématique. Dans les troupes du Macina, chacun combattait finalement pour son propre compte et cherchait à se distinguer par quelque action d'éclat, sans souci du résultat final de la bataille engagée. Tant qu'ils furent opposés à des adversaires ayant les mêmes méthodes de combat, les Peuls purent forcer la victoire grâce à leur fougue et à leur mépris du danger. Mais il n'en fut plus de même lorsqu'ils eurent à se heurter aux armées toucouleures d'El Hadj Oumar, de Tidjani ou de Mounirou, beaucoup plus disciplinées et mieux entraînées au point de vue tactique. Ce fut là une des causes principales de leur défaite.

L'unité administrative était le village, ngendi 23, pouvant comporter plusieurs quartiers ou agglomérations distinctes appelées

Le ngendi était toujours commandé par un homme de condition libre et lettré en arabe ; il portait le titre d'amiiru suivi du nom du village : par exemple, amiiru Dienne. Le chef d'un campement, quartier ou agglomération peule portait le titre de jooro wuro. Celui d'un campement ou agglomération bozo était dit amiiru daaka. Celui d'un saare était appelé jom saare si c'était un dimaajo et amiiru saare s'il n'était ni peul, ni bozo, ni dimaajo. Un petit marché, dit sakaro, ne pouvait se trouver que dans un saare et une foire, dite luumo que dans un ngendi. Plusieurs villages formaient un canton, lefol leydi et plusieurs cantons une province, leydi 24.
Le titre de jooro, contraction de jom wuro, s'appliquait primitivement à un homme qui avait mérité la confiance d'un Arɗo. Il surveillait les prairies, les mares et les passages fréquentés par le bétail. Il réglait la marche des boeufs en transhumance, l'ordre de leurs successions dans les campements, aux abreuvoirs, la durée de leurs arrêts, etc. Il devait posséder une connaissance parfaite du calendrier solaire comprenant vingt-huit étoiles, vingt-sept de treize jours et une de quatorze jours. La Dina reconnut la nécessité des jooro et en distinguait trois catégories :

Le jooro wuro pouvait être à la fois jom huDo et jom tele. Ces différents chefs étaient en outre assistés par le hoore loonyal, chef des battues, le beseynan, dimaajo conseiller technique pour les questions concernant les terres, les chasses et les cueillettes et le gooloowo, crieur public.
Les premiers amiraaBe furent nommés ou maintenus par le grand conseil après avis de leur chef cantonal ou provincial. En cas de décès, Cheikou Amadou avertissait le grand conseil. Celui-ci envoyait une délégation présenter les condoléances de la Dina aux membres de la famille du défunt. Cette délégation, ayant plein pouvoir, enquêtait auprès des notables et faisait désigner un nouveau chef par ces derniers. Elle confiait provisoirement le commandement à celui qui avait été ainsi désigné et s'en retournait à Hamdallay. Si le grand conseil entérinait la décision de la délégation, l'élu se rendait également à Hamdallay. Au cours d'une séance solennelle du grand conseil, dite batu lammingol 25, le doyen d'âge se levait et appelait le proposé à l'amiraaku par son prénom suivi de celui de son père et il ajoutait :
Naatu batu 26.
L'interpellé entrait alors et le doyen continuait:
— Avant que tes concitoyens ne t'aient choisi pour administrer leur ngendi, Allah t'a désigné dans le batu dow 27 pour commander tes, semblables. Nous allons par la bouche de Cheikou Amadou, notre imam, te décerner le titre d'amiiru de X... Mais pour prouver que tu n'auras pas, du fait de cette nomination, une opinion trop avantageuse de ta personne, mais plutôt l'orgueil de la Dina et le sentiment élevé de la dignité à laquelle elle te porte, tu vas d'abord accomplir un acte qui blessera ton amour-propre. Tu vas ici, devant tout le monde, déclarer toutes tes dettes, même les plus infimes, contractées parmi ceux qui vont désormais se trouver sous ton commandement 28.
Le candidat déclarait ses dettes et dans quelles circonstances elles avaient été contractées. Le doyen suspendait la séance pour un jiidal 29. Tout le monde vidait la salle, sauf sept ou douze membres du grand conseil, choisis à l'avance et dont faisaient nécessairement partie Hambarké Samatata, Alfa Nouhoun Tayrou et les deux conseillers de Cheikou Amadou. A la lumière des renseignements recueillis par Hambarké Samatata sur le candidat, ils qualifiaient les dettes de waajibiiDe, c'est-à-dire nécessaires ou inévitables, ou de bonandaaDe, c'est-à-dire gaspillages diffamants. La situation de fortune du candidat était également examinée. Le jiidal fini, la séance reprenait. Cheikou Amadou, mis au courant de la décision prise par les membres du jiidal, prenait la parole au nom de Dieu et de son Prophète ; il déclarait à haute voix :
— Un tel fils d'Un tel, nous voulons te confier la chefferie de tel ngendi, mais tu dois tant à tes futurs administrés. Peux-tu les rembourser ce jour-même ?
Si le candidat répondait affirmativement, Cheikou Amadou ajoutait :
— Nous te confions au nom de Dieu et de son Prophète la chefferie de X...
La réponse négative entraînait soit l'infirmation de la nomination provisoire faite par la délégation et le renvoi pur et simple du candidat à ses occupations habituelles, soit le payement des dettes en question par la Dina. Cette dernière mesure n'était toutefois appliquée qu'en faveur des candidats dont la fortune était nulle et dont les dettes avaient été déclarées wajibiiDe. Les bonandaaDe motivaient souvent l'élimination du candidat à moins que ce dernier ne les remboursât sur-le-champ et ne prit l'engagement de ne plus retomber à l'avenir dans les mêmes dérèglements.
La procédure était à peu près la même pour toutes les nominations aux chefferies civiles ou militaires. Toutefois, la désignation des petits jooro, jom saare, jom tele, etc, ne comportait pas le cérémonial décrit ci-dessus.
Les chefs pouvaient être destitués. Ils passaient auparavant devant une commission de discipline. Ils avaient le droit de se défendre eux-mêmes ou de se faire défendre. Celui qui était reconnu coupable pouvait, selon la gravité de sa faute, être éloigné de son commandement pour un temps, être déplacé, ou destitué purement et simplement. La destitution pouvait comporter la séquestration des biens, en cas de meurtre, concussion ou détournement de biens publics, ou une indemnité de renvoi si la destitution avait été prononcée pour des raisons politiques. A partir de l'échelon d'amiiru saare jusqu'à celui d'amiiru mawDo, les destitutions étaient du ressort du grand conseil.
Avant Cheikou Amadou, les Peuls étaient nomades, à l'exception de quelques rares familles semi-sédentaires fixées à Dia, Tindirma, Dienné, Koubay, Gourao. Après la construction de Hamdallay, en l'an II de la fondation de la ville, Cheikou Amadou fit recenser tous les groupes peuls existant sur son territoire et sur les territoires voisins. On trouva 120 familles du groupe Diallo, 100 familles du groupe Ba, 130 familles du groupe Sidibé et 85 familles du groupe Sangaré 29.

Les Diallo ou Jallube, comprenaient vingt sous-groupes :

Wuro 'arɗo Wuro ngiya Wuro Buubu Wuro Ali
Wuro Yeo Sebera Sogonaari Komon gallu
Kumbe Kowa Makam Attara
Gew Gomboro Maana Nooranka
Korgo Naakota Sewngo Sabani

Les Ba ou Ba'âbe comprenaient 28 sous-groupes :

YaalalBe Cikam Tenngadugu WobaaBe
DuuDe BaaBe JalluBe WuuwaBe BaaBe wuro maali
Mbobolaari SonnaaBe WulaaBe Solonso
TarmiiBe Waasulu Okiwiri ganndo NaatirBe
Waykalaari Tenngerla    

En outre, 10 sous-groupes Ba étaient dispersés à l'est et à l'ouest des territoires soumis à Cheikou Amadou. Ils ne purent être touchés ni distingués nommément.

Les Sidibé ou SoosooBe comprenaient 24 sous-groupes :

Jaddal Paalimba Togoro Gile
Njoboy Sugulbe Giire NukkoBe
FeroBBe Wuro Makam FeroBBe-SooBe Burgu Masina

et en outre 8 sous-groupes dans le Kunaari et 4 sous-groupes dans le Bobola.

Les Sangaré -ou BarinaaBe comprenaient 25 sous-groupes :

Wuro Moodi JaafaraaBe BooDi DayeeBe
BooDibay Ndoojiga Dirma JaptooBe
Fittuga Sungojo Sukkaare Duma
Kirana Gondo FoynaaBe JittagaaBe
BingaaBe Maani WaakamBe Nhenkoro
FittooBe Dookoy Wuro Makam JapttoBe saaniDa JapttoBe binsaga
JapttoBe      

Sur l'ordre de Cheikou Amadou, le grand conseil écrivit aux chefs des sous-groupes ci-dessus pour leur faire part de la construction de Hamdallay, les Peuls de tous les pays devant gagner à connaître cette bonne nouvelle. Aux ressortissants de la Dina l'ordre suivant fut donné : chaque suudu baaba 30 doit construire un ou plusieurs villages sur les terres qui lui appartiennent et cela dans un délai de cinq ans. Ceux qui n'obtempéreront pas seront déchus de leurs droits sur les points d'eau et les bourgoutières dont ils sont propriétaires. Quant aux Peuls indépendants de Cheikou Amadou, ils furent invités à considérer Hamdallay comme une ville sainte où les étudiants musulmans pourraient venir s'instruire et où les chefs frustrés de leurs droits légitimes seraient sûrs de trouver aide et protection.

Bori Hamsala reçut mission d'aller fonder une capitale dans le Macina, afin d'obliger les Peuls à se fixer, achever de ruiner le crédit des Arɓe, surveiller les mouvements des Bambara de Monimpé, Ndioura, Ségou et du Kala, ainsi que les Maures Oulad m'Barak qui se livraient parfois à des razzias au détriment des WuuwarBe, enfin défendre les animaux allant en transhumance dans le Kiguiri, le Kala et le Karéri. Des notables furent désignés pour assister Bori Hamsala. C'est parmi ces derniers qu'il choisit ses conseillers, ses chefs d'expédition et les ministres du culte, en copiant exactement l'organisation de Hamdallay.
Bori Hamsala passa par Sénossa 31. Il y visita Amirou Mangal avec qui il conféra plusieurs jours. Ils prirent ensemble des mesures militaires pour mieux conjuguer leurs efforts. Le convoi de Bori Hamsala passa ensuite par Ndiambo 32, puis se dirigea sur Dia. Entre Kèra et Dia se trouve un vaste toggere dit Sonhoye en bozo et Toggere jawle en peul. Par son étendue, il convenait admirablement à la fondation d'un gros village. Certains suggérèrent l'idée d'y fonder la capitale du Macina. Bori Hamsala s'arrêta sur les lieux qu'il fit examiner par des hommes qualifiés. Puis il soumit la question à son conseil. La discussion fut vive entre les notables. Ceux qui avaient opté pour le toggere faisaient valoir la présence d'un cours d'eau navigable une bonne partie de l'année et la proximité du Niger permettant de communiquer rapidement avec Hamdallay en toutes circonstances.
Le représentant des SoosooBe Gile, qui faisait partie du conseil, demanda la parole au nom des sept familles 33 qu'il représentait :
— Cheikou Amadou, dit-il, nous a donné l'ordre de quitter nos campements pour fonder des villages sur nos propriétés respectives. Il n'est donc pas question pour nous de nous fixer sur ce toggere. Mais notre avis en tant que premiers occupants peuls du Macina doit compter. Il y a mieux que cet endroit. A l'ouest de Toggere Gerey, premier lieu habité par nos ancêtres, se trouve un emplacement qui conviendrait pour une capitale. Tous les groupes peuls y ont un jippunde 34. J'ajouterai que se fixer ici pour quelqu'un qui veut avoir la main sur le Macina et le défendre, c'est faire comme le riche qui s'endort sans fermer sa porte aux voleurs. Un ennemi avisé détournera son chemin. Il ira attaquer le Macina plus haut. Le point faible de notre position sera vite repéré par le Kiguiri, le Karéri, le Kala et même par Ségou qui pourront venir nous harceler à leur guise.
Bori Hamsala trouva l'avis judicieux. Il donna l'ordre de pousser jusqu'à Penga. Une rapide prospection permit de reconnaître que les plaines environnantes étaient propices à la culture du riz et que sur les nombreux toggoy 35, le maïs et les bogooji 36 venaient bien. Bori Hamsala se fit montrer le lieu où devait être bâtie sa capitale 37. Il revint à Penga et demanda le concours de tous les sous-groupes peuls du pays. Ceux-ci envoyèrent des travailleurs volontaires pour creuser un canal de Penga au toggere choisi. Fêtes et ripailles durèrent tout le temps des travaux, ceux-ci ayant été considérés comme d'utilité publique. Lorsque tout fut terminé, les RimayBe, avant de se séparer et pour témoigner leur attachement à Bori Hamsala, labourèrent autant de champs de riz qu'il y avait de chefs de famille venus de Hamdallay. Ils jurèrent de leur faire récolter plus de riz qu'il n'y avait de bois mort dans les togge. Quand Bori Hamsala fut mis au courant des bonnes dispositions des RimayBe, il fit venir auprès de lui les plus âgés et leur offrit des cadeaux pour leurs familles. Le doyen dit en manière de plaisanterie :
— “Amiru, menen ka nim ngaDi ko min mbaawi. Feeya rewaama, min 'aawi. So Allah jaBii maa on teenu nengu”, Amirou, quant à nous, nous avons fait ce que nous avons pu. La plaine est labourée, nous avons semé. Si Dieu accepte, vous ramasserez du riz comme du bois mort 38.
Effectivement, la récolte fut si abondante cette année-là qu'on en abandonna une partie dans les rizières. Chacun pouvait aller chercher du riz comme on va ramasser du bois mort. Aussi Bori Hamsala donna à sa capitale le nom de Ténengu, contraction des deux derniers mots du doyen des RimayBe. Penga prit de l'importance. La présence de l'armée de Bori Hamsala assura à la ville une sécurité absolue. Plusieurs gros commerçants originaires de Tombouctou et Dienné vinrent s'y fixer pour y implanter le commerce du sel, de l'or, de l'argent, des verroteries et des étoffes européennes extrêmement rares et très recherchées 39.
Les sept familles des SoosooBe Giile étaient dispersées sur le territoire appelé Wuro Giire ; leurs terrains de culture et leurs bourgoutières s'appelaient Peya, Kubi Tosokel, Tika, Simay, Piga, Kuubaka, Sanha, Fombaana. Les Peuls laissèrent sur place leurs RimayBe pour l'exploitation des terres, et se groupèrent au village de Koubi qui devint la capitale du Wuro Giire. Amadou Cheikou, ayant été envoyé en mission à Ténenkou, trouva la distance entre Songodé et Mayataké trop longue 40. Il en parla à Hamdallay et demanda la création d'un point de relais. Le grand conseil donna ordre au chef de Wuro Giire de désigner quelques familles pour fonder un nouveau village qui prit le nom de Ganguel.
Les JafaraaBe (sing. Jafaraajo) habitaient sur la rive droite du Niger, au voisinage des Bambara qu'ils imitaient dans leurs croyances, leurs coutumes et jusque dans leur habitude de se scarifier. Tièdes pour l'Islam, ces Peuls se montraient courageux à la guerre, durs pour leurs ennemis mais prêts à donner leur vie pour celui qu'ils aimaient. Cheikou Amadou, qui connaissait leur état d'esprit, ne voulut pas brusquer les choses. Il empêcha le grand conseil de donner à Amirou Mangal et à Bori Hamsala l'ordre que ceux-ci avaient sollicité de combattre les JafaraaBe sur les deux rives du Niger pour les obliger à reconnaître la Dina. Il fit venir à Hamdallay le marabout Sammodi Koro, et le présenta au grand conseil en disant :
— J'ai connu le père de cet homme. Nous avons étudié ensemble. Il serait certainement des nôtres s'il vivait encore. A défaut du père, nous pouvons compter sur le fils. Sammodi connaît bien les JafaraaBe, il a hérité de la science de son père. Je vais le charger au nom de Dieu d'appeler ses frères à la Dina. Il sera leur chef. Son premier acte sera de faire transférer ses administrés sur la rive gauche du Niger, afin de les soustraire à l'influence animiste. Il les réunira pour former un gros village.
Sammodi, éloquent et instruit, entreprit de convaincre les JafaraaBe. Il leur fit abandonner leurs pratiques mi-musulmanes mi-animistes. Il les décida à traverser le fleuve. Les emplacements actuels des villages de Diafarabé, Darou et Tilembéya furent choisis. Chaque famille fit remblayer un terrain pour y construire ses cases. Sommodi devint ainsi, en l'an III de la Dina, le premier chef de Diafarabé.
A l'avènement de Cheikou Amadou, Mopti 41 était occupé par des pêcheurs et de riches commerçants métis d'Arabes qui traitaient presque toutes leurs affaires avec Dienné et Tombouctou. Le grand conseil reconnut la nécessité absolue pour la Dina de surveiller ces commerçants qui, en raison de leurs relations et de leur race, pouvaient servir d'agents de renseignement aux ennemis de Cheikou Amadou et fomenter des intrigues. L'ordre fut donné aux habitants de Mopti d'aller se fixer sur le toggere de Dialangou. Pour les métis d'Arabes, abandonner le bord du Bani était compromettre leurs affaires. Aussi, tout en reconnaissant l'autorité de Cheikou Amadou, ils protestèrent contre l'ordre reçu d'aller s'installer dans la plaine. Ils écrivirent pour demander l'autorisation de se transférer sur l'îlot où est bâti le Mopti actuel. Après examen de leur requête, le grand conseil admit que les commerçants devaient se trouver à proximité du fleuve ; mais il décida également qu'un homme sûr serait désigné pour la surveillance du trafic fluvial. Un nommé Guida fut choisi et se fixa avec les siens à Guembé 42, tout en respectant les droits de la famille Kondo sur les eaux de la région. De ce point stratégique, il était facile de contrôler tout ce qui passait sur le Bani, soit dans un sens soit dans l'autre.
Cheikou Amadou s'étant plaint que la Dina tremblait sur ses bases et ayant demandé que faire à Alfa Hamam Samba Alfaka, ce dernier lui conseilla de déplacer sept villages dont les habitants lui paraissaient suspects. C'est ainsi que furent supprimés Sono, More, Digama dont les habitants furent transférés respectivement à Wouro Modi, Hamdallay et Toumadyomon, Sévare qui fut déplacé à Toumiségé, Bassara qui fut transféré à Bousra, Kaka qui alla agrandir Sofara et Konna qui fut éloigné du Niger et reconstruit sur un emplacement situé plus à l'est. Pour ces deux dernières localités, il y eut probablement comme dans le cas de Mopti des raisons politiques et commerciales car il s'agissait de marchés très importants en bordure du fleuve. Des caravanes venant du Sud y apportaient de la cola, des esclaves, des verroteries, du fer, des étoffes et des objets de traite d'origine européenne provenant des comptoirs du Golfe de Guinée. Une route de caravane venait de Kong par Bobo Dioulasso, traversait la région de Barni et aboutissait à Kaka. Une autre passait par Ouahigouya ; de là, certains convois se dirigeaient sur Bankassi, contournaient la montagne et rejoignaient Kaka, d'autres traversaient le Dyilgodyi et par Hombori, Douentza, gagnaient Konna. Le Nord envoyait du sel de Tombouctou, des soieries et différents objets provenant d'Afrique du Nord et d'Egypte. Le commerce de la cola et du sel était entre les mains des Mossi et des Yarsé. Les routes de caravanes étaient surveillées afin que le trafic put s'y effectuer en toute sûreté.
L'animation du marché de Kaka était légendaire. D'une chose cassant les oreilles, on disait “Dum ana Buri Kaka duko”, ceci est plus que Kaka pour le bruit. On y rencontrait des commerçants de toutes races, des Dioula de Kong, des Haoussa de la Nigeria, des Peuls, des Toucouleurs, des Maures, des Touareg et même des Arabes. C'était aussi le rendez-vous des ruggokooBe, coupeurs de grands chemins, et des wuyBe nyelBe, voleurs habiles. Pour souligner l'astuce de ces malfaiteurs, on disait : “wujja wuro, wujja ladde, yaha halfina yanaande”, vole en ville, vole en brousse, s'en va confier à une tombe. Une anecdote à laquelle il était ainsi fait allusion est la suivante : des voleurs opérant en pleine ville de Kaka, attirèrent dans un guet-apens un individu venu au marché, ils le bâillonnèrent et leligotèrent puis l'enveloppèrent dans un linceul comme un mort. Au crépuscule, ils le firent transporter au cimetière puis le délièrent et, sous la menace d'une arme, l'emmenèrent au loin pour le vendre comme esclave.
Pour favoriser le développement du commerce, Cheikou Amadou avait unifié les mesures sur tout le territoire de la Dina. Pour les tissus, la mesure de longueur utilisée était le kaala, c'est-à-dire la coudée augmentée de cinq doigts (environ 50 cm.), et pour les fils de chaîne le jegoore, distance comprise entre le creux de l'aisselle et l'extrémité du majeur. Pour les définir avec exactitude, le grand conseil choisit, un homme de taille moyenne puis fit tailler des étalons de tige de mil et de branche de kelli (Grewia bicolor). Pour les grains, l'unité de volume était le muddi, sensé contenir dix poignées, et le sawal valant quatre muddiije. Ces mesures devaient être comblées. Pour le lait, l'unité était le galmaare (pl. galmaaje) dont il existait deux types correspondant à la valeur de 5 et 10 cauris. D'autres mesures servaient pour l'huile de poisson et le beurre fondu. Les étalons de sawal étaient taillés dans du bois, ceux de galmaare dans de petites calebasses et amenés à la contenance cherchée en diminuant progressivement la hauteur des bords. Pour tous les étalons de mesure, des exemplaires étaient conservés à Hamdallay et d'autres envoyés aux chefs de territoires ou de villages. L'or était pesé à l'aide de graines d'Acacia ou de Tamarinier et le poids évalué en makkalleere [miktal], mesure arabe valant de 4 à 5 gr. Tous les prix de denrées étaient fixés par le grand conseil et les cours variaient selon les régions. Les chefs devaient veiller à ce que les mesures et les prix officiels soient respectés. Les peines prévues étaient l'amende, la confiscation des denrées vendues au-dessus du cours ou la vente d'office au prix imposé si le vendeur ignorait de bonne foi celui-ci.

Notes
1. Certaines traditions fixent le nombre des marabouts à 108, d'autres à 111.
2. Cheikou Amadou semble avoir été avant tout un mystique, redoutant les responsabilités du pouvoir. Toutes les décisions étaient prises par le grand conseil. Cheikou Amadou n'avait qu'une voix consultative, mais évidemment prépondérante. Il se plaçait d'ailleurs toujours sur le plan spirituel et religieux et veillait à ce qu'aucune décision ne soit prise qui ne fut pas en accord avec la loi musulmane.
3. Mohammed reçut ses révélations vers l'âge de quarante ans. Cet âge est considéré en Islam comme celui de la maturité mystique, à partir duquel l'homme est rarement le jouet des esprits malins.
4. Tirage au sort avec des brins de paille de diverse longueur.
5. Les enfants de Fodio m'ont envoyé un livret... Il était venu pour faire connaître des jugements aux chefs et à leurs subordonnés. Dans ce livret il y a la copie des réponses de Monghily à El Hadj Askia. L'arrivée de ce livre a coïncidé avec l'embrouillement de l'intelligence d'Amadou Alfaka , (Lettre de Cheikou Amadou à Cheik el Bekkay, in Ouane, 1952, L'énigme du Macina, p. 134.)
6. El Hadji avait été nommé à la tête du Kounari après la trahison de Guéladio, mais il n'avait aucun commandement militaire. Il résidait à Nyakongo, localité à 24 kilomètres, nord
est de Mopti.
7. Hambarké Samatata s'appelait en réalité Amadou Hammadi Samba Boubakari et appartenait au clan Bari. Hambarké est un surnom et Samatata le nom d'un homme chez qui il logeait quand il faisait ses études coraniques. Hambarké Samatata se déplaçait avec son troupeau et ses élèves lorsqu'il fit la connaissance de Cheikou Amadou, alors domicilié à Roundé Sirou. Hambarké reconnut en Cheikou Amadou à la fois un parent et un homme vertueux et dynamique. Lorsque Cheikou Amadou vint à Noukouma, Hambarké, quittant Wouro Boubou, patrie de sa mère, l'y rejoignit avec un troupeau de 60 têtes. Voyant les difficultés matérielles dans lesquelles Cheikou Amadou et ses élèves se trouvaient, Hambarké dit :
— Je donne à Dieu mes 60 têtes de bétail pour l'entretien de la Dina, qu'Amadou Hammadi Boubou veut fonder.
A partir de ce jour, Cheikou Amadou lui donna le droit de contrôle général sur toutes les affaires et biens de la Dina.
8. La racine rim- se trouve dans rimde engendrer et rimDude, être pur, être né. Les rimBe sont des nobles nés purs ou des artisans tels que cordonniers, bûcherons, musiciens et en général tous les gens de caste. La particule -ay- marque la négation du sens exprimé par la racine rim-. Les rimayBe sont ceux qui ne sont pas nés, mais achetés à prix d'argent ou capturés à la guerre.
9. Koningo, localité du Fakala, sur la rive droite du Bani, à 28 kilomètres sud-sud-est de Dienné.
10. Tyouki est le chef-lieu du Farimaké et se trouve à 30 kilomètres ouest-nord-ouest du lac Débo : Arkodyo est situé à 10 kilomètres est-sud-est de Saréfara.
11. La tradition rapporte que Cheikou Amadou ayant décidé de confier le commandement militaire à un de ses partisans, en parla à sa mère pour lui demander conseil. Celle-ci lui dit :
— Dans le dernier tiers de cette nuit, tu battras toi-même le tambour de guerre et tu donnera le commandement suprême au premier qui se présentera.
Ce fut Ousmane qui arriva le premier. Cheikou Amadou fut très heureux que le sort ait ainsi désigné son premier auxiliaire et le plus sûr de ses partisans. Quand, le lendemain, il le nomma publiquement Amirou Mangal, personne ne trouva à redire. Amirou Mangal fut malgré son âge un vaillant soldat, père de nombreux enfants qui embrassèrent tous la carrière militaire. Il en aurait eu 70 de tués au cours de combats. Lui-même mourut deux ans avant Cheikou Amadou, soit en 1843 et fut enterré dans sa concession de Dienné, à l'emplacement du dispensaire actuel.
12. Sénossa, localité située à 6 kilomètres au nord de Dienné ; Abdou Dyabbar, localité non identifiée ; Wakana, Ouana sur la carte, à 15 kilomètres sud-sud-est de Diafarabé ; Ngounya, Mounia de la carte, à 27 kilomètres ouest de Dienné, sur la route de Say.
13. Bori Hamsala, contraction de Bokari Hammadoun Sala.
14. Un tuɓal (pl. tuɓe) se composait d'un fût de bois, la'al et d'une peau, nguru tuɓal. Le fût était creusé dans un tronc de ndundeewi (Ficus platyphyllal). Cet arbre est également qualifié de ndunyanyaki, dit verbe dunde, permettre, faciliter. Il pousse en effet le plus souvent au pied d'un autre arbre qu'il finit par étouffer, d'où sait association en magie sympathique avec l'idée de vaincre. L'abre était coupé et le fût creusé par un labbo, considéré comme à l'abri ces mauvais esprits qui hantent les arbres. La peau du tambour était celle d'un boeuf blanc tué spécialement pour cet usage. On mettait quelquefois dans le fût des grelots d'or, d'argent ou de cuivre, on des morceaux de l'arbre welnata jaagu, qui rend le commence prospère. Le tubal était conservé chez le chef et confié à la garde d'un membre de sa famille ou d'un dimaajo de confiance. On distinguait deux sortes de tuɓe ; les tuɓe de guerre et les tuɓe de convocation, ces derniers étant situés à un jour de marche les uns des autres. Quand un tuɓal de guerre était battu, les tuɓe de convocation répondaient jusqu'à ce que toute la région soit avertie. Le tuɓal battu seul et sur un rythme lent signifiait une convocation des notables. Le tuɓal battu sur un rythme rapide et accompagné ndunjamngel jamaare, bande de fer noir recourbée en gouttière, munie d'un anneau pour la tenir et frappée avec une tige de fer, signifiait une alerte, chacun devant se préparer à partir en guerre. Le ndunjamngel ne pouvait être utilisé que par un dimaajo ou un homme de caste, jamais par un Peul.
15. Les chevaux des Fulɓe ne sont jamais ferrés.
16. Gaawal dérive du radical gaw- que l'on trouve dans le verbe gawlude, creuser profondément. Le gaawal fait des blessures profondes.
17. Soosiyawal dérive des deux radicaux sos, idée de faire du bruit et si' ou siy, laisser toucher un liquide goutte à goutte. Le Soosiyawal transperce et fait couler le sang avec bruit.
18. Duuta sukku, enlève ton pantalon et bouche ; sukka haakowal, bouche avec des feuilles. Cette arme faisait des plaies si larges qu'il fallait pour les boucher y mettre tout son pantalon ou toutes les feuilles d'un arbrisseau.
19. Nhal'l'al : du radical nhal-, griffer, égratigner.
20. Bantuure, du radical bant-, idée de flétrissure. Cette arme arrachait à la victime des cris déshonorants pour un guerrier.
21. Ficcuru, vient de ficcude, donner un coup de pied (âne au cheval), refuser catégoriquement (homme), se débarrasser de quelque chose en se secouant. Ces divers sens sont en rapport avec le fait qu'il était permis de tourner les talons et de fuir pour ne pas avoir à tuer son ennemi.
22. Wawaade, se rendre fort en se retranchant derrière quelque chose, du radical waw-, idée de pouvoir, de puissance.
23. Ngendi vient du radical yen-, idée d'ancienneté ; ngendi signifie donc étymologiquement agglomération ancienne. Wuro vient du radical wur-, idée de vivre ; c'est est l'endroit où l'on vit. Tuddunde vient du verbe tudde, être rempli d'eau par les pluies.
24. Leydi signifie terre ; lefol (pl. leppi) leydi est une bande de terre.
25. Batu, assemblée, réunion ; lammingol, action de nommer quelqu'un chef.
26. Batu a aussi le sens de halo et ici naatu batu signifie entre dans le halo. Il s'agit du halo supérieur, batu dow ; la tradition veut qu'avant la nomination de quelqu'un à une chefferie par les hommes, une assemblée d'esprits divins se réunisse en cercle autour de la Puissance divine ; celle-ci décide : Un tel fils d'Un tel sera chef de X… Cette assemblée céleste se manifeste aux yeux des mortels sous forme d'un cercle lumineux qui entoure parfois le soleil ou la lune et appelé batu dow, halo supérieur.
27. C'est une éprouve qui blesse profondément l'amour-propre d'un Pullo, pour qui le fait de déclarer publiquement ses dettes est comparable à lui d'exposer ses parties honteuses à la vue de tous.
28. jiidal, comité restreint.
29. Tous les Peuls appartiennent à l'un des quatre groupes ci-dessus, caractérisé chacun par un nom dit yettoore qui peut varier suivant les Etats et les régions.

Nom Equivalents
Diallo Dial, Ka, Kâné, Dikko
Ba Bal, Baldé, Bâch, Mbaké, Boli, Diakité, Diagayété, Nouba, Dia
Sidibé
Sangaré Bari

30. Suudu baaba, maison du père ; ce nom désigne l'ensemble des descendants d'un même ancêtre.
31. Sénossa, localité située à 5 kilomètres nord de Dienné.
32. Ndiambo, emplacement situé sur la rive droite du Niger, à peu près en face Diafarabé et qui n'est plus habité depuis la fondation de ce dernier village.
33. Les sept familles du sous-groupe des Giite qui ont émigré du Fouta au Maasina, après un séjour à Diéliba dans le Mandé, sont : Togori, Alkassegui, Taka, Tonnga, Jaggere, Muma, Sanha
34. Jippunde (pl. jippule) campement, gite. Le canton de Tenenkou porte encore aujourd'hui le nom de Jippule, les giite.
35. Toggoy, (sing. de toggel), petit, toggere (pl. togge).
36. Bogoji, sortes de courses.
37. Le toggere s'appelait Hoore Sambaaru Yerooru ; il appartenait aux Sagalɓe qui le cédèrent sous peine car il était hanté. Il fallut toutes les connaissances magiques d'un labbo pour abattre les arbres sans danger. Il y eut dès lors une alliance entre la famille de ce labbo et celle des chefs de Ténenkou.
38. Teenude veut dire ramasser du bois mort.
39. Caron vit les vestiges de la ville de Penga en 1887 : Je fus saisis d'admiration, écrit-il, en voyant les ruines qui s'étagent au bord du fleuve sur une longueur d'un kilomètre et qui disparaissent dans une végétation luxuriante. C'était autrefois le port de commerce de Ténenkou auquel il est joint par un marigot… Il a été déserté après l'attaque de Iowarou en 1878. A cette époque, il y avait petit-être 100.000 indigènes résidant sur les bords du marigot de Diaka dont 5.000 à Pénhé (Penga), au moins, alors habité par des commerçants de Tombouctou et des marchands saracolets, qui y faisaient comme à Iowarou de bonnes affaires. On trouva encore, dans les ruines, des maisons à deux étages avec fenêtres en bois délicatement ouvrées à la manière arabe... » (Cité Par Monteil, 1932, Djenné, p. 92.)
40. De Songodé à Mayatake, 12 kilomètres sud-sud-est de Ténenkou, il n'y a que 17 kilomètres à vol d'oiseau. Mais il fallait traverser une région inhabitée, infestée de fauves, de lions et d'éléphants. Le village de Ganguel, qui tire son nom de l'arbre nganki, Celtis lntegrifolia, fut construit en bordure du marigot.
41. Les pêcheurs étaient installés au lieu dit aujourd'hui Charlotville, les métis d'Arabes sur un petit îlot au sud du précédent. Le Mopti commercial actuel n'était pas habité. Dialangou se trouve dans la plaine à 7 kilomètres à l'est du fleuve.
42. Guembé, sur la rive gauche du Bani, à 6 kilomètres de Mopti.

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