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Maasina


Amadou Hampaté Bâ & Jacques Daget
L'empire peul du Macina (1818-1853)

Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.


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Chapitre X

La région de l'Issa Ber, vaste étendue de terres bien arrosées et riches en excellents pâturages, mais peu peuplées, servait de parcours de nomadisation à plusieurs clans peuls et touareg. A l'époque où Cheikou Amadou fonda la Dina, la rive gauche du fleuve était contrôlée par les Touareg de la tribu Tenguéréguif, qui nomadisaient pendant la saison froide entre Tombouctou et Gao. Pendant la saison chaude, ils descendaient plus au sud et passaient même dans le Gourma, sur la rive droite ; leur siège principal était Arham 1, gros village qui passe pour l'un des plus anciens de cette région du Soudan. Une sous-fraction des Kel Tedmekket, dite Amiker, descendait dans la région de Niafounké et poussait quelquefois jusqu'au Macina où elle restait durant toute la saison chaude. La rive droite de l'Issa Ber était soumise et payait tribut à Galo Alasseyni Samba et à Guidado Galo, chefs peuls obéissant à l'Arɗo du Hayre qui nomadisait sur les falaises de la région de Douentza.
Tous ces Peuls et Touareg n'étaient pas musulmans au sens strict du mot. Hamdallay pouvait donc alléguer de ce fait pour s'ingérer dans leurs affaires. Le grand conseil décida d'envoyer des convertisseurs armés, sous la conduite du marabout Amadou Alfa Koudiadio, originaire du Farimaké et jouissant, dans ce pays, d'une influence personnelle considérable. Ce dernier, par la persuasion, acquit le Ndodyiga, le Dirma et le Fittouga 2 à la cause de la Dina. Dans ces différents pays, les musulmans de race noire étaient heureux de se soumettre au commandement temporel et d'appartenir à l'obédience spirituelle de Cheikou Amadou. Mais il n'en était pas de même des Touareg. Ces derniers voyaient dans l'Islam une entrave à leurs habitudes de pillage ; habitués à dicter leur volonté aux Peuls et aux indigènes de race noire, ils n'entendaient pas subir le joug de Hamdallay et s'apprêtèrent à repousser par la force les convertisseurs de la Dina. Invités à prendre les armes, leurs anciens tributaires peuls et bambara refusèrent de combattre. Woyfan, un chef Tenguéréguif, décida de s'opposer à l'expansion de l'Islam sur la rive gauche du fleuve où il avait l'habitude de nomadiser. Il leva des troupes et attaqua Alfa Amadou Koudiadio près de Tiouki, au bord du marigot dit Naïlé. Les Touareg furent repoussés avec des pertes sévères, mais Woyfan, tout en reculant, regroupait ses hommes et les ramenait au combat. Il eut huit engagements avec les Peuls, les plus sanglants ayant lieu au passage des marigots, Gendou à l'ouest de Fafou, Dyobori à l'est de Bouta, Mayel Sempi entre Wouméré et Soumpiné, Fansi qui relie Mayel Soumpiné à Niawlé et au bord de Niawlé entre Kassamba et Attara.
Alfa Koudiadio s'étant rendu maître du pays par ces victoires, fut nommé par le grand conseil à la tête du Farimaké. Il reçut l'ordre de fixer les Peuls nomades et de doter chaque village d'une mosquée. Instruit et très ambitieux, il avait essayé lui-même de lever l'étendard de la guerre sainte et le fait d'avoir prêté serment de fidélité à Cheikou Amadou ne l'avait pas fait renoncer à briguer un jour le titre de Vicaire du Prophète et de faire de Tiouki, le village qu'il avait choisi comme capitale et qu'il avait fortifié, le siège d'une seconde Dina. Ses succès rapides n'avaient fait que renforcer son désir de s'affranchir à la première occasion de la tutelle de Hamdallay. Le Haoussa Kattawal et le Sobboundou 3 s'étaient soumis. Cette circonstance permit à Alfa Amadou Koudiadio de savoir tout ce qui se passait chez les Touareg et de nouer sur la rive gauche de l'Issa Ber de solides amitiés. Mais, appliquant les lois selon ses intérêts plus que d'après les instructions données par Hamdallay, il envoya dans le Haoussa Kattawal et le Sobboundou deux hommes entièrement dévoués à sa cause. Ceux-ci se comportèrent comme de véritables inquisiteurs. L'un, nommé Sirifi, avait été chargé de surveiller Samba, chef du Sobboundou, l'autre, nommé Bou Ali, jouait le même rôle auprès de Bouyé, chef du Haoussa Kattawal. La surveillance excessive et parfois mesquine qu'ils exerçaient finit par indisposer les Touareg. Bouyé alla se plaindre à Hamma Hassa, un chef d'une sous-tribu des Tenguéréguif. Ce dernier, qui ne jugeait pas encore le moment venu de tenter un soulèvement, conseilla à Bouyé d'abdiquer en faveur de son fils Elmou Zamilou et de venir le rejoindre à Tombouctou pour préparer une guerre de libération. A la suite de cette abdication, l'Attara fut séparé du Haoussa Kattawal et placé sous le commandement du marabout Sambourou Kolado, en remerciement de l'appui qu'il avait fourni à la bataille de Naïlé contre Woyfan.
Les Touareg avaient évacué les régions soumises à Hamdallay ou nomadisaient paisiblement. Mais, en réalité, ils se préparaient à la révolte. Quand ils se jugèrent prêts, des contingents de près de dix tribus descendirent des zones désertiques vers les deux grandes mares de Tanda et Kabara et de ces deux bases se dispersèrent dans tout le nord du Farimaké. Amadou Alfa Koudiadio essaya de parlementer, rejetant sur Hamdallay la responsabilité des rigueurs exercées envers les tribus du Haoussa Kattawal et de l'Attara. Sambourou Kolado déjoua les manoeuvre des Touareg et les tractations d'Amadou Alfa Koudiadio qui, au lieu d'attaquer Woyfan, entretenait avec lui des rapports plus amicaux que belliqueux. Il écrivit à Hamdallay une lettre dont la teneur était la suivante :

« L'imam Amadou Alfa Koudiadio, après avoir fait appliquer les lois selon son bon plaisir et provoqué le mécontentement des BurdaaBe 4, assiste presque sans réaction à l'envahissement de son territoire. Woyfan, à la tête de plus de 2.000 cavaliers et appuyé par plusieurs centaines de chameaux de guerre, a disposé ses hommes de Diartou à Lanadiéri. J'ai repéré un groupe de guerriers Tenguéréguif camouflés aux abords de la mare de Soumpiné. Des renseignements obtenus par des bergers que j'ai envoyés parcourir la région, il résulte que de Bouta à Pikili, on ne trouve pas une seule mare importante qui ne soit occupée par cinq cents à mille Touareg. L'absence de femme, d'enfant et de menu bétail prouve que ce sont des guerriers venus avec l'intention d'attaquer. De deux choses l'une : ou bien Amadou Alfa Koudiadio est trahi par ses auxiliaires qui le tiennent mal au courant des faits et lui font croire que Woyfan est simplement venu nomadiser, ou lui-même est en train de trahir Hamdallay en pactisant avec Woyfan et en laissant ce dernier envahir le Farimaké. Dans les deux cas, il me paraît indispensable que le grand conseil soit informé afin de prendre des dispositions pour éviter le pire. Quant à moi, dès aujourd'hui, je mobilise mes troupes et fais occuper Gourey, Bodié, Horé Séno et Diana. »
Le grand conseil décida l'envoi d'une armée pour défendre le Farimaké . Plusieurs contingents partirent de Hamdallay, sous le commandement de Bokari Modi, cousin de Cheikou Amadou, auquel était adjoint Alfa Guidado Sammali. Ces troupes longèrent la rive droite du fleuve jusqu'à Korienzé, puis se divisèrent en plusieurs colonnes ; les unes allèrent occuper Ngorkou, Saréfara, Dari et Garnati de façon à surveiller les abords du lac Haougoungou et empêcher des renforts touareg de venir par l'est ; une autre, composée de 1.500 cavaliers commandés par Bokari Modi lui-même, se dirigea vers Enguem où Sambourou Kolado devait venir la rejoindre. Pendant ce temps, les contingents du Macina et du Wouro Nguiya, commandés par Cheikou Seydou, venaient camper à Sélingourou.
Des renseignements envoyés de Wouro Nguiya avaient prouvé la trahison d'Amadou Alfaka. On apprit même qu'il avait emprisonné l'envoyé de Hamdallay, Dahirou, qui lui avait porté l'ordre de chasser Woyfan du pays. Se fiant à sa grande culture et au fait qu'il avait agrandi et fortifié Tiouki, il se crut de taille à tenir tête à Cheikou Amadou. Il conclut un pacte secret avec Woyfan et autorisa ce dernier à venir camper avec deux mille cavaliers aux environs de Tiouki afin de pouvoir lui porter secours en cas de besoin. Il avait par ailleurs interdit à Cheikou Seydou de dépasser le village de Sélingourou sous peine d'être englouti avec toute son armée dans les entrailles de la terre, par le seul effet de ses prières. Quelques jours auparavant, après le prône dit vendredi, Alfa Amadou Koudiadio avait dit à la mosquée :
— Dieu avait décidé qu'un Amadou lèverait l'étendard de la Dina dans la boucle du Niger. Par mon origine 5, ma science et ma fortune, je suis l'Amadou le plus qualifié à cet effet. Amadou Hammadi Boubou n'est qu'un usurpateur. S'il désire la paix et veut profiter de ses victoires, qu'il me laisse les territoires du nord ; je lui laisserai ceux du sud et nous vivrons en bonne intelligence. Dans le cas contraire, il verra ce dont je suis capable.
Toute la population ne partageait pas les vues d'Amadou Alfaka, mais la proximité des Touareg en armes l'incitait à ne rien dire.
Entre temps, une lettre envoyée de Hamdallay parvint à Cheikou Seydou ; Cheikou Amadou y déclarait qu'Amadou Alfa Koudiadio s'était révolté et qu'il fallait le combattre avec des tiges de mil taillées en pointe, afin d'éviter toute effusion de sang, car il s'agissait d'une guerre fratricide entre musulmans. Amadou Alfa Koudiadio sortit de Tiouki avec une poignée de combattants et il fut battu par un détachement commandé par Amadou Sissé et n'ayant pas d'autres armes que des tiges de mil. Amadou Alfaka s'enfuit et alla se réfugier dans le camp de son allié secret Woyfan. Lorsqu'ils apprirent comment s'était déroulée la rencontre, les Touareg, naturellement superstitieux, refusèrent de combattre. Les éléments avancés dans le Farimaké se replièrent sous la pression de Sambourou Kolado et Bokari Modi d'une part, et de Cheikou Seydou d'autre part. Il n'y eut pas de véritable combat, mais une suite d'escarmouches au cours desquelles les Touareg abandonnaient un nombre important de bestiaux. Les Peuls faisaient aussitôt passer les troupeaux razziés sur la rive droite de l'Issa Ber puis les conduisaient dans les bourgoutières 'uruBBe de Sendégué à Konza. La situation demeura incertaine jusqu'à l'approche des inondations. Craignant alors de se faire encercler par les troupes peules échelonnées le long du Bara Issa de Korienzé à Toundia, toutes les tribus touareg belligérantes remontèrent vers Tombouctou. Sambourou Kolado et son fils Amadou Sambourou qui faisait ses premières armes, se distinguèrent dans presque tous les engagements.
Pendant que ces événements se déroulaient sur la rive gauche de l'Issa Ber, le reste de l'armée de Hamdallay surveillait la lisière est de la zone d'inondation. Ba Lobbo, qui commandait les juuDe du Fakala, avait reçu l'ordre dès Gouloumbou de couper au plus court afin de visiter le sud des lacs Haougoungou et Niangay. Il s'était dirigé sur Ngordian, Tambéni où il avait fait bénir ses troupes par le saint marabout qui y résidait, Saré Demba, Boundé, Toggéré et Ngouma. Après avoir inspecté tout le sud du lac Haougoungou, il était allé camper à Hoore Wendou. Ibrahima Amirou à la tête des troupes du Diennéri et Alfa Amadou Guidado à la tête de celles du Kounari, suivirent un itinéraire plus long et plus difficile. Partis de Gouloumbou, ils passèrent par Moussa, Galdiouma, Dari, Wouro Dyam Allah, et Horé Wendou. Ba Lobbo, ayant le premier atteint ce dernier village et inquiet de ne pas voir arriver ses compagnons, envoya un détachement à leur recherche. Les hommes d'Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado, épuisés par la marche et les privations, furent très heureux de recevoir les vivres que Ba Labbo leur envoyait. Les deux colonnes réunies à Horé Wendou se dirigèrent ensemble sur Kanioumé
Bokari Modi étant dans le Farimaké, Ba Lobbo, Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado au sud du lac Niangay, le reste de l'armée de Hamdallay, sous les ordres d'Al Hadji Modi, campait dans la région de Garnati. On raconte qu'étant arrivée un jour de marché dans un village du Fittouga, tout le monde s'enfuit à son arrivée, sauf une petite fille qui vendait du lait. Nullement effrayée, elle s'avança au milieu des cavaliers et offrit comme cadeau de bienvenue le contenu de sa calebasse à Al Hadji Modi. Ce dernier fut si touché qu'il refusa le logement que lui proposait le chef de village et descendit chez les parents de la petite vendeuse de lait. C'était une famille pauvre qui ne pouvait, sans se ruiner, recevoir un chef militaire avec sa suite. Al Hadji Modi la dédommagea largement.

Le hukkum 6 de Sérim ag Baddi, qui avait passé la saison sèche dans la région de la mare de Gossi, reçut l'ordre de rejoindre Kabara. Escorté par 500 cavaliers et 450 chameaux, il se mit à traverser le Gourma en piquant droit vers Kabara, sans se soucier de la présence de l'armée peule. Il devait donc passer au-dessus de Bambara Mawnde et du lac Niangay. L'année précédente, l'escorte du hukkum de Sérim avait fait un crochet pour aller piller Bambara Mawnde et ses environs. Cheikou Amadou avait écrit à ce propos à Cheik Sid Mahamman pour lui demander de conseiller aux Touareg de ne plus venir razzier ses sujets. Le chef maure, qui ne voyait pas d'un très bon oeil l'empire du Macina, avait répondu que courir le pays étant dans les moeurs et coutumes des Touareg, et le pillage étant leur principal moyen de vivre, il ne pouvait s'immiscer dans leurs affaires. Il avait ajouté qu'il appartenait à Cheikou Amadou de défendre l'empire qu'il avait fondé et de protéger la vie et les biens de tous ceux qui lui payaient la dîme et la zekkat.
Al Hadji, renseigné sur le mouvement du hukkum de Sérim, se mit en rapport avec les troupes peules campées à Kanioumé. Il fut décidé qu'il couperait la route aux Touareg en passant au nord du lac et que Ba Lobbo, Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado, passant au sud et à l'est, essayeraient de s'emparer de l'arrière du convoi. Effectivement, Al Hadji Modi rencontra l'avant-garde du hukkum commandée par Nta. Il se fit battre lamentablement. Mais, craignant un guet-apens, le chef targui donna l'ordre de rebrousser chemin. Attawal prit la tête du convoi et tomba dans l'embuscade tendue par Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado. Les guerriers touareg étaient gênés dans leurs évolutions par la présence des bestiaux et des femmes prises de panique à la vue de l'ennemi et qui, juchées sur des chameaux, risquaient de tomber à terre et d'éclater comme des outres trop pleines 7. Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado attaquèrent Attawal de deux côtés différents. Ba Lobbo, profitant d'une défaillance des défenseurs du hukkum, lança ses hommes à l'attaque et captura la femme de Sérim. Ibrahima Amirou et Alfa Amadou Guidado firent immédiatement un barrage pour permettre à Ba Lobbo de s'enfuir avec le butin le plus précieux que les Peuls aient jamais fait.
Nta se porta au secours d'Attawal. Ibrahima Amirou se retourna contre lui et le culbuta, mais en laissant 70 morts sur le terrain. Alfa Amadou Guidado, ne pouvant soutenir le choc d'Attawal battit en retraite, poursuivi par les Touareg. Ibrahima Amirou, laissant un rideau de troupes pour couvrir ses arrières contre un retour offensif possible de Nta, fonça sur Attawal pour le prendre à revers ; aux cris de “mbirfe ! mbirfe !” 8 que lançaient ses hommes, les soldats d'Alfa Amadou se ressaisirent et firent volte face. Attawal, encerclé avec 200 Touareg, fut fait prisonnier, après une résistance farouche, qui coûta la vie à 90 Peuls. Ce combat eut lieu entre Tin-Gangarabé et Takaleyta, à l'est de Bambara Mawnde.
Prisonniers et butin furent acheminés sur Hamdallay en passant par Banzayna, Kikira, Walo, Douentza, Perga, Aruba, Tey, Dé, Toupérê, Sissango, Wouro Ferro, Singama, Fiko et Pigna. Sur cette route, absolument inconnue des Touareg, le convoi ne courait aucun risque. Bokari Modi, donna ordre à tous les chefs de guerre de distribuer le butin et de n'envoyer à Hamdallay que le cinquième revenant à la Dina. Cette part fut de 40.000 bovidés et 15.000 chevaux, sans compter une quantité considérable d'or et d'argent. Au retour de cette expédition, connue sous le nom de ndukkuwal 9, les habitants de Hamdallay passèrent la nuit entière en réjouissances. Vers le milieu de la nuit, Cheikou Amadou se leva et se glissa discrètement chez son fils Amadou, ce dernier était en prière ; Cheikou Amadou, sans rien dire, attendit jusqu'à l'aurore : son fils priait toujours ; alors il rentra chez lui. Dans la matinée, Amadou Cheikou alla saluer son père et lui demanda la raison de sa visite nocturne.
— Toute la ville a passé la nuit à fêter l'acquisition d'un bien périssable et j'ai voulu savoir si tu participais aussi aux réjouissances publiques. Dieu merci, je t'ai trouvé sur la vraie voie, car les richesses de ce monde n'ont qu'un temps et Hamdallay même finira par être ruinée.
En fin politique, Cheikou Amadou demanda au grand conseil de lui laisser le soin de régler l'affaire des prisonniers touareg. Il les libéra tous et restitua à chacun son bien. Quant à la femme de Sérim, qui était enceinte, il la logea chez Adya, lui rendit toutes ses richesses et lui promit qu'elle pourrait rejoindre son mari dès qu'elle aurait accouché. Quelques mois plus tard, elle mit au monde un garçon ; or Sérim attendait vainement cette naissance depuis des années. Quand Cheikou Amadou qui présidait le baptême fit demander à la mère comment elle désirait nommer son enfant, elle répondit :
— Je l'aurais volontiers appelé Cheikou Amadou si je n'avais pas à lui donner un nom plus approprié aux circonstances ; je désire que mon fils soit appelé Fondo Gumo, « chemin heureux », car le chemin de Hamdallay a été pour moi le plus heureux de tous ceux que j'ai suivis. Quand elle fut en état de voyager, Cheikou Amadou fit équiper une véritable flottille pour la reconduire à Diré où elle devait débarquer pour rejoindre son mari campé à Arham.
Lorsque, après la bataille des tiges de mil, Alfa Amadou Koudiadio se fut réfugié auprès de Woyfan, Bokari Modi désigna provisoirement Guidado Ali Guidado, fils du héros de Simay, pour commander le Farimaké. Trois cents fonctionnaires peuls, tous originaires du Fakala, furent répartis dans le pays pour le surveiller et faire appliquer les lois de la Dina. Quand Bokari Modi rejoignit Hamdallay, il rendit compte de sa mission. Le grand conseil n'entérina pas la nomination provisoire de Guidado et désigna Cheikou Seydou. Woyfan qui ne s'était replié que devant les progrès de l'inondation, préparait une revanche pour l'année suivante : il voulait aux basses eaux attaquer l'Issa Ber et le Macina. Alfa Amadou Koudiadio de son côté s'efforçait d'obtenir l'appui de Cheik Sid Mouktar, frère de Cheik el Bekkay. Il avait emmené avec lui ses partisans, pour la plupart ses élèves, originaires de 70 villages du Farimaké, pour lui servir de témoins contre Hamdallay.
Woyfan demanda le concours de toutes les tribus touareg dispersées entre Goundam et Gao sur la rive gauche du Niger, et dans le Gourma sur la rive droite, de Kabara à Gossi et de Gossi à Bamba.
— Les Peuls nous ont chassé de nos terrains de parcours, leur disait-il ; ils ont razzié les deux tiers de notre cheptel. Ils ont souillé notre honneur en capturant la femme de Sérim, un grand chef de notre race. Une si grande offense ne peut rester impunie.
Les Irregenaten et les Kel Temoulaït de la région de Rharous se décidèrent à marcher avec les Tenguéréguif, devenus ennemis des Peuls. Ils formèrent une confédération sous le nom de Kel Tadmakket. Leurs chefs les plus notables étaient Ennoua, Woyfan, Sérim ag Baddi et Elwagalis. Tout fut préparé à Arham, base habituelle des Tenguéréguif.
Quelle ne fut pas la surprise de Sérim ag Baddi quand un envoyé du chef de la flottille venant de Hamdallay, vint lui annoncer que sa femme et son fils l'attendaient à Diré. Sérim, à la tête de cent chevaux et quarante méhara, se dirigea vers le fleuve, après avoir demandé qu'on vienne le secourir si les Peuls en renvoyant son épouse n'avaient fait que tendre une souricière pour le capturer. En arrivant à Diré, il retrouva non seulement sa femme et son fils, mais aussi ses guerriers qui avaient été faits prisonniers par les Peuls, puis libérés. Il offrit de riches présents aux convoyeurs de la flottille qui reprit le chemin de Hamdallay.
Sérim ag Baddi n'avait plus beaucoup de griefs contre Cheikou Amadou. Il cessa de prendre une part active aux projets d'attaque contre les Peuls ; il se contentait de dire à ses alliés :
— Je serai toujours avec vous.
Il finit par quitter Arham et se retira dans la région de Tombouctou. Mais les autres chefs de tribus qui avaient éprouvé des pertes considérables en biens et en hommes, jurèrent de faire payer aux Peuls les boeufs et les chevaux razziés, ainsi que le prix du sang de leurs guerriers tués dans le Farimaké, l'Attara et le Gourma 10.
Les préparatifs des Touareg dans la région de Goundam ne pouvaient être ignorés des Peuls du Tyooki 11. Le marabout Amadou Boubakari dit Wuldu Hoore Gooniya 12, et Bonyé Boubanté chef des SilluBe, écrivirent à Hamdallay. Le grand conseil discuta plusieurs jours avant de mettre sur pied un système de défense contre la coalition targui. Cheikou Amadou savait que les hostilités s'engageraient de Niafounké à Gao. Il ne voulait pas risquer une expédition malheureuse qui aliénerait le prestige de la Dina, en même temps que l'honneur peul. Il demanda au grand conseil de le laisser préparer cette guerre extraordinaire ; il voulait avant tout frapper Goundam.
— Ce point est, dit-il, le centre d'où seront lancées les attaques les plus violentes et qui sera défendu avec le plus d'acharnement.

Il se mit en prière et, durant une semaine, personne ne le vit vaquer aux choses de la vie courante. Quand il sortit de sa retraite, il réunit le conseil de guerre et déclara :
— Dieu et son Prophète m'ont permis de trouver un moyen de réduire Sérim ag Baddi qui a massé contre nous des troupes comme jamais les Touareg ne l'ont fait contre qui que ce soit.
Il fit venir son fils Hamidou, qui n'avait pas encore atteint sa majorité 13, et lui donna des instructions secrètes sur la façon d'aborder le chef des Touareg, que ce fut Sérim ou un autre. Puis il désigna trois chefs de guerre, Al Hadji Modi, Sambourou Kolado et Tyambadio jeero YaalalBe, donna à chacun le commandement d'un contingent de près de 15.000 hommes et leur dit :
— Vous aurez pour chef suprême mon fils Hamidou que je vous confie et à qui j'ai donné la mission de réduire Sérim ag Baddi. Il s'avancera jusqu'à Goundam, escorté de 121 cavaliers et guidé par Mahamane Boubou Niawal. Votre mission à vous est différente. Si Hamidou échoue ou s'il se faisait prendre, vous attaquerez les Touareg avec toute votre armée et vous les poursuivrez jusqu'au delà de Tombouctou.
En sortant, les trois chefs se dirent entre eux:
— Cheikou Amadou sacrifie son fils et nous avec lui.

L'armée quitta Hamdallay, traversa le Macina, le Farimaké, passa au village de Farana, puis pénétra dans le Tyooki et arriva à Goundam avant les Touareg. Les habitants de la ville voulaient les uns offrir l'hospitalité aux Peuls et les autres leur fermer les portes par crainte de représailles de la part des Touareg. Ceux-ci avaient été avertis par des espions qu'une armée comparable à un vol de sauterelles s'était abattue sur le pays et que les Peuls du Tyooki pactisant avec ceux de Hamdallay, la position de Goundam se trouvait compromise. Sérim Ag Baddi qui se trouvait à Amolass 14, du côté de Tombouctou, donna ordre à son parent Al Wab de se porter au devant de l'ennemi, de commencer à parlementer sans faiblesse, mais aussi sans fanfaronnade et, le cas échéant, de combattre sans attendre son arrivée. Il est possible que la femme de Sérim ait réussi à calmer l'ardeur belliqueuse de son mari et son inimitié contre les Peuls en lui rappelant l'hospitalité magnanime de Cheikou Amadou et les honneurs dont elle avait été comblée, elle-et son fils. Al Wab était un guerrier fameux et son nom avait plus d'une fois suffi à faire rebrousser chemin à des assaillants farouches. Il descendit vers Goundam avec 30.000 combattants. Il avait en outre derrière lui une armée forte d'environ 50.000 cavaliers, méharistes et fantassins. Il campa sur la hauteur où est bâtie actuellement la résidence administrative.
Hamidou avait laissé le gros de son armée à 12 kilomètres environ de Goundam et il était venu camper avec son escorte personnelle à Tafiqa, à 5 kilomètres au sud de la ville. Il manda auprès de lui l'imam Sangar et le cadi Abdoulay Almami, tous deux dévoués à la cause de Hamdallay, et eut avec eux un entretien secret. Puis, sans avertir aucun de ses partisans, Hamidou sortit avec les deux marabouts. Il n'avait comme armes que trois petites lances qui lui avaient été remises par son père et qui étaient sûrement bénites. Il se fit conduire seul au camp d'Al Wab et se fit annoncer comme un émissaire du chef de l'armée peule. Al Wab, sans se déranger de sa tente, dit de faire entrer l'envoyé. Il ne cacha pas sa surprise en voyant arriver un garçonnet, armé de trois lances à la mesure de sa taille et qui se présenta sans timidité ni frayeur après avoir traversé un camp où 30.000 guerriers prêts à l'attaque fourbissaient leurs armes.
— Qui es-tu ? demanda Al Wab.
— Un combattant de l'armée de Hamidou Cheikou, venue du Macina pour affronter Sérim ag Baddi.
— Hamidou Cheikou est-il venu en personne à Goundam et l'y as-tu vu de tes yeux ?
— Oui, c'est lui-même qui m'envoie vers toi.
A ces mots, Al Wab bondit sur son bouclier, saisit ses lances, sortit de sa tente, et poussa un cri lugubre comme celui d'un lion blessé. Il donna ordre à tous ses hommes d'enfourcher leurs montures et de se tenir prêts à l'attaque.
Quand son armée fut rangée en ordre de bataille, Al Wab s'écria en s'adressant à ses guerriers :
— C'est une insulte de plus de la part des Peuls à notre adresse. Hamidou Cheikou nous méprise au point de nous envoyer un garçonnet armé de trois roseaux bons pour aller à la chasse aux oiseaux.
— Est-ce que Al Wab connaît Hamidou Cheikou ? répondit le jeune Peul imperturbable.
— Non, je ne l'ai jamais vu, mais je ne tarderai pas à faire sa connaissance, car je vais foncer à l'instant dans sa direction et nulle force ne m'empêchera d'atteindre le lieu où il se retranche.
— Tu n'as pas besoin de courir ni de déployer tant de forces pour voir Hamidou Cheikou, car c'est moi.
Al Wab saisit violemment son jeune interlocuteur par les deux épaules et lui dit :
— Si tu continues à me narguer, il ne te poussera jamais de poils à la puberté, car je te trancherai la tête, sans pitié pour tes tendres os.
— Prends-moi pour qui tu voudras, cela ne changera rien, car c'est moi Hamidou Cheikou. Mon armée est à une journée de marche et mon escorte de 121 cavaliers est campée à Tafiqa. J'ai tenu à te voir en personne afin de traiter de vive voix avec toi, avant d'avoir recours au fer et au feu.
— Je ne te crois pas, répondit Al Wab. Tu n'es peut-être qu'un fétiche vivant que Hamdallay m'envoie. Je connais la force de vos sortilèges. L'année dernière, vous avez combattu avec des tiges de mil, et cette fois-ci vous m'envoyez un gamin armé de roseaux. Je ne serai pas dupe. Je sais que Hamidou Cheikou est embusqué quelque part et qu'il essaye de me distraire par ton intermédiaire pour me surprendre au moment opportun.
Le chef targui monta sur son méhari de combat, agita son large bouclier orné de dessins et de boucles d'or et dit à un de ses hommes :
— Va vite à Tafiqa annoncer à Hamidou Cheikou qu'il va recevoir des nouvelles sanglantes de Sérim ag Baddi par la main d'Al Wab.
Le méhariste partit au galop. En arrivant à Tafiqa, il trouva les 121 cavaliers de l'escorte d'Hamidou Cheikou en grand désarroi car ils s'étaient aperçus de la disparition de leur chef. La nouvelle arriva au camp du gros de l'armée. Al Hadji Sambourou Kolado et Tyambadio Jooro YaalalBe partirent immédiatement pour Tafiqa en disant :
— Nos appréhensions étaient malheureusement justifiées. Le jeune homme a eu peur et il a pris la fuite. Il va mourir de faim ou se faire prendre par les Touareg. Notre honneur est engagé, à moins que nous mourrions tous trois pour n'avoir pas à rendre compte au grand conseil de cette disparition qui sera pour, Cheikou Amadou, plus cruelle qu'une défaite.
Les trois chefs, en arrivant à Tafiqa, trouvèrent l'envoyé d'Al Wab entouré et serré de près au point qu'il n'avait pas encore pu parler librement. Ils ordonnèrent de le laisser s'expliquer et le targui déclara :
— Al Wab m'envoie vers Hamidou Cheikou pour lui faire savoir que l'enfant fétiche envoyé pour l'ensorceler est retenu prisonnier. Il le restera tant qu'Hamidou Cheikou lui-même ne se démasquera pas pour traiter ou pour combattre. L'enfant prétend être Hamidou Cheikou et Al Wab le garde comme tel.
Al Hadji Modi déclara :
— L'affaire est grave, car Hamidou est prisonnier du chef targui. On ne peut l'abandonner plus longtemps, mais que faire ? Aller négocier avec Al Wab ou l'attaquer ?
On finit par adopter la négociation. Al Hadji Modi et les 121 cavaliers de l'escorte se rendirent à Goundam, tandis que Sambourou Kolado et Tyambadio rejoignaient l'armée pour donner l'ordre de se préparer au combat. Hamidou était bel et bien prisonnier d'Al Wab qui ne le quittait pas des yeux et ne pouvait s'empêcher de subir le charme de ce garçonnet à l'esprit déjà mûr. Quand on prévint le chef targui qu'un groupe de cavaliers s'approchait au galop, il sortit, fit mettre Hamidou debout au pied de son méhari, puis sauta en selle et dit :
— Enfant fétiche, tu me plais, mais je crains d'être obligé, dans quelques instants, de te transpercer de ma sagaie. Tout dépendra du comportement de ces cavaliers qui semblent nous charger et s'approchent entourés d'un nuage de poussière.
Quand les Peuls ne furent plus qu'à une faible distance, ils s'arrêtèrent. Le méhariste envoyé par Al Wab s'avança seul, ce qui rassura les Touareg prêts au combat. Al Hadji Modi et sept cavaliers mirent pied à terre et se présentèrent à AI Wab resté en selle. En voyant Hamidou, ils se jetèrent à ses pieds et Al Hadji Modi s'écria :
— Dieu soit loué ! Comment, Hamidou Cheikou, as-tu osé te lancer dans une telle aventure ? Venir te livrer à Al Wab que tu étais venu combattre et cela sans nous consulter ni même nous prévenir. Si tu crois que tout le monde est aussi magnanime que ton père, tu fais une erreur profonde.
Al Wab l'interrompit :
— Assez de ruses, dit-il. Cheikou Amadou n'est pas assez imprudent pour confier le commandement d'une expédition de cette envergure à un garçon de cet âge.
Il finit cependant par comprendre que personne ne se jouait de lui. De plus en plus stupéfait, il descendit de son dromadaire et examina Hamidou avec un étonnement mêlé de crainte superstitieuse. Il donna l'ordre à quatre guerriers Tenguéréguif de noble souche de mettre pied à terre ; lui-même posa son bouclier sur le sol et dit à Hamidou Cheikou :
— Petit garçon à Hamdallay, grand chef de guerre à Goundam, monte sur cette peau, c'est un trône que je t'offre.
Sans hésiter, Hamidou s'assit sur le bouclier que les quatre guerriers soulevèrent. Ainsi porté en triomphe, il rentra à Tafiqa suivi d'Al Wab. Ce dernier lui prêta serment de fidélité et lui donna rendez-vous pour le lendemain à Goundam.
Personne ne pouvait croire qu'une guerre qu'on augurait sanglante et que l'on envisageait avec terreur, put se transformer ainsi en fêtes et en réceptions. Le lendemain, l'armée de Hamidou réunie au complet à Tafiqa partit pour Goundam. Al Wab, de son côté, avait aligné, ses troupes. Monté sur une chamelle blanche, portant ses habits de fête, ses amulettes et ses armes de parade, il se tenait sur une éminence 15 pour voir défiler les soldats du garçon prodigieux qui l'avait vaincu la veille sans combattre. Hamidou traversa le premier le marigot, entouré des 121 cavaliers de son escorte ; il fut accueillit sur l'autre rive par l'imam Sangar et le cadi Abdoulay Almami ; ces deux marabouts, après avoir accompagné Hamidou jusqu'aux abords du camp d'Al Wab, étaient rentrés à Goundam et avaient réussi à convaincre les habitants de faire bon accueil aux Peuls ; le bruit de la soumission d'Al Wab, merveilleusement réalisée, avait grandement facilité leur tâche ; ils étaient fiers de guider la délégation de notables envoyée au devant de Hamidou pour lui prêter serment de fidélité au nom des habitants de Goundam, Songhay et Arma.
Hamidou salua la délégation et se dirigea vers la proéminence où Al Wab l'attendait ; quand il fut à la distance d'une traite de coursier, le chef targui sauta de sa chamelle sur un pur sang richement harnaché et fonça au galop, la sagaie haute, suivi par une dizaine de cavaliers qui l'imitaient en tout. Arrivé à quelques pas du cortège peul, il mit pied à terre ; Hamidou l'imita et les deux chefs se serrèrent la main avec une affection visible. Les guerriers des deux armées se mêlèrent fraternellement et tous se dirigèrent vers Goundam. Chefs et notables furent reçus par Al Wab sous une immense tente dressée exprès.
— Hamidou Cheikou ! s'écria AI Wab.
— Voilà! répondit Hamidou.
— Il est d'usage que celui qui reçoit fasse un cadeau au nouvel arrivant.
— Certes oui ; c'est une coutume chère aux gens bien élevés et dans les bonnes traditions.
— Eh, bien, je te donne comme gage de mon amitié toutes les terres dépendant de Goundam. Aucun Targui n'y lèvera plus sa sagaie contre toi.
— Ce don, que tu viens de faire, ce n'est ni à moi ni à mon père, mais à Dieu et à son Prophète que tu l'as fait.
Hamidou demanda à Al Hadji Modi de remercier Al Wab.
— Le seigneur AI Wab a compris que cette vie n'est qu'un bien misérable et sans grande importance, dit Al Hadji. Nous sommes témoins qu'il a cru en Dieu et en son Apôtre ; il vient de nous éviter à tous une lutte qui, débutant comme une guerre sainte pour la défense d'une cause juste et pieuse, risquait de dégénérer en un combat où nos deux races n'auraient cherché qu'à venger leur honneur. Le différend qui nous opposait n'est plus qu'un cauchemar évanoui : qu'Al Wab en soit loué !
Après trois jours, le chef targui dit à Hamidou et à ses notables :
— Il faudrait que nous allions à Amolass, chez mon oncle Sérim vers qui vous aviez été envoyés.
Les troupes d'Al Hadji Modi furent désignées pour accompagner Hamidou. Celles de Sambourou Kolado devaient rester dans le Tyôki et celles de Tyambadio rejoindre les forces de Cheikou dans le Farimaké en attendant l'issue de l'entretien avec Sérim ag Baddi.
Arrivé près d'Amolass, Al Wab fit camper l'armée peule et s'avança vers la tente de Sérim accompagné seulement de Hamidou et de quelques notables. Sans préambule ni détours, il déclara :
— Mon oncle, l'homme peul est venu : c'est un garçon de quinze ans. Mais il est plus grand que le poisson qui avala Jonas. Je lui ai prêté serment de fidélité et suis prêt à combattre pour lui.
Sérim, qui était à demi couché, se dressa brusquement sur son séant et, frappant son bouclier avec la garde de son sabre, il s'écria :
— Qu'as-tu fait, misérable ?
Sur ces entrefaites, la femme de Sérim apparut, tenant le petit Fondo Goumo dans ses bras ; elle reconnut Hamidou Cheikou et lui dit :
— O mon frère Hamidou Sissé, sois le bienvenu sous la tente du père de Fondo Goumo, comme lui et sa mère le furent dans la demeure de ton père. Qu'on apporte du lait !
Une servante apparut tenant une écuelle de bois sculpté remplie de lait frais. La femme de Sérim la prit et l'offrit de ses mains à Hamidou. Ce dernier, connaissant les usages touareg depuis qu'il était avec Al Wab, prit l'écuelle en souriant, y porta les lèvres, but à long trait et rota bruyamment pour marquer sa satiété et sa satisfaction 16. Ce spectacle simple et touchant acheva d'attendrir le cœur de Sérim. Il regarda Hamidou et dit :
— Le lion et la panthère sont féroces, mais jamais avec leurs petits. Tu as bu mon lait, Hamidou Cheikou. Eh bien, tant pis pour Al Wab : son père, Hamalas Wantakiya, qui était mon frère, a été tué par les Peuls. S'il consent à ne pas le venger, je ne vois pas pourquoi je combattrais plus longtemps Cheikou Amadou qui pouvait tuer ma femme et mon fils et ne l'a pas fait.
Al Wab, vexé, répondit :
— Ton père, tué par les Mossi à Bourgoubangou, attend encore d'être vengé ; le mien pourra bien attendre aussi sans que j'ai à en rougir.
Sérim ag Baddi reprit :
— A mon tour, je prête serment de fidélité à Cheikou Amadou. Je donne à son fils, comme cadeau de bienvenue, tout le territoire de la boucle du Niger, de Tombouctou à Gao.
Sérim, Hamidou et leur suite se rendirent à Tombouctou où tous prêtèrent également serment de fidélité sans difficulté. Ces événements étendirent l'empire de Hamdallay jusqu'à Gao.
Al Hadji Modi reçut du grand conseil l'ordre de placer Sambourou Kolado à la tête du Tyôki, à Atta, et Tyambadio Jooro YaalalBe à Youwarou sur le bord du lac Débo. Des représentants de Hamdallay furent envoyés dans tous les villages importants, mais la région de Tombouctou continua à s'administrer directement selon les lois établies par les Arabes. Quant à Hamidou, il resta à Tombouctou pour y terminer ses études.
La soumission à Hamdallay du pays de Tombouctou n'était pas faite pour plaire à la famille Kounta dont le chef était Cheik Sid Mahamman ben Cheik Sid Mouktar el Kébir. Cette famille qui avait répandu l'Islam dans ces régions et qui comptait un nombre considérable de saints, ne pouvait se laisser supplanter sans réaction par des bergers peuls convertis de la veille. La résistance Kounta débuta timidement. Pour un oui ou pour un non, Cheik Sid Mahamman, abusant des égards que lui prodiguait personnellement Cheikou Amadou, revendiquait des droits inexistants, protestait contre des décisions judiciaires ou politiques et exprimait ses désirs d'un ton si impératif et doctrinal qu'ils en devenaient des ordres. Finalement Cheikou Amadou vit le grand conseil se dresser contre lui en raison des faiblesses manifestes qu'il avait pour Cheik Sid Mahamman et qui le poussaient à faire au chef de la famille Kounta des concessions en opposition avec le droit et la justice.
Les Arma, de leur côté, se mirent à protester contre les agissements arbitraires de leur chef Alkaydi Abâbakar, laissé en fonction à Tombouctou par les Peuls. Le mécontentement devint général à tel point qu'une guerre civile allait éclater. Le grand conseil, malgré l'avis de Cheikou Amadou, déclara que les Kounta étaient à la base de toutes les difficultés rencontrées dans la région de Tombouctou, que celle-ci devait recevoir le même statut que les autres provinces de l'empire et être gouvernée par un fonctionnaire choisi à Hamdallay. Amadou Alqali fut nommé gouverneur militaire de tout le pays allant de Diré à Gao. Il reçut l'ordre d'installer des chefs autochtones qui administreraient directement. Il fut décidé que les Touareg seraient soumis aux mêmes lois que les sédentaires. En arrivant à Tombouctou, et conformément aux instructions reçues de Hamdallay, Amadou Alqali ferma toutes les mosquées privées qui foisonnaient dans tous les quartiers ; il décréta Dyinguéray Ber mosquée du vendredi et unique sanctuaire de la ville : tous les habitants étaient tenus d'aller y faire les prières canoniques. Un certain Baber, homme dévoué à la cause Kounta y présidait les prières. Amadou Ailloli remarqua vite le manque de tenue de cet imam. Il réunit le conseil des notables et nomma à la place le chérif Sansirfi ben Ousmane. Puis il rendit compte à Hamdallay. Sa décision fut entérinée et Sansirfi devint en fait le chef civil et religieux de Tombouctou.
Cheik Sid Mahamman se fâcha et on ne peut dire qu'il eut tort, car le grand conseil ne lui avait réservé aucun rôle à jouer ni dans le domaine spirituel ni dans le domaine temporel. Il prit le parti de combattre en se servant de sa plume, qu'il avait alerte et élégante, comme d'une épée. Secondée par un esprit prodigieusement cultivé, elle devint une arme terrible contre les Peuls. Les Kounta dirigeant l'opinion politique et religieuse du pays, tous les habitants se liguèrent naturellement avec leur directeur spirituel. Ce fut pour lui un jeu de retourner les Arma et les Touareg contre Hamdallay. Il accepta de soutenir Amadou Alfaka Koudiadio et le jawanDo Housseyni qui avaient suivi Woyfan et cherchaient partons les moyens une occasion de se venger de Cheikou Amadou. Cheik Sid Mahamman s'offrit par ailleurs pour défendre tous les mécontents. C'était une façon manifeste de provoquer Hamdallay et de pousser le grand conseil à une réaction qui devait servir ensuite aux Kounta de prétexte pour engager la lutte contre Cheikou Amadou.
Entre autres interventions intempestives, Cheik Sid Mahamman demanda la restauration de la famille d'Alkaydi Abâbakar dont le fils Mohammad avait détourné le tiers de la zekkat destinée à acheter des armes pour la Dina. Cheikou Amadou fut obligé de suivre le grand conseil et refusa de donner satisfaction au chef Kounta. Mais pour justifier son refus, il écrivit des lettres dans le style onctueux et déférent qu'il ne cessa d'utiliser jusqu'à sa mort pour ses relations épistolaires avec Cheik Sid Mahamman 17. Les Arma et tous les habitants de la région de Tombouctou refusèrent tacitement d'obtempérer aux prescriptions religieuses de Hamdallay. Ils suscitèrent un mouvement d'opposition contre Sansirfi. Tout jugement rendu par celui-ci était l'objet d'un appel à Cheik Sid Mahamman qui reprenait la procédure et prononçait une sentence, la plupart du temps identique à celle de Sansirfi. Amadou Alqali, qui était juriste, comprit le manège. Il demanda à Hamdallay de lui donner l'ordre d'interdire aux Kounta toute immixtion dans les affaires civiles et religieuses des territoires relevant de son commandement. Cette mesure réduisait les Kounta à l'impuissance et les plaçait dans une situation sociale qu'ils ne pouvaient supporter. Quand Amadou Alqali reçut l'ordre de l'appliquer, Cheik Sid Mahamman conseilla à tous ceux qui relevaient de son obédience de ne plus payer aucune redevance à Hamdallay. Non seulement les taxes de l'année en cours ne furent pas payées, mais certains percepteurs arma se permirent de détourner celles qui avaient été déjà perçues. Des pétitions appuyées par le chef des Kounta furent adressées à Hamdallay contre Sansirfi et le gouverneur militaire. Amadou Alqali très bien informé, n'eut aucune peine à démasquer la cabale montée contre lui et contre l'imam ; il se justifia aisément en fournissant un compte-rendu précis au grand conseil. Il demanda en outre que l'on envoie un percepteur armé pour faire rentrer les taxes dues.
Le grand conseil décida que les impositions dues seraient payées de gré ou de force. Il envoya les instructions suivantes à Cheikou Seydou :
— Les habitants de la province de Tombouctou et dépendances, ont porté plainte contre les représentants de la Dina, Amadou Alqali et Sansirfi, nos deux frères en Dieu. Ils les ont accusés de choses graves. Une enquête menée par des hommes craignant Dieu a confirmé phrase par phrase le compte-rendu fait par Amadou Alqali et établi la non-culpabilité des accusés. Par leur conduite, les habitants de la région de Tombouctou semblent suivre une voie autre que celle de Dieu. Ils ont calomnié les représentants du Vicaire du Prophète. Ils ont dit insidieusement à ceux qui voulaient les entendre : secourez vos maîtres spirituels maltraités par Hamdallay. Certes, des polythéistes avaient dit aux leurs, en parlant d'Abraham, notre père spirituel : « Brûlez-le ! » Mais Dieu le clément a dit : « O feu ! sois froid et salut pour Abraham ! et alors qu'ils voulurent perdre Abraham, nous fîmes d'eux les pires perdants (XXI, 69-70). » Allah a sauvé l'honneur et la réputation d'Amadou Alqali et Sansirfi comme Il sauva jadis Moise des eaux et de la calomnie de Pharaon l'impie. Le grand conseil applique aux deux accusés le verset suivant : « Nous fîmes d'eux (tous) des conducteurs dirigeant (le peuple) sur Notre ordre, et Nous révélâmes la réalisation des bonnes œuvres, l'accomplissement de la Prière et le versement de l'Aumône et ils furent envers Nous en dévotion (XXI, 73). »
Ceux qui font la prière et refusent de payer la zekkat manquent à un article de foi. Ils sont pareils à ceux qui traitent les versets coraniques de mensonge. Nous ordonnons de les combattre jusqu'à ce qu'ils s'acquittent des sommes dues tant pour le présent que pour le passé. Nous donnons au nom du Vicaire Cheikou Amadou, agissant pour le compte de Dieu et de son Prophète, ordre à Cheikou Seydou d'user de toutes les mesures, sans en exclure le fouet, le bâton, le sabre et même l'arme à feu, pour faire rentrer Dieu, son Prophète et les pauvres, dans leurs droits légitimes. Au cas où Cheikou Seydou se trouverait dans l'obligation de faire parler la poudre, il en avisera à l'avance les chefs du Farimaké, d'Attara et de Tombouctou qui s'apprêteront à la rescousse le cas échéant.

Quand cette lettre parvint à Tyouki, Cheikou Seydou de son propre chef, se fit remplacer par son frère Nouhoun Seydou, un homme violent et cupide 18. Les percepteurs commencèrent par Diré. Haman Sidali qui commandait la région réunit les gros commerçants, les cultivateurs et les éleveurs. Chacun était tenu de faire une déclaration exacte de sa fortune. Tous s'exécutaient avec une bonne volonté telle qu'on ne parlait plus que de la lâcheté des gens de la contrée. Quand vint le tour des habitants de Diré même, Haman Sidali, pour donner l'exemple, se mit à dénombrer ses biens avec une précision qui irrita sa femme Nana Filali, originaire de Tombouctou. Elle sortit de sa case et laissa tomber à terre avec fracas une écuelle de bois qu'elle tenait à la main. A ce bruit insolite, tous les regards convergèrent sur elle. Profitant de l'attention générale, elle s'écria :
— Sawda ! Sawda ! 19 sors mes affaires et emballe-les. Je préfère m'en aller d'ici et me noyer dans le fleuve plutôt que de partager la couche d'un homme qui, par lâcheté, en arrivera à énumérer pour être taxées les rangées de perles que je porte à mes hanches, sous mon pagne, pour agrémenter nos ébats intimes.
Haman Sidali fut pris d'un accès de colère violent et soudain. Machinalement il sortit une tabatière de sa poche et aspira par les narines la poudre que l'on cachait soigneusement aux agents de Hamdallay, l'interdiction de priser étant formelle. Un des hommes de Cheikou Seydou, avec la vivacité d'un maître qui surprend un élève en faute, lui dit :
— Es-tu fou de priser ?
— Je suis plus fou que tu ne le penses, reprit Haman Sidali, et pour te donner un avant-goût de ma folie, prends toujours ceci en attendant quelque chose de mieux envoyé.
Et joignant le geste à la parole, il appliqua une gifle retentissante sur la joue droite de son interlocuteur. Ce fut le signal d'une bagarre. Les agents peuls durent faire usage de leurs armes pour se dégager et ils allèrent se retrancher dans leur forteresse.
Le lendemain, Cheikou Seydou fit cerner la ville. Tous les notables arma furent arrêtés. Haman Sidali avait pu s'enfuir à la faveur de la nuit, il alla se réfugier à Tombouctou et se mit sous la protection de Cheik Sid Mahamman disent les uns, sous celle d'Alkaydi Abâbakar, ancien chef des Arma disent les autres. Sérim ag Baddi, apprenant l'incident de Diré, se rendit à Goundam pour obtenir un complément d'information.
— Tu ne perds rien pour attendre, lui dit-on ; toi aussi tu devras déclarer toutes tes richesses et les étaler aux yeux des agents peuls comme une revendeuse étale sa marchandise à la vue des chalands. Cheikou Seydou, appuyé sur sa lance, dira : « prenez-lui tant ; laissez- lui tant, et s'il réclame, faites-lui mordre la poussière. » Et ce n'est pas tout, les nomades seront obligés de se sédentariser ! »
— Et quoi encore ? reprit Sérim qui perdait visiblement contenance. Si Hamdallay veut traiter les Touareg comme les cultivateurs et les pêcheurs, je reprendrai mes territoires. Mais j'irai auparavant à Tombouctou voir Cheik Sid Mahamman : il me fixera sur ce que je dois dire et faire.
Sérim, en arrivant dans la ville, trouva le recensement en train de se faire avec une rigueur excessive. Il en fut indigné. Il demanda au chef Kounta s'il pouvait, sans encourir la colère de Dieu, reprendre sa parole et combattre Cheikou Amadou pour soustraire les Touareg au traitement qu'on voulait leur infliger comme s'ils avaient été sédentaires.
La réponse de Cheik Sid Mahamman fut évasive, mais il est certain que Sérim reçut bénédictions et amulettes, du chef Kounta lui-même disent les uns, de son jeune et fougueux fils Cheik el Bekkay disent les autres. Ces amulettes devaient assurer à Sérim la victoire sur les Peuls redoutables par leur nombre et leur valeur militaire. Le chef targui envoya dire à Amadou Alqali et à Sansirfi que les Arma et les Touareg s'étaient affranchis désormais de la suzeraineté de Hamdallay. Amadou Alqali voulut faire arrêter Sérim, mais trop tard : celui-ci avait quitté Tombouctou le jour même à l'aube, il était en train de courir vers son repaire pour s'y préparer à secourir Tombouctou. Tous les notables de la ville furent arrêtés, y compris les gros traitants étrangers fixés depuis des années : les uns venaient du nord, d'autres du pays Mossi, de Kong, de Koutougou. Ils furent dirigés sur Hamdallay.

Bokari Borel 20 reçut une armée pour aller secourir Amadou Alqali et Cheikou Seydou. Il fut nommé chef militaire de la région, en remplacement d'Amadou Alqali qui, n'ayant pu tenir, avait évacué Tombouctou. Les partisans d'Alkaydi Abâbakar s'étaient retirés à temps dans la ville et y avaient organisé la résistance. Bokari Borel les assiégea. Les Arma firent prévenir Sérim ag Baddi. Cheik Sid Mahamman reçut un sauf-conduit pour sortir de Tombouctou avec toute sa famille. Dès que le saint homme, dont les Peuls redoutaient manifestement la puissance occulte, se fut éloigné, Bori Borel, ayant appris que des troupes blanches étaient concentrées dans la ville et y préparaient une sortie, ordonna de renverser le tata. Ce fut une rude opération. Mais les Peuls possédaient des chevaux de choc spécialement dressés. Par vagues successives, ils ne cessèrent d'ébranler les murailles jusqu'à ce qu'un pan en fut renversé 21. Les Arma et les Maures se réfugièrent alors dans les cases et en barricadèrent les entrées. Les Peuls pénétrèrent dans Tombouctou et commencèrent à démolir les murs et enfoncer les portes. Un combat de rues s'engagea un peu partout. Mais la résistance arma manquait de vigueur. Ces citadins habitués à la vie facile furent vite culbutés par les troupes de choc peules, ils déposèrent les armes en offrant toute leur fortune pour avoir la vie sauve 22.
Sérim ag Baddi, peut-être encore retenu par des scrupules ou redoutant les maléfices de Hamdallay, ne s'était pas immédiatement porté au secours de Tombouctou comme l'avaient espéré les Arma. Il n'en continua pas moins à préparer les Touareg au combat en vue d'opérations ultérieures. Bori Borel pacifia le pays, depuis Diré, aidé par Cheikou Seydou. Mais ce dernier fut rappelé à Hamdallay : il avait à répondre des événements graves qui s'étaient déroulés dans le Farimaké et au cours desquels les SonnaBe révoltés avaient sauvagement assassiné Nouhoun Seydou qui assurait l'intérim de son frère. Bori Borel chargea Cheikou Seydou de faire le compte-rendu des opérations qui lui avaient permis de rétablir l'ordre de Diré à Gao ; il lui confia en outre le cinquième du butin et le montant des taxes perçues. Ainsi, comme un chef victorieux couvert de gloire, Cheikou Seydou prit le chemin de Hamdallay où une disgrâce cruelle l'attendait.
Reçu avec honneur lors de son arrivée, il voulut rendre compte au grand conseil de la prise de Tombouctou, mais le doyen l'interrompit :
— Cheikou Seydou, lorsque tu as à annoncer à la fois à un même homme un malheur et un bonheur, la sagesse recommande de commencer par l'événement fâcheux afin que la joie de l'événement heureux vienne adoucir l'amertume causée par le premier. Tu t'es couvert de gloire à Tombouctou, mais tu te trouves en mauvaise posture dans le Farimaké. Tu as de ton propre chef désigné ton frère Nouhoun Seydou pour te remplacer. Si sa gestion avait été irréprochable, le grand conseil n'aurait eu que des compliments à t'adresser pour avoir su choisir avec discernement ton suppléant. Mais tu as écouté la voix du sang et fait passer le sentiment familial avant l'intérêt public. Tu as confié ton territoire à un homme au coeur dur, aveuglé par la violence et l'amour des richesses. Il s'est rendu coupable de concussions et a voulu étouffer les protestations des contribuables par une force illégale. Il a péri sous les coups d'une réaction populaire. Une enquête a établi son entière responsabilité. Ton frère est mort victime de sa brutalité. Le grand conseil n'ayant été ni consulté, ni informé, et par conséquent n'ayant pu approuver la désignation de Nouhoun Seydou, ce dernier ne peut juridiquement être considéré comme un agent de l'autorité attaqué et tué dans l'exercice de ses fonctions.
Le grand conseil déclare et décide :

« Nouhoun Seydou, tué par les SonnaaBe, a été victime de sa propre violence. Son meurtrier n'ayant pu être identifié, les SonnaaBe de Tiouki seront considérés comme complices et verseront solidairement aux héritiers de la victime le prix du sang fixé par la loi. D'autre part, ton retour dans le Farimaké et la reprise de contact avec les assassins de ton frère, pouvant devenir une source de nouveaux incidents graves et susceptibles d'entraîner des effusions de sang, le grand conseil estime, dans ton propre intérêt et dans celui de la tranquillité publique, qu'il est de son devoir de te relever de ton commandement dans le Farimaké. Il te demande, au nom de Dieu et de son Prophète, d'accepter sans murmure ni rancoeur cette décision grave qu'il a la douleur de prendre à ton égard au moment même où il va avoir à rendre un vibrant hommage à tes vertus militaires.
Pour prouver au public proche et lointain que cette mesure n'est pas une disgrâce honteuse et pour dégoûter les SonnaaBe de leurs moeurs vindicatives, le grand conseil décide que le Farimaké te versera à titre de dédommagement : 2.500 bovidés, 10 chevaux de race, 1.500 gros d'or, 10 captifs, 10 servantes, 7.300 sawal en denrée de ton choix, et deux millions 23 de cauris. Les denrées et les cauris seront payés chaque année jusqu'au jour où tu seras désigné pour prendre le commandement d'une autre province. Tes propriétés foncières dans le Farimaké seront rachetées par la Dina. »

Cheikou Seydou accepta docilement la décision prise par le grand conseil et remercia pour les ménagements pris à son égard pour lui permettre de supporter plus facilement la mort de son frère et la perte de son commandement. Après la grande prière du vendredi, toutes les notabilités de Hamdallay furent réunies devant la mosquée et Cheikou Seydou fut invité à faire publiquement le compte-rendu de l'expédition de Tombouctou. Il s'en acquitta sans que rien dans sa voix ne trahisse l'amertume de sa récente destitution. Il remit la liste du butin. Cheikou Amadou en personne le félicita et le bénit ; tout Hamdallay se réjouit en son honneur.
Dans la même semaine, le grand conseil procéda à des nominations. Hamidou Cheikou, qui venait de terminer ses études et d'atteindre sa majorité, fut placé à la tête de Goundam. Bokari Modi fut désigné pour prendre la succession de Cheikou Seydou dans le Farimaké. Gouro Seydou fut nommé chef civil de Tombouctou et Bori Borel gouverneur militaire de la région de Diré à Gao.

Le chef peul de la ville de Tombouctou, Gouro Seydou, devint vite très populaire, au point que sa réputation surpassa celle de Bori Borel, gouverneur militaire de la région. Ce dernier, par jalousie, se mit à créer des ennuis à son collègue. Extrêmement susceptible, comme tout Peul de bonne race, Gouro Seydou, se retranchant derrière le droit et la justice, prit une attitude qui fit vite comprendre à Bori Borel qu'il n'était pas homme à se comporter en subordonné docile. Il en résulta une tension entre les autorités civile et militaire à Tombouctou. Les riches commerçants arma et les Kounta, qui dirigeaient les Touareg, s'employèrent à élargir la déchirure qui séparait les deux chefs peuls et leurs partisans. La région retomba ainsi dans une anarchie qui ranima ou réveilla les espoirs de ceux qui désiraient être débarrassés des Peuls.
Les commerçants maures et arma se concertèrent. Leur corporation réunit une forte somme pour permettre à Cheik Sid Mahamman de revenir d'Azouad où il s'était retiré depuis les événements de Tombouctou. Le chef Kounta, plus célèbre par sa piété que par ses intrigues politiques, n'accepta pas la proposition. Mais il n'abandonna pas la lutte contre les deux grands dangers qui menaçaient l'influence de sa famille : l'homogénéité des foulaphones d'une part, l'expansion de la secte Tidjaniya d'autre part. Avant de mourir le 2 chawwal 1241 (12 mars 1826), il fit venir ses enfants et notamment : Cheik Sid Hammâda, Cheik Mouktar Sêghir, Cheik Hamman Lamine, Cheik Sidiyya, Cheik el Bekkay (Ahmed). A chacun, il donna une bénédiction spéciale et un nom divin permettant de lutter contre les mauvais esprits et de résister aux ennemis. Pour les Kounta, les tidjanistes incarnent les mauvais esprits et Hamdallay représentait l'ennemi à vaincre.
Après le deuil de son père, Cheik Sid Mouktar Séghir accepta volontiers de venir se fixer à Tombouctou auprès de ses fidèles. Mais son activité déborda le cadre des affaires spirituelles ; ses moqqadems se mirent à briguer en sourdine l'autorité politique et le monopole du gros commerce ; ils reçurent l'ordre précis de se montrer tolérants et hospitaliers envers tous, sauf les tidjanistes et les sujets de Hamdallay. Les Touareg, enhardis par le retour à Tombouctou d'un représentant de leur saint patron, se remirent au pillage. De 1242 à 1247 (1826 à 1831), la réaction peule fut timide et sans effet. Bori Borel dans la région de Tombouctou, Bokari Modi dans le Farimaké, et toutes les troupes échelonnées le long du Bara Issa et de l'Issa Ber, n'arrivèrent pas à maintenir les Touareg en respect 24.
La mésentente entre Gouro Seydou et Bori Borel ne facilitait d'ailleurs pas les choses. Hamdallay recevait tour à tour des renseignements contradictoires et les marabouts kounta à l'arbitrage de qui il était fait recours, ne cherchaient ni à éclaircir ni à arranger les affaires. Les hésitations du grand conseil achevèrent de ruiner l'autorité peule dans la région. Cheikou Amadou tenait à ne pas prendre les armes contre la famille Kounta. Mais cette dernière, poussait les Touareg à la révolte en leur prodiguant bénédictions et amulettes contre Hamdallay. Le grand conseil déclara :
— Voilà environ cinq ans que la région de Tombouctou nous échappe ; notre souveraineté n'y est que nominale. Pour redresser la situation, il n'y a que la force des armes.
Cheikou Amadou répondit :
— Nous ne pouvons pas combattre un adversaire dont la ruine entraînerait la nôtre. Les Kounta semblent ignorer que j'ai été béni par l'un d'eux et que la décadence de ma famille ou de la Dina d'Allah que j'ai restaurée ne pourrait être que la leur. Laissons Cheik Sid Mouktar accumuler les torts de son côté, et nous aurons alors un compte facile à rendre à Dieu.
Si cette réponse était philosophique et mystiquement louable, elle ne pouvait rétablir l'autorité chancelante de Hamdallay. Le grand conseil passa outre et décida de combattre les Touareg. Vers la fin de l'année 1246, des ordres furent envoyés à Bori Borel, à Bokari Modi, à Amadou Sambourou qui assurait l'intérim de son père, et à tous les chefs de guerre du Gourma. En 1247 de l'hégire, le grand conseil envoya à Cheik Sid Mouktar el Kounti une lettre conçue dans les termes suivants :

« Au nom d'Allah le Bienfaiteur, dont les effets de la miséricorde dépassent la rigueur des châtiments. O Dieu ! répands le salut et accorde tes grâces à Notre Seigneur Mohammed, l'Apôtre illettré dont le cerveau, illuminé par tes rayons divins, nous apprit comment célébrer matin et soir ton Nom sanctifié. O Dieu, répands tes grâces sur la famille et les Compagnons de ton Prophète, jusqu'à la fin des siècles.
Le collège des marabouts, humbles et sans grande science 25, entourant le Vicaire du Prophète, le savant et sage Cheikou Amadou, fils de Mohammed, imam de Hamdallay et chef de la Dina, à son excellence Cheik Sid Mouktar Séghir el Kounti, le pieux descendant du grand ascète Cheik Sid Mahamman, illustre rejeton de Cheik Sid Mouktar el Kébir le saint.
A partir du moment où, en 1241 de l'hégire, vous avez hérité les objets sacrés laissés par notre saint maître, Cheik Sid Mahamman votre père, un espoir heureux avait pénétré nos coeurs. Nous nous étions dit en public et en privé : l'homme qui guidera désormais l'ensemble des Arma et des Touareg est de ceux dont le coeur n'est rempli que du désir de la dévotion pure et désintéressée. Il recherche le moyen de faire régner la paix autour de lui et autour de nous. Abandonnons-lui tacitement les affaires. Mais, contre notre attente et à notre grande stupéfaction, la source que nous avions augurée fraîche et désaltérante, semble déverser sur nous un feu qui nous brûle. Nous avions abandonné jusqu'ici le droit que nous avions de donner des ordres et d'imposer nos décisions. Or, depuis six ans, il ne nous vient de Tombouctou que des nouvelles de nature à oppresser notre poitrine, et à nous laisser perplexes. Le devoir nous impose le chagrin d'avoir à réagir contre un désordre qui ne fait que s'aggraver, sous votre regard impassible. Bori Borel, en conséquence, a reçu des ordres précis. Il ira disperser les Touareg comme le soleil levant dissipe les ténèbres de la nuit. Nous lui avons prescrit de ménager tous ceux qui ont du sang de Cheik Sid Mouktar el Kêbir el Kounti dans les veines, sauf s'ils prenaient les armes pour aider ceux qui violent le droit des gens et la paix du pays. Quiconque se placera sous votre excellente protection sera épargné. Telle est encore une fois de plus notre déférence pour vous et les vôtres. N'oubliez pas qu'une main de fer peut être gantée de soie, mais que le tissu qui la recouvre finit par s'user.
Wa salam. »

Cheik Sid el Mouktar avertit tout le monde du danger qui menaçait le pays, mais il ne semble pas qu'il ait cherché à l'écarter. Quelques semaines en effet après cette lettre, Sérim ag Baddi abandonnait définitivement l'attitude bienveillante qu'il avait gardée jusque-là envers Hamdallay. Sourd à la voix de sa femme, il réunit un conseil de tous les Touareg hostiles à Cheikou Amadou 26 et leur dit :
— Nous avons poussé les Peuls à la guerre. Notre inimitié réciproque qui sommeillait ne peut plus être maîtrisée. Nos marabouts, notamment Cheik Sid Mouktar Séghir et son puîné Cheik Sid el Bekkay, nous assurent la victoire et la libération de nos territoires. Il faut marcher contre l'adversaire afin que de Gao à Diré, sur la rive gauche du fleuve et dans l'est du Gourma, il n'y ait plus qu'un vaste et unique champ de bataille où un Peul ne pourra ni uriner ni satisfaire un besoin naturel sans qu'un soldat monte la garde à ses côtés.
Les Arma levèrent une armée. Ils chassèrent Gouro Seydou qui rejoignit Bori Borel et se réconcilia avec lui. Avant de quitter Tombouctou pour aller combattre les Peuls, le chef arma Alkaydi Abâbakar alla consulter le sort auprès de son marabout de confiance Alqali Alhakoum, demeurant dans le quartier de Sankoré. Il lui dit :
— Semblable à Kesra, alarmé par les signes menaçants qu'il voyait sans comprendre, je viens à toi, Alqali Alhakoum pour que, usant de ta grande science des pronostics, tu me dises le sort qui m'est réservé à moi et à mes hommes.
— Certes je ne suis pas Satih 27, et tu ne me trouves pas affaissé sous le poids des ans et à l'agonie sur mon lit de mort. Mais en vérité je te le dis : aucune armée, aucun cheval, aucune chamelle ne pourra éviter de terribles revers à tes hommes si tu en prends la tète et les mène à l'attaque. Bori Borel a ébranlé le pays, et si tu marches contre lui, ce sera la fin de la gloire des Arma. Envoie à ta place ton neveu Biga Alkaysaydou Idyé. Qu'il entraîne les Peuls loin de Tombouctou, vers Goundam où Sérim et ses alliés les anéantiront.
L'armée sortit. Alkaydi Abâbakar, monté sur un cheval de parade, vint haranguer ses guerriers ; il leur dit :
— Mon neveu Biga Alkaysaydou Idyé sera votre chef. C'est lui que le destin a choisi pour chasser les Peuls de notre pays. Sa glorieuse destinée doit soulever votre enthousiasme. Attaquez nos ennemis et tuez-les comme des idolâtres ; qu'il en reste plus sur le champ de bataille qu'il n'en rentrera à Hamdallay. La malédiction de Dieu a été promise à ceux qui useraient de miséricorde envers un serpent, car cet animal a fait sortir nos premiers parents du paradis terrestre. Or Tombouctou et Dienné sont deux paradis dont les Peuls nous ont chassés. Pour nous, ce sont donc des serpents : tuez les plus considérables d'entre eux, ne les épargnez pas.
Quand Biga Alkaysaydou Idyé parut chevauchant un pur sang blanc, les griots arma se mirent à chanter :
— Les Indyo iyo idye 28 sauront que nous n'avons pas peur d'eux. C'est à leur tour d'être plongés dans l'angoisse. Nos troupes les poursuivront et ne leur donneront même pas le temps de défaire leurs pantalons pour uriner. Ils seront obligés de se soulager en courant, leurs vêtements sentiront mauvais, nous nous moquerons d'eux et nous reviendrons nous reposer des fatigues de la guerre auprès de nos femmes parfumées.
L'armée arma, en quittant Tombouctou, s'engagea dans les épineux et prit la direction de Kabara. Bori Borel, qui avait des troupes massées à Koreytaga, essaya de leur barrer la route. Il se fit battre et les Arma le poursuivirent jusqu'à Koura. Il voulait profiter de la nuit pour se replier vers Minassingué, mais ne put traverser le fleuve et dut remonter le long de la rive gauche pour se réfugier finalement à Sina, sur la rive droite. Les Arma, au lieu de le talonner comme un chasseur qui poursuit un gibier blessé à mort, se rendirent à Diré. Bori Borel eut ainsi le temps de réparer ses forces et de faire appel à des troupes fraîches venues de Saréyamoy et qui campaient à Baney et à Danga. Ayant reconstitué et renforcé son armée, il traversa le fleuve à Koura et se porta rapidement sur Diré. Il échelonna ses hommes le long du marigot, depuis le village de Koundi jusqu'à celui de Kobé.
La victoire remportée au cours de leur premier engagement contre les Peuls, avait gonflé les narines des Arma et leur chef Biga Alkaysaydou Idyé se faisait saluer de futur pacha. Un de ses hommes quitta Dié et alla trouver Alkaydi Abâbakar à Tombouctou ; il lui dit :
— J'ai déserté pour venir te faire part de mes appréhensions. Ton siège mal assis chancelle et ton neveu, qu'il le veuille ou non, finira par le renverser et avec l'appui de ses soldats, il prendra ta place.
En entendant ces paroles, l'entourage d'Alkaydi Abâbakar, ses amis et ses favoris déclarèrent :
— Nous avions toujours craint de voir ton neveu agir ainsi. On prétend qu'il ne faut jamais prêter ni sa femme ni son bandeau de commandement. Biga Alkaysaydou Idyé juge ce dernier trop beau pour ta tête chenue. Comme tous les usurpateurs, il profitera de la popularité que lui donnera sa victoire sur les Peuls pour te renverser. Ce sera le point de départ d'une longue guerre civile. Nous estimons indispensable et urgent que tu t'envoles comme un faucon et que tu fondes sur cet usurpateur en puissance pour lui reprendre le commandement des mains alors qu'il en est encore temps. Ce coup le rendra semblable à une graine sans germe : il se repentira et se soumettra.
Alkaydi Abâbakar réunit une escorte de 350 cavaliers, prit ses armes et se dirigea sur Diré en longeant le marigot qui va de Koriyomé à Goundam afin d'éviter l'armée peule sur les positions de laquelle il était renseigné. Il passa par Almansarata, Dongoy, et Bankoré, ne s'arrêta à Goundam que le temps nécessaire pour laisser souffler les montures et continua sur Diré. Biga Alkaysaydou Idyé, apprenant l'arrivée inopinée de son oncle, se porta au devant de lui pour le recevoir. Dès qu'Alkaydi Abâbakar aperçut son neveu, il se leva sur ses étriers et s'écria :
— Enfant parjure, je te somme de descendre de ton cheval et de venir te prosterner dans la poussière à mes pieds. Si tu refuses, le soleil ne disparaîtra pas à l'occident sans que tu sois passé, ainsi que tous tes partisans, au fil de l'épée.
Ne tenant aucun compte de ces menaces, Biga Alkaysaydou répondit :
— Mon oncle, tu es venu alors que tu connais le désastre que peut nous coûter ta présence à la tête de notre armée...
— Tais-toi, ingrat ! Je suis venu te relever de ton commandement et étouffer dans l'oeuf tes espoirs criminels.
— Mais, mon oncle, nous allons être battus.
— Tant pis ! Je préfère obéir aux Peuls plutôt que de voir le bandeau de commandement arma sur ta tête maligne.
Biga Alkaysaydou, qui n'avait vraisemblablement pas les intentions qu'on lui prêtait, descendit de son cheval et rendit hommage à son oncle avec une telle humilité qu'Alkaydi Abâbakar regretta d'avoir suspecté les sentiments de son neveu.
Les Peuls, qui depuis deux jours ne se décidaient pas à attaquer, malgré les provocations de l'adversaire, se rangèrent en ordre de bataille et foncèrent sur Diré. Les Arma résistèrent toute une journée, mais perdirent courage le soir ; ils lâchèrent pied et allèrent se réfugier dans la ville dont ils barricadèrent les portes. Bori Borel investit Diré. Les Arma tinrent une semaine grâce aux renforts qui leur venaient par le fleuve.
Bori Borel s'en aperçut ; il donna l'ordre à la garnison peule du Tyôki, et qui était massée à Atta, de barrer la route fluviale. Tindirma, Dongouradié et El Waladyi furent occupés. Des troupes venues de Saréyamoy allèrent en outre prendre position à Minassingué et Baney. Les Arma n'avaient pas pris de dispositions pour soutenir un long siège. Le nombre des combattants bloqués dans Diré, rendit vite la situation intenable. Alkaydi Abâbakar décida de tenter un grand coup. Il ordonna de percer les lignes des assiégeants ou de mourir, pour éviter la famine. A l'aube du dixième jour de siège, les Arma firent une sortie avec une telle impétuosité que l'armée peule surprise ne put leur barrer le passage.
Bori Borel s'étant ressaisi, donna l'ordre de poursuivre les fuyards. Ils furent rejoints entre Diré et Goundam. Ce fut un véritable carnage. Haman Sidali Ali, Alkaydi Abâbakar, Alfa Kalifa Sanadyé et 410 autres notables arma furent tués. De partout, les Arma envoyèrent leur soumission et de l'argent pour racheter les prisonniers de marque dont le nombre s'élevait à 800.

Les Arma défaits, Bori Borel envoya à Hamdallay un butin considérable mais aussi un avertissement inquiétant. La coalition des Touareg était devenue redoutable : conformément à la volonté de Serim ag Baddi, la rive gauche du Niger de Diré à Gao et l'est du Gourma sur la rive droite de Saréyamoy à Gao étaient sillonnées par de puissants rezzou décidés à ne laisser les Peuls, comme on dit, ni vivre ni mourir. Le grand conseil décida la mobilisation générale. Du Bakounou au Dyilgodyi, chaque gros village devait fournir dix combattants dont quatre cavaliers, chaque village moyen deux cavaliers et trois fantassins et chaque petit village deux cavaliers ou deux fantassins au choix. On eut ainsi sur le pied de guerre 500 000 hommes susceptibles de se relayer dans la lutte contre les rezzou touareg.
Chaque année, durant la période des basses eaux, dans les régions de l'Issa Ber, de Tombouctou et de Bamba, des escarmouches avaient lieu sur les deux rives du fleuve. Les Peuls arrivaient à saisir les troupeaux, mais les guerriers touareg échappaient toujours. Sérim ag Baddi résolut d'en finir. Vers 1260 (1844) il réunit un conseil de guerre et dit :
— Depuis plus de dix ans, nous luttons vainement contre les Peuls. Nos rencontres ne se comptent plus : de Naïlé à Zalam-Zalam, nous avons été aux prises trois fois à Saréyamoy, deux fois à Passipangou, deux fois à Taoussa, à Bamba, à Séléguindé 29, etc... Or à chaque engagement, sans être battus, nous sommes finalement perdants et notre cheptel est ruiné. Il faut que cette année nous nous débarrassions de Bori Borel, et pour cela, que nous puissions masser entre Kabara et Bourem 25 000 méharistes et 10 000 cavaliers bien entraînés.
Dès les basses eaux, Sérim vint à Koriyomé et contrairement à l'interdiction que les Touareg avaient reçue de ne plus mettre les pieds à Tombouctou, il rendit visite à Cheik Sid Alouktar Séghir. Ce dernier, en plus de tous les talismans qu'il lui avait déjà donnés, lui en remit un encore plus merveilleux qui devait être porté non par lui-même mais par son fils Fondo Gumo.
— Cet enfant, dit le saint homme, est né à Hamdallay. Les effluves mystérieuses que son nom laisse échapper quand on le prononce, t'assureront la victoire sur les Peuls.
Gouro Seydou, qui avait repris ses fonctions à Tombouctou, convoqua ses conseillers : Alfa Seydou, Alfa Kassoum d'Araouane, Baba Gouddo le Peul, le grand occultiste Almami Yaya, Salika Al Boukari, un targui fidèle aux Peuls, Sidi Alwata le Kounta, Cheik Sidi Ammar el Abidine le Maure. Il les mit au courant des renseignements qu'il avait obtenus au sujet de la venue de Sérim ag Baddi et de la guerre qu'il préparait. Sidi Alwata, Sidi Lamine et Cheik Sidi Ammar furent très gênés car ils ne voulaient ni mentir, ni reconnaître une vérité qui pouvait coûter des mesures graves contre les Kounta. Gouro Seydou comprit leur embarras. Il appela Baba Gouddo le Peul à part et le chargea d'aller prévenir Bori Borel que Sérim ag Baddi préparait une attaque contre Tombouctou et Goundam. Bori Borel, qui se trouvait dans le Daouna 30, écrivit à Hamdallay pour demander une armée de 50.000 hommes décidés à en finir avec les Touareg et leurs alliés.
40.000 hommes quittèrent Hamdallay sous le commandement d'Amadou Cheikou, assisté d'Amadou Sambourou Kolado, Amadou Bouréma Khalilou, Amadou Hamma Koral, Amadou Maliki, Amadou Ali, Amadou Hamma Teddi, Amadou Alqali Arkodyo. Cet état-major fut appelé « l'assemblée des Amadou présidée par un Amadou ». Parmi les chefs de combat, on notait :

L'armée peule, à son arrivée dans l'Issa Ber, fut renforcée par 10.000 hommes sous le commandement d'Alfa Guidado Sammali, chef du Sobboundou. Les 50.000 combattants, sous l'autorité suprême de Bori Borel, furent répartis en groupes de combats et échelonnés sur les deux rives du fleuve, de Kabara à Bourera, aux meilleurs points stratégiques.
Quant aux Touareg, de Bourem à Mabrouk et de Mabrouk à Araouane 31, ils avaient mobilisés tous leurs guerriers valides et leurs alliés. Ils prirent position entre Agonégifal au nord de Tombouctou et Tédédni au nord de Taoussa 32. De ces bases, des rezzou rapides attaquèrent tous les points occupés par les Peuls sur la rive gauche du fleuve, entre Goungoubéri et Taoussa. Durant toute la saison sèche, les troupes de Hamdallay résistèrent sur leurs positions. Mais à l'approche de la crue, Bori Borel jugea plus prudent de regrouper ses forces : il ordonna aux garnisons de Taoussa, Dongoy, Agata et Gourzongoy de se replier sur Goungoubéri et Arnessey 33. Pendant que les troupes effectuaient sur la rive droite le mouvement de repli prescrit, des guerriers Tinguéréguif, Igouadaren et Irréguénaten que Sérim avait tenus cachés dans une vallée, au pied d'une longue chaîne de falaises de la rive droite 34, fondirent sur l'arrière garde peule et lui infligèrent des pertes sévères. Al Hadji Modi, qui commandait les troupes de l'est, envoya le jungo de Hamma Hammadi Ba le Buwaro à la rescousse. Les Touareg ne purent enfoncer complètement les Peuls comme ils l'escomptaient. Après plusieurs engagements au cours desquels leur chef Assolum et son fils Garakoy furent tués, ils durent repasser sur la rive gauche. Les Peuls de leur côté avaient à déplorer la mort de Haman Sambourou. Les Touareg, sur la rive gauche, ramenèrent rapidement toutes leurs forces vers Tombouctou pour y livrer un combat décisif.
Bori Borel, qui patrouillait dans le Daouna, rejoignit au plus vite Fatakara et Goundam. Il donna ordre aux garnisons de Sina, Sandyi et Koura, de prendre position le long de la rive droite du fleuve, en remontant jusqu'à Nonga et en laissant 1.000 hommes à Koura même. Pendant ce temps, les Touareg venant de l'est, du nord et de l'ouest de Tombouctou, avaient investi la ville. La garnison peule se fit presque entièrement massacrer. Sansirfi et Gouro Seydou réussirent à s'échapper et à gagner Tassakané.

Les Touareg occupèrent alors la région marécageuse de Toya, de Koriyomé à Issafay. Sansirfi et Goura Seydou leur échappèrent encore une fois de justesse ; ils ne quittèrent Tassakané qu'après avoir obtenu des renseignements qui, transmis à temps à Bori, évitèrent à ce dernier d'aller se jeter aveuglément sur le gros de l'armée ennemie. De Boya Houndou, Bori Borel se dirigea sur Dinadébé et Makalkoyré. Il traversa le fleuve et alla camper dans la zone marécageuse située entre Dyédaro et Nonga.
Les Touareg, informés de la nouvelle position de Bori Borel, disposèrent des groupes de combat sur la ligne Douwoytiré-Kiéssoubibi. Pendant un mois les Peuls soutinrent la pression des Touareg aidés par les Arma et les Songhay. Aucun avantage décisif ne fut obtenu ni par les uns ni par les autres. Sérim réussit cependant à nettoyer la rive gauche du fleuve et à rejeter tous les Peuls de l'autre côté du Niger. Il donna ordre à la puissante garnison qu'il tenait en réserve à Arham d'attaquer Koura et d'essayer de rejeter les Peuls vers le nord en leur coupant leur ligne de retraite. La garnison de Koura était commandée par Hamman Hammadi Ba. Ayant eu vent de la manœuvre projetée par les Touareg, il prit l'initiative, traversa rapidement le fleuve et surprit l'ennemi à Bourem, non loin d'Arham. Il le tailla en pièces et le poursuivit jusqu'à Tarbassan où il le mit définitivement en déroute. Les hommes de Sérim se dispersèrent dans la brousse du côté d'Arham-goy.
Revenu à Koura chargé de butin, Hamman Hammadi Ba apprit le lendemain qu'un groupe de 700 cavaliers marchait contre Taoussa. Il se porta à leur rencontre, mais trouva le village déjà pillé et détruit. Il se lança à la poursuite des Touareg, les rejoignit près de Koriya et les culbuta dans le fleuve où plusieurs se noyèrent. Ce double succès grisa les Peuls. Croyant que toutes les forces de Sérim étaient concentrées dans la région d'Arham, Bori Borel déplaça les siennes ; il leur fit traverser le fleuve au nord de Samdiar. Tablant sur des renseignements qui laissaient entendre que les Touareg se trouvaient dans l'île qui s'étend de Targassan à Makoulagoungou, il donna à toutes les troupes peules disponibles des instructions en vue d'encercler l'ennemi dans la dite île. Mais les Touareg avaient déjà fait évacuer toute cette zone par Sandyi Lambou.
Des renforts venus de Takoubawo étaient descendus jusqu'à Gallaga et avaient pris position sur la ligne Kalandyabi, Kondi, Morikoyré, Diawadon et Douta. Traversant le fleuve et opérant leur jonction avec les troupes repliées par Sandyi Lambou, ils avaient occupé Koundarma, Kongo, Baney et Binkorou. Par ce vaste mouvement tournant, les Touareg avaient coupé toute ligne de retraite à l'armée peule et ils tenaient celle-ci à leur merci.
Sérim, à la tête de 10.000 combattants, quitta Arham et longea le bras de fleuve qui mène à Ourgoungou. Bori Borel, de Garkiré, apprit la marche des Touareg ; il se porta rapidement à leur rencontre. Les avant-gardes des deux armées se heurtèrent dans la brousse entre Kaboua et Garkiré. La mêlée devint générale et les Peuls, culbutés, durent battre en retraite jusqu'à Bani. Au cours de cet engagement, ce furent les hommes d'Al Hadji Modi qui furent les plus éprouvés. Les survivants réussirent à se frayer un chemin à travers les lignes ennemies et se replièrent en désordre vers le fleuve. Harcelé par les Touareg, ayant perdu toute possibilité de contre-attaque et de manoeuvre, Bori Borel recula jusqu'à Issafay. Les Peuls furent bloqués, les uns dans l'île de Nonga, les autres entre les deux bras de fleuve au nord-est de la ligne Koyrétaga-Makoulagoungou. Les Touareg occupaient toute la rive nord de Koriyonté à Issafay.
Alfa Guidado Sammali, avec 150 cavaliers tenta une sortie. Il chargea les lignes ennemies au sud de Tassakané et enfonça le point attaqué. Mais les Touareg n'avaient fait que simuler une fuite; ils se retournèrent et Alfa Guidado Sammali fut tué avec 90 des siens. Les survivants rentrèrent harassés et découragés. Al Hadji Samba voulut venger son camarade; il surprit dans Issafay un important rassemblement de troupes. Mais lui aussi fut battu : il dut fuir jusqu'à Bani et s'y réfugier. Les eaux montaient et la situation de l'armée peule, encerclée dans une île complètement submergée aux hautes eaux, devenait chaque jour plus critique. En attendant que la flottille demandée à Hamdallay ne vienne pour assurer l'évacuation générale, Bori Borel réunit un conseil de guerre. On décida de tenter une ultime manoeuvre pour desserrer l'étreinte des Touareg. Toutes les troupes peules reçurent l'ordre d'abandonner leurs positions, d'évacuer les îles et de se retrancher sur la rive droite du fleuve, entre Dyédaro et Toya.
Ce mouvement de diversion trompa Sérim ; croyant que les Peuls se débandaient, il lança ses hommes à leur poursuite. Les troupes d'Amadou Sambourou Kolado qui tenaient le secteur au nord de Nonga, retraversèrent le fleuve à l'ouest de Toya, à l'insu de l'ennemi, et prirent position sur la rive gauche. Cependant sur la rive droite, les Touareg bousculaient les Peuls qui tout en combattant se repliaient dans les broussailles qui bordent, du côté est, les marais entre Dyédaro et Nonga. Arrivés sur une position favorable, ils se retournèrent, firent face à leurs poursuivants et leur opposèrent une résistance désespérée. Les troupes de Hamman Sidali passèrent à la contre-attaque et rejetèrent les Touareg dans l'île de Nonga. Amadou Sambourou Kolado, embusqué derrière un coude du fleuve, surprit les Touareg qui se repliaient sur la rive gauche, et les battit à l'est de Tassakané ; les Touareg s'enfuirent dans les dunes qui s'étendent à l'ouest de Tombouctou et où ils tenaient des renforts en état d'alerte. Amadou Sambourou Kolado, qui eut les honneurs de la journée, était monté durant la bataille sur son célèbre cheval Mussagga, un pur sang qui avait coûté un sawal d'or et trente captifs 35. Cet animal était si beau et si plein de feu qu'Amadou Cheikou, qui pourtant attachait peu de prix aux choses d'ici-bas, avait demandé avec insistance à l'acquérir ; mais son propriétaire ne voulait ni le vendre ni le donner. Après cet engagement victorieux, le beau-père d'Amadou Sambourou Kolado qui assumait le commandement, perdit toute prudence. Par fanfaronnade, il voulut passer la nuit sur les lieux mêmes du combat, malgré l'avis de ses conseillers qui jugeaient plus raisonnable de repasser sur la rive droite du fleuve ou, au moins, de retraverser un bras et de camper dans l'île de Nonga. Ne pouvant convaincre leur chef, ils allèrent trouver Amadou Sambourou Kolado et lui dirent :
— Va trouver ton beau-père et demande-lui de ne pas nous faire tous massacrer par les Touareg qui reviendront en force, au plus tard demain avant que le soleil ne soit au zénith. Il vaut mieux passer dans l'île pour éviter une surprise ou même un désastre. Ton beau-père aura certainement des égards pour toi, en raison de vos liens de famille et de la valeur de ta lance : il t'écoutera.
Amadou Sambourou Kolado répondit:
— Vous m'obligez à une démarche délicate. Je préférerais mourir plutôt que de laisser mon beau-père me soupçonner d'avoir peur. Mais puisque vous croyez que je peux lui faire entendre raison, j'irai le trouver après la prière de maghreb 36.
Quelques instants après cette prière, Amadou Sambourou Kolado, accompagné de son inséparable et intrépide maabo, Sorba Am Tayrou, se fit annoncer chez son beau-père. Contrairement à la bienséance peule, ce dernier le fit longuement attendre. Il avait certainement deviné pourquoi son gendre venait le voir et ne savait comment éconduire celui sur la valeur duquel il comptait le plus pour parfaire sa gloire en battant de nouveau les Touareg s'ils revenaient le lendemain. Quand il fut enfin reçu, Amadou Sambourou Kolado exposa avec un embarras visible le motif de sa visite. Après un long silence, son beau-père lui dit :
— Amadam 37, Dieu a décidé que nous coucherions sur cette rive. Il est trop tard pour changer de camp. D'ailleurs les Touareg, ayant éprouvé notre force à leurs dépens, ne viendront pas nous déranger avant demain.
Ayant essuyé l'affront d'un refus, Amadou Sambourou Kolado quitta son beau-père, glacé de honte. Il rejoignit ses camarades qui lui dirent :
— Que tu es donc resté longtemps, nous allions manger sans toi. Puisque tu arrives, viens d'abord partager notre repas et après, nous aurons toute la nuit pour t'écouter. L'entrevue avec ton beau-père a tant duré que tu dois en avoir long à nous dire. Amadou Sambourou répliqua avec un sourire amer :
— Je ne dînerai pas ce soir, et peut-être plus jamais ici-bas. Je suis transi de deux froids également mortels et qui ont transpercé mon honneur. Je ne puis demander réparation à mon offenseur car sa personne m'est sacrée. Je vais dès demain quitter cette vie pour échapper à la honte.
— Quels sont ces deux affronts? lui demanda un ami.
— Pour la première fois que je me rends chez mon beau-père, il me fait attendre pendant des heures, planté à sa porte comme un piquet usagé de vieille jument. Pour la première fois que je lui demande quelque chose, il m'éconduit, en affectant une familiarité qui rend son refus encore plus blessant.
Personne ne répliqua.
Après le repas, Sorba Am Tayrou, qui savait à quelles extrémités la pudibonderie d'Amadou Sambourou pouvait le pousser, se leva, et pour rendre la veillée moins longue et moins pénible, il lui dit publiquement :
— Pourquoi le fils de Sambourou Kolado se croit-il insulté ? La brousse n'a pas d'enceinte, ni de porte devant laquelle un homme puisse en laisser un autre planté. Quand un coeur est rempli de bravoure comme la pleine lune de clarté, il doit être plus enclin à la miséricorde qu'à la rancoeur. Ne sois pas ferme dans ton désir de mourir demain, car il y a beaucoup de jours à venir et chacun d'eux est une occasion de mourir. Si tu te faisais tuer demain, tu causerais un grand deuil à la Dina et une douleur intolérable à un coeur que je me garderai de nommer. Les marabouts qui monteront en chaire dans toutes les mosquées diront : « Paix à l'âme du fils de Sambourou Kolado ». Mais les épouses légitimes et chastes à la chevelure abondante et au regard modeste, qui attendent dans l'espoir le retour du héros, quel ne sera pas le poids de leur misère ? Fils de Sambourou Kolado, ne les oblige pas à se rouler dans la poussière de la douleur ni à s'asseoir sur la cendre du désespoir. Ne fuis pas dans la mort, en nous laissant faibles et désemparés sur le rivage où les vagues furieuses de la vie nous assaillent.
Amadou Sambourou répondit aux paroles évocatrices de son griot :
— Sorba fils d'Am Tayrou, mon coeur est loin d'être insensible. Mais les accents de ma supplication n'ont pu remuer certaines entrailles alors que mes amis angoissés en attendaient leur salut. Si un seul d'entre eux perd la vie du fait de l'entêtement d'un mien parent, comment pourrais-je garder la mienne? Les Touareg, je le sais, reviendront venger leur échec. Ils sont trop « blancs » 38 il pour laisser le souvenir d'une défaite dans leurs annales de guerre. A cette heure, ils ont déjà tenu conseil. Ils reviendront avant la fin de la nuit et l'aurore jettera ses premières lueurs sur les corps des nôtres teints de leur propre sang. Sorba Am Tayrou, selle Mussayga. Assieds-toi près de ton cheval et prépare tes lances. Ne laisse pas tes pensées s'égarer auprès des épouses qui nous attendent : leur beauté pourrait séduire ton courage et l'évocation de leurs charmes amollir ta fermeté.
Au loin dans la plaine, une hyène poussa un cri lugubre et prolongé.
Un guerrier voulut plaisanter :
— Bête immonde, va-t-en au loin, nos braves ne sont pas encore ensevelis pour que tu viennes les déterrer !
Sorba Am Tayrou ajouta :
— Pelage fauve ! cavalière de la charogne ! Reviens demain au crépuscule, tu me trouveras sans vie et partant sans défense. Tu pourras dresser ta crinière épaisse et rude, chevaucher mon cadavre et déchirer ma chair en lambeaux, je te le promets !
— Allons nous coucher, dit Amadou Sambourou Kolado. Les cris de l'hyène ne sont pas une musique mélodieuse ni de bon augure pour des guerriers en mauvaise position comme nous.
Au premier chant du coq, des ombres et des bruits insolites attirèrent l'attention des sentinelles peules qui donnèrent l'alerte à temps. Les guerriers, aussitôt sur pied, aperçurent seulement quelques méharistes qui disparaissaient vers le nord. Il n'y avait pas de doute que les Touareg étaient tout près et que, n'ayant pas réussi à surprendre les Peuls endormis, ils allaient attaquer de front. Effectivement, ils surgirent quelques instants après ; l'engagement dura jusqu'au milieu de la matinée puis, brusquement, les Touareg abandonnèrent le combat. Les Peuls traversèrent le bras du fleuve et se retranchèrent dans l'île de Nonga. Vers midi, ils entendirent des cris et virent à l'horizon des rezzou venant de quatre points différents: Tin Taïloti, Kérouat, Téchar et Tadeîna. Au lieu de rester dans l'île et d'y attendre du renfort, le beau-père d'Amadou Sambourou Kolado, plus entêté que la veille, donna l'ordre de traverser le bras du fleuve et de barrer la route aux Touareg sur une ligne qui allait du sud de Tassakané au village de Toya. Amadou Sambourou, suivi de son fidèle maabo partit dans les premiers, suivi par les plus vaillants. Arrivé sur l'autre rive, il descendit de cheval, s'habilla de buge 38 et enserra sa tête dans un turban également de buge. Puis, à la tête de son jungo, il chargea le rezzou venant de Tin Taïlou et le repoussa jusqu'à hauteur d'Issafay. Mais les autres groupes de combat peuls, qui se battaient contre les rezzous venus respectivement de Téchar, Kérouat et Tadeïna, furent enfoncés, coincés entre Toya et Koriyomé, et précipités dans le fleuve. Les Touareg se retournèrent alors contre le jungo d'Amadou Sambourou qui cherchait à les attaquer de flanc, entre Sourgou et Toya. Le rezzou de Tin Taïlou, qui, fidèle à la tactique targui n'avait fui que pour entraîner son adversaire le plus loin possible, revint à la charge. Amadou Sambourou Kolado, attaqué de partout à la fois, fut acculé au fleuve ; plusieurs de ses soldats se jetèrent à l'eau ; il resta bientôt seul avec son maabo sur la rive gauche. Voyant que tous deux allaient succomber sous le nombre, il sortit une chaîne faite de gros anneaux d'or et la tendit à Sorba Am Tayrou en lui disant :
— Prends ceci pour assurer ta vie matérielle ; je ne voudrais pas qu'après ma mort tu sois obligé de mendier auprès d'un autre Peul. Traverse vite le bras, car les Touareg que tu vois là-bas venir à fond de train me serviront de cortège pour aller dans l'autre monde.
Sorba Am Tayrou reçut la chaîne d'or, la soupesa dans la paume de sa main comme pour en apprécier la valeur, puis regarda fixement Amadou Sambourou Kolado et lui dit :
— Ta précaution est inutile ; voici ce que j'en fais de l'or que tu me donnes il, et, jetant la chaîne dans le fleuve, il ajouta : « Dès l'instant où je t'ai vu habillé en buge ce matin, j'ai su que tu resterais sur cette rive, quoiqu'il arrive. Le buge ne se lave pas, et ce n'est pas Amadou Sambourou Kolado Doursé qui serait le premier à le faire. Par ailleurs, la tradition veut que ce soit moi qui retienne un gîte partout où tu vas. Comment veux-tu que je me dérobe à ce devoir ?
Ce disant, Sorba Am Tayrou piqua des deux et lança son cheval dans la direction des attaquants en criant à Amadou Sambourou :
— A tout à l'heure dans l'autre monde où je vais te précéder pour te retenir une place !
Amadou Sambourou regarda partir son maabo en disant :
— On ne peut être plus brave ni plus fidèle. »
Dix cavaliers touareg essayèrent de barrer la route à Sorba Am Tayrou Aux cris de : « Arrêtez-le, tuez-le», qu'ils poussaient, il tira sur les rênes de son cheval et dit :
— Que le plus brave vienne se mesurer à moi 39.
Il n'avait pas dit ces mots qu'un jeune targui, qui s'était glissé derrière lui, leva sa sagaie pour le transpercer. Sorba Am Tayrou aperçut l'ombre et d'instinct se retourna pour esquiver. L'arme passa par-dessus son épaule et celle de son cheval, se ficha en terre et le manche entra en vibration.
— Ta mère a accouché d'un cadavre 40, cria-t-il à l'adresse de son agresseur, et il fit cabrer son cheval en levant son sabre. Le Targui se couvrit la tête de son bouclier, mais Sorba, connaissant cette parade, lui enfonça son arme dans le flanc gauche et le renversa inanimé. Deux autres Touareg qui se présentèrent successivement subirent le même sort. Alors, cinq guerriers s'avancèrent et criblèrent de coups l'héroïque maabo. Ils voulurent s'emparer de ses armes et de ses vêtements. Mais, au même instant, surgit Amadou Sambourou Kolado qui réussit, on ne sait comment, à les mettre tous hors de combat. Se plaçant entre le corps de son ami et les Touareg, il chargea plusieurs fois ces derniers et en tua plusieurs dans des conditions telles que les autres crurent avoir à faire à l'incarnation du diable.
Un vieux Targui, touché par tant de courage inutile, s'approcha du Peul et lui demanda :
— De qui es-tu fils à Hamdallay ?
— Je suis le fils de Sambourou Kolado Doursé.
— J'admire la bravoure même chez un ennemi. Quel service puis-je te rendre avant ta mort, car il est certain que tu ne sortiras pas vivant de ce combat.
— Je ne suis pas venu avec l'espoir de sauver ma vie. Mon compagnon que j'ai tenu à venger et qui est couché là, a déjà retenu ma place dans l'autre monde. Avant de le rejoindre, je voudrais me préparer à comparaître devant Dieu. Je désire faire les deux rekât solennelles par lesquelles un musulman en position désespérée prie pour obtenir la délivrance, soit par une mort digne, soit par un adoucissement de son sort.
Le Targui éloigna ses compagnons. Amadou Sambourou Kolado pria par deux rekât ; il se dépouilla de toutes les amulettes qui le rendaient invulnérable, les mit dans ses sacoches accrochées à l'arçon de sa selle, et resangla son cheval comme s'il allait reprendre le combat. Mais, à la surprise et à la rage des Touareg, il fit tourner Mussayga vers le fleuve et lui donna un grand coup d'entrave 41. Le magnifique coursier, pour lequel Sérim ag Baddi avait promis cinquante chameaux, cent boeufs, cinquante esclaves et un sawal d'or, partit au grand galop. Les Touareg, revenus de leur étonnement se précipitèrent les uns à la poursuite du cheval, les autres sur Amadou Sambourou. Mussayga franchit comme un vent impétueux la distance qui le séparait du fleuve, se jeta à l'eau et, remontant le courant du grand bras en direction de Nonga, il s'engagea dans les marais qui bordent la rive droite et rejoignit seul le camp peul à Zoungouhouet. Les Touareg criblèrent Amadou Sambourou de sagaies. Il s'était mis dans la position de prière musulmane dite sujjudu 42 à côté du corps de son maabo. Il mourut sans relever la tête ni pousser un cri. Les Touareg eurent la magnanimité d'enterrer les deux cadavres dans une même fosse.
Bori Borel comprit, à la suite de tous ces échecs, qu'il avait perdu la guerre. Avec toutes ses troupes, il se replia sur l'Issa Ber. Bien que battu, il avait cependant, depuis le début de la campagne, réuni un butin qui s'élevait à 80.000 bovidés, 600 chevaux et 15.000 armes de toutes sortes. L'armée peule avait à déplorer 2.050 tués et 3.152 blessés, dont 190 rendus définitivement impotents 43.
Les Touareg qui s'étaient emparés de Tombouctou y nommèrent des fonctionnaires choisis par Cheik Sid el Mouktar et contrôlés par lui. Le grand conseil, furieux, décida de bloquer entièrement la région afin de réduire la population par la famine. Il fit approvisionner tous les pays de la Dina en sel 44 et en étoffes pour une durée d'au moins quatre ans. Cheik Sid el Mouktar comprit, dès la première année du blocus, que Tombouctou ne pouvait se passer du Macina. Il tenta de négocier un rapprochement. Le grand conseil refusa. Cheikou Amadou, dominé par son esprit de charité, demanda que l'on étudie un moyen de venir en aide aux pauvres des régions de Goundam et de Tombouctou. Mais, pour le grand malheur de ces derniers, il mourut l'année suivante sans avoir réussi à fléchir l'intransigeance du grand conseil.

Notes
1. Arham, village situé a 11 kilomètres , nord de Diré.
2. Ndodyiga, région de Sa, sur la rive droite du Bara Issa ; Dirma, région entre l'Issa Ber et le Bara Issa ; Fittouga, région au nord de Saréfara
3. Sobboundou, région située sur la rive gauche de l'Issa Ber, à hauteur de Niafounké ; Haoussa Kattawal, région à l'ouest de la
4. BurdaaBe, tuareg.
5. Alfa Amadou Koudiadio était d'origine maure.
6. Hukkum, ensemble des femmes et des enfants d'un chef, avec toits leurs serviteurs.
7. Les femmes Touareg du Soudan sont engraissées an point de ne plus pouvoir se déplacées par leurs propres moyens sans être soutenues par leurs captives.
8. mbirfe, retournez
9. ndukkuwal signifie en peul chance inespérée et profit considérable ; il semble bien que les chiffres ci-dessus pour le butin soient nettement exagérés.
10. Le renvoi de la famille de Sérim et la reconnaissance que ce dernier manifesta aux convoyeurs, indisposèrent Woyfan et tout porte à croire que n'ayant plus l'appui de Sérim, il préféra abandonner la partie, car il n'est plus question de lui par la suite. D'après certains, Woyfan serait allé se réfugier à Ségou.
11. Tyooki, région comprise entre le lac Fati et le lac Horo, ayant pour centre Atta.
12. Wuldu Hoore porte-bonheur ; Gooniya est le nom du marigot qui alimente le lac Fati.
13. Hamidou devait avoir environ dix-huit ans ; certains disent qu'il avait été circoncis deux ans auparavant.
14. Amolass, au sud-ouest de Tombouctou, entre Kabara et Tassakané.
15. Cette éminence est celle où est brui actuellement le logement de l'adjoint au Commandant de Cercle de Goundam.
16. Chez les Touareg, les Maures, les Peuls et toutes les races noires d'Afrique, roter n'est pas considéré comme une incongruité ; c'est une marque de satiété et de satisfaction.
17. Ouane, 1952, L'énigme du Macina, pp. 131-138, a publié la traduction d'un type de lettres envoyées par Cheikou Amadou à Cheik Sid Mahamman (Mohammed). Il est fait allusion dans cette lettre à divers événements relatés ici. Mais la date est erronée de même que certaines interprétations.
18. Nouhoun Seydou fut assassiné, comme on le verra plus loin par les Peuls SonnaaBe, du clan Ba, ce qui provoqua finalement la destitution de Cheikou.
19. Sawda, nom de la servante de Nana Filali.
20. Bari Borel ou Bokari Borel est aussi connu sous les noms de Modi Goral, Bokari Goral et Bori Gorel.
21. Barth, Voyages, en Afrique, 1853-54, IV, p. 36, écrit : « Tombouctou n'a pas d'enceinte actuellement, celle qui y existait et consistait en un simple rempart de terre, ayant été détruite par les Foulbé lorsqu'ils s'emparèrent de la ville au commencement de 1826. »
22. Barth, Voyages en Afrique, 1853-54, IV, p. 32, parlant de Tombouctou, écrit :
« Toutefois cette ville conserve son existence comme place de commerce, en dépit des vicissitudes de la lutte de l'islamisme contre le paganisme, jusqu'à ce que sa conquête par les fanatiques Foulbé du Massina, en 1826, faillit anéantir à tout jamais son activité commerciale. Habitants et étrangers se virent traités de la manière la plus dure et les actes arbitraires n'eurent pas seulement pour victimes les marchands idolâtres du Wangara et du Mossi, mais les coreligionnaires septentrionaux des intolérants Foulbé eux-mêmes et spécialement les commerçants de Ghadamès et du Touat. »
23. Uuna ujunaaji DiDi ou ujunaaji uua DiDi, c'est-à-dire deux fois mille fois mille.
24. Deux voyageurs européens passèrent à Tombouctou durent cette période. En 1826, le major anglais Laing arriva dans la ville ; « au bout de peu de jours il en fut chassé par les Foulbé » (Barth, Voyages en Afrique, 1953-54, IV, p. 38 en note) et il périt assassiné le 23 septembre 1826.
En 1828, ce fut René Caillé. A. Lamandé et J. Nanteuil, La vie de René Caillé, 1928, p. 179 écrivent d'une façon imagée :
« A cette époque, deux ans s'étaient écoulés depuis que les Peuhls de Macina avaient chassé de Tombouctou les guerriers touareg, mais ils n'avaient pas pu dégager la rive nord du fleuve, en amont comme en aval de la ville. Les tribus nomades venues du Hoggar y patrouillaient au galop de leurs chevaux... »
« Le 20 avril au coucher du soleil, René caille entre à Tombouctou. Son rêve est enfin réalisé, en dépit des périls et des souffrances, grâce à sa volonté et à son énergie. Il écrivit :
« Je fus saisi d'un sentiment inexprimable de satisfaction ; je n'avais jamais éprouvé une sensation pareille et ma joie était extrême. Hélas, René Caillé est bientôt déçu. Tombouctou n'est pas ce qu'il avait imaginé. Il dit : Je m'étais fait de la grandeur et de la richesse de celle ville une tout autre idée elle n'offre au premier aspect qu'un amas de maisons de terre mal construites. Dans toutes les directions (autour de Tombouctou) on ne voit que des plaines immenses de sable mouvant, d'un blanc tirant sur le jaune et de la plus grande aridité. Le ciel à l'horizon est d'un rouge pâle ; tout est triste dans la nature ; le plus grand silence y règne ; on n'entend pas le chant d'un seul oiseau. »
René Caillé ne séjourna que quatorze jours à Tombouctou (H. Jaunet et J. Barry, Histoire de l'A.O.F., 1949, pp. 152-134.)
25. Manière humble de s'exprimer, très courante chez les musulmans du Soudan.
26. La liste des tribus touareg confédérées n'a pas être établie avec certitude. Quelques-unes seront citées dans la suite du récit.
27. Satih était un célèbre interprète de visions qui demeurait à Mécharif, à l'orient de la Syrie, dans le Yemen. C'est lui qui donna, le sens de la vision du roi de Perse Kesra. Abdl el Mêçith, qui avait été envoyé vers lui, le trouva presque mort.
28. Les choeurs peuls, pour accompagner la danse dite direere, repètent indyo iyo, mots qui n'ont pas de sens. Les chanteurs de Tombouctou, pour ridiculiser les Peuls, les traitent de Indyo iyo idye.
29. Naïlé, près de Tiouki est la première rencontre entre les Touareg et les Peuls. Zalam-Zalam est une dépression à 50 kilomètres nord-nord-ouest de Hombori. Saréyamoy est à 25 kilomètres sud-est de Diré. Taoussa est à une vingtaine de kilomètres ouest de Bourem. Passipangou et Séléguindé n'ont pu tire identifiés. Sur tous ces engagements, sauf celui de Naïlé, dont il a été question au début du présent chapitre, nous ne possédons aucun détail.
30. Daouna, région au sud-ouest du lac Faguibine.
31. Araouane est a 250 kilomètres environ au nord de Tombouctou ; Mabrouk à 275 kilomètres environ au nord de Bomba.
32. Agonégifal, point d'eau à 30 kilomètres au nord de Tombouctou, sur la piste d'Araouane. Tédédni n'a pas été identifié. Les Peuls ayant pris position sur la rive gauche du fleuve, les Touareg s'installent un peu plus au nord.
33. Dongoy, sur la rive droite du Niger à une douzaine de kilomètres en amont de Taoussa. Agota, sur la rive droite à une douzaine de kilomètres en amont de Bamba. Gourzongoy n'a pas été identifié. Gongoubéri est sur la rive droite, à 70 kilomètres environ est de Tombouctou ; Arnassey est sur la rive gauche à 25 kilomètres de Tombouctou.
34. Il s'agit probablement des falaise indiquées sur certaines cartes au sud de Gourma Rbarous sous le nom de Monts Borna et Monts du Takamadasset.
35. Ce prix est certainement exagéré, au moins en ce qui concerne le sawal d'or.
36. Quatrième prière de la journée, juste après le coucher du soleil.
37. Mot composé de Amadu et du suffixe possessif am, mien. Amadam qui peut se traduire par « mon Amadou » est une expression familière ou intime qui, étant donné les circonstances dramatiques, était plutôt désobligeante pour Amadou Sambourou Kolado.
38. Etre blanc, c'est-à-dire avoir de la dignité.
39. Buge, étoffe teinte en indigo foncé et illustrée, qui ne se lave pas.
40. Expression que prononce un guerrier sûr de tuer son adversaire, tant pour se donner à soi-même du courage que pour intimider l'ennemi.
41. Lorsqu'un cavalier monte un cheval, il prend l'entrave à la main et s'en sert comme d'une cravache.
42. Prosternation front et nez contre terre.
43. Cette campagne, qui dura une bonne partie de l'année 1844 et se termina par la défaite des Peuls à Toya, fut, comme on le verra, encore plus désastreuse pour les Touareg et les habitants de la région de Tombouctou que pour les Peuls. Barth, Voyages en Afrique, 1853-54, IV, p. 33. écrit :
« A la suite de ces discordes incessantes, les Foulbé furent complètement chassés de Tombouctou par les Touareg en 1844 ; il en résulta une bataille au bord du fleuve où un grand nombre des premiers furent massacrés ou noyés. Cette victoire des Touareg fut stérile et ne servit guère qu'à pousser la malheureuse ville un peu plus vers l'abîme ; en effet, Tombouctou, situé au bord du désert, ne peut se suffire et doit toujours dépendre de la tribu qui domine le pays fertile situé en amont du fleuve ; or le Massina n'avait qu'à prohiber l'exportation des blés pour mettre Tombouctou dans la situation la plus critique. »
44. Le sel est une denrée indispensable et Tombouctou en avait pratiquement le monopole. C'était d'ailleurs le commerce du sel qui avait fait la fortune de la ville. Le grand conseil avait fait constituer des stocks pour quatre ans, ce qui lui permettait d'être intransigeant et de refuser toute négociation.

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