Amadou Hampâté Bâ
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Table des matières
Avertissement
Introduction : D'où venait Wangrin ?
- La naissance
- Diagaramba
- Premier combat
- Début d'une carrière
- Où le malheur des uns
- L'orage éclate
- Le messager du comte
- Le procès
- L'âne et le miel
- Le fils de Romo et la belle Pougoubila
- La mort d'un grand chef, et ce qui s'ensuivit
- Le guet-apens
- La couvée de l'oiseau calamiteux
- Un turban encombrant
- Où chacun a sa part
- Le songe de la bergère Pullo
- Presque dans la gueule du lion
- Où Wangrin repart d'un bon pied
- Un serment qui porte des fruits
- La reconversion
- Une histoire d'éléphants
- Une arrivée inquiétante
- Belle Bichette des carrefours
- D'une pierre… deux coups
- Chaude alerte !
- Où Romo tient sa promesse et Wangrin la sienne
- Souvenir “made in Wangrin”
- Premier avertissement : le géomancien haoussa
- Madame Blanche-blanche
- Deuxième et troisième avertissements
- L'oubli fatal
- Le python sacré
- Madame Bons-offices
- La perte irréparable
- Dernier avertissement : la tourtelle au cou cerclé de noir
- Clochard et philosophe
- Les trois sangs et la mort
- L'adieu
Amadou Hampaté Bâ, le grand défenseur de la “tradition orale” africaine à l'UNESCO, né au Mali en 1901, raconte ici l'histoire d'un homme ayant réellement existé et qui fut son ami.
Cet homme, voué dès sa jeunesse au dieu bizarre “Gongoloma Soké”, dieu des contraires et de la ruse, en portait lui-même les contradictions. Bravant impunément la chance, il nous entraîne dans une suite d'aventures effrénées et parfois cocasses où nous le voyons, avec pour seules armes son intelligence, sa ruse et sa connaissance des hommes, se hisser au sommet de la puissance et de la fortune, dépouiller les riches au bénéfice des pauvres et, suprême exploit pour l'époque, rouler les “Dieux de la Brousse” d'alors: Messieurs-les-Administrateurs-Coloniaux eux-mêmes ! Mais il arrive que les dieux se fâchent… Dans l'épreuve, Wangrin révèle un visage inattendu. Le récit nous fait pénétrer dans le monde jusqu'ici peu connu d'une certaine Afrique de l'époque coloniale, celle des tout-puissants intermédiaires entre l'Administration et la population ; une Afrique où, mystérieusement, l'invisible côtoie le visible et parfois le précède dans la vie des hommes.Couverture: Pierre Bernard Sculpture bambara, photo: G. Franconohi
See also: “Who was Wangrin?”
Robert Pageard
Bâ Amadou Hampaté. “L'étrange destin de Wangrin ou les roueries d'un interprète africain.” Journal de la Société des Africanistes XLIV, 2, 1974, pp. 199-223Ce livre est l'histoire réelle, reconstituée avec une vibrante sympathie, d'un personnage qui se définit lui-même à la fin de sa vie « Moi, Wangrin, ancien interprète, ancien richard, ancien écrivain public, conteur en exercice et amuseur public sans patente... » (p. 415), et qui, au sommet de la fortune mais déjà frappé par de tristes augures, se dépeint lucidement comme un « concussionnaire » et un « voleur heureux » (p. 395).
Des anagrammes ou quasi-anagrammes transparentes permettent de situer aisément les épisodes de la vie de ce bambara Traoré, né vers 1880 dans la région de Bougouni (Noubigou), fortement éprouvée alors par Samori. Éduqué à l'école française de Kayes, Wangrin commence sa carrière administrative en 1906 comme moniteur d'enseignement à Bandiagara (Diagaramba), puis devient interprète-secrétaire du commandant de cercle, poste qu'il occupera ensuite à Ouahigouya (Yagouwahi), Ouagadougou (Goudougaoua) et Bobo-Dioulasso (Diassola). Enrichi pendant la première guerre mondiale par le détournement des bœufs de réquisition et ensuite par un systématique trafic d'influence pratiqué notamment à l'occasion de la nomination des chefs de province ou de canton, Wangrin, épris de domination matérielle, devient finalement l'un des plus riches commerçants et traitants de ГА. O. F. avant d'être victime d'aventuriers européens qui le grugent. Il meurt à Bobo-Dioulasso entre 1930 et 1940.
Comme le montrent les nombreuses notes explicatives — A. H. Bâ se comporte autant en historien et en sociologue qu'en romancier — et maints développements destinés à éclairer le lecteur européen, L'étrange destin de Wangrin s'adresse d'abord à un public lointain auquel il révèle l'exploitation africaine du système colonial telle que pouvaient l'observer les collaborateurs autochtones de l'administration. Si ce roman s'apparente, par sa destination, aux œuvres des années 50 (le colonisateur recevant des égratignures parfois sévères), il s'en distingue donc par le caractère direct du témoignage, d'où sa force. La puissance du collaborateur de l'administration coloniale apparaît ici comme supérieure à celle du chef coutumier ; l'administrateur lui-même, trop mobile, doit compter avec elle. A cet égard, l'enseignement qui se dégage de L'étrange destin de Wangrin, œuvre écrite avec pudeur et modération, se sépare de celui du Devoir de violence de Y. Ouologuem (proche compatriote de A. H. Bâ), dissection beaucoup plus ostentatoire du pouvoir à l'époque coloniale.
L'un des charmes du livre réside dans la vivacité de l'action, mais, pour qui connaît cette région de l'Afrique Noire, la séduction qu'exerce l'œuvre émane plutôt de la vérité des portraits et de celle des nombreux tableaux de la vie coutumière qui émaillent le récit. Amadou Hampaté Bâ note avec amour le détail vestimentaire, la nuance révélatrice dans la manière de donner, le geste, l'intonation, bien que la transposition des propos en français comporte quelques raideurs. Les tableaux de la vie publique à Bandiagara voici quelques décennies, l'intervention des griots louangeurs, les nombreuses scènes dans lesquelles apparaissent les devins et autres spécialistes des relations avec les forces invisibles retiennent particulièrement l'attention. Si L'étrange destin de Wangrin n'a rien de l'originalité formelle, de la truculence, qui caractérise un roman comme Les soleils des indépendances, toute la réalité africaine est néanmoins fidèlement traduite : apologues, chants, proverbes, devinettes, définitions tirées de la tradition orale sont en particulier présents. On trouve en outre dans ce livre une amusante liste de locutions africaines propres à l'époque coloniale, qui se fût sans doute perdue, et une petite anthologie du « forofifon-naspa » (français du tirailleur ou « petit nègre »). Bien que destiné dans une large mesure à un public étranger, ce roman est encore profondément africain par son esprit épique — importance du défi, du duel, de la recherche d'une certaine magnificence — et par la place qu'y occupe la foi dans les forces occultes et dans la possibilité de se les concilier. La prospérité de Wangrin est liée au « travail » des marabouts, ce qui n'exclut pas un actif respect des croyances inculquées lors de l'initiation païenne et par le milieu d'origine ; le déclin du « richard » est jalonné par la violation successive des interdits enseignés par la famille et le Komo. Le principal adversaire de Wangrin, l'interprète peul Sidibé, ne manque pas lui non plus de se munir de tous ses autels et de se purifier lorsqu'il s'apprête à diriger l'arrestation de son compatriote ; l'esprit de grande famille, qui lie tous les originaires d'une même région, explique d'autre part l'ambiguïté qui existe dans les relations publiques de ces deux protagonistes. En tant que roman de la fatalité, L'étrange destin de Wangrin a un équivalent dans la littérature africaine d'expression française : Un piège sans fin d'Olympe Bhêly-Quenum. Cette dernière œuvre baigne toutefois dans une atmosphère sentimentale trouble et inquiétante alors que la biographie composée par Amadou Hampaté Bâ présente au lecteur un réseau d'intrigues qui lui est, historiquement du moins, familier. La conception que Wangrin se fait de la chose publique reste cependant à étudier ; ce problème intéresse directement le présent et l'avenir des jeunes États africains ; la mythologie du bandit généreux ne peut donner lieu à toutes les justifications. Roman de l'ambition du « noir-blanc », peinture assez complète de toute une époque (1900- 1935 approximativement), L'étrange destin de Wangrin occupe une place originale dans la littérature africaine d'expression française. Il n'est pas surprenant que cet alerte récit ait valu à son auteur le Grand prix littéraire de l'Afrique Noire décerné par l'A.D.E.L.F. à Paris, à la fin de 1974.