Paris, Maisonneuve & Larose, 1983, 278 p.
En 1917, le Sahel de Nioro était en crise. Les réquisitions de grains, le recrutement des tirailleurs pour la défense de la France, les pénuries de médicaments, la famine et toutes les difficultés économiques nées de la Première Guerre mondiale avaient entraîné les populations à se tourner vers la religion pour y trouver un refuge.
Ce retour à l'Islam pour « échapper » aux difficultés du moment se traduisit à Nioro par le renforcement des confréries religieuses. La rivalité entre les disciples de Hamahoullah et ceux du tijânisme « douze grains » allait créer une situation sociale explosive. Dans les deux camps, la plupart des adeptes étaient turbulents.
Dans les autres localités du Soudan et de la Mauritanie à forte population hamalliste, la situation était également tendue. A Bamako comme à Kaëdi, les incidents se multipliaient. Les fidèles des confréries rivales devenaient de plus en plus intolérants et agressifs.
Des incidents sanglants se multiplièrent à Bamako. A Nioro, les extrémistes s'affrontèrent au cours de batailles rangées. Les fanatiques des deux clans considéraient ces bagarres comme de véritables guerres saintes 1.
La situation devint de plus en plus grave et en 1924, une sanglante bagarre éclata à Nioro, opposant les partisans et les adversaires du tijânisme « onze grains ».
Sur les appels incessants de certains marabouts, l'administration coloniale qui n'appréciait guère la réserve de Cheikh Hamahoullah à son égard, s'immisça de manière brutale dans le conflit religieux 2.
La suite des événements nous est révélée par Lamine Guèye, conseiller colonial du Sénégal, en ces termes :
« Un grand administrateur des colonies à l'intelligence encore plus grande, tellement qu'on se demande s'il ne serait pas justiciable de l'académie de Montyon … ou de l'asile de Charenton, a jugé que Chérif Amalia était un danger pour le prestige de la France au Soudan et pour la tranquillité de la population musulmane de l'Afrique occidentale française. ll fait donc un rapport ad hoc que soutient de toute son autorité Monsieur Descemet, secrétaire général actuel du Soudan, le même fonctionnaire qui précisément, étant commandant de cercle de Nioro quelques années auparavant, n'avait eu que des éloges à adresser au Chérif Amalia. Triste retour des choses d'ici bas … Mais passons. Donc, sur le rapport Némos-Descemet, le Gouverneur du Soudan propose au Gouverneur général l'internement en Mauritanie du Chérif Amalia dans l'intérêt de la paix et de la sécurité de son Saint-Empire du Soudan. »
Lamine Guèye n'était ni hamalliste ni tijâni « douze grains ». Il n'avait aucun lien particulier avec Cheikh Hamahoullah qu'il n'avait jamais rencontré. On ne pouvait d'aucune manière le suspecter de partialité. Avocat de talent, il n'eut cependant pas la possibilité de plaider en faveur du marabout de Nioro devant un tribunal. Le Cheikh relevait d'ailleurs de l'indigénat, dans la mesure où il n'était que sujet et non citoyen français.
Homme politique de renom et juriste distingué, Lamine Guèye fut un musulman pieux. Epris de liberté et défenseur des droits de l'Homme, le magistrat sénégalais prit fait et cause pour Cheikh Hamahoullah qui était, à ses yeux, victime de l'arbitraire colonial et de la délation des marabouts 3.
Le rapport Némos-Descemet dont Lamine Guèye fait mention est en réalité signé par le seul Descemet qui reprenait à son propre compte les thèses de Némos. Il s'agissait d'un vrai mémoire de plus de trente pages 4.
Ce rapport était accusateur. Ce réquisitoire était surtout fondé sur des calomnies. D'ailleurs, Descemet n'avait pu établir par des preuves irréfutables la culpabilité de Cheikh Hamahoullah dans les bagarres de Nioro.
Il s'appuyait notamment sur des poèmes injurieux à l'endroit de la France, rédigés et présentés par des adversaires du Chérif de Nioro. Ces libelles faussement attribuées au marabout maure par les vrais auteurs étaient considérées comme des documents à charge.
En clair, cet administrateur avait fait preuve non seulement de partialité, mais aussi de légèreté dans la mesure où il fut manipulé par les adversaires de Cheikh Hamahoullah.
Il prétendait que le marabout disposait d'agents, de « véritables postes d'écoute » dans les résidences et les bureaux des administrateurs français, ce qu'il n'a pas prouvé. Il présentait la récitation de la Jawharatu-l-Kamâli comme étant « le mot d'ordre d'une espèce de société secrète islamique ». Cette interprétation relève de l'aberration. Nous avons déjà expliqué les motifs purement religieux de cette pratique hamalliste. Pour étayer son argumentation, Descemet citait d'ailleurs de larges extraits d'un rapport du capitaine André, alors que cet officier était très peu averti des questions musulmanes. En effet, c'est avec surprise que nous avons relevé de graves confusions sous la plume 5 de cet officier qui était pourtant chargé du service de renseignements et des affaires musulmanes :
« El Hadj Omar, le prophète du Fouta, récitait douze fois la Djahourat el Kémal mais dans son traité Djavar el Mahani, il déclare que la véritable diction est de onze … Il existe un livre assez secret appelé Djavar el Mahani dans lequel El Hadj Omar a résumé ses prescriptions et ses prédictions 6. »
Comme on le constate le capitaine André confond Jawâhir al-ma'ânî, le bréviaire tijâni, rédigé par Ḥâjj Ali Ḥarâzim ben Barrâda et l'ouvrage d'El-Hadj Omar intitulé ar-Rimâḥ. Le chef du service des Affaires musulmanes voulait certainement parler d'ar-Rimâḥ, mais dans ce traité d'Omar Tall (saint ou marabout du Fouta et non prophète), il n'a jamais été question de réciter onze fois la Jawharatu-l-Kamâli mais « douze ».
Il convient de réfuter un certain nombre de thèses présentées par Descemet dans son rapport.
Rien ne lui permettait, en effet, d'écrire que Cheikh Hamahoullah prêchait la violence et « qu'hypocritement, il reste dans la coulisse, donnant à voix basse les mots d'ordre et tirant les ficelles, cette attitude fut toujours la sienne, il en profitera pour rejeter toutes les fautes de son entourage sur ses adeptes. »
Il ressort de tous les témoignages que nous avons recueillis que le marabout avant d'être persécuté était un homme paisible, désireux de vivre dans la prière et le recueillement. Les lettres du résident Charbonnier de Méderdra que nous citerons plus loin, ainsi que l'opinion du gouverneur Gaden qui était bien informé des questions islamiques, apportent un démenti à la version soutenue par Descemet.
Les arguments utilisés pour convaincre le gouverneur général de la nécessité d'infliger une peine de dix ans d'internement en dehors de la colonie du Soudan sont contestables et peu solides. Descemet accuse le Chérif de Nioro d'avoir imposé « son candidat » à la tête de la tribu des Laghlal et de n'avoir rien fait pour empêcher les affrontements entre certains de ses disciples et les tijânis « douze grains » de Nioro. Il prétend que Hamahoullah entretenait des relations avec l'émir de Sokoto et des réformateurs de tendance politique xénophobe en territoire étranger.
Toutes ces assertions nous ont paru trop partiales pour être accueillies de confiance. Au vrai, elles témoignent d'un esprit carrément partisan.
Au sujet des faits qui étaient reprochés à Cheikh Hamahoullah, Alphonse Gouilly 7 analyse le rapport Descemet à la lumière d'une masse considérable de documents des A.P.A.S. :
« Le Directeur des Affaires politiques du Gouvernement général de l'époque 8 était d'avis que les faits reprochés à l'intéressé ne justifiaient pas une sanction aussi grave.
Il peut paraître intéressant de consigner ici les scrupules de ce haut fonctionnaire, car le premier internement de Cheikh Hamallah contient en germe le problème hamalliste tel qu'il s'est posé par la suite.
Il convient, écrivait M. Rougier, d'agir prudemment et de ne pas courir le risque de créer contre nous un foyer de fanatisme agissant. C'est pourquoi il serait peut-être expédient, au lieu de combattre ouvertement une influence certaine et déjà considérable qui s'est développée à l'abri de la protection française, de la canaliser habilement à notre profit. Il n'est sans doute pas impossible de nous attacher Chérif Hamallah par quelques prébendes et de le gagner à notre cause par une très large tolérance comme nous avons déjà su gagner les Cheikhs ainsi que tous les marabouts notoires de la Mauritanie et du Sénégal…
Suivent les raisons qui paraissent s'opposer à une mesure d'internement :Quatre ordres de faits sont exposés (dans le rapport demandant l'internement) :
- Chérif Hamallah demande 9 et obtient de l'administration l'internement de son rival en religion Fah Ould Cheikh Mohammed, chef d'une tribu qadriya (tinouajiou).
Peut-on faire grief à Hamallah d'une démarche où il a obtenu gain de cause ?- Chérif Hamallah exerce son influence en faveur d'un candidat à la succession du commandement des Oulad Nacer. Ici encore il obtient gain de cause et son intervention emporte par surprise, dit-on, la décision de l'administration. Ceci mérite-t-il dix ans d'internement ?
- Des tidjanias réformistes et des tidjanias orthodoxes disputent sur le mérite du chapelet à onze grains. La discussion devient soudain plus âpre et les antagonistes en viennent aux mains. Hamallah assiste de très loin à la querelle, on lui reproche de n'être pas intervenu.
Etait-il tenu d'intervenir ? et son intervention n'aurait-elle pas provoqué une bagarre plus sérieuse ?- Les Laghlal pillent périodiquement des Tinouajiou. Il se trouve que les Laghlal sont tidjanias réformistes et les Tinouajiou qadriyas, et immédiatement la responsabilité de ces pillages retombe sur le chef de la confrérie tidjania qui vit très loin du théâtre de ces entreprises.
Or les Laghlal ont toujours vécu de rapines et ils eussent agi de la même façon si d'aventure ils avaient été qadriyas.
Dans aucune de ces manifestations je ne relève une preuve suffisante de la culpabilité du marabout et je persiste à penser que nous risquons dans cette affaire de commettre à la fois une injustice et une faute politique. En dépit de ces objections, Cheikh Hamallah fut frappé d'une peine d'internement administratif de dix ans. Le Gouverneur de la Mauritanie qui était alors M. Gaden proposa que cet internement fût subi à Méderdra. M. Gaden, en effet, avait été frappé par la forte et séduisante personnalité de Cheikh Hamallah et avait pensé le faire interner dans un point relevant de son ressort territorial, tant pour l'empêcher éventuellement de nuire que pour le protéger contre les menées de ses adversaires.
C'est ainsi qu'il put prouver que les allégations selon lesquelles Cheikh Hamallah entretenait des relations en territoire étranger et envoyait un émissaire à l'émir de Sokoto étaient dénuées de tout fondement puisque le prétendu émissaire était un qadri bon teint allé en Nigéria pour se procurer des chevaux. Quand on part à la recherche des conspirations, écrivait le gouverneur Gaden, à ce propos, on a toute chance d'en rencontrer 10. »
Ces extraits du rapport Gouilly prouvent bien que Cheikh Hamahoullah avait été victime d'une injustice et qu'il avait été calomnié par certains de ses pairs qui avaient réussi à influencer certains administrateurs tels que Descemet, Carde, Boisson et Terrasson de Fougères.
On peut même relever des contre-vérités par omission dans le rapport Descemet :
« J'ajoute que Cheikh Hamahoullah ne nous a pas fourni la moindre preuve de loyalisme. Il en avait l'occasion pendant la guerre. »
En vérité, il n'était pas question pour le marabout de faire des déclarations de loyalisme ou de demander à ses disciples d'aller se battre les armes à la main pour défendre contre l'Allemagne une cause qui lui paraissait étrangère à l'Islam. Cependant, il avait tenu à aider financièrement la France pendant la Première Guerre. Ce qui a permis à Lamine Guèye d'écrire :
« Tout cela, Chérif Amalia l'a fait sans calcul ni ostentation, avec la même simplicité que lorsqu'il s'est agi, aux jours tragiques de la guerre, d'aider financièrement la métropole. Qu'est-ce que cela prouve, dira-t-on ? Ce que le Chérif Amalia a fait, n'importe qui le ferait à sa place. C'est vrai. Mais la question n'est pas de savoir s'il est un sujet d'exception aimant la France plus que vous et moi. Il s'agit tout simplement de prouver que ses sentiments et son attitude habituels sont ceux d'un an ti-Français et c'est précisément cette preuve qui n'a pas encore été administrée par les ennemis du Chérif 11. »
Les contre-vérités ne manquent pas dans le rapport Descemet. En effet, cet administrateur mentionne que Cheikh Hamahoullah, qui a prévu la mort et l'exil, aurait désigné un successeur en la personne de Mohammed Mahmoud ould Ahmed Taleb des Idaou el-Haj. En vérité, le Cheikh n'avait pas désigné de successeur.
Malgré la légèreté du rapport Descemet et les objections qu'il avait soulevées, le chef de la colonie du Soudan, dont relevait le marabout, demanda au gouverneur général l'internement 12 du Chérif à Méderdra (Mauritanie). C'est dans ces conditions qu'un beau jour Chérif Hamahoullah fut convoqué par le gouverneur Terrasson de Fougères à Bamako.
—Tu es un brave homme lui dit-on mais tes disciples sont turbulents, le Gouverneur général a décidé de t'exiler, je ne sais pas où tu iras, tout ce que je peux te dire, c'est que tu ne verras pas ta famille. Tu indiqueras parmi tes femmes, celle que tu préfères comme compagnon d'exil et je la ferai venir. Je n'admets ni réplique ni explications. J'ai dit aussi vrai que je m'appelle Terrasson de Fougères, Gouverneur de tous les Soudan.
Le marabout a cependant le courage de répondre :
— Je paie mes impôts, je rachète mes prestations, je ne fais aucune espèce de propagande ni orale, ni écrite et je n'ai pas sur la conscience un seul acte d'hostilité à l'égard de la France et de ses représentants. Si tu en connais, cite-les moi et je suis prêt à subir ta sentence si ma culpabilité est démontrée.
— Tes enfants ne vont pas à l'école française.
— Mes enfants sont tous petits, Monsieur le Gouverneur. Pour le moment, je leur apprends le Coran comme je l'ai moi-même appris lorsque j'avais leur âge. Plus tard, ils pourront aller à l'école française. Cependant, si tu désires qu'à tout prix ils y aillent, tu n'as qu'à les prendre. Je te les abandonne.
— Et puis tu as tort de t'abstenir de toute intervention auprès de tes talibés, si turbulents et si querelleurs ; ils troublent l'ordre public.
— Monsieur le Gouverneur, j'ai déjà dit que je ne fais aucune espèce de propagande. Tu es la personnification de l'autorité et tu l'exerces effectivement, ayant à ta disposition des soldats, des gardes, une armée. Moi, je n'ai que mon chapelet. Quand j'ai payé mon impôt et rempli toutes les obligations imposées à un sujet, mon rôle est terminé. Je n'ai pas à m'occuper de ceux qui troublent l'ordre public, ne serait-ce que pour ne pas empiéter sur tes attributions. D'ailleurs, tu ne m'as jamais demandé d'intervenir auprès de n'importe quel musulman dans aucune circonstance. Que ne fais-tu venir ceux que tu appelles mes disciples et qui troublent l'ordre public ? C'est à toi qu'il appartient, puisqu'ils transgressent tes ordres et font le contraire de ta volonté, de les châtier ainsi qu'ils le méritent.
— La conversation a assez duré. Retourne à Bamako où tu es descendu je te ferai appeler lorsque j'aurai besoin de toi 13.
Le marabout avait cru bon de s'expliquer mais c'était inutile car son sort était déjà fixé. Le gouverneur Terrasson de Fougères avait déjà demandé son internement en Mauritanie pour une période de dix ans 14.
En effet par arrêté 2639 bis du 28 novembre 1925 15 le gouverneur général de l'Afrique occidentale française décide l'internement de Chérif Hamahoullah pour une période de dix années en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés par le décret du 15 novembre 1924 16.
Il ne restait plus qu'à arrêter le Chérif de Nioro qui résidait à Bamako depuis plusieurs mois sur la demande de Terrasson de Fougères.
Faisant le récit de l'arrestation de l'élève de Lakhdar, Lamine Guèye écrivait :
« Le vendredi 25 décembre 1925, jour de Noël, fut pour la population indigène de Bamako un jour de profonde tristesse. L'émotion fut grosse, causée par la nouvelle de l'envoi en exil de Cheikh Amalla, grand et paisible marabout universellement aimé et respecté dans toute l'Afrique occidentale française.
Dès une heure du matin, des bruits se perçoivent, des chuchottements significatifs indiquent qu'il se prépare un coup anormal : ce sont les fonctionnaires de la sûreté qui font leurs préparatifs pour enlever le Chérif Amalia telle une belle du pays des mille et une nuits.
Les rues avoisinant la demeure du marabout sont occupées par des gardes de cercle et des agents de police armés : les autos sont là qui font du tintamarre ; les voisins se réveillent en sursaut, les femmes s'affolent et dans tout ce brouhaha le commissaire de police avec toute sa majesté, dit la sentence qui doit consacrer le malheur d'un innocent et donner au Chérif Amalia une auréole de martyre :Voici l'arrêté du Gouverneur général prononçant ton exil et ton internement en Mauritanie. L'ordre que j'ai reçu est que tu prennes immédiatement cette automobile. Laisse tes bagages et toutes tes affaires, tu trouveras tout au lieu indiqué.
Le marabout prend place dans la voiture pour une destination inconnue. Dislocation de tout le monde officiel et dans la maison vide de son hôte, femmes, enfants et vieillards sont secoués par des sanglots. Le commissariat de police croit cependant devoir avertir le beau-frère du marabout que le Gouverneur le tiendrait pour responsable de toute manifestation, quels qu'en soient les organisateurs, étant interdit à quiconque d'accompagner le marabout à la gare et même de lui adresser la parole avant son départ 17. »
Le Chérif est donc enlevé à Bamako le 25 décembre 1925. La lettre n° 532/AP du gouverneur du Soudan en date du 18 décembre adressée à son homologue de Mauritanie nous précise l'itinéraire du Chérif :
« Cet indigène sera dirigé sur Méderdra via Thiès et Saint-Louis par régulier quittant Bamako le 25 courant escorté par deux agents de police, il sera en outre accompagné des nommés Ahmed ould Saadi et Moussa Diallo. »
Un télégramme en date du 28 décembre envoyé par les autorités administratives de Thiès précise que Chérif Hamahoullah est arrivé et qu'il quittera cette localité le même jour pour Saint-Louis (lieu de résidence du gouverneur de la Mauritanie). Le chef de confrérie ne rejoindra Méderdra que le 24 juillet 1926. Avant cette date le gouverneur Gaden, de la Mauritanie, fit parvenir une lettre en date du 21 juillet 1926 au Commandant de cercle du Trarza à Boutilimit :
« … il (Chérif Hamahoullah) a auprès de ceux qui ne suivent pas sa Voie la réputation d'un saint, … Avant d'envoyer Chérif Hamallah à Méderdra, j'ai tenu à m'y rendre moi-même pour voir les principaux personnages religieux de la région. J'ai trouvé chez tous la même bonne opinion et l'affirmation que son installation à Méderdra ne leur causait aucune inquiétude 18. »
Depuis qu'il avait quitté Thiès le 28 décembre 1925 jusqu'en juillet 1926, date de son départ pour Méderdra, Cheikh Hamahoullah demeurait terrassé par la maladie à Saint-Louis du Sénégal. Mais durant cette période, la nouvelle de l'arrestation du nouveau « Pôle » de la Tijâniyya suscitait des réactions.
La nouvelle de l'arrestation du Chérif de Nioro s'était très vite répandue dans toute l'A.O.F. Elle fut la cause d'un fort mécontentement dans les milieux les plus divers. Les réactions furent nombreuses et pas toujours favorables à l'interné politique de Méderdra. A l'époque, le journal l'A.D.P., Echo de la Côte occidentale, ouvrit ses colonnes au débat que suscitait l'internement administratif de Hamahoullah.
Lamine Guèye fut le premier à écrire à ce sujet :
« A mon passage à Bamako, j'ai été sollicité d'une façon tellement pressante que, après consultation de mes amis dont les avis étaient profondément divergents sur le personnage déporté et sur le problème posé par son cas, j'ai dû invoquer des considérations qui ne sauraient être un obstacle à détermination pour un homme public digne de ce nom, pour un musulman émancipé dégagé des entraves du fanatisme. Mon refus de dire un mot sujet à commentaire ou à interprétation était légitime surtout pour mon constant souci de ne jamais commettre l'abominable crime de faire naître des espoirs irréalisables. Ce qui arriverait dans le cas particulier si, mal informé, je m'étais permis une appréciation prématurée et que dans la suite il fût démontré que la mesure administrative prise était opportune. Il eût été contraire à l'intérêt général de soulever ou de tenter de soulever l'indignation de l'opinion publique contre laquelle aucune puissance au monde ne peut résister. Je me réservais de n'y faire appel que lorsqu'il serait indubitablement prouvé que Chérif Amalla doit son malheur à une erreur engendrée par le déchaînement des passions, et qu'au lieu de l'exiler on aurait dû le laisser jouir de la sécurité à laquelle a droit tout homme se conduisant d'une façon irréprochable. J'étais loin, bien loin de penser, en quittant Bamako qu'à mon retour à Dakar, je trouverais une si impressionnante correspondance relative au Chérif Amalia. Quelle abondance !
Jamais nous n'avons reçu tant de lignes intéressant un même sujet. Pour la turbulence de ses disciples, seul motif invoqué par l'administration pour justifier l'internement du marabout en Mauritanie, nous faisons alors nôtre, l'indignation qu'anime nos correspondants du Soudan. Nous reviendrons sur le cas du Chérif et nous disons à nos confrères de la presse locale et métropolitaine, que s'il est des questions pour lesquelles il puisse y avoir division ; nous disons dans celle du marabout de faire, dans l'intérêt de la France, la protestation unanime qu'attendent les indigènes dont les conceptions concilient difficilement les promesses de justice et de sécurité de la Troisième République, avec la mesure véritablement inquisitoire frappant un individu contre qui on ne peut invoquer aucune faute, même de simple vaticination tendancieuse révélatrice de la moindre ambition dangereuse 19. »
Lamine Guèye ne pouvait d'ailleurs prendre la défense du Chérif car celui-ci relevait de l'indigénat. Rappelons qu'en vertu de l'article 22 du décret du 15 novembre 1924, le gouverneur général avait le pouvoir de prononcer une peine d'internement de dix ans ou même de vingt ans contre n'importe quel « indigène ». Sa décision était sans appel quels qu'en fussent les motifs.
Malgré tout, dans les colonnes de L'A.O.F. du 28 janvier 1926, l'avocat sénégalais fit un véritable plaidoyer en faveur du Chérif mauritanien :
« Son crime n'a consisté que dans un acte d'abstention pour éviter précisément que la moindre initiative de sa part, soit interprétée défavorablement et lui vaille le pire des désagréments. Si son cas avait été déféré à un tribunal français, le marabout aurait pu s'expliquer et démontrer victorieusement l'inanité des griefs articulés à son encontre, malheureusement il relève de l'indigénat, c'est-à-dire de l'arbitraire sans limite. Oui ! l'indigénat, voilà à quelles possibilités tu peux donner naissance. Je n'ai jamais cru en toi et ce nonobstant le verbe enchanteur et magique de Monsieur Albert Sarraut. Entre les mains de fonctionnaires à mentalité façonnée et rétrograde, tu permets souvent de commettre des crimes monstrueux contre des innocents et contre les intérêts de la France. Lorsque la religion de Monsieur le Gouverneur général Carde sera mieux éclairée et espérons qu'elle le soit un jour très prochain au sujet du Chérif Amalia nous ne doutons pas qu'il ne rapporte la mesure qu'il a dû prendre sur la foi de renseignements inexacts. Le Chérif est innocent, Monsieur le Gouverneur général et nous attendons de votre impartialité et de votre équité la prescription d'une enquête qui, osons-nous l'espérer, démontrera lumineusement que le Chérif Amalia ne faisait courir aucun danger à l'autorité française. Ce faisant, vous accomplirez un acte de justice digne du premier représentant de la France en Afrique et du collaborateur du Grand Van Vollenhoven mort en héros pour le triomphe du droit et de la justice 20. »
Enfin, des Africains à l'honnêteté douteuse intervinrent dans le débat mais pour approuver les mesures prises contre le Chérif de Nioro par les représentants de la Troisième République en Afrique de l'Ouest. C'est encore le journal L'A.O.F. qui se fit l'écho de ces interventions. En effet, le directeur politique de cet hebdomadaire dakarois répondit en ces termes à la lettre de menaces à peine voilées que lui adressèrent des adversaires du grand Cheikh maure :« J'ai reçu de Kayes d'un groupe d'El Hadj soudanais au nom de tous les musulmans (?) une lettre me signalant les dangers auxquels je suis paraît-il exposé, en prenant la défense du Chérif Amalia. J'extrais de cette lettre les passages suivants : Ceux qui vous écrivent sont des partisans ou de soi-disant disciples de Chérif Amalia. Nous, nous n'avons d'autres références que notre titre de « pèlerins mohametans », que votre honorable feu père a porté aussi, avec autant de distinction que de ferveur. El Hadj Chérif Mohamed El Moctar de Nioro a fourni son propre fils pour être tirailleur, Chérif Amalia a toujours été sourdement hostile aux Blancs. Il n'a fourni ni fils, ni talibés ; il a refusé d'envoyer ses fils à l'école, il n'a jamais fait acte de soumission à l'administration de Nioro. De tels agissements pouvant rejaillir sur tous les musulmans, nous avons cru de notre devoir de désigner Chérif Amalia qui est le cerveau comme perturbateur du repos et de la paix que les Français maintiennent dans le pays. Voyez en âme et conscience s'il est légitime de laisser perdre la collectivité pour le profit d'un seul individu entouré d'une camarilla de profiteurs. Ce n'est point par hasard que les opinions sur Chérif Amalia sont contradictoires. C'est qu'au-dessus de la masse qui suit aveuglement, se trouvent des consciences clairvoyantes et averties qui puisent en elles-mêmes le droit de battre la breloque. Chérif Amalia est interné. C'est la condamnation des clameurs et des djikrs 21 guindés et sans ferveur pour permettre à la bonne foi pure et intègre de faire son chemin dans le silence paisible du recueillement.
Je remarque tout d'abord que ce groupe de pèlerins manie la langue française avec une aisance peu commune. Je ne serais pas surpris d'apprendre que ces pèlerins sont venus en droite ligne de Paris. A la vérité, il s'agit tout bonnement de gens qui servent d'instruments de je ne sais quels personnages occultes, qui leur font écrire n'importe quoi, pour démontrer que Chérif Amalia est un monstre dont les agissements pouvaient constituer une menace pour la sécurité et le prestige de la France. Or, ce qui me paraît singulier, c'est la ténacité avec laquelle on cherche à accabler cet homme, alors que le gouverneur du Soudan, mis en demeure de préciser ses griefs contre lui, a été absolument incapable de le faire. Ce que j'ai dit et écrit au sujet de ce marabout n'est que la traduction du sentiment que peut éprouver tout homme imbu de justice et de vérité et qui les voit fouler aux pieds au détriment d'un être innocent et inoffensif. Chérif Amalia, oui ou non a-t-il commis un crime envers la France ? Ceux qui l'affirment ont le devoir de le prouver s'ils en ont les moyens. Je ne pense pas qu'ils y aient encore réussi. Jusqu'à ce qu'on me démontre par des faits ou des actes, que j'ai tort de considérer Chérif Amalia comme un innocent, je persiste à dire qu'il a été victime d'une injustice qui n'est point faite pour servir les intérêts bien compris de la France, à une époque où le besoin se fait plus que jamais sentir d'une politique libérale et généreuse envers ses sujets. La France a toujours tenu à honneur de conquérir le coeur de ses enfants adoptifs non par la force et la violence mais en appelant à son aide la douceur et la persuasion. Cette méthode qui lui a toujours réussi, pourquoi ne pas en avoir usé à l'égard du Chérif Amalia ?
Quoi qu'il en soit, je ne puis me défendre d'un sentiment de réelle sympathie à l'égard de cet homme qui à mes yeux, reste une victime et cela d'autant plus volontiers que le réquisitoire publiquement prononcé contre lui émane de personnages anonymes, alors que ce rôle appartenait à ceux qui, officiellement, ont pris sur eux de l'envoyer en exil. »
L'appel de Lamine Guèye resta sans effet. Un autre grand Sénégalais, Galandou Diouf demanda par télégramme (n°288 en date du 16 juin 1926) à Blaise Diagne, le premier député ouest-africain, d'intervenir en faveur de Cheikh Hamahoullah auprès du ministère des Colonies 22.
Cette requête resta également sans résultat.
Pendant que les uns et les autres s'affrontaient au sujet de
l'internement administratif du Chérif, celui-ci souffrait à l'hôpital de Saint-Louis. De toutes façons, il allait rejoindre Méderdra en vue de purger la peine prononcée contre lui.
A la fin de juillet 1926, Chérif Hamahoullah et ses compagnons étaient déjà à Méderdra. Ils furent logés dans la case de Khayar M'Bengue. Les premiers hamallistes à découvrir le lieu d'internement du Chérif 23 étaient des Maures originaires de Chinguetti. La nouvelle de la présence du déporté politique à Méderdra se répandit alors dans toute la Mauritanie et le Soudan. De partout des fidèles affluèrent apportant des dons. Cheikh Hamahoullah qui n'accepta pas de faire venir auprès de lui sa famille, fut rejoint par ses confidents, Amadou Kouyé, Bilali et Boubacar Bâ, tous originaires de Nioro.
L'arrivée du Chérif à Méderdra ne passa pas inaperçue. Elle nous est signalée en ces termes par l'administrateur de la ville :
« Honneur rendre compte que Chérif Hamallah arrivé le 24 à Méderdra est venu me rendre visite dès sa descente d'automobile, il a passé une heure quarante cinq minutes au bureau où j'ai pu lui donner les renseignements qu'il m'a demandés sur le climat et les habitants du pays. Le Chérif a produit une bonne impression parmi les populations. Les Maures présents au village lui ont rendu une visite de politesse. L'émir dont le campement se trouve à environ une douzaine de kilomètres de Méderdra, a tenu à envoyer son fils préféré, Ely, recevoir les bénédictions du Chérif. Le surlendemain de son arrivée, Chérif Hamallah est revenu me voir pour me demander de faire quelques réparations à sa maison d'habitation que le menuisier a d'ailleurs effectuées en quelques instants. A sa sortie du bureau, Chérif Hamallah est allé voir la mosquée du village. Le Chérif ne m'a montré dans les entretiens que j'ai eus avec lui, aucun signe de mécontentement 24. »
Chérif Hamahoullah jouissait de bonnes conditions d'internement. Il était bien traité par Charbonnier le résident de Méderdra qui lui rendait souvent visite. Le Cheikh n'était pas surveillé, il pouvait circuler librement dans la ville mais il sortait rarement de chez lui. Il subissait moins de tracasserie qu'à Nioro. Tout le monde pouvait le rencontrer. L'élève de Lakhdar était tout simplement en résidence obligatoire mais n'était pas considéré comme un prisonnier. Chez lui, un cénacle se forma. Il passait toutes ses matinées à discuter avec les lettrés de la ville. Au cours de ces rencontres les passages les plus obscurs du Coran et de la Sunna étaient à l'ordre du jour. Le Chérif de Nioro réussit à gagner la sympathie de tous les grands savants et lettrés de la région :
« Depuis qu'il est à Méderdra, Chérif Hamallah s'est toujours montré très déférent, vit en reclus, se montre accueillant pour tous, jouit d'une grande sympathie dans le pays. J'ignore ce qu'il a fait à Nioro pour lui valoir une disgrâce semblable, je ne crois pas qu'il serait devenu un héros de l'Islam mais nous en faisons aux yeux des musulmans même de ceux qui ne sont pas ses adeptes, un persécuté. C'est de la mauvaise politique en terre d'Islam 25. »
Dans une lettre confidentielle n°460 du 16 octobre 1926 26 Charbonnier dont la conscience semble révoltée par l'injustice qui a frappé Cheikh Hamahoullah, continuait son plaidoyer en faveur de l'homme de Nioro. Il fit même des suggestions fort intéressantes au gouverneur général :
« J'ai beaucoup causé avec lui (Chérif Hamahoullah), je l'ai trouvé très lucide, lui-même dirigeait la conversation, il m'a posé de nombreuses questions sur la France, ses produits, sa faune, ses industries, le rôle de la femme dans le ménage, la mosquée de Paris, la constitution du Gouvernement, etc… Notre conversation a semblé beaucoup l'intéresser. Chérif Hamallah a certainement très à coeur la mesure qui l'a frappé, l'ennui ronge cet homme éloigné de ses femmes et de ses enfants. J'irai le voir quelques fois. Je l'appellerai auprès de moi le plus souvent possible. Nous devons faire quelque chose pour lui. A mon avis sans mettre en doute la mesure prise par le Gouverneur du Soudan, l'expiation est suffisante, je crois que l'appréciation toute élogieuse des principaux marabouts et savants de la résidence pourrait avoir une heureuse influence sur le Gouverneur général Carde. Voilà mes suggestions : une grande assemblée, sorte de concile composé de Cheikh Sidati, moghadem des Qhadirias, Cheikh ould Mohamed Saïd, moghadem des Tijanes, Ahmed Baba ould Hamdi représentant du rite Chadelya, le Cadi Mohamed Vall avec une trentaine de savants ou de personnages ou de marabouts importants.
Ces gens donneraient leur avis sur le Chérif Hamallah au sujet de la Voie qu'il suit, de ses exercices spirituels, qui ne sont nullement contraires aux principes de la religion musulmane. Je suis persuadé d'avance que l'avis de tous ces personnages serait élogieux et leur délibération se terminerait par une supplique à l'autorité supérieure de mettre un terme à l'exil de Cheikh Hamallah. L'intéressé ignore ma pensée sur ce point, je vous serais reconnaissant de me faire connaître si ma suggestion peut avoir le mérite de retenir votre attention. La présence de Chérif Hamallah à Méderdra ne peut en rien troubler le pays. Les gens ne se permettent même pas de critiquer la décision prise contre Chérif Hamallah mais ils le plaignent. La répercussion de son internement dépassera certainement la Mauritanie. Il sera jugé comme un acte de persécution religieuse. En toute conscience, je dis ma penseée 27 . »
Le résident de Méderdra ne pouvait être suspect de partialité à l'égard de Cheikh Hamahoullah qu'il considérait à raison comme un innocent. Il rejoint le point de vue de Lamine Guèye et de Galandou Diouf. Sa lettre apporte un démenti au rapport de Brévié dans lequel on peut lire : « On croirait qu'il (Cheikh Hamahoullah) est au stade pathologique qui précède ou accompagne le mysticisme 28. »
En effet Charbonnier écrivait : « Je l'ai trouvé très lucide 29. » L'administrateur de Méderdra fait également remarquer l'esprit ouvert et curieux du Chérif qui parlait de gouvernement et même de constitution. Et pourtant la tradition orale sans mettre en cause la lucidité du marabout présente celui-ci comme un vrai mystique qui ne s'intéressait qu'à sa religion. Nous pensons que le séjour de quelques mois que le Chérif a fait à Bamako et à Saint-Louis l'a rapproché des préoccupations de ce monde. Dans ces dernières localités, il avait certainement entretenu des relations avec des intellectuels qui lui parlèrent sans doute de la France et de ses institutions. A Nioro on comptait parmi ses disciples Mamadou Gaye et Racine Sy, deux instituteurs du cadre secondaire 30.
D'autre part lorsque l'administrateur de Méderdra parle de « l'ennui qui ronge » Cheikh Hamahoullah on peut à ce sujet penser que la détention du Chérif paraissait à celui-ci même d'autant plus vexante qu'il ignorait toujours les raisons de son internement.
En effet, on pouvait lire dans un rapport administratif rendant compte d'une rencontre entre Cheikh Mohammed Saïd et le Chérif de Nioro :
« Cheikh Hamallah l'a interrompu pour lui demander s'il connaissait le motif de son internement, que ne s'étant jamais occupé de politique du pays, se contentant de donner l'Ouerd (le chapelet) [wird] à ceux qui le sollicitaient, il ne comprenait pas encore pour quels motifs les autorités françaises avaient pris une mesure semblable contre lui 31. »
Enfin le séjour du Chérif à Méderdra ne fut pas aussi pénible qu'on pourrait le croire. Ses conditions de vie étaient bonnes, grâce à la compréhension agissante de Charbonnier.
Certes, les interventions de ce dernier auprès de ses supérieurs hiérarchiques restèrent sans suite. Mais le courage, la franchise, l'intégrité et la bonne foi du résident de Méderdra forcent notre admiration. Nous ne pouvons nous défendre d'un sentiment de réelle sympathie à l'égard d'un administrateur-débutant qui n'hésita pas à intervenir pour réparer ce qu'il considérait comme une injustice et cela au prix de sa carrière. Surtout qu'il n'ignorait pas que la position des autorités supérieures de Dakar était définitivement arrêtée à l'égard de l'interné dont les sympathisants et les disciples étaient au même moment pourchassés et persécutés dans toute l'A.O.F.
On constate d'ailleurs que Charbonnier fut très tôt muté. Il céda son poste à M. Chazal 32 qui adopta la politique officielle à l'égard du hamallisme. Cet administrateur profitera du premier incident pour se débarrasser du Cheikh Hamahoullah. Les événements de Kaëdi où les hamallistes furent mis en cause lui en donneront l'occasion. Kaëdi n'étant pas très loin de Méderdra il demandera l'envoi du Cheikh dans une autre localité.
Située sur la rive mauritanienne du fleuve Sénégal, Kaëdi était en 1929 une vaste agglomération de 4 000 âmes environ 33. Les quartiers les plus anciens de la ville sont Touldé et Gattaga. Le premier abrite les Toucouleurs et les Peuls, le second les Soninkés. C'est auprès de ces derniers que Cheikh Lakhdar 34 le missionnaire de Tlemcen avait reçu un accueil des plus chaleureux. Parmi eux il avait nommé des moqaddem du tijânisme « onze grains ». C'était au début du siècle. A partir de ce moment, une rivalité s'instaura entre les Soninkés et leurs voisins (Toucouleurs et Peuls) qui étaient tijânis douze grains. Une véritable scission se produisit dans la communauté musulmane de Kaëdi après le ralliement de tous les disciples de Lakhdar à Cheikh Hamahoullah. Dans tout le Fouta, des voix s'élevèrent pour arrêter l'expansion de la confrérie hamalliste. Des marabouts comme Tidjane Wone de Kaëdi, Ham et Baba de Thilogne et Thierno Amadou Moctar de Boghé auraient rédigé des livres ou des poèmes pour condamner la pratique des « onze Jawharatu-l-Kamâli ». De leur côté, Fodié Abdallahi Diagana, Fodié Cheikhou Diagana, Mohammed Youssouf Diagana ainsi que Fodié Boubacar Doucouré défendirent cette pratique en se fondant sur Jawâhir al-ma'ânî.
Vers 1929, Yacouba Sylla, un disciple de Cheikh Hamahoullah, arrive à Kaëdi. Pour cet homme, l'Islam signifie non seulement avoir la foi en Allah mais aussi la purification des moeurs sociales. Sur ce plan, son intransigeance rappelle un peu celle d'Ibn Tûmart, le « mahdi impeccable », le fondateur du mouvement almohade. Les prédications enflammées de Yacouba Sylla lui assurèrent l'adhésion de la plus grande partie des hamallistes de Kaëdi. Dès lors, ses prosélytes furent appelés yacoubistes, bien qu'ils n'eussent jamais cessé de se réclamer de Cheikh Hamahoullah. Désormais, les « onze » eux-mêmes étaient divisés en deux groupes opposés. Tous les moqaddem de Cheikh Lakhdar refusèrent, semble-t-il, de reconnaître l'autorité de Yacouba Sylla. Mais entre les hamallistes qui acceptèrent les réformes sociales proposées 35 par le nouveau venu et ceux qui contestèrent son autorité religieuse, le divorce ne fut pas total. Tous récitaient onze fois la formule dite de « la perle de perfection ».
Quant aux Toucouleurs de Kaëdi qui considéraient que tout enseignement de la Tijâniyya différent de celui d'El-Hadj Omar relevait de l'hérésie, ils appréciaient très mal les nouvelles pratiques religieuses de leurs voisins yacoubistes :
« Yacoub Cilla a été accusé par le clan des « douze » de provoquer des incidents par l'annonce de rêves et par ses déclarations. L'or serait à ses yeux une parure sacrilège. Le parti des « douze » lui reproche encore de conseiller, à ceux qui avaient commis un crime d'adultère de se purifier l'âme par une confession publique 36. »
Les adeptes du tijânisme à douze Jawharatu-l-Kamâli ne cessaient de dénoncer 37 à l'administration la « Voie » yacoubiste comme étant une hérésie touchant à l'intégrité de l'Islam dont la France se présentait comme la Puissance protectrice. Des querelles se produisirent entre les deux groupes dès le mois de juillet 1929 38. Devant l'effervescence qui semblait gagner toute la ville et répondant aux appels des « douze » l'administration locale fit expulser Yacouba Sylla le 31 août 1929. Le départ de celui que l'on considérait comme « un agitateur » ne mit pas fin aux troubles. La responsabilité des incidents fut imputée aux yacoubistes 39. Bien que des injures fussent proférées par les exaltés des deux camps à l'encontre des tirailleurs venus mettre fin à la rixe 40 seuls les partisans de Yacouba furent condamnés le 8 juillet 1929 par le tribunal du 2e degré « à vingt jours de prison pour rébellion et insultes à des agents de l'autorité ».
Dans la nuit du 18 au 19 septembre de la même année, l'administrateur Charbonnier (muté sans doute à Kaëdi à la suite de ses interventions en faveur de Hamahoullah) évite de justesse l'éclatement d'une rixe. Le lendemain Hammadi Ciré, l'un des responsables yacoubistes fut emprisonné pour un an. Vingt punitions disciplinaires de quinze jours de prison furent prononcées contre le groupe soninké « en vertu de l'alinéa II de l'article I de l'arrêté du 20 juin 1925 sanctionnant les manifestations susceptibles de troubler la tranquillité publique ».
Le 3 octobre, Charbonnier devait rejoindre son nouveau poste ; par le bateau qu'il emprunta on voulut expulser une femme de Kaëdi venue en congé dans sa famille à Gattaga. Celle-ci était la nièce de Paly Kaba, le successeur de Yacouba à la tête du mouvement. Selon le rapport du commandant de cercle Quesgneaux cette femme était « particulièrement excitée ». Les Soninkés firent en cette occasion une marche de protestation. Des injures auraient été proférées contre
l'administrateur et ses gardes de cercle. Selon Yacouba Sylla qui était d'ailleurs absent de Kaëdi, « le commandant aurait été insulté par Paly Kaba qui ne pouvait comprendre l'expulsion sans motif de sa nièce 41 ».
Deux jours plus tard « le 5 octobre 1929, neuf condamnations par le tribunal du 2e degré allant de vingt jours de prison à un an (plus deux ans d'interdiction de séjour) doublées d'amendes dont le total atteignait 1 800 F pour rebellions et insultes à des agents de l'autorité, et dix-huit punitions disciplinaires, chacune de vingt jours de prison et de 100 F d'amende furent prononcées contre les yacoubistes 42 ».
« Entre temps il y avait eu des querelles de femmes à peu près journalières » opposant Gattaga et Touldé.
Ayant compris que l'autorité française était hostile aux yacoubistes contre lesquels des condamnations venaient d'être prononcées, les « douze » décidèrent d'agir, étant presque sûrs de l'impunité 43. Au même moment, « le gouverneur avait reçu une lettre signée les musulmans de Kaëdi demandant l'autorisation de se servir de leurs fusils contre les yacoubistes 44 ». En guise de réponse, le gouverneur de la Mauritanie fait parvenir les télégrammes-lettres n°269 AP du 15 octobre, 315 AP du 26 octobre et 316 AP du 5 novembre à l'administrateur Quesgneaux. Ces dépêches « conseillent la prudence » et « recommandent de chercher l'apaisement » 45.
Le calme semblait revenir à Kaëdi durant le dernier trimestre de l'année 1929 lorsque éclata une rixe le 26 décembre à 18 heures entre des femmes des deux tendances du tijânisme :
« L'agent de police B. B. intervient… Ce genre d'incidents sont assez fréquents mais sans gravité … Le 27 décembre vers huit heures, une querelle est engagée par le nommé Babayel (des douze) avec le nommé Doucouré (des onze). Elle s'envenime. Bagarre à laquelle prirent part des femmes et des hommes des clans adverses 46. »
Jusque-là il ne s'agissait que de heurts isolés. Mais au cours de la matinée des activistes de Touldé décidèrent de regrouper des centaines de personnes pour aller incendier Gattaga.
« A quatorze heures, environ deux cents jeunes gens de Touldé armés de gourdins courent vers Gattaga. Rixe générale qui s'étend sur toute la lisière sud du village qui a près d'un kilomètre de longueur. Moi, mon adjoint et huit seuls gardes disponibles luttons pied à pied. A dix-sept heures, refoulons les assaillants sur Touldé … Le chef de canton de Kaëdi, Besse Amadou, étant en tournée son fils Abdou Besse est invité à réunir les notables pendant la nuit et à les palabrer.
Un poste de police est établi place du marché (un brigadier, cinq hommes, deux gardes et deux agents de police) à Touldé.
28 décembre, 7 heures matin. Notables Touldé sont au poste et assurent que tout a été fait pour écarter meneurs conflit.
7 heures 15, la menue bande de la veille suivie d'autant de femmes se précipite sur Gattaga. La rixe recommence. L'adjoint De Guerry et moi concentrons nos huit gardes. Je fais appel à 14 anciens tirailleurs de Gattaga. J'envoie les notables de Touldé chasser les jeunes gens. A notre approche la bande s'enfuit pour rentrer plus loin dans le village. Rixe générale. Des cases en paille sont incendiées. Les portes de magasins appartenant à des commerçants onze sont enfoncées. (Le marabout aveugle Fodié Amadou (onze) est emporté au poste pour éviter attentat à sa vie).
Ai tiré quelques coups de feu en l'air pour effrayer. Inutile. Ni moi ni mon adjoint ni gardes molestés bien que presque toujours isolés. Notre présence limite rixe et dégâts. Mais c'est tout. Réussissons cependant à chasser de Gattaga et à renvoyer sur Touldé toute la bande vers 17 heures. Mais pas pu procéder à arrestations …
31 décembre. Résultat enquêtes faites veille et avant veille, une trentaine cases paille brûlées … nombreuses clôtures et quelques cases banco détruites, nombreux objets mobiliers et effets dérobés, deux machines à coudre brisées. Chez les onze, cinquante-neuf blessés, chez les Touldé soixante dont une vingtaine parmi les notables … aucun tué 47. »
Comme on le constate, une certaine faiblesse 48 de l'administration, sinon sa complaisance a été une des causes de l'acharnement des « douze ». Des sanctions sévères permettant de prévenir toute autre rixe n'ont pas été prises contre les agresseurs des yacoubistes :
Vingt-quatre heures après les jeunes Toucouleurs de Touldé amenés par les notables sont repris en mains. Le repentir (uniquement d'avoir désobéi à la loi française) est net et sincère. J'ai soin de faire régler les dommages … par une commission élue que préside le Cadi supérieur de Boghé. Vingt-six mille francs sont payés par Touldé 49. »
A l'époque, le gouverneur de la Mauritanie s'était bien rendu compte de la partialité du commandant de cercle de Kaëdi. A ce propos, l'inspecteur des affaires administratives Dumas envoyé dans la ville pour faire un rapport détaillé sur la situation écrivait aux autorités supérieures de la Colonie :
« Je n'ai pas manqué de dire à l'administrateur que de pareils désordres étaient inadministrables et qu'il devait saisir d'urgence le Tribunal de Cercle en vue de punitions exemplaires, M. Quesgneaux m'a répondu qu'il était de cet avis et qu'il envisageait des peines au moins égales à celles qui avait été prononcées le 5 octobre. Je ne lui ai pas caché que vous estimiez ces peines insuffisantes et que vous en demandiez l'augmentation 50. »
L'amende collective infligée au village de Touldé était dérisoire dans la mesure où elle ne pouvait permettre un dédommagement équitable de Gattaga. Surtout si l'on sait que des objets de valeur avaient été volés, des cases incendiées et de nombreux magasins pillés.
Au début du mois de février 1930, les sages des deux quartiers se réunissent et décident d'oeuvrer dans le sens de la réconciliation. A Touldé, il n'y avait pas que des agitateurs. Dans ce quartier, des hommes de bonne volonté tentaient de ramener le calme dans les esprits. A la vérité ils étaient débordés. Tous les jours des femmes et des enfants de Gattaga étaient pourchassés par leurs adversaires. Pour puiser de l'eau les femmes devaient être escortées par des hommes armés de gourdins et de haches. Au même moment, le commandant de cercle recevait des dizaines de plaintes déposées par des hamallistes. Il ne fit rien pour assurer la sécurité des Soninkés dont le chef de quartier défendait, aussi curieux que cela puisse paraître, la même cause que les Touldéens, à savoir, celle du tijânisme « douze grains ».
C'est dans cette atmosphère tendue que les sages de Touldé et de Gattaga annoncèrent après de longs conciliabules que la réconciliation était faite (14 février 1930) sur les ordres de Quesgneaux. Ils s'étaient engagés à rétablir le calme dans la ville et annonçaient qu'ils désavoueraient d'avance tout agitateur. Faut-il préciser que les jeunes et les exaltés des deux camps n'avaient pas été associés à ces négociations ?
Nombre de yacoubistes n'accordaient aucun crédit à la parole donnée par leurs adversaires ni à la sincérité du commandant de cercle. Le chef de ce groupe d'exaltés était Mamadou Sadio. Pour lui, cette réconciliation voulue par les Touldéens et imposée par l'administrateur n'était rien d'autre qu'une mise en scène sinon une ruse pour endormir et surprendre les Soninkés.
Le 15 février au matin, Mamadou Sadio semble être sous l'effet d'une sorte de folie mystique. Il réveille tout Gattaga aux cris de :
— « Je suis le Mahdî ! nous devons combattre nos ennemis ! »
Tous ses partisans accoururent, et Hamadi Ciré le premier, avec des bâtons et des haches. Ayant déchiré tous ses habits, Mamadou, complètement nu, se mit à danser devant la foule. Aussitôt son compagnon Hamadi Ciré prit la parole pour expliquer que les autorités administratives étaient incapables sinon peu disposées à assurer la sécurité des hamallistes en général et des yacoubistes en particulier. Pour lui les Touldéens devaient être sanctionnés comme l'avaient été les hamallistes le 5 octobre avant d'envisager une éventuelle réconciliation. Il contestait également l'intégrité du principal médiateur, le Cadi supérieur de Boghé qui s'était déjà distingué par ses livres et ses poèmes de combat contre le hamallisme. Il rejeta les conditions imposées lors de la « réconciliation » et acceptées par les sages de Gattaga avec à leur tête Fodié Mohamadou. Il demanda à la foule de rester vigilante et de se tenir prête à incendier Touldé dans le cas où les « douze » attaqueraient de nouveau le quartier des « onze ». Enfin, il fit comprendre à la foule qu'il fallait désormais s'opposer, au besoin par la force, à toute mesure de répression que prendrait le commandant de cercle contre les habitants de Gattaga.
Moins d'une quinzaine de minutes après le début de l'attroupement, l'administrateur de Kaëdi avait déjà été informé de la manifestation et des déclarations de Mamadou Sadio. Sur la foi des renseignements reçus, il préféra envoyer sur les lieux des gardes de cercle et des tirailleurs. Ceux-ci demandèrent aux yacoubistes qui n'avaient encore attaqué personne (contrairement aux assertions de Dumas) de déposer les gourdins et les haches. Ils refusèrent d'obtempérer. C'était à Gattaga devant la demeure d'Amadi Gata. En guise de réponse aux ordres du brigadier Koudiougou, Hamadi Ciré et ses hommes proférèrent des injures et des menaces. Ayant reçu pour la seconde fois l'ordre formel de tirer sur les manifestants par l'intermédiaire de l'agent de liaison Bondi Lô, le brigadier ouvrit le feu sur la foule. Le bilan fut lourd. Il y eut 22 morts et 37 blessés selon le rapport Dumas ; 32 morts et une cinquantaine de blessés d'après Yacouba Sylla 51. Selon Bocar Bâ 52, ancien interprète, on pouvait dénombrer 80 morts et blessés. Du côté des gardes, aucune victime ne fut signalée. « La répression a été dure » comme l'écrit
l'Inspecteur Dumas 53. Les résistants qui avaient survécu au massacre furent conduits en prison 54. Vingt-quatre personnes furent proposées pour un internement de dix ans 55.
Le rapport rédigé par l'inspecteur des affaires administratives nous paraît tendancieux dans la mesure où il tente de justifier le massacre :
« Quoi qu'il en soit, le crime de rébellion, attaque en bande et à main armée, voies de fait et outrages à des agents de la force publique dans l'exercice de leurs fonctions est bien caractérisé… il était malheureusement impossible de les disperser autrement que par la force, la répression a été dure, mais elle était inévitable en présence de gens complètement égarés et qui dans leur folle témérité avaient même envisagé d'attaquer le poste … Il s'agit d'une folie mystique et collective, très dangereuse, mais qui est heureusement fort rare et contre laquelle, la persuasion ni les bonnes paroles ne pouvant rien, seule la force doit être employée. Le grand nombre de morts et de blessés s'explique par le fait que les gens étaient groupés à une dizaine de mètres des gardes et que la même balle a fait plusieurs victimes 56. »
Selon les témoignages recueillis, les hamallistes ne s'étaient pas réunis dans le but d'attaquer le poste administratif. Ils étaient dans leur quartier devant la demeure de Amadi Gata et n'avaient d'aucune manière troublé la sécurité publique. La version de Dumas selon laquelle « les onze sortent de tous côtés, armés de bâtons, de sabres, de haches … blessent plusieurs personnes, qui se trouvent sur leur chemin et arrivent sur la place du marché sans avoir été inquiétés » est contestée par tous les témoins des événements que nous avons rencontrés. Les « onze » ont été surpris et pris à parti par les tirailleurs devant la demeure d'un des leurs. Selon les mêmes sources, ils n'avaient ni l'intention de piller les magasins des commerçants européens et touldéens, ni de « proclamer la guerre sainte» comme le prétend Dumas 57.
Ce dernier a tout simplement cherché à couvrir l'administrateur Quesgneaux 58.
A la vérité, on a l'impression que celui-ci ne cherchait qu'une occasion pour sévir contre les yacoubistes. N'écrivait-il pas dans une lettre du 11 février adressée au gouverneur de la Mauritanie, à propos des hamallistes ? : « Ils seront à mater sérieusement un jour ou l'autre 59. » Dans une autre correspondance adressée au chef de la Colonie qui semble lui avoir reproché son manque de sang froid au cours des événements du 15 février, il écrivait :
« Pour quelle raison, dans ces conditions, aurai-je pu manquer de calme le 15 février? Depuis cinq mois, je pratiquais journellement les yacoubistes. Je connaissais leur mentalité, négation absolue de toute autorité en dehors de celle de leurs Cheikhs … Il y a eu menace esquissée contre les concessions européennes ; les commerçants viennent vers le poste. Des blessés, des réfugiés arrivent à chaque instant.
Les tidjanis omariens peuvent réagir d'un instant à l'autre. Ça peut être une horrible et sanglante mêlée générale. Je dois la prévoir et l'empêcher.
Il ne peut absolument pas être question pour moi d'opérer comme fin décembre. Dans des cas semblables, je l'avais bien vu, la présence du Blanc influe vraiment peu. Il faut réprimer le mouvement rapidement, en force et si nécessaire par les armes. Tout ceci s'impose clairement. Je déplore d'avoir à prendre cette décision. Mais je la prends froidement … Je vous ai répondu bien longuement Monsieur le Gouverneur. Mais l'excuse que vous m'avez donnée d'un défaut de calme pour ne pas dire autrement m'a profondément humilié. Je ne la mérite pas. … Je vous demanderais de vouloir bien transmettre ma lettre au Gouverneur général…, avec votre opinion qui, je l'espère ne restera plus la même en ce qui concerne mon attitude le 15 février dernier, au moins en ce qui touche à la netteté voulue de ma décision qui aggrave ma responsabilité 60. »
Nous admirons le courage de Quesgneaux lorsqu'il semble vouloir prendre la responsabilité des ordres qu'il a donnés, sans toutefois approuver la décision grave de conséquences qu'il a prise. Il ne pouvait d'ailleurs faire autrement. Mais on ne peut manquer de souligner qu'il a perdu le sens du devoir en confiant le commandement du feu de salve 61 à un brigadier chef entouré essentiellement d'anciens combattants de la Première Guerre, originaires de Touldé, volontaires intéressés 62 ayant spontanément répondu à son appel.
L'administrateur de Kaëdi semble peu convaincant surtout lorsqu'il dénature les faits pour justifier le carnage du 15 février :
« Trois ou quatre hommes du second détachement sont prêts quand arrive l'estafette du premier détachement, au moment où un coup de fusil est tiré par un émeutier sur les gardes et me demandant confirmation des instructions reçues 63. »
Selon certains rescapés 64 du massacre, aucun yacoubiste n'avait fait usage d'arme à feu. Aucun fusil n'était semble-t-il entre les mains des manifestants. Ce que confirme Dumas peut-être sans s'en rendre compte. En effet après avoir parlé d'un coup de feu qu'un « émeutier » aurait tiré sur les gardes au début de son rapport, Dumas écrit à la fin de ce même document sans s'apercevoir de la contradiction : « La foule privée de ses plus farouches éléments (22 tués, 37 blessés) abandonne alors sur le terrain tous les instruments qui servaient d'armes ; on a ramassé une cinquantaine de haches, autant de sabres et de bâtons.»
Si les manifestants n'avaient aucun fusil, mais rien que les
« instruments » cités, un coup de feu ne pouvait être tiré sur les gardes. Ce coup de feu serait-il alors l'oeuvre d'une tierce personne embusquée mais ne figurant pas parmi les manifestants (un « douze » ?) dans le but d'amener les gardes à tirer sur les « onze » ? C'est une hypothèse à ne pas écarter. Mais il est étonnant, dans ce cas, que les tirailleurs ne se soient pas rendus compte qu'il s'agissait de l'acte d'un provocateur n'appartenant pas au groupe des émeutiers.
Le détenteur du fusil aurait-il réussi à prendre la fuite ? Hypothèse à écarter dans la mesure où aucun des « onze » n'a cherché à échapper à la mort. Dans ce combat, inégal pourtant, (armes à feu contre haches et bâtons) les résistants n'ont pas reculé même lorsque leurs principaux chefs étaient tombés 65.
Le fameux coup de feu serait-il le fruit d'une. imagination un peu trop fertile de Quesgneaux ou de son brigadier Koudiougou ? C'est probable, car on n'apporte pas un fusil sur un champ de bataille pour tirer un seul coup de feu.
Enfin l'administrateur de Kaëdi affirme contrairement à ce qu'il prétendait dans son rapport n°1232C du 31/12/1929, que les yacoubistes avaient provoqué les incidents des 27 et 28 décembre 1929 : « Quand survint l'échauffouré des 27 et 28 décembre provoquée par les yacoubistes, je défends ceux-ci qui sont attaqués, avec mon adjoint, Monsieur de Guerry et sept gardes dispersés sur un front de 800 à 1 000 mètres, de rue en rue. » Comment se fait-il alors que l'administrateur ait sanctionné les Touldéens (26 000 F d'amende) et épargné les yacoubistes (Gattaga) qui selon lui auraient été les provocateurs des incidents de décembre ?
A la vérité, comme il l'avait reconnu d'ailleurs, ce sont les « douze » de Touldé qui avaient pillé et incendié le quartier soninké des « onze ».
Enfin on peut conclure sur les événements de Kaëdi en constatant que les incidents du 15 février ne se seraient pas produits si l'administrateur n'avait fait preuve d'une étonnante maladresse ou alors pour reprendre l'expression du Gouverneur de la Mauritanie « d'un défaut de calme pour ne pas dire autrement ». Certes, parmi les yacoubistes il y avait des exaltés comme Hamadi Ciré et Mamadou Sadio, mais leur réunion du 15 février sans l'intervention brutale des tirailleurs n'aurait pas connu un dénouement aussi tragique.
En dehors des morts de la journée et de ceux qui avaient succombé à leurs blessures, de nombreux déportés yacoubistes ne purent survivre aux conditions de vie des camps d'internement français.
Yacouba Sylla sans être présent à Kaëdi mais considéré comme responsable des troubles fut déporté une première fois à Koutiala (Soudan français) puis à Sassandra (Côte d'Ivoire) pour une période de huit ans 66.
De toutes façons une tendance nouvelle du hamallisme, le yacoubisme, malgré les persécutions était définitivement enraciné à Kaëdi. Plus loin nous reviendrons sur l'étude de ce mouvement.
Conséquence non moins importante des événements de février 1930, Chérif Hamahoullah fut déporté pour une seconde fois.
Bien que Cheikh Hamahoullah ne fût pas impliqué dans les bagarres de Kaëdi, l'administration coloniale décida de le transférer en Côte d'Ivoire :
« Je dirige ce jour sur Dakar Chérif Hamallah chef de la secte tidjani maghrébine “onze grains” interné pour dix années (arrêtés généraux des 28 novembre et 17 décembre 1925). Ainsi que je l'ai exposé dans la lettre n° 15 du 24 mars la présence de ce marabout dangereux à proximité des localités où se sont passés les gros incidents de février dernier, est devenue indésirable ; elle a permis en effet à ses adeptes de prétendre continuer leurs relations avec lui et d'agir en conformité de ses directives. Cet appui a d'ailleurs joué récemment puisque l'auteur principal de la bagarre de Kaëdi, Mamadou Sadio s'est servi de son intervention supposée pour agir sur l'esprit des affiliés de la secte maghrébine. Ce personnage religieux est accompagné de trois suivants que vous l'avez autorisé à amener en Côte d'Ivoire où il doit être transféré pour achever sa peine d'internement 67. »
En effet, par arrêté n° 0808 le gouverneur général sur proposition du gouverneur de la Mauritanie décidait :
« Le nommé Hamallah ould Mohamédou ould Seydna Oumar dit Chérif Hamallah (originaire de Nioro, Soudan français) interné à Méderdra, Mauritanie, pour une période de dix années en vertu des dispositions de l'arrêté du 28 novembre 1925 sera transféré en Côte d'Ivoire pour y subir le restant de sa peine dans un centre fétichiste qui sera désigné par le lieutenant-gouverneur de cette colonie. »
On devine aisément les raisons pour lesquelles le lieu d'internement du Chérif fut choisi dans un « centre fétichiste ». Nous verrons que cet éloignement du Cheikh ne l'empêcha nullement de communiquer avec ses fidèles de la Mauritanie et du Soudan. En dépit des précautions prises par les autorités coloniales, l'homme de Nioro introduisit le tijânisme « onze grains » dans la forêt ivoirienne.
Il nous paraît intéressant de relever les motifs invoqués par le résident de Méderdra pour justifier le transfert de l'interné politique en Côte d'Ivoire. Selon les versions recueillies auprès de certains témoins oculaires des bagarres de Kaëdi, à aucun moment, ni avant, ni après les événements, Mamadou Sadio n'a prétendu avoir reçu des directives du Chérif Hamahoullah. D'ailleurs le rapport de l'inspecteur des affaires administratives, bien qu'il soit tendancieux, ne révèle rien à ce propos.
Mamadou Sadio aurait dit lors de son interrogatoire : « Je ne regrette rien de ce que j'ai fait, je suis le seul responsable de la résistance de notre groupe aux tirailleurs ». Cette thèse est confirmée par Dumas : « Mamadou Sadio … avec un cynisme révoltant avoue être l'instigateur de l'agression 68. » Il paraît intéressant de révéler que même certains prosélytes du tijânisme « douze grains » reconnurent que Cheikh Hamahoullah n'était pas l'homme à approuver la violence qui sévissait entre les musulmans de Kaëdi.
Manifestement, Chazal, le résident de Méderdra, avait incriminé à tort Cheikh Hamahoullah en lui imputant une certaine responsabilité dans les événements tragiques du Gorgol. Son opinion était loin d'être partagée par le commandant de cercle de Kaëdi. En effet, ce dernier souhaitait non pas l'éloignement du Cheikh, mais sa venue à Kaëdi en vue de ramener le calme dans la localité. D'ailleurs, dès décembre 1929, Quesgneaux avait écrit dans ce sens au gouverneur de la Mauritanie :
« Le fond de l'hostilité est purement religieux (…) il paraît indispensable de faire intervenir des lettrés musulmans. Un certain nombre de ceux-ci, des « douze » et non des moindres, m'ont affirmé qu'un voyage ici de Chérif Hamala amènerait la réconciliation définitive, que ce marabout ne pourrait que blâmer les pratiques réprouvées par la loi musulmane (…) et enfin me demandèrent de faire part de ce désir au chef de la colonie en offrant de payer les frais de voyage.
Si je n'ai personnellement pas d'avis sur ce point, étant trop neuf en Mauritanie et ne connaissant pas Chérif Hamala, je crois que mon prédécesseur, M. Charbonnier, partage l'avis de ces lettrés et j'ai une tendance à le partager pour ce que j'ai appris depuis mon arrivée 69. »
Dans une lettre en date du 4 mars 1935 à propos de la libération anticipée de Cheikh Hamahoullah (qui fut envisagée mais non accordée à cause de l'avis défavorable des autorités du Soudan), V. Chazelas gouverneur de la Mauritanie reconnaît que le marabout maure n'était pas responsable des incidents de Kaëdi :
« Le Gouverneur général m'a transmis le rapport de l'administrateur en chef M. Beyries sur l'état religieux et social de l'Islam maure et me prescrit d'examiner en liaison directe avec vous la suggestion relative à la libération anticipée de Chérif Hamallah. J'ai l'honneur de vous faire connaître que je ne vois aucun inconvénient à une libération anticipée de ce personnage religieux. Pendant la période qu'il a été interné à Méderdra il a eu des relations correctes avec l'administration locale. Il a laissé dans le pays la réputation d'un homme d'une grande valeur morale, charitable et (…) désintéressé. Son transfert à la Côte d'Ivoire en 1930 a été la conséquence des désordres survenus à Kaëdi à la suite des excitations de Yacoub Silla (…) Mais le rapport de l'administrateur Beyries fait ressortir que Cheikh Hamallah n'a jamais d'ailleurs été personnellement mis en cause et ne doit pas être tenu pour responsable des excès en question 70. »
Quoi qu'il en soit, Chérif Hamahoullah et ses trois compagnons quittèrent Méderdra le 10 avril au matin à destination de Dakar où ils arrivèrent le 11 avril 1930 à douze heures. A seize heures, le même jour, ils furent embarqués sur le vapeur Niger en direction de Grand-Bassam 71.
De cette localité, ils rejoignirent Agboville. Là, ils ne restèrent qu'une nuit. Ce bref séjour ne passa pas inaperçu. Il fut très mouvementé. Les populations de la forêt ne pouvaient rester indifférentes à la nouvelle de la présence parmi elles de « l'homme miracle du Nord, le nouveau Samori qui ose défier les Blancs ». Les Agbovillois qui avaient déjà entendu parler du Chérif de Nioro voulaient tous le voir et le toucher. Lorsqu'on leur refusa l'autorisation d'entrer dans la demeure de l'adjudant-chef Mamadou Konaté où le Cheikh était logé sur les instructions de l'administrateur, ils démolirent les murs à coups de pique. Il fallut l'intervention des forces de police pour disperser la foule de ces visiteurs peu commodes 72.
D'Agboville, le marabout fut déporté à Adzopé. Dans cette subdivision, la présence du Chérif est signalée par le Commandant de cercle de l' Agnéby : « Chérif Hamallah et suivants sont actuellement très surveillés à Adzopé 73. »
En dépit des mesures prises pour l'isoler de la population, l'élève de Lakhdar fit de nombreux adeptes dont Banéné Traoré, le chef de la communauté dioula. Lors de notre séjour, ce vieillard nous fit conduire par Birama Traoré sur la place où se trouvait naguère la résidence du Chérif. De ce bâtiment, il ne reste rien. C'est à peine, si l'on en discerne encore les fondations. Ce local était situé entre le bureau 74 de l'administrateur et le logement du brigadier chef des gardes.
Selon les témoignages recueillis auprès des vieux d'Adzopé, Cheikh Hamahoullah vivait en compagnie de trois personnes : Sidi, Mamadou et Bilali. Ce que confirme d'ailleurs Gabriel Marguay le Commandant de cercle de l'Agnéby : « Sont présents à Adzopé Hamallah ould Mohamédou ould Seydna Oumar … et sa suite : Bilali, Amadou ould Saady et Mamadou Diallo. Rien à signaler sur leur conduite car ils sont surveillés de très près 75.
Auparavant, les mêmes autorités signalent que « d'après le chef de subdivision d'Adzopé, Chérif Hamallah et ses suivants sont calmes, l'humidité de la saison des pluies semble éprouver leur santé et ils sont presque continuellement malades 76. » Les rapports politiques sont souvent très laconiques au sujet de l'interné.
Mais les témoignages oraux semblent plus importants. C'est donc grâce à la tradition orale que nous savons que Hamahoullah n'était pas autorisé à prendre contact avec la population d' Adzopé. Même lorsqu'il se trouvait devant la porte de sa résidence pour faire ses ablutions, c'était sous la surveillance des gardes de cercle. Personne n'osait s'approcher de la résidence du Cheikh sous peine d'emprisonnement.
En effet, des personnes avaient été incarcérées pour avoir salué le Chérif. Soupçonnés d'avoir pris des contacts avec Cheikh Hamahoullah, Birama Traoré et Banéné purgèrent une peine de huit jours de détention 77.
Comme on le constate, les conditions d'internement du marabout étaient beaucoup plus dures qu'à Méderdra.
Malgré l'étroite surveillance que les autorités coloniales exercèrent sur le Cheikh, il réussit à maintenir les contacts avec sa famille et nombre de ses partisans du Soudan 78 et de la Mauritanie. Il parvint également à communiquer avec les musulmans d'Adzopé. A une heure très avancée de la nuit, il recevait des visiteurs avec la complicité du brigadier des gardes de cercle. Le chef de la subdivision d'Adzopé qui ne se doutait de rien écrivait en 1930 :
« Le Chérif Hamallah et ses suivants sont très surveillés. Des indigènes, la nuit ont essayé de communiquer avec lui et n'ont pu s'échapper que grâce à l'obscurité 79. »
Plus tard, l'administrateur finit par être informé de ces visites et des correspondances que recevait le détenu.
« Chérif Hamallah est à Adzopé. A part sa correspondance clandestine qui a motivé le changement d'affectation d'un brigadier des gardes de cercle, il n'a donné aucun ennui étant d'ailleurs étroitement surveillé 80. »
A la vérité, durant tout son séjour à Adzopé, Chérif Hamahoullah s'attacha tous les gardes qui étaient chargés de sa surveillance. Du Soudan et de la Mauritanie, les lettres et les colis destinés au Chérif étaient expédiés à Abidjan à l'adresse de Sidati ould Baba Aïnina, un ressortissant mauritanien dont nous parlerons plus loin. De la capitale ivoirienne, le courrier était acheminé à Adzopé par un certain Baïlo Moussa qui le confiait à Dramane, l'infirmier chargé de suivre l'état de santé de Cheikh Hamahoullah. Vers la fin de son séjour, le marabout fut autorisé à envoyer l'un de ses compagnons pour faire des courses en ville. C'était en l'occurrence Bilali qui se chargeait de ces emplettes. Sidati ould Baba Aïnina venait souvent le rencontrer au marché d'Adzopé pour lui remettre la correspondance clandestine du Cheikh. Ce dernier réussit à établir des contacts avec les populations de la région. ll initia de nombreux Ivoiriens et Voltaïques au tijânisme « onze
grains ». Il éleva certains au rang de moqaddem. Parmi ces nouveaux lieutenants du marabout, on cite généralement les noms de Yacouba Konaté (originaire de Ouahigouya), Ladji Tiréra de Bouaké et Sanoussin Diaby de Daloa. Enfin, d'après les mêmes témoignages, Cheikh Hamahoullah refusa de percevoir ses allocations mensuelles de
350 francs 81.
Cette dernière attitude peut être considérée comme un moyen de protestation du Chérif de Nioro contre la mesure qui le frappait.
Selon les vieux d'Adzopé, c'est pendant son internement en Côte d'Ivoire que Cheikh Hamahoullah prit réellement conscience de l'attitude du régime colonial à son égard. Durant tout son itinéraire, de Nioro à Bamako et de Bamako à Méderdra, il se considérait comme une victime innocente, puisqu'il n'avait, selon lui, rien fait pour mériter la prison. Il ne semblait pas en vouloir à l'administration coloniale. Il se sentait victime de délations mensongères. Il aurait longuement réfléchi dans sa prison d'Adzopé. C'est là qu'il semble avoir compris qu'il devait choisir entre la soumission totale et sans réserve, et la volonté de résistance qu'on lui prêtait depuis 1924.
Il semble qu'il ait choisi finalement de ne pas se départir de son esprit d'indépendance, c'est-à-dire la seconde solution.
C'est donc après avoir été provoqué et envoyé en prison que le Cheikh se comporta comme un résistant à la colonisation française.
Avant sa libération, il commença la prière abrégée, la Ṣalât al-khawf, littéralement la prière de la peur ou de l'insécurité, qui n'était pratiquée aux débuts de l'Islam que par les voyageurs, les combattants de la foi, et tous les musulmans qui ne se sentaient pas en sécurité du fait du voisinage des infidèles. Mais c'est à son retour 82 à Nioro en 1936 que l'administration fut informée de cette nouvelle pratique du Chérif.
Cheikh Hamahoullah arriva à Nioro le jeudi 28 shawwâl 1354 de l'Hégire, vers neuf heures 83. Le même jour, ses proches constatèrent qu'il abrégeait ses prières. Pour justifier cette nouvelle pratique, il déclara qu'il se fondait sur le verset 102 de la sourate IV du Coran :
« Si vous courez le pays, il n'y aura aucun péché d'abréger vos prières, si vous craignez que les infidèles ne vous surprennent ; les infidèles sont vos ennemis déclarés » 84
Chacune des deux conditions évoquées dans la sourate IV semble autoriser la prière abrégée : quand le musulman est en voyage ou quand il vit dans l'insécurité.
C'est surtout cette deuxième condition qu'invoquait Cheikh Hamahoullah pour abréger ses prières. Il estimait qu'il y avait de sérieuses menaces qui pesaient sur sa sécurité. Il se disait exposé à des mesures arbitraires d'un pouvoir colonial hostile à l'Islam : « Interrogé par un lettré arabe nommé Mohammed Mahmoud, Chérif Hamallah viendrait en effet de définir comme suit son attitude actuelle : avant je priais comme tout le monde mais les Blancs m'ont exilé en Côte d'Ivoire, là j'ai commencé à diviser les prières, on m'a fait revenir à Nioro mais je ne suis pas encore libre, un jour ou l'autre, les mêmes Blancs pourront peut-être me mettre à mort. Je ne puis donc abandonner ma nouvelle façon de prier 85. »
La pratique de la Ṣalât al-khawf par Chérif Hamahoullah créa une véritable controverse religieuse au Soudan, au Sénégal et en Mauritanie de janvier 1936 à septembre 1937. Ses adversaires prétendaient qu'au plan strictement religieux, rien ne lui permettait d'abréger ses prières. Ils ne retenaient comme valable que la première condition évoquée dans la sourate IV, à savoir le voyage. Ils firent comprendre aux tenants du système colonial que Cheikh Hamahoullah créait par sa nouvelle manière de prier une atmosphère de guerre sainte, avant d'ajouter que la sourate IV avait été révélée au Prophète Mohammed en période de jihâd. Pour le musulman assez conservateur qu'était Cheikh Hamahoullah, tout croyant devait s'appliquer à respecter les commandements issus de la « Parole de Dieu », le Coran. Il soutenait qu'il était insensé de vouloir renoncer aux dévotions que commandent les nombreux versets révélés au prophète de l'Islam pendant le jihâd, sous prétexte qu'ils incitent à la guerre sainte.
Enfin, pour le Chérif de Nioro, le problème de la prière abrégée relevait finalement d'une affaire de conscience et d'interprétation personnelles. C'est sans doute la raison pour laquelle il n'a pas imposé sa nouvelle manière de prier à ses fidèles. Il convient de noter que la prière abrégée avait soulevé en d'autres temps et sous d'autres cieux des controverses célèbres.
D'ailleurs, les quatre grandes écoles juridiques du sunnisme (ou madhâhib), le ḥanafisme, le mâlikisme, le shâfi'isme et le ḥanbalisme ont des positions différentes sur la pratique de la prière abrégée 86.
Pour l'Imam Mâlik, il n'est permis d'abréger les prières que lorsqu'on est en voyage ou en période de guerre sainte.
Pour l'Imam al-Shâfi'î, abréger les prières n'est pas une obligation même si on est en voyage ou sous la menace des infidèles. Le choix serait donc laissé au croyant.
Pour l'Imam Abû Ḥanîfa 87, le voyageur et le mujâhid doivent obligatoirement abréger leurs prières.
Une des études les plus récentes sur la prière abrégée reste celle de Rashîd Riḍâ (mort en 1935). Dans son ouvrage intitulé Tafsîr almanâr 88, il cite le verset 102 de la sourate IV et signale les divergences des quatre grandes écoles juridiques sunnites à propos de la prière abrégée.
Après avoir clairement présenté les thèses défendues par les différentes tendances, il semble se rallier aux vues du célèbre Ibn Qayyim, l'auteur de Zâd al-ma'âd :
En général, les « douze grains » condamnèrent l'attitude de Cheikh Hamahoullah qui ne bénéficia pas en cette occasion de l'appui de tous ses disciples. Il fut violemment contesté par des marabouts du Hodh et de la région de Mourdiah qui s'étaient jusque-là distingués par leur zèle à défendre le tijânisme « onze grains ». C'est dans cette atmosphère de contestation au sein de la confrérie hamalliste que parut l'ouvrage du célèbre Sidati ould Baba Aïnina intitulé Bahjat al-shabaḥ wa-l-arwâḥ. (Bonheur des corps et des âmes dans la prière abrégée).
Se fondant sur des ḥadîth et de nombreuses sourates du Coran, Sidati réussit à convaincre la plupart des contestataires, que la prière abrégée était permise non seulement à Cheikh Hamahoullah dans les conditions particulières où il se trouvait, mais à l'ensemble des musulmans qui ne se sentaient pas en sécurité du fait de la présence coloniale.
De son côté, Mohammed Lémine ould Khtour tournait en dérision dans des poèmes particulièrement caustiques l'attitude des marabouts hamallistes qui avaient condamné la pratique de la prière abrégée.
Cheikh Hamahoullah, qui faisait de cette affaire un problème de conscience personnelle, n'intervint pas dans le débat.
Parmi les marabouts hamallistes qui s'obstinèrent dans leur opposition à la prière abrégée, certains avaient fait mine de se rétracter mais ils n'ont jamais pardonné les satires de Mohammed Lémine ould Khtour. Ils combattirent sournoisement Cheikh Hamahoullah et n'hésitèrent pas à le calomnier 89 auprès de l'administration coloniale.
Prétextant du fait que le verset 102 de la sourate IV du Coran n'avait été mis en application au temps du Prophète Mohammed qu'en période de jihâd, les adversaires de Cheikh Hamahoullah réussirent à convaincre l'administrateur de Nioro que, par sa nouvelle façon de prier, le marabout conviait implicitement les musulmans de la région à proclamer la guerre sainte dans le but de mettre fin à la domination française 90.
C'est dans ces conditions que le Cheikh fut convoqué par le commandant de cercle de Nioro avant d'être interpellé en ces termes :
— Pourquoi abrèges-tu tes prières ? Pourquoi tiens-tu à te singulariser en faisant deux raq'a? Te prends-tu maintenant pour un Prophète ?
Gardant son calme habituel, sans élever la voix, Cheikh Hamahoullah fit la réponse suivante :
— Monsieur le Représentant de la France, dites-moi, s'il vous plaît, combien de raq'a sont prescrites par la France 91 ?
Surpris et vexé, l'administrateur français congédia sans ménagement le marabout.
A l'époque, on fit beaucoup de bruit autour de la prière abrégée ; celle-ci fut interprétée dans un certain nombre de correspondances officielles comme un signe d'hostilité à l'égard de l'administration coloniale :
« L'Islam fait un devoir à ses fidèles de ne pas vivre dans un pays soumis aux infidèles mais faute de pouvoir les chasser, il leur prescrit lorsqu'ils sont opprimés de se contenter d'une révolte morale.
La prière abrégée est le signe qu'il se dérobe spirituellement à la domination de l'infidèle 92. »
En vérité, Cheikh Hamahoullah semblait vouloir susciter une prise de conscience chez ses frères en religion en leur rappelant l'hostilité de l'administration coloniale à l'égard de l'Islam. Il se comportait comme un résistant qui tenait à utiliser l'arme la plus redoutable contre l'arbitraire, celle de la foi.
Le colonisateur ne s'y laissa pas prendre, d'autant plus que le thème du jihâd était revenu à la mode dans les mosquées et les zâwiya depuis que Cheikh Hamahoullah avait commencé d'abréger ses prières. Il préféra cette fois-ci la conciliation à la répression. Cette modération était purement tactique et ne traduisait aucune volonté d'assouplissement du régime colonial de la part du gouvernement issu du Front populaire (1934-38). Surtout si l'on sait que le gouverneur du Soudan français avait déclaré au gouverneur général en tournée à Bamako :
« Chérif Hamallah nous est ouvertement hostile. Il s'estime en danger de notre fait… Son prestige religieux sera difficile à ruiner 93. »
Comme nous l'avons mentionné, un émissaire du gouvernement général se rendit le 7 septembre à Bamako et le 8 à Kayes en vue « d'ébranler et d'amener à la raison » les adeptes de Chérif Hamahoullah.
Au même moment, les plus hautes autorités de l' A.O.F. avaient réaffirmé leur politique traditionnelle à l'égard du hamallisme. Les administrations locales en avaient été informées par lettres confidentielles 94.
Curieusement, c'est au même moment que le gouverneur général désigne un marabout influent du tijânisme « douze grains » et connu pour son opposition au hamallisme, pour aller « réconcilier Cheikh Hamallah et ses adversaires de Nioro ».
Le commandant de cercle de Nioro rendit compte à sa manière de cette médiation sans dire au gouverneur général qu'en échange de l'abandon de la prière abrégée on avait promis au Chérif de le laisser en paix, ainsi que ses fidèles :
« Le 25 septembre … Il (le marabout délégué par le gouverneur) assistait à l'entrevue entre l'administrateur et le Chérif Hamallah dans le bureau du commandant de cercle, entrevue au cours de laquelle Chérif Hamallah promit de renoncer à la prière abrégée. Et le jour même, au salam du soir Chérif Hamallah et ses télamides (disciples) récitèrent comme les omariens la prière à quatre rekaat.
Et le lendemain … il (le marabout représentant le gouverneur) glorifia en termes élevés l'oeuvre de la France en Afrique noire. Par leur tolérance en matière de religion … les Français sont, affirma-t-il, les meilleurs de tous les peuples colonisateurs 95. »
Reprenant onze ans plus tard le dossier de cette « réconciliation de Nioro », Alphonse Gouilly affirme que le marabout envoyé par le gouverneur pour « réconcilier » Hamallah et ses adversaires fut promu pour la circonstance officier de la Légion d'Honneur ; avant de poursuivre :
« Le Gouverneur général lui écrivit personnellement pour le féliciter de ses bons offices. Quant à Hamallah, il reçut le télégramme suivant : “En abandonnant publiquement la prière abrégée, en conseillant , à vos adeptes suivre cet exemple raisonnable, avez donné autorités françaises témoignages que j'attendais de vous.”
En définitive, cette réconciliation dont on augurait tant et que l'on plaçait sous le signe du respect des croyances, paraît bien n'avoir été que la soumission de Hamallah aux règles d'un ordre rival sur la pression d'une administration qui se fit championne d'une prétendue orthodoxie.
D'ailleurs, moins de deux ans après la réconciliation une surveillance très attentive mais extrêmement discrète était prescrite par le Gouvernement général sur les agissements de quinze hamallistes signalés comme suspects par d'autres musulmans, tandis que des fonctionnaires hamallistes étaient mutés et qu'une enquête était ordonnée sur les progrès du Hamallisme parmi les tirailleurs de Nioro 96. »
En vérité, l'administration coloniale redoutait surtout l'arme politique que constituait la prière abrégée pratiquée comme manifestation de protestation contre un pouvoir non musulman dans le contexte religieux du Sahel à l'époque. Son objectif essentiel mais inavoué était la disparition de la confrérie hamalliste par la répression, rejetant ainsi les solutions moins arbitraires qui lui étaient proposées par certains fonctionnaires européens, certes minoritaires, mais plus avertis des réalités locales que les gouverneurs.
A ce sujet, on lit dans le rapport du lieutenant Long :
« Nous ne pouvons nous immiscer dans les querelles confessionnelles, nous n'avons pas d'autre part une “équipe” de grands marabouts assez prestigieuse pour combattre victorieusement l'hérésie nouvelle.
A mon sens, la sagesse serait de gagner les chefs locaux du hamallisme, de les faire prisonniers des honneurs, de les acheter enfin. Privé de mots d'ordre le mouvement ne gagnerait plus d'adeptes nouveaux, stagnerait et disparaîtrait enfin comme ont disparu toutes les petites chapelles vivant en vase clos 97. »
De son côté, Cheikh Hamahoullah n'était pas dupe quant aux intentions de l'administration coloniale à son égard, d'autant plus que les marabouts les plus hostiles à sa confrérie jouissaient plus que jamais des faveurs et de la protection des administrateurs.
Le Cheikh ne demandait qu'à être rassuré qu'il ne serait plus inquiété. Pour des motifs religieux, il souhaitait rester en marge de la vie coloniale. Il abandonna la prière abrégée dès que le commandant de cercle de Nioro lui donna les assurances qu'il revendiquait 98.
Mais la vérité c'est qu'il n'y avait pas eu de réconciliation entre les tijânis « douze grains » de Nioro et la confrérie de Cheikh Hamahoullah. On avait surtout voulu que Cheikh Hamahoullah abandonnât la prière abrégée, et les assurances qui lui avaient été données relevaient de la simple hypocrisie. La fragilité de la « réconciliation » de Nioro n'avait pas échappé à la foule de fidèles rassemblée par les gardes de cercle autour de l'administrateur de Nioro, entouré de Cheikh Hamahoullah et de l'émissaire du gouverneur général.
En effet, lorsque ce dernier déclara à Cheikh Hamahoullah, citant un verset du Coran 99, « Allah nous demande d'obéir à ceux d'entre nous qui exercent l'autorité », Cheikh Hamahoullah lui répondit :
— Je suis d'accord avec vous, mais Allah s'adressait aux seuls musulmans lorsqu'il a dit dans le verset que vous citez : obéissez à ceux d'entre vous qui détiennent le pouvoir. Que je sache, ce ne sont pas les musulmans qui exercent actuellement l'autorité dans nos pays 100.
Comme on pouvait le deviner, cette « réconciliation » du 25 septembre 1937 fut sans lendemain, d'autant plus que l'attitude de l'administration coloniale à l'égard du hamallisme n'était pas de nature à favoriser une entente définitive entre les hamallistes et leurs adversaires religieux. En effet, moins d'un an après, l'incident d'Akwawine marquera le début de nouvelles tensions sociales dans les confins soudano-mauritaniens. La haine religieuse mêlée d'inimitiés tribales anciennes créera une situation sociale explosive qui s'achèvera par des combats fratricides sanglants.
Le 3 juin 1938, Baba, le fils aîné de Cheikh Hamahoullah, quitta son campement situé à une centaine de kilomètres au nord de Nioro pour rendre visite à son père. Après une journée de voyage, soit le 4 juin 1938, il arriva au village d'Akwawine. Là, il rencontra, à sa grande joie, sa mère Khaïty mint Taleb Chabbé revenant de Nioro. Ils décidèrent de rester ensemble jusque vers la seizième heure, la chaleur les obligeant à interrompre momentanément leur voyage. Baba était accompagné de Teïna ould Bouboye 101, Taleb Mohammed ould Moustaphe 102, El-Hassen ould Moustaphe 103, et Bébaly ould Moulaye Idriss 104.
Ce dernier fut à l'origine de l'incident d'Akwawine. En effet, tous les voyageurs étaient réunis à l'ombre d'un grand arbre lorsque Bébaly se leva pour aller abreuver les chameaux au puits du petit village d'Akwawine. Là, les animaux commencèrent à boire. Peu après, un Tinouajiou, celui qui avait rempli l'abreuvoir, les chassa en leur assénant de violents coups. Pour manifester son mécontentement,
Bébaly Ould Moulaye Idriss proféra des injures au Tinouajiou qui répondit aussitôt. Fort nerveux et fier, le Chérif n'était pas de tempérament à supporter les injures d'un « serviteur ». Il projeta le Tinouajiou dans la boue. Les cris de l'assistance alertèrent tout le village qui se rendit sur les lieux de la bagarre. La solidarité tribale et la haine religieuse jouant, une soixantaine de disciples de Fah ould Cheikh el-Mehdi ligotèrent le compagnon et cousin du fils de Cheikh Hamahoullah.
Baba qui se trouvait à environ deux cents mètres du puits se présenta à la foule. Il n'eut pas le temps de parler, il fut insulté, battu et ligoté à son tour. Ses deux compagnons qui étaient restés 105 sous l'arbre pour surveiller les bagages prirent d'urgence la direction de Nioro pour annoncer la nouvelle de la bagarre. Entre temps, les habitants d'Akwawine confisquaient les chameaux et les biens des chérifs déjà enfermés dans une case.
D'après des témoignages 106, on fit marcher le fils de Cheikh Hamahoullah sur des braises ardentes. Selon une autre thèse, on l'obligea à marcher pieds nus et le sable chaud des dunes d'Akwawine lui brûla les pieds 107. Faut-il encore rappeler qu'il existait une vive rivalité entre les tribus Laghlal et Tinouajiou qui se haïssaient et cela, bien avant la naissance du mouvement hamalliste ? Ces derniers étaient restés en majorité réfractaires à la tariqa du Chérif de Nioro.
Avec l'apparition du tijânisme « onze grains » au Sahel soudano-mauritanien, les rivalités religieuses vinrent s'ajouter à l'antagonisme d'ordre tribal. Comme leurs hôtes « douze grains » de Nioro, les Tinouajiou étaient quelque peu inquiets de la progression rapide du hamallisme dans la région. Pour eux, la confrérie de Cheikh Hamahoullah apparaissait avant tout comme un mouvement regroupant leurs ennemis traditionnels, les Laghlal 108. Cette version est confirmée par le gouverneur du Soudan qui écrivait en 1941 dans son rapport politique annuel :
« Les Tinouajiou se sont toujours considérés d'un niveau intellectuel supérieur à celui des tribus voisines. Ils estiment avoir seuls de profondes connaissances en textes sacrés et ne cessent de manifester mépris et dédain à l'égard de ceux qui les entourent. De temps en temps, de petits incidents sont relevés entre Tinouajiou d'une part, Laghlal, Chorfa, Ahel Sidi Mahmoud et Ladern d'autre part. Ceux-ci supportent difficilement l'attitude arrogante des Tinouajiou envers eux ; d'origine guerrière, ils n'admettent pas la supériorité de cette tribu de marabouts. En outre, les Tinouajiou sont réfractaires à l'action hamalliste tandis que les Maures des autres tribus sont entièrement acquis au tijânisme onze grains 109. »
Après ce rappel, il convient de dire que Bébaly et Baba ne furent libérés que le 5 juin au soir, sur l'intervention des goumiers Oulad Nacer en patrouille dans la région 110. Le premier fut emprisonné et le second fut envoyé au dispensaire de Nioro. Selon des versions recueillies dans la région, des chefs de tribus et de nombreux fidèles sont venus exprimer au Chérif de Nioro, de la manière la plus pressante, leur soutien et leur solidarité dans l'affaire d'Akwawine à laquelle Cheikh Hamahoullah ne voulait cependant donner aucune suite.
A Nioro, dès que les hamallistes apprirent que leurs « frères ennemis » avaient maltraité le fils de leur Cheikh, ils décidèrent de mener une expédition punitive contre les Tinouajiou d'Akwawine.
Mais c'est Cheikh Hamahoullah lui-même qui les en dissuada.
Quant à l'administrateur de Nioro, il s'abstint de prendre toute sanction à l'encontre des agresseurs du fils du marabout. Ce dernier décida d'ailleurs de ne pas porter plainte auprès d'une administration à laquelle il ne souhaitait reconnaître ni de facto ni de jure, aucune légitimité.
Pour justifier l'attitude du commandant de cercle de Nioro, le gouverneur par intérim du Soudan, écrivit au gouverneur général :
« Pour donner satisfaction à Chérif Hamallah et au chef tinouajiou … le commandant de cercle propose qu'aucune suite judiciaire ne soit donnée à cette affaire (d'Akwawine) 111 . »
Après sa guérison, Baba fut convoqué par son père qui le sermonna sérieusement et le pria d'éviter à l'avenir tout incident qui occasionnerait des contacts avec les administrateurs coloniaux. Baba ne dit pas un mot avant de se retirer quelques instants après. Lui qui était vindicatif de nature, orgueilleux et très intelligent, ne pouvait pardonner et moins encore oublier ce qu'il aurait appelé « l'affront d'Akwawine ». Désormais, il mit son génie au service de son désir de vengeance. Sa tâche ne fut pas difficile dans la mesure où l'inimitié entre les Tinouajiou et la plupart des autres tribus de la région était, semble-t-il, à son paroxysme. L'attitude de l'administrateur de Nioro ne fut pas de nature à ramener le calme dans les esprits, comme le révèle si bien un journal de l'époque :
« La surprise est grande, l'inquiétude également depuis que ce scandale a eu lieu (l'incident d'Akwawine) aucune sanction n'a été prise contre les fauteurs. L'administration reste passive devant le fait ; cette dissension que Monsieur l'administrateur, commandant le cercle de Nioro, se plaît d'appeler querelle d'enfants deviendra la source de rébellions si les autorités ne prenaient les devants et ne jugeaient l'affaire avec toute l'importance qu'elle mérite. Ce n'est pas sur du pus que l'on guérit une plaie, disent les Bambaras. Le clan adverse (Kabalanké et Foutanké) ne manque pas de stratagème pour surprendre la bonne foi des gens honnêtes, ils sont les conseillers et les hôtes des Tinouassives 112.
Avec les mensonges forgés de toutes pièces, ces gens, pour dissimuler leur faute, n'ont pas manqué d'inventer que Seydna Oumar (Baba) et sa suite … avaient un revolver et un fusil. … Bravo, le filon est trouvé et cuisiné. Mais le bon sens est là pour les démentir. Que ne s'est-il défendu puisque le cas était légitime, avec les armes qu'on fait siennes quand il s'est vu envahi par toute une tribu ? (soixante personnes environ !) C'est quand on est armé qu'on se laisse ligoter, brûler la plante des pieds sans faire entendre une détonation ? Vous conviendrez que non 113 ! »
Les agresseurs de Baba n'ayant pas été punis, ce dernier était décidé à se faire lui-même justice. Il le fit à sa manière deux ans plus tard à Mouchgag.
L'une des conséquences de l'incident d'Akwawine fut le choc sanglant de Mouchgag. En effet, de juin 1938 au début d'août 1940, Baba mena discrètement auprès des chefs de tribus du Hodh et de l'Assaba une véritable campagne anti-tinouajiou. Il réussit très facilement à convaincre ses interlocuteurs de la nécessité d'une intervention armée contre la tribu qui l'avait malmené à Akwawine. Il leur fit comprendre que l'impunité était d'avance assurée dans la mesure où la France était en guerre 114.
Il fallait donc, selon lui, profiter de la faiblesse momentanée d'une administration démoralisée par les nouvelles de la défaite de 1940 pour châtier impunément les Tinouajiou.
Le fils de Hamahoullah s'assura de l'alliance des chefs de tribus Laghlal, Ladern, Chorfa, Idaou el-Haj, Ahel Sidi Mahmoud et Oulad Nacer. Mais auparavant, il obtint de tous ses alliés que son père ne fût pas informé des préparatifs de l'agression. Le 27 août au soir, il regroupa tous ses partisans au lieu connu sous le nom de Lemzeïnzra.
Etaient présents 2 000 hommes selon les uns 115 et 700 d'après le gouverneur du Soudan 116. Le massacre des campements tinouajiou eut lieu le 28 août 1940 à l'aube. La nouvelle parvint en ces termes à Saint-Louis, chef-lieu de la Mauritanie :
« En tournée 6 septembre stop. D'après renseignements plusieurs centaines hamallistes fractions Chorfa, Ladern, Laghlal, Ahel Soueïd de Nioro, Ahel Sidi Mahmoud de Kayes, Laghlal de l'Assaba se sont rassemblés en bandes armées sous direction Baba ould Cheikh Hamallah, région Zomeïta stop. Ont pris et tué douze Tinouajiou isolés, puis 27 août treize Tinouajiou stop. Ont attaqué 28 août matin près de Lemras 117 très important campement tinouajiou Lemras les pillant et détruisant grand nombre de personnages amenant tout bétail 118 et serviteurs stop . »
Il convient de faire remarquer que, d'après les témoignages que nous avons recueillis aussi bien auprès des Tinouajiou que des Chorfa, il n'y eut aucun conflit avant le 28 août, la bataille n'ayant commencé que ce jour à l'aube. Elle ne dura pas plus de deux heures. Contrairement aux informations officielles, les Ahel Soueïd ne participèrent pas à l'expédition.
Mais voyons d'abord les résultats de l'enquête qui suivit le conflit 119 :
« Fin août 1940, sur les confins Mauritanie-Soudan, plus de cinquante fractions de diverses tribus maures de ces colonies prirent part à différentes agressions contre la tribu tinouajiou qui eut 247 tués et ses biens pillés. Ces agressions connues sous le nom général d'Affaire Nioro-Assaba, cercles Nioro et Assaba étant le théâtre des opérations, se déroulèrent aux lieux dits :
- Lemzeïnzra 24 août 1940
- Lemzeïta 25 août 1940
- Achemmat 27 août 1940
- Lemras ou Mouchgag 28 août 1940 120. »
Les agresseurs ont ensuite menacé gardes Tamchakett en tournée en se déclarant en révolte contre autorité française stop 121. »
Toutes ces informations sont inexactes, comme on l'a déjà souligné, la bataille n'a pas duré quatre jours, le nombre des victimes n'est qu'approximatif, les vainqueurs ayant emporté leurs morts.
Enfin, les fractions coalisées étaient moins de dix. Nous les avons toutes citées.
A la vérité, certains administrateurs ont exagéré la gravité de l'affaire, ils ont tenu à lui donner une envergure qu'elle n'avait pas, à la suite des propos que les Tinouajiou prêtèrent à Baba et à ses partisans : « Cette nuit marque la fin de la puissance française. Lorsque nous aurons exterminé les Tinouajiou nous ferons de même pour tous ceux qui ne sont pas tijânis puis viendra le moment de se retourner contre les Français 122. »
Les coalisés du 28 août n'avaient à aucun moment envisagé de chasser les Français. Mais les administrateurs de Nioro, de Yélimané, avaient fait siennes les thèses défendues par les Tinouajiou, les vaincus de Mouchgag. Les faits furent dénaturés et amplifiés dans les rapports officiels 123.
Les objectifs visés étaient clairs : amener les autorités supérieures à adopter une politique de répression aveugle contre ceux qui participèrent à la bataille aux côtés des fils du Chérif de Nioro. Et pourtant, certains administrateurs reconnurent que le choc du 28 août n'était qu'une querelle de tribus qui pouvait être en rapport avec l'incident d' Akwawine :
« Nouveaux incidents peuvent être en corrélation avec rixe (Akwawine). Dans ce cas, leur portée ne devrait pas normalement dépasser cadre querelles religieuses entre indigènes sauf actes intempestifs notre part ou agissements pêcheurs en eau trouble que saurait éviter ou arrêter 124 . »
Cette hypothèse ne fut pas retenue à Dakar et à Saint-Louis. Du reste, le commandant de cercle de Kiffa se rallia finalement à la thèse de la rébellion contre l'autorité. Quoi qu'il en soit, Baba et ses partisans furent arrêtés 125 pour les motifs suivants : « attentats contre la sûreté de la Colonie dans le but d'en troubler la paix intérieure … assassinats d'un grand nombre de Tinouajiou ».
Dès qu'il fut informé des événements de Mouchgag, Chérif
Hamahoullah fit parvenir la lettre suivante à l'administrateur de Nioro:
« … Moi, Cheikh Hamallah… je suis témoin de Dieu sur la terre ; il ne sied pas à un témoin de Dieu de faire sur cette terre de Dieu ce qui déplaît à Dieu et à son Prophète (que le salut et la miséricorde soient sur lui) ; il ne doit pas habiter avec des personnes ayant l'intention de se battre, à plus forte raison être leur instigateur, encourager les hommes dans cette voie ou les réunir pour cette intention. Je demande que Dieu me détourne d'une telle tentative et me procure du bonheur. Dieu sait que jamais je n'entre dans cette voie et je n'ai à aucun moment tenté autre chose ; jamais pour l'amour de ce monde, je n'entreprendrai de telles tentatives, pas plus que je ne ferai cela pour l'amour d'un fils ou d'un chef car je renonce à tout, n'ayant en vue que Dieu et son prophète … Celui qui n'a d'autre souci que Dieu et son envoyé peut-il abandonner cette voie pour se préoccuper d'un autre ? Dieu est témoin de ce qui précède … 126 »
En écrivant cette lettre, les intentions du Chérif de Nioro étaient claires : condamner devant l'opinion publique le massacre des Tinouajiou. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, ce n'était ni l'exil, ni la persécution que redoutait Cheikh Hamahoullah. N'avait-il pas lui-même prédit sa déportation dès son retour d' Adzopé 127 ? Et il savait aussi que les Français ne cherchaient qu'une occasion pour l'abattre.
Comme ses fidèles et ses enfants étaient impliqués dans l'affaire « Assaba-Nioro », il craignait qu'on ne l'accusât d'avoir été l'instigateur du conflit de Mouchgag. Il se devait, en tant que chef de confrérie, de préserver son image d'homme de Dieu. Faut-il à ce propos faire remarquer que le nom de Dieu est mentionné onze fois 128 dans la lettre que le chef du tijânisme « onze grains » adressa à l'administrateur de Nioro ?
Cette missive ne servit à rien. L'administration ne lui fit aucune publicité. Les représentants du gouvernement pétainiste, empêtrés dans les difficultés liées à la guerre de 1939-45, décidèrent de sévir contre le Cheikh dont la culpabilité dans l'« Affaire Nioro-Assaba » ne fut jamais établie. A ce propos, le lieutenant Chapelle écrivait en 1942 :
« Quelle a été la responsabilité de Cheikh Hamallah dans les incidents Nioro-Assaba ? Il en a rejeté la responsabilité. A-t-il été l'instigateur et l'âme du complot ou un simple complice, ou fut-il complètement innocent ? Rien ne permet de répondre avec certitude à ces trois questions. Le procès n'a apporté que peu de lumière sur son rôle dans l'incident. Il est cependant peu vraisemblable que le Cheikh qui a supporté que ce ne soit pas lui l'instigateur, ait ignoré ce qui se préparait.
Deux de ses fils ont participé aux bagarres, lui ont rendu visite peu avant les troubles qui ne furent pas le résultat sanglant d'une rixe spontanée mais bien la manifestation d'un mouvement préparé et dirigé. Et l'on connaît suffisamment l'emprise du Cheikh sur chacun de ses fidèles pour en déduire que ceux-ci ne pouvaient entreprendre une si importante affaire sans lui demander au moins son approbation. Il semble donc que sa responsabilité soit la responsabilité morale que l'on peut imputer à un chef religieux dont la secte animée par lui-même d'un violent esprit de fanatisme et de sectarisme et menée par certains disciples influents et chefs de tribus d'autorité incontestable a causé de violents désordres et pourrait, si l'on n'y prenait pas garde, renouveler ses exploits. C'est pour cela que Cheikh Hamallah a été frappé aussi durement quoique l'on ait pu retenir aucun fait positif contre lui-même 129. »
On voit bien que si Hamahoullah avait été déféré devant un tribunal français, il aurait, au moins, incontestablement bénéficié du doute. Comme l'écrit Chapelle : « aucun fait positif n'a pu être retenu contre lui-même. » Il ne pouvait être tenu responsable des agissements d'un millier d'hommes lucides qui, de surcroît, résidaient à des centaines de kilomètres de Nioro, dans une autre colonie. Les arguments du lieutenant Chapelle sont peu convaincants : « on connaît suffisamment l'emprise du Cheikh Hamahoullah sur chacun de ses fidèles pour en déduire que ceux-ci ne pouvaient entreprendre une si importante affaire sans lui demander au moins son approbation. » Cet argument est réfutable. Surtout lorsqu'on connaît la réputation de sagesse du Cheikh Hamahoullah. Il a toujours fait preuve de pondération. En 1938, le Chérif intervint personnellement pour empêcher une armée de fidèles d'aller au village d'Akwawine pour libérer par la force son fils. A en croire les nombreux témoignages recueillis au Hodh, le Chérif n'avait pas été mis au courant de ce que tramait son fils en coulisse, loin de Nioro. Rien d'étonnant en cela, si l'on sait que, malgré leurs tournées incessantes, et malgré le nombre impressionnant de leurs goumiers dans la région, les administrateurs coloniaux des confins soudano-mauritaniens n'eurent pas eux-mêmes vent des préparatifs de ce conflit considéré comme l'une des plus grandes batailles de l'histoire du Sahel de Nioro. A la vérité, ceux qui avaient inutilement versé le sang de leurs frères sur les dunes mortes de l'Aouker savaient que pour la réussite de leur entreprise, il fallait tenir les administrateurs coloniaux et Chérif Hamahoullah dans l'ignorance de leurs machinations. En fait, Baba s'était contenté de préparer psychologiquement les tribus hamallistes à la lutte contre les Tinouajiou, sans dévoiler publiquement ses intentions réelles. Seuls quelques chefs influents et sûrs tels que Sidi ould Arbi et Sidi ould Brahim assistaient aux réunions secrètes dont nous parlions plus haut. C'est seulement à la veille de l'agression que les dirigeants des groupements maures annoncèrent leur décision de combattre les Tinouajiou. Ils réunirent ensuite les membres de leurs tribus. Ni Hamahoullah dont l'esprit « trop pacifiste » était mal apprécié par nombre de dignitaires maures, ni les administrateurs français qui résidaient tous à des centaines de kilomètres du théâtre des opérations, ne pouvaient donc être informés des préparatifs de l'expédition punitive de Mouchgag avant que celle-ci n'eût lieu. Quoi qu'il en soit, dans de nombreuses correspondances officielles envoyées des confins soudano-mauritaniens à destination du Haut-Commissariat de l'Afrique française, on tenta, sans succès d'ailleurs, d'établir la responsabilité morale du Chérif, à défaut de sa culpabilité dans les événements d'août 1940 :
« Cette affaire se présente donc comme une lutte d'influence religieuse, les fils de Cheikh Hamallah, chef de la confrérie, faisant la guerre sainte au nom de leur père, pour supprimer ses ennemis, Tinouajiou d'abord, qui se sont toujours montrés réfractaires à la Voie hamalliste, Européens ensuite dont la puissance n'existerait plus à la suite des événements d'Europe. L'enquête n'a pas permis d'apporter la preuve décisive que Chérif Hamallah ait été l'instigateur et l'ordonnateur de l'affaire Nioro-Assaba. Par contre, il apparaît absolument certain qu'il n'a pu être dans l'ignorance de ce qui se préparait et qu'il n'a rien fait pour l'empêcher 130. »
Ce que nous avons dit pour le rapport Chapelle, reste valable pour celui du gouverneur du Soudan, dans la mesure où aucune preuve formelle et irréfutable de la culpabilité du Chérif n'est encore donnée. Au lieu de se fonder sur des apparences (« il apparaît comme absolument certain») ou sur les hypothèses des administrateurs du Soudan traditionnellement opposés au hamallisme, le gouverneur général Boisson aurait pu éviter de condamner un innocent à dix ans d'internement s'il avait tenu compte des renseignements donnés par certains commandants de cercle de la Mauritanie vivant au contact des réalités maures. A ce propos, il nous paraît intéressant de rappeler les termes de la lettre de Dubié :
« Cheikh Hamallah, disent les notables de Tichitt, conseille à ses Télamides le calme, l'humilité : Si vous êtes frappés sur la joue droite, ne dites rien et tendez la joue gauche, etc., etc. Ils ne sont en relation avec lui qu'en ce qui concerne Allah et son prophète 131. »
Malheureusement pour l'homme de Nioro, son sort semblait fixé d'avance. Il fut « frappé durement ». Les autorités administratives n'avaient d'ailleurs pas besoin de prouver la « culpabilité » du mystique maure pour sévir contre lui, dans la mesure où celui-ci était un « indigène » relevant donc, selon l'expression de Lamine Guèye, « de l'arbitraire sans limite » (l'indigénat). En réalité, dans un système où l'administration était juge et partie, il serait injuste de parler de justice.
L'occasion que cherchait le chef suprême de l'A.O.F. pour
« châtier un indigène » qui n'a pas rallié le camp de l'administration après dix années de souffrance et d'exil pour « sa réserve », était là. Elle fut saisie. Comme semblent le vouloir les autorités administratives, s'agissant de Chérif Hamahoullah, « sa responsabilité étant et demeurant entière » 132, le haut-commissaire de l'A.O.F. fait procéder à l'arrestation du marabout.
« Par arrêté du Gouverneur général 133, Haut-Commissaire de l'Afrique française, du 11 juin 1941, en application des dispositions des décrets du 10 septembre 1940 et du 2 avril 1941, la peine de dix ans d'internement à subir à Cassaigne, département d'Oran (Algérie), est infligée au nommé Chérif Hamallah, fils de Mohammedou ould Seydna Oumar et d'Aïssa Diallo, résidant actuellement à Nioro (Soudan français ) 134. »
Avant l'arrestation du Chérif, le 19 juin 1941, des mesures de sécurité furent prises par le gouverneur général de l' A.O.F. :
« Mesures sécurité prévues sont arrêtées comme suit :
- Primo : groupe nomade Chinguetti et Hodh dans la région Aïoun El Atrouss - Timbédra
- Secundo : une compagnie en état d'alerte Kayes avec moyens transport automobiles
- Tertio : trois avions Glen Martin tenus prêts partir sur demande adressée à Commandant Air-Dakar. En cas de trouble ensemble ces unités ainsi que compagnie Nioro et Néma et goums Nioro seront placés sous commandement Chef de bataillon Steber de Kayes. »
Le 19 juin, Chérif Hamahoullah fut enlevé dès l'aube. L'avion qui le transportait vers Dakar décolla à six heures. Tous ses adeptes furent arrêtés et regroupés sur la grande place du marché de Nioro. A en croire la tradition, Nioro ne connut jamais une journée aussi cruelle. Des portes furent défoncées, des vieillards battus, de nombreux hamallistes enchaînés, des femmes enceintes traînées jusqu'à la prison.
Tout cela se passait sous les cris de joie des « douze » 135. Le 19 juin au soir, quelques personnes furent libérées mais le reste fut dirigé vers la grande prison de Nioro. A la porte de la geôle, il y avait trois tirailleurs. lls donnaient l'avant-goût du camp de concentration aux entrants. Le premier administrait une gifle, le second un coup de crosse et le troisième un coup de pied. Cinq cents hamallistes furent ainsi internés. A quinze heures, le brigadier des gardes avait réquisitionné tous les cordonniers de la ville pour confectionner des fouets et des cravaches. Avec l'accord des autorités, les tirailleurs avaient, semble-t-il, pris rendez-vous à 20h 30 pour administrer une « sévère correction » aux prisonniers. Mais vers la dix-neuvième heure, un orage qu'on n'avait ni remarqué ni prévu, éclata. Une pluie torrentielle rendit impossible la circulation des hommes et des bêtes avant le lever du jour. Ainsi, les partisans du Chérif auraient échappé au châtiment.
Cette pluie providentielle fut interprétée comme une manifestation concrète de la baraka du saint Maure en faveur de ses disciples. Toute une légende fut tissée autour de cette pluie par les disciples de Hamahoullah.
Quant aux mesures de sécurité décidées par le gouvernement général, elles semblent avoir été inutiles, aucune tribu n'ayant entrepris de réagir à la nouvelle de l'arrestation du Cheikh. Les fidèles de Nioro, comme on l'a vu, se laissèrent arrêter sans la moindre action de résistance. Nombre d'entre eux furent envoyés dans les camps de concentration 136 d'Ansongo, de Bourem et de Kidal (Soudan français) 137.
Pour la plupart d'entre eux, ce fut un arrêt de mort 138. Les maisons du Chérif furent pillées par ses adversaires en liesse. Ses épouses furent traînées hors des demeures dont elles ne sortaient presque jamais.
Entre temps, Chérif Hamahoullah arrivait à Dakar le même jour. L'avion qui le transportait fit auparavant une brève escale à Kayes vers huit heures (cet appareil était escorté d'un second avion) 139. Il séjourna à Dakar jusqu'au 21 juin; ce bref séjour dakarois ne fut pas de tout repos. Le gouverneur général Boisson décida « d'humilier publiquement le Chérif de Nioro » au cours d'une assemblée générale des marabouts qu'il avait réunis pour la circonstance.
Avant de rendre compte de cette réunion, il convient de faire la connaissance de Pierre Boisson pour mieux comprendre la suite des événements :
« L'occupation d'une partie de la France en 1940 et la limitation des possibilités d'action des pouvoirs publics en Métropole amena le gouvernement du Maréchal Pétain à donner une autorité beaucoup plus large au gouverneur général. Le décret du 25 juin 1940 créa un Haut Commissariat de l'Afrique Française ayant autorité pleine et entière sur l'A.O.F., l'A.E.F., le Togo et le Cameroun. M. Boisson fut le premier haut-commissaire 140. »
Le gouverneur général Boisson était à Brazzaville au moment de l'armistice. En août 1940, il rejoint Dakar après sa nomination au poste de gouverneur général de l'A.O.F. et haut-commissaire de l'Afrique française. Il devait rester au Sénégal jusqu'en 1943. Il a laissé un très mauvais souvenir en Afrique. Il n'hésitait pas à utiliser la méthode forte pour « régler » les problèmes religieux ou sociaux.
Décrit par les traditions orales africaines comme un « méchant unijambiste » qui terrorisait même ses agents européens, Boisson fut aussi un fidèle serviteur de Vichy. Il avait la confiance absolue du Maréchal Pétain qui n'avait pas oublié, semble-t-il, que son bouillant proconsul en Afrique avait perdu une jambe à Verdun. Il fit de nombreux séjours en France pendant la guerre. Il eut de nombreuses entrevues avec Laval, à Charmeilles notamment en août 1941, et avec le maréchal Pétain lui-même.
Il créa une ambiance de terreur en Afrique où il pourchassa les gaullistes, les sujets anglais des colonies voisines et les hamallistes. Il s'était particulièrement illustré par un discours farouchement anti-gaulliste au début de juillet 1940 sur les ondes de Radio-Brazzaville, avant de recevoir les bateaux anglais au large de Dakar par des obus, faisant ainsi échouer le débarquement des Alliés en A.O.F. Churchill devait le lui faire remarquer plus tard à Casablanca : « Vous nous avez bien mal accueillis à Dakar, Monsieur le Gouverneur général. » Autoritaire, passionné et arrogant, Boisson porte sur la conscience la mort des milliers de hamallistes dans les camps de concentration qu'il avait créés à Kidal, Bourem et Gao. Son nom évoque le colonialisme le plus obscur pour les Africains et les Européens d'Afrique qui n'étaient pas restés sourds à l'appel du 18 juin.
Revenons à la réunion organisée par Boisson. Ce dernier fit conduire à son palais dakarois Cheikh Hamahoullah menottes aux poignets, avant de le présenter à une assemblée de grands marabouts réunis pour la circonstance.
— Voici le fameux Chérif Hamallah ! » s'exclama le gouverneur général. « Chérif Hamallah ! te crois-tu plus fort que tous ces grands marabouts ? Te crois-tu plus instruit encore ? Pourquoi ne restes-tu pas tranquille ? Si tu es encore turbulent c'est parce qu'on ne t'a pas encore embêté. En tout cas, tu vas souffrir et je te promets que tu ne verras plus cette terre d'Afrique. Ne veux-tu pas être comme tous ces grands marabouts ici présents ?
Le Chérif Hamahoullah, qui était toujours debout et enchaîné devant l'assistance, eut le courage de répondre :
— Je ne vois sincèrement pas ce qu'on peut me reprocher, Monsieur le Gouverneur, je paye mes impôts, je rachète mes prestations, je ne me suis pas opposé au recrutement des tirailleurs. Ma conscience ne me reproche rien du tout. J'attends toujours vos preuves de ma culpabilité. Pour répondre à vos questions, je dirai que les marabouts que voici sont très respectables et en aucune façon ils ne veulent pas être enchaînés publiquement comme moi. Et moi, je ne voudrais pas être comme eux … Regardez leurs poitrines, ils acceptent vos médailles. Vous pouvez être sûr que moi je n'épinglerai jamais vos médailles sur ma poitrine. Dieu ne m'autorise pas à le faire.
Enfin, comme tu tiens à me faire souffrir, je vais t'aider dans ce sens. Tu peux m'interdire le port du chapelet, tu peux me faire torturer, tu peux m'empêcher de prier, tout cela ne me fera pas souffrir. Mais comme tu tiens absolument à me faire souffrir, voilà comment tu peux le faire : Empêche-moi de penser à Dieu pendant que je suis en vie. »
Sur l'ordre du gouverneur général Boisson, Cheikh Hamahoullah fut brutalement reconduit en prison 141.
Le 21 juin, le Chérif de Nioro est embarqué dans un avion militaire à destination de l'Algérie via Atar et Casablanca :
« Mauritanie, Saint-Louis à Atar, chiffré militaire, priorité absolue n° 68 A.P. Gouverneur général télégraphie pour annoncer avion régulier 21 juin transportera Chérif Hamallah condamné dix ans internement subir Algérie Stop. Prendre toutes mesures surveillance nécessaire et n'admettre aucun indigène sur le terrain durant escale avion 142. »
Le Chérif fut donc « conduit toujours en avion en Algérie à Cassaigne, ville située au nord-est de Mostaganem » 143. Auparavant, Cheikh Hamahoullah avait été condamné par un arrêté administratif à subir une peine de dix ans à Cassaigne, près d'Oran.
Au même moment, le « tribunal criminel de Yélimané » devait siéger pour statuer sur le sort de ses fils et partisans impliqués dans « l'affaire Nioro-Assaba ». Avant que le tribunal ne siégeât, « plus de huit cents individus furent parqués dans les camps de concentration de Tamchakett, Aïoun, Nioro, Yélimané, Kayes et Bamako, puis rassemblés à partir du 8 février 1941 à Yélimané. Les principaux chefs furent inculpés d'atteinte à la sûreté de la colonie » 144.
Enfin, « siégeant à Yélimané par arrêté général du 3 juin pour des raisons de sécurité, du 24 au 30 juin 1941, le tribunal criminel a prononcé à cette dernière date :
L'action publique étant éteinte à l'égard de l'inculpé Mohammed Fall ould Ahmed Maloum, décédé entre-temps. »
Enfin, par arrêté du 2 juillet 1941, le haut-commissaire de l'A.O.F. infligea dix ans d'internement à 542 inculpés et cinq ans à seize autres à Gao 146.
Deux mois après son arrivée à Cassaigne le 23 juin 1941, le Chérif avait acquis une réputation de savant et de saint parmi les habitants de la région. La plupart des notables voulaient le saluer et le rencontrer.
Il était cependant étroitement surveillé. Le 23 août 1941, la Délégation Générale du Gouvernement en Afrique transmit au gouverneur de l'Algérie un « ordre de surveillance » dans lequel il était demandé de « mettre Cheikh Hammallah Aïdara de Nioro dans l'impossibilité absolue de communiquer de quelque façon que ce soit avec les indigènes de la Fédération ouest africaine ».
Deux semaines plus tôt, le gouverneur Boisson, qui faisait du problème de Cheikh Hamahoullah une affaire personnelle, avait demandé à l'administrateur de Cassaigne de lui communiquer des renseignements et des photos de nature à compromettre le Chérif. Dans sa lettre (7 août 1941) le gouverneur général de l'A.O.F. demandait à être « renseigné de façon détaillée avec photographies si possible sur la façon de vivre de Chérif Hamallah, dans le but d'aider à la neutralisation des manoeuvres de certains de ses zélateurs qui s'efforcent de créer à son sujet une légende de martyr ». Pourtant au début de sa correspondance, il reconnaissait qu'en Afrique « Chérif Hamallah avait acquis une influence indéniable et faisait en quelque sorte figure d'apôtre ».
En guise de réponse Boisson ne put obtenir aucun renseignement de nature à jeter le discrédit sur le Chérif ; au contraire ! En effet l'administrateur de Cassaigne lui écrivait dans une lettre du 1er septembre 1941 :
« Les circonstances de fait et le comportement du personnage, empêchent de produire des documents, photographiques en particulier, susceptibles de combattre efficacement les bruits que ses amis feraient courir sur son compte. Je tiens à signaler que son origine lointaine, la mesure exceptionnelle dont il est l'objet, enfin sa sévère conduite strictement commandée par les impératifs de la foi musulmane, ont une influence certaine sur son entourage immédiat. Les cavaliers (de la commune de Cassaigne) l'ont adopté d'emblée comme leur imam et il n'est pas rare de les voir absorbés derrière lui dans leurs prières en public, ce qu'ils ne faisaient guère auparavant. Quelques notables musulmans lui ont fait parvenir des fruits, un vêtement. Enfin, il a exigé du cavalier qui lui fait la cuisine de refuser le remboursement de ses frais par la commune. Le parti-pris du Chérif apparaît évident, en ce point ; mais le plus significatif c'est que le cavalier, sans penser à mal d'ailleurs, croit devoir effectivement refuser. Je crois pour ma part qu'il n'est pas opportun de maintenir Chérif Hamallah en milieu musulman 147. »
A Cassaigne, le Chérif de Nioro était très mal logé. Il habitait « un réduit disponible dans les bâtiments communaux ». A ce sujet l'administrateur de Cassaigne écrivait ce qui suit, au préfet d'Oran (lettre du 30/10/1941) :
« Le défaut de logement convenable à Cassaigne même m'a conduit à envisager la mise en résidence de Chérif Hamallah dans un douar de la commune mixte, plus exactement dans le douar Achaacha où le caïd dispose d'une vaste demeure susceptible de le recevoir aux conditions les meilleures. Cette solution n'entraînerait nullement un relâchement de surveillance, car il peut être absolument compté sur le loyalisme et la vigilance du caïd Belarbi Moulaye Mohamed dont il serait l'hôte à titre d'ailleurs complètement gracieux suivant le désir exprimé par ce chef indigène 148. »
Naturellement, ces suggestions ne furent pas retenues. Le Chérif sahélien connut un hiver très rude. Les autorités d'Oran, le gouverneur général de l'Algérie ainsi que le délégué général du gouvernement en Afrique française ne s'occupèrent guère de Cheikh Hamahoullah malgré les appels pressants de l'administrateur de Cassaigne qui cherchait en vain à les persuader « que la complexion faible de Cheikh Hamallah fait craindre que sa santé n'en souffre gravement ». Il ajoutait que le bâtiment où se trouvait Hamahoullah « devient très inconfortable l'hiver. »
Au début de 1942, Hamahoullah qui ne pouvait résister à ses dures conditions d'internement était déjà malade. Il fut examiné par « le docteur Fournier, médecin de colonisation à Cassaigne, qui a diagnostiqué une bronchite suspecte susceptible d'aggravation rapide ». Le 17 mars 1942, Cheikh Hamahoullah fut transféré sur « les recommandations du médecin à l'hôpital civil de Mostaganem aux fins d'examen radioscopique et de traitement approprié ».
Alors qu'il était alité à l'hôpital, le Ministre, secrétaire d'Etat à l'Intérieur du gouvernement de Vichy décida de le transférer à Vals-les-Bains en France, par arrêté du 15 mars 1942, notifié le 7 avril au centre hospitalier. Dans cet arrêté le ministre s'appuyait notamment sur « le décret du 18 novembre 1939 modifié par la loi du 15/10/1941 relatifs aux mesures à prendre à l'égard des individus dangereux pour la Défense nationale et la Sécurité publique ».
Sans se soucier de son état de santé et sans avoir consulté son médecin traitant, on retira Cheikh Hamahoullah de son lit d'hôpital, sur instructions télégraphiques du Ministre de l'Intérieur, et on l'envoya en autocar à Oran le 8 avril 1942. Il était « accompagné par un gradé indigène des Douars et conduit à son arrivée à Oran à la caserne des Douars, l'ancienne prison civile ». Le lendemain, le Cheikh fut conduit au port par le chef de la Police spéciale d'Oran. Au départ du bateau Sidi Aissa il est « pris en charge par le commissaire du bord qui le remettra aux services de police lors de l'arrivée à Marseille le 12 avril 1942 ».
La présence de Cheikh Hamahoullah en France a été signalée en ces termes au gouverneur de la Mauritanie par la Sûreté nationale française :
« Cheikh Hamallah fut interné à Cassaigne, département d'Oran où d'après des renseignements fournis, il aurait continué d'exercer sur son entourage une influence néfaste. Aussi, à la fin de l'année 1942, le secrétaire d'Etat aux Colonies jugeant inopportun son maintien en pays musulman, a demandé au ministère de l'Intérieur d'envisager le transfert de l'agitateur soudanais en France. Embarqué le 9 avril à Oran sur le vapeur Sidi Aïssa à destination de Marseille, Cheikh Hamallah arriva le 12 avril et fut immédiatement transféré à Vals-les-Bains 149. »
Par un arrêté du conseiller d'Etat, secrétaire général de la Police de Vichy, Cheikh Hamahoullah est donc interné à Vals-les-Bains en Ardèche, le 13 avril 150.
Son nom figure sur l'état nominatif des personnes détenues à l'établissement d'internement administratif de Vals-les-Bains et du personnel de service à la date du 9 novembre 1942. Faisons remarquer que le premier compagnon d'internement mentionné sur cette liste n'est personne d'autre que le célèbre constructeur d'avions, le Français Marcel Dassault 151.
Nous savons, par un procès-verbal de passation de service du chef de l'établissement administratif de Vals-les-Bains qui nous a été aimablement communiqué par M. Dominique Dupraz, directeur des Archives de l'Ardèche, que Cheikh Hamahoullah occupait la chambre n° 24 152. Dans une lettre en date du 3 août 1981, la Direction des Archives de l'Ardèche à Privas nous apprend en particulier que :
A Vals-les-Bains, l'illustre prisonnier était constamment malade.
« Il était arrivé en France avec pour tout vêtement le mince burnous qu'il portait en Afrique. Nul ne prit soin de le vêtir, de lui donner une nourriture appropriée à ses habitudes et à sa religion 154. »
Il ne mangeait que les aliments qu'il connaissait, donc très peu. Le climat lui était insupportable.
« Le 29 août 1942, le médecin attaché au centre d'internement a affirmé que son état de santé était incompatible avec un séjour prolongé à Vals. Pour ces raisons, le transfert de cet interné fut envisagé 155. »
Ce transfert n'eut pas lieu et l'état de santé du Cheikh empira au début du mois d'octobre 1942 :
« Je suis informé par le ministère de l'Intérieur qu'à la suite d'une congestion pulmonaire il (Cheikh Hamahoullah) a dû être transporté d'urgence à l'hôpital d'Aubenas 156. »
Ce n'est qu'à la fin du mois d'octobre 1942, au moment où le Cheikh était très affaibli, que le Régime de Vichy envisagea d'améliorer ses conditions de détention :
« Le département vient de transmettre les premiers renseignements sur les conditions d'internement, la vie matérielle et le comportement de Cheikh Hamallah dans la métropole … Les difficultés qu'il éprouve à s'adapter au climat, malgré les conditions de confort réel dont il bénéficie font envisager son transfèrement en un lieu plus clément (Corse vraisemblablement). Je vous demande d'envisager en ce qui concerne la possibilité d'envoyer à l'intéressé, avec la plus stricte discrétion, la collection de vêtements chauds du pays qui lui manque : deux burnous, deux serouals, deux boubous par exemple accompagnés, le cas échéant, de quelques denrées locales telles : riz, mil ou fonio, arachides et condiments. L'envoi serait effectué directement par vos soins à l'adresse suivante : Monsieur le Secrétaire d'Etat aux Colonies, Direction des Affaires Politiques, Vichy 157. »
Cheikh Hamahoullah ne fut pas transféré en Corse, les habits et les denrées alimentaires demandés au gouverneur général de l'A.O.F. ne lui parvinrent jamais 158. D'Aubenas, on le renvoya à Vals-les-Bains 159. Mais le ministère de l'Intérieur fut rapidement informé de l'extrême gravité de son état de santé. On décida de l'envoyer au camp d'internement d'Evaux-les-Bains où les conditions de vie étaient meilleures. Transporté le 28 novembre 1942 à Evaux, sa maladie ne cessa de s'aggraver. Le 4 décembre 1942, il est examiné par le docteur F . Perron qui juge grave son état général et recommande « son admission d'urgence à l'hôpital » 160.
Le Cheikh fut transféré le même jour à l'hôpital de Montluçon, dans la clinique du docteur Bons « où il est décédé le 16 janvier 1943 à la suite d'une crise cardiaque et d'une congestion pulmonaire. La veille des obsèques (le 19 janvier), les représentants de la colonie nord-africaine et noire sollicitèrent l'autorisation d'assister aux funérailles.
Une délégation composée d'une vingtaine d'indigènes de couleur fut autorisée à accompagner le défunt jusqu'à sa sépulture 161. »
En 1974, le député-maire de Montluçon, M. Maurice Brun, qui avait mené une enquête minutieuse auprès des services hospitaliers de la commune, nous a déclaré:
« Cheikh Hamahoullah est entré au Centre hospitalier de Montluçon en médecine générale, au service du docteur Bons, le 4 décembre 1942. Quand il est arrivé, le docteur Bons m'a certifié que personne ne lui a signalé qu'il pouvait s'agir d'une personnalité. C'est un malade qui est arrivé du centre d'Evaux-les-Bains. Il a eu son lit d'hôpital, on l'a soigné. Il n'a rien dit, il n'a absolument pas revendiqué quoi que ce soit. Il a très peu parlé, du moins à son médecin. Le docteur Bons affirme que dans son service on ne lui a jamais dit que c'était une personnalité qui arrivait. C'était le malade anonyme. Cheikh Hamahoullah est décédé le 16 janvier 1943 à seize heures trente. Diagnostic : cardiopathie … Après son décès, son corps a été inhumé au cimetière de l'Est à Montluçon, carré L, tombe 183 162. »
De son côté, le docteur Establet, du Centre hospitalier de Montluçon, écrit dans une lettre en date du 12 mars 1973 :
« … J'ai questionné mes prédécesseurs, Monsieur Michon et le docteur Bons. Il ressort de leurs souvenirs respectifs qu'il s'agissait d'une personnalité en vue dans son pays mais qu'ils ne purent obtenir aucun renseignement des autorités de police qui dirigeaient l'établissement d'internement à l'époque. L'intéressé ne parlait à personne. »
En effet, le docteur Bons écrit lui-même 163 :
« Quand ce malade a été hospitalisé dans mon service, je ne savais rien de son importance religieuse, et je n'avais aucune raison de m'intéresser à lui en dehors de sa maladie. »
Enfin, après avoir reconnu que la tombe de Cheikh Hamahoullah est celle qui reçoit le plus « de visiteurs de marque, ministres, ambassadeurs et intellectuels africains », M. Matron, le gardien du cimetière, affirme que l'homme de Nioro fut enterré d'abord dans un carré commun, avant d'être déplacé et inhumé au Carré L 183 en 1956, dans une concession achetée pour cent ans par Monsieur Tiécoura Diawara, un instituteur d'Abidjan.
Il convient de le préciser, carré commun ne signifie pas fosse commune. Pendant la guerre, on enterrait parfois plusieurs personnes dans une même fosse. Ce ne fut pas le cas de la dépouille de Cheikh Hamahoullah inhumée dans une tombe (individualisée) indiquée par une plaque portant « Chérif Cheikh Hamallah ».
Faut-il encore préciser qu'au cimetière de l'Est, les indigents étaient enterrés chacun dans une tombe individuelle au carré commun ?
Amadou Hampaté Bâ serait le premier Africain à avoir localisé la tombe de Cheikh Hamahoullah. C'est le docteur Charles Pidoux qui lui aurait donné les premières informations sur le séjour du Cheikh en France. Dans une lettre en date du 23 mai 1972, M. Pidoux écrit :
« J'ai été en résidence surveillée à Vals-les-Bains (Ardèche) au début d'avril 1942, Cheikh Hamallah y a lui-même été amené une ou deux semaines après. Les internés ont été transférés à Evaux quelques temps après … En 1951, … j'ai eu le bonheur de révéler à Amadou Hampaté Bâ ce qu'était devenu le Maître, dont personne en Afrique — je crois — ne savait plus rien. »
Monsieur Pidoux, qui vit actuellement dans le XVIIe arrondissement de Paris, affirme que « Chérif Hamahoullah est arrivé apparemment en bonne santé à Vals-les-Bains en provenance d'Oran. Le Cheikh était vêtu d'un burnous blanc. Il est descendu en même temps que tous les internés dans la cour de l'hôtel pour les photos d'anthropométrie et le relevé des empreintes digitales. » M. Pidoux se rappelle que les conditions de détention n'étaient pas bonnes et que les internés étaient mal nourris. Le menu était presque toujours le même : viande de mouton et poireaux vinaigrette. Il précise qu'on ne servait ni vin, ni viande de porc. Selon M. Pidoux, Cheikh Hamahoullah comprenait bien le français mais ne voulait pas le parler avec les autorités du centre d'internement. Il aurait surtout communiqué avec G. Le Diberder, un interné qui parlait l'arabe. Selon M. Pidoux, pour les responsables du centre, Cheikh Hamahoullah, qui arrivait de l'Oranais, était algérien. Mais une notice individuelle établie à Vals-les-Bains en avril 1942 indique qu'il est originaire « du douar Nior, Maroc et qu'il est fils de Jacob ben Amallah et de Mohammed ben Amallah ». Ces dernières informations sont naturellement fausses.
En vérité, l'administration de Vichy ne donnait aucun renseignement sur le Cheikh, même dans les centres d'internement. Nous verrons plus loin les raisons de ces précautions. Même si le Cheikh comprenait le français comme le pense M. Pidoux, il ne voulait pas parler cette langue. La direction du Centre ne pouvait donc obtenir de renseignements sur lui, comme le précise la notice individuelle. Elle n'était donc pas sûre de sa filiation : « le Cheikh Amallah ne connaît pas la langue française et il n'a pas été possible à ce jour d'obtenir le moindre renseignement précis sur sa situation de famille. »
Mais nous pensons que Cheikh Hamahoullah a pu dire qu'il venait de Nioro. En effet, les Maures de la Mauritanie et du Mali disent Nior pour Nioro, ils ne prononcent pas le « o » final. Comme Cheikh Hamahoullah venait d'Algérie, pour les responsables du Centre, il arrivait sans doute d'un douar qui s'appelait Nior, nom de Nioro communiqué probablement par le Cheikh lui-même à ses gardiens.
En vérité, on cachait son identité réelle et sa provenance, même aux responsables des centres qui l'ont abrité. Mais comme le régime de Vichy avait interné de nombreux Juifs, les responsables du Centre ont dû penser qu'il s'agissait d'un Juif marocain ou algérien. Il n'est pas impossible qu'on l'ait présenté à dessein comme tel aux services de police de Vals-les-Bains. C'est ce qui explique sans doute le prénom attribué faussement à sa mère dans sa notice individuelle, Jacob, un prénom que portent de nombreux Juifs.
Heureusement, les services de police avaient pris la précaution de mentionner dans la même notice qu'ils n'avaient pu obtenir eux-mêmes aucun renseignement sur la situation de famille du Chérif.
Le régime de Vichy entretenait le plus grand secret autour de la personne de Hamahoullah pendant tout son exil en France.
En effet, « des craintes ont pu être exprimées que les Allemands n'aient eu l'idée de se servir de lui plus tard pour provoquer des troubles en A.O.F. » 164.
A ce sujet, on peut lire dans un rapport politique du gouvernement général de l'A.O.F. en date d'août 1948 (déjà cité) :
« Pas un instant notre vieil ennemi (Cheikh Hamahoullah) n'avait essayé d'entrer en contact avec les autorités allemandes. On est en droit de penser que s'il s'était fait connaître, ou si les prisonniers africains de Montluçon avaient révélé qui il était à leurs gardiens allemands, il aurait été transféré avec de grands honneurs à Berlin où il aurait trouvé le mufti de Jérusalem, l'Emir Cheikib Arslan et tous les ennemis de notre cause auxquels les Allemands accordaient un traitement privilégié. »
Craignant sans doute de violentes réactions populaires en Afrique, le gouvernement de Vichy fit de la mort du Cheikh un secret d'Etat. La nouvelle ne fut communiquée au gouverneur de l'A.O.F. qu'en 1945, deux ans après le décès du Chérif 165.
De 1945 à 1947, des rumeurs contradictoires circulèrent en Afrique à propos du décès du marabout. D'aucuns affirmaient, sûrs de leur vérité, avec admiration, que le Cheikh avait disparu de façon mystérieuse au cours d'un bombardement à Marseille ou à Paris, pendant la dernière guerre et qu'il se trouvait bien vivant quelque part en attendant la fin du « règne de la France en Afrique ». Il convient de rapprocher cette thèse d'une légende populaire qui rapporte la disparition mystérieuse d'El-Hadj Omar Tall à Déguimberé, au moment où il était encerclé par les armées peules de l'empire du Macina, renforcées par les hommes de [Cheikh] Békâye.
D'autres déclaraient que Cheikh Hamahoullah avait été exécuté sur les ordres du maréchal Pétain.
Chaque camp s'appuyait sur de prétendus témoignages de soldats africains de la Seconde Guerre mondiale revenant de France.
Dans le but d'éclairer l'opinion publique, Amadou Doucouré, un sénateur du Soudan français (Mali actuel), intervint officiellement auprès du ministre de la France d'Outre-Mer en vue d'obtenir des précisions sur le sort de Cheikh Hamahoullah.
Il fit publier les renseignements obtenus dans le journal Paris-Dakar du 7 août 1947. Après avoir confirmé la triste nouvelle, il ajouta :
« Cette réponse (du ministre de la F.O.M.) confirme malheureusement l'opinion qu'en hommes avertis, bon nombre de Soudanais s'étaient déjà faite sur le sort du Chérif Hamallah. Nous n'en remercions pas moins le ministre de la F.O.M. de nous avoir donné officiellement plus de détails et de précisions sur cette fin.
Cheikh Hamallah est donc bien décédé mais d'une mort naturelle.
Aussi, compatriotes soudanais, le meilleur hommage que vous puissiez apporter à la mémoire du vénéré disparu est de prier pour le repos de son âme. »
Cette déclaration n'a pas convaincu tout le monde au Soudan français. Aujourd'hui encore (1983), dans certaines régions du Mali, du Sénégal, de la Côte d'Ivoire et surtout de la Mauritanie, de nombreux musulmans pensent que Cheikh Hamahoullah est toujours vivant. Personne ne réussira à leur faire accepter le contraire, quels que soient les documents et preuves qu'on leur présentera. Ils affirment qu'il avait prédit dès 1937 non seulement son exil en France, mais aussi et surtout son retour en Afrique. Reprenons ces arguments en les critiquant, tout en marquant clairement tout notre respect pour ceux qui les soutiennent.
Nous reviendrons plus loin sur cet entretien de Gaulle-Ould Daddah de 1964 à propos de Cheikh Hamahoullah. Nous savons à présent comment se termina la vie de courage, de foi et de dignité de Cheikh Hamahoullah, qui apparaît à nos yeux comme un témoin de Dieu, un chef historique de l'Islam qui a tenté d'abord de se réfugier dans la prière et le recueillement pour éviter toute compromission avec le colonisateur français, avant de retourner contre ce dernier l'arme de la foi, qui reste encore de nos jours une des forces les plus redoutables contre l'oppression et l'injustice en pays musulman. Cheikh Hamahoullah représente aujourd'hui aux yeux des Mauritaniens et des Maliens ce que Jean Moulin, le président du Conseil de la Résistance française, représente pour le peuple de l'Hexagone.
Amadou Hampaté Bâ fut le premier hamalliste à localiser la tombe du Chérif d'après les informations qu'il avait reçues du docteur Pidoux en mai 1951. Mais il revint à un autre Africain de faire installer le corps dans l'actuelle sépulture. Monsieur Tiécoura Diawara, un instituteur musulman d'Abidjan, s'était rendu à Montluçon en 1956 pour se recueillir sur la tombe du Cheikh. Au cours de cette visite, il avait décidé de transférer les restes du Chérif du carré commun à une concession à perpétuité. M. Matron, le gardien du cimetière, était le seul témoin de ce transfert. C'est M. Tiécoura Diawara, affirme-t-il, « qui a apporté un cercueil de chêne et un linceul en velours blanc. C'est lui qui a transféré le corps dans la tombe de la concession n°5773, c'est lui qui a financé toute l'opération 166. »
A ce propos, M. Tiécoura Diawara nous a déclaré lui-même en 1973 à Abidjan :
« En 1939-40 j'avais écrit à Cheikh Hamallah, le saint le plus prestigieux de l'Ouest-africain. Il n'avait pas répondu. Je savais que son courrier était surveillé au niveau de la poste de Nioro et que certaines lettres ne lui parvenaient pas. Quand j'écrivis une seconde lettre, je reçus une réponse qui m'était adressée par quelques talibés.
Je n'avais jamais eu l'honneur de rencontrer Cheikh Hamallah. En 1956, je me suis rendu en France pour suivre un traitement médical. J'étais à l'hôtel des Acacias, dans le 17e arrondissement de Paris. Pendant mon séjour en France, j'ai effectué un voyage en compagnie d'Houphouet-Boigny et de Hampaté Bâ à Montluçon. Au cimetière de Montluçon, M. Matron, le gardien, nous a dit que la tombe du Cheikh pouvait disparaître au bout de sept ans, dans la mesure où elle se trouvait dans un carré commun et non dans une concession à perpétuité.
J'avais eu l'impression que chacun d'entre nous avait l'intention de faire quelque chose, d'empêcher la disparition de cette tombe.
Puis mes compagnons repartent pour Paris, et moi je me rends à Aix-les-Bains. Vingt-et-un jours plus tard, je reviens à Montluçon. Je dépose ma valise chez M. Matron au cimetière avant de réserver une chambre d'hôtel. Je me présente aussitôt à l'Hôtel de ville où on me remet des imprimés à remplir après avoir payé une somme de … Je reviens au cimetière après avoir acheté quatre mètres de velours blanc.
Ensuite, je choisis l'emplacement de la nouvelle tombe et je procède au transfert du corps sans l'aide de personne. »
De nombreux dirigeants africains effectuent de nos jours le pèlerinage de Montluçon. M. Maurice Brun, député-maire de Montluçon en 1974, nous a déclaré au sujet de l'affluence des pèlerins venus se recueillir sur la tombe de Cheikh Hamahoullah :
« Il y a énormément de gens qui viennent et ils arrivent en général incognito. Il serait intéressant que vous poursuiviez vos enquêtes auprès des chauffeurs de taxis de Montluçon. ll y a toute une industrie (transports en car jusqu'au cimetière et retour à la gare). Les visiteurs en arrivant ont des mots de passe ou le nom ou le surnom du chauffeur de taxi qui les conduira au cimetière de l'Est ; la seule personnalité ayant sollicité les services de la mairie avant d'aller se recueillir sur la tombe est le ministre malien de l'Education nationale. Le 11 septembre 1964, j'ai reçu dans la soirée la visite de M. le Ministre de l'Education nationale du Mali en cure à Châtel-Guyon, accompagné de deux de ses collaborateurs, qui désirait se recueillir sur la tombe d'un de ses compatriotes mort en déportation à Montluçon …
Il m'a indiqué que sa visite n'avait aucun caractère officiel, qu'il désirait conserver l'incognito le plus total 167. »
A la suite de cette visite, des transformations furent apportées à la tombe, à la demande du ministre malien ; la dalle qui couvrait la tombe a été enlevée :
« Suite à la visite de Monsieur le ministre … sur la tombe de Cheikh Hamallah, concession de un mètre de large située en bordure d'allée, dans le cimetière moderne-Est, plan n° L 183 et sur laquelle il a été édifié un monument avec dalle … Monsieur le ministre et ses accompagnateurs m'ont fait savoir que suivant la coutume de leur religion, les tombes ne sont pas recouvertes d'une dalle, mais qu'il existe un entourage en ciment et au milieu du gravier ou du sable 168. »
Après l'accession de la Mauritanie à l'indépendance le 28 novembre 1960, les responsables du pays avaient saisi l'ambassadeur de France à Nouakchott en vue d'obtenir l'accord du Gouvernement français pour le rapatriement des restes mortels du Chérif 169.
Le Président mauritanien devait évoquer cette affaire au cours de l'entretien qu'il eut avec le général de Gaulle le 11 septembre 1964.
Les enquêtes menées par les autorités françaises sur les instructions de l'Elysée avaient confirmé que « la tombe de Montluçon était bien celle de Cheikh Hamahoullah ould Mohammedou ould Seydna Oumar, arrêté le 19 juin 1941 à Nioro et déporté successivement en Algérie et en France ».
Le Gouvernement français était d'accord sur le principe du transfert des restes mortels du marabout en Mauritanie. Il exigeait cependant que deux conditions fussent remplies au préalable :
L'ex-Président Ould Daddah, que nous avons interrogé à ce sujet, avait accepté les conditions françaises. Il envisageait, nous a-t-il dit, le transfert des restes mortels à Tichitt, localité d'origine du Cheikh.
Il avait donné en 1964 des instructions aux autorités des deux Hodhs en vue d'obtenir la signature des proches parents du Cheikh qui résidaient, à Aïoun et à Néma. Un des moqaddem du Chérif avait également été sollicité.
Cependant, « les responsables politiques et administratifs des régions concernées avaient signalé que, pour de nombreux Télamides (fidèles), le Cheikh n'est pas mort et que le rapatriement de ses restes mortels pourrait entraîner des troubles au cours desquels le maintien de l'ordre exigerait éventuellement des mesures draconiennes …
Au même moment, j'avais effectué une visite officielle en Guinée où j'avais été bien reçu par Sékou Touré. De Gaulle était très mécontent, les rapports entre Nouakchott et Paris se détériorèrent rapidement. C'est dans cette atmosphère de tension politique entre la Mauritanie et la France, et compte tenu des raisons internes déjà évoquées, que la question du transfert avait été mise en suspens. Les relations entre Paris et Nouakchott étant mauvaises à l'époque, aucune demande de transfert n'avait été transmise à l'Elysée.
Du côté malien, contrairement à ce que certains vous ont dit, Modibo Keita n'était pas contre le transfert des restes mortels du Cheikh à Tichitt, au contraire. »
Aujourd'hui encore, les mêmes raisons d'ordre interne évoquées par l'ex-Président Ould Daddah semblent constituer un obstacle au transfert des restes mortels du Chérif. Pour de nombreux hamallistes du Hodh, le Cheikh n'est pas mort et la tombe de Montluçon ne représente rien à leurs yeux.
Vingt-deux ans après l'indépendance de son pays, Cheikh Hamahoullah, considéré en Afrique de l'Ouest comme un des plus grands saints de l'Islam et l'un des plus prestigieux résistants à la colonisation française, est toujours enterré dans un cimetière chrétien. Les cendres de la plupart des résistants africains morts dans les camps d'internement du colonisateur français ont été transférées dans leurs pays.
La Guinée a salué, dans un enthousiasme populaire légitime, le retour des cendres de l'Almami Samori Touré et d'Alfa Yaya Diallo, roi de Labé, qui étaient inhumés respectivement au Gabon et en Mauritanie.
Parmi tous les résistants ouest-africains morts en exil, seul Cheikh Hamahoullah ne bénéficie pas encore d'une sépulture (deux mètres carrés) sur cette terre d'Afrique pour laquelle il est mort. Pourtant, à Montluçon, les pèlerins africains (Mauritaniens, Maliens, Sénégalais, Ivoiriens, Voltaïques, etc.) affluent. Des hommes politiques, des universitaires, des marabouts, viennent s'incliner pieusement devant la sépulture du Cheikh.
Il convient maintenant d'étudier brièvement ce qu'est devenu le hamallisme après la disparition du Cheikh.
Notes
1. Ces bagarres avaient souvent lieu dans la banlieue de Nioro, au bord du marigot connu sous le nom de « Fakha ». ll paraît intéressant de faire remarquer que chacun des deux groupes d'extrémistes qualifiait l'autre d'« infidèle » (munkir).
2. Il convient de le rappeler, le régime colonial en 1924, c'était l'indigénat, l'arbitraire. Le pouvoir colonial avait tous les droits et les peuples a&icains aucun. Malgré tout, le journal « L'A.O.F. n° 1896 du jeudi 27 mai 1926 s'élevait contre l'ingérence de l'administration coloniale dans les affaires de culte. L'auteur de l'article s'appuyait en réalité sur la loi de 1905 par laquelle « l'Etat français était devenu
étranger à tous les problèmes d'ordre confessionnel ».
Cette loi n'avait jamais été appliquée en Afrique. D'ailleurs, elle ne pouvait l'être dans la mesure où elle était en parfaite contradiction avec l'attitude de la France à l'égard de l'Islam. En effet, la loi du 9 décembre 1905 dont il s'agit stipule que : « La République française assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public » (Code administratif, Dalloz, 1969, p. 269).
3. L'A.D.P., op. cit., journal dont Lamine Guèye était le directeur politique.
4. S.E. 2/33, A.N.M. (de larges extraits en annexe).
5. 19 G 23 - 108, op. cit.
6. Extrait du Rapport du 10 août 1923, 19 G 23 (108), A.N.S.
7. A. Gouilly, rapport confidentiel, op. cit.
8. Il s'agissait de M. Rougier.
9. Il convient de noter que Cheikh Hamahoullah n'a jamais demandé quoi que ce soit à l'administration coloniale. Nous avons déjà expliqué les raisons pour lesquelles Fah fut interné à Boutilimit.
10. Archives A.P.A.S. APS, Dossier Hamalliste VIII (Soudan). Dossiers individuels (doc. cités par Gouilly, op. cit., 1948).
11. « Autre son de cloche » journal L'A.O.F. n°1896 du 27 mai 1926.
12. Voir en annexe le rapport de Terrasson de Fougères, gouverneur du Soudan.
13. Voir L'A.O.F. du 28 janvier 1926.
14. Voir Rapport du gouverneur Terrasson de Fougères. S.E. 2/33, A.N.M., (en annexe).
15. Voir S.E. 2/33, A.N.M.
16. Le décret du 15 novembre 1924 détermine en A.O.F. l'exercice des pouvoirs disciplinaires et des mesures propres à l'indigénat.
17. L'A.O.F., op. cit.
18. Voir lettre du gouverneur Gaden (21/7/1926), A.N.M.
19. « Dans l'empire du Soudan » L'A.O.F. 21 janvier 1926.
20. L'A.O.F. du 28 janvier 1926.
21. Djikr ou dhikr : litanie.
22. Voir le texte du télégramme en annexe.
23. A Nioro et à Bamako, le lieu d'internement du Chérif fut tenu secret par les autorités coloniales.
24. Rapport du résident de Méderdra. S.E. 2/33 (A.N.M.).
25. Lettre en date du 7 octobre 1926 de Charbonnier adressée au gouverneur de la Mauritanie à Saint-Louis. S.E. 2/33 (A.N.M.).
26. S.E. 2/33, A.N.M.
27. Lettre de Charbonnier, op. cit.
28. Extrait du rapport Descemet citant J. Brévié.
29. Lettre de Charbonnier, op. cit.
30. Voir à ce sujet le rapport Descemet, op. cit.
31. Lettre de Charbonnier, op. cit.
32. A la lecture des documents de la S.E. 2/33, A.N.M., on se rend compte que Chazal était à Méderdra en 1930 comme administrateur.
33. Voir Rapport DUMAS en date du 18 mars 1930. S.E. 2/34. A.N.M.
34. Voir au sujet du séjour de Lakhdar à Kaëdi, le rapport n°1099C du commandant du cercle de Kaëdi (en date du 5 septembre 1929). S.E. 2/34, A.N.M.
35. Nous reviendrons plus loin sur le mouvement yacoubiste, sa doctrine religieuse et les réformes sociales proposées par Yacouba Sylla.
36. Extrait du Rapport n°268 AP du gouverneur de la Mauritanie en date du 17 octobre 1929, adressée au gouverneur général à Dakar. S.E. 2/34, A.N.M.
37. Voir « lettre des musulmans de Kaëdi ». S.E. 2/34, A.N.M.
38. Voir Rapport n° 371 du 13 mars 1930 du commandant de cercle du Gorgol. S.E. 2/34, p. 1-2, A.N.M.
39. Ibid.
40. Selon les témoignages de M. Kébé (Gagnoa) et feu Cheikhna Aliou Diakité (Kaëdi) (entretiens de 1974).
41. « L'un d'eux, Paly Kaba ami de Yacoub Cilla se distingue par sa fureur et frappe les gardes chargés de l'emmener ». Voir Rapport 268 AP du 17 octobre 1929, op. cit., p. 3.
42. Voir rapport n° 371, op. cit. , p. 2.
43. Selon Yacouba Sylla (entretiens de 1974 à Gagnoa).
44. Rapport n° 371, op. cit. , p. 3.
45. Ibid.
46. Rapport Quesgneaux n° 1232 C du 31 décembre 1929, p. 1. S.E. 2/34, A.N.M.
47. Extraits du rapport Quesgneaux, op. cit.
48. « Pour Touldé, je ne puis cependant emprisonner cent cinquante à deux cents individus; je n'en ai d'ailleurs pas les moyens. » Extraits du rapport 1232C, S.E. 2/34, A.N.M.
49. Rapport n° 371 du 13 mars 1930, op. cit., p. 3.
50. Extraits du rapport du 13 janvier 1930 de l'inspecteur des affaires administratives au sujet des incidents de Kaëdi des 27 et 28 décembre 1929, p. 2. S.E. 2/34, A.N.M.
51. Voir en annexe la liste officielle des morts.
52. Lettre reçue de feu Bocar Bâ, originaire de Kaëdi.
53. Voir rapport Dumas, op. cit., S.E. 2/34, A.N.M.
54. Nombre d'entre eux furent aussitôt envoyés à la prison de Boghé. (Voir rapport Dumas).
55. Pour la liste des internés, voir S.E. 2/34, A.N.M.
56. Voir rapport Dumas, op. cit.
57. Voir rapport Dumas, op. cit.
58. Dans son rapport, Dumas écrivait encore : « Le désir général est donc que tous les onze soient expulsés définitivement de Kaëdi et installés ailleurs. Les chefs déclarent que s'il en est autrement, il leur est impossible désormais de garantir l'ordre et d'éviter de nouveaux troubles. Amadou Amar déclare notamment : Sans le gouvernement, les « onze » qui ont la plus mauvaise mentalité et qui n'aiment personne auraient attenté à la vie de tous. Grâce à Dieu et au gouvernement nous sommes sauvés …
Tous les musulmans sont contents et disent que l'action était indispensable. Le cadi de Kaëdi approuve ses paroles : Nous remercions le Commandant et sa patience ; s'il ne nous avait pas défendus on serait tous morts.
« Le Cadi de Boghé cite le chapitre de Khalil qui prévoit la rébellion et le refus d'obéissance à l'autorité, les onze étaient des rebelles et en droit musulman on a toute liberté d'agir, car le Prophète de Dieu a dit : Tous ceux qui sèmeront le désordre entre les musulmans auront la tête coupée. Une fois leur soumission faite, les blessés doivent être soignés, c'est tout ce qui est prescrit. »
59. Lettres de Quesgneaux, op. cit., S.E. 2/34, A.N.M.
60. Extrait du rapport n°371 du 13/3/1930, op. cit.
61. Faisons remarquer comme le reconnaît Quesgneaux lui-même dans son rapport précité que le « commandement de feu de salve n'existait plus depuis longtemps ».
62. Parlant de Quesgneaux, Dumas écrit le 18 mars 1930 « Il fait procéder au rassemblement des anciens tirailleurs qui viennent offrir leurs services ».
63. Lettre du 13 mars 1930, op. cil. S.E. 2/34, A.N.M.
64. Des rescapés dont H. Kamara que nous avons interrogé à Gagnoa en 1974.
65. Sur ce point, documents et traditions orales concordent fort bien.
66. Par arrêté général du 27-1-1930.
67. Voir rapport Chazal (correspondance du 2e trimestre), S.E. 2/ 32, A.N.M.
68. Voir rapport Dumas, op. cit. Mamadou Sadio :
— Je ne regrette absolument rien. Je recommencerai à l'occasion si Dieu (m'en) révélait (la nécessité).
— Quels sont vos complices ?
Mamadou Sadio :
— Personne, je suis le maître. (Extrait de l'interrogatoire de Mamadou Sadio à l'Audience du 20 mars 1930, jugement n°2, Kaëdi).
Comme on le constate ni Cheikh Hamahoullah ni Yacouba Sylla n'étaient responsables des incidents de Kaëdi.
Voir aussi lettre en date du 25 septembre 1943 du commandant de cercle de Kaëdi (S.E. 2/41).
69. Voir rapport n°1232C du 31-12-1929 du cercle de Kaëdi, op. cit., S.E. 2/34. A.N.M.
70. Voir lettre signée de Chazelas adressée au gouverneur du Soudan à propos de la libération anticipée de Chérif Hamahoullah. S.E. 2/41, A.N.M.
71. Voir à ce sujet les rapports du 2° trimestre de 1930. S.E. 2/32, A.N.M.
72. D'après la version d'El-Hadj Bakary Sakho d'Abidjan, historien et chercheur, qui a recueilli de nombreuses traditions orales.
73. Document X-38-2 : Rapport polit. du IIIe trim., p . 12, A.N.C.I.
74. Ce bureau est occupé aujourd'hui par le Service de l'état civil. Il se trouve à une cinquantaine de mètres au sud-est de l'ancien camp des gardes d'Adzopé.
75. Série E, X-38-2, op. cit., A.N.C.I.
76. Ibid.
77. D'après le chef de la communauté dioula d'Adzopé. (Entretiens de 1973 à Adzopé).
78. Soudan français (Mali actuel).
79. Rapport du 4e trimestre (1930) X-38-2, p. 12, op. cit., A.N.C.I.
80. Ibid.
81. Ce refus n'est pas mentionné dans les documents d'Archives de Côte d'Ivoire. Mais il convient d'ajouter qu'en 1926, le résident de Méderdra signalait que Cheikh Hamahoullah ne « voulait toujours pas toucher la subvention mensuelle qui lui était accordée » (voir à ce propos S.E. 2/33, correspondances des 2e et 3e trimestres de 1926 du résident Charbonnier).
82. Le journal le Sénégal du jeudi 2 janvier 1936 (n° 83) annonce la libération prochaine de Cheikh Hamahoullah.
83. Cette date correspond au jeudi 13 janvier 1936.
84. Traduction de Kasimirski, Le Coran, éd. Baudoin, Paris, 1980.
85. Voir S.E. 2/31, A.N.M. (Extrait d'un rapport administratif), ou le dossier 17 G-60-17 en particulier la circulaire n°570 AP/2 du gouverneur général en date du 6 septembre 1937. A.N.S.
86. Voir dans Abū l-Walīd Muḥammad bin 'Aḥmad bin Rušd [Ibn Rushd] (Averroès), Bidâyat al-mujtahid (3e éd., 1379/1960, p. 166) les thèses des grandes écoles juridiques sunnites.
87. Il est intéressant de rappeler que l'un des disciples les plus connus d'Abû Ḥanîfa, Mohammed Ibn al-Ḥasan al-Shaybânî (m. 805), avait réfuté les thèses de Mâlik Ibn Anas.
88. Voir Tafsîr al-manâr, t. V, 2e éd., 1948, p. 364.
89. Pour plus de précision sur les marabouts hamallistes qui ont écrit des lettres confidentielles pour dénoncer Cheikh Hamahoullah à la suite des divergences nées au sujet de la prière abrégée, voir A. Gouilly, rapport confidentiel, op. cit., 1948, pp. 30-31 (doc. non classé).
90. Pour plus de détails, voir la Série E/13, A.N.M.
91. D'après les témoignages recueillis en 1973 auprès de M. Amadou Hampâté Bâ.
92. Cf. Rapport de J. Beyries (1936) cité par le lieutenant Chapelle dans « le Hamallisme dans la région de Nioro ». S.E. 2/13, A.N.M. 155
93. Cf. Rapports politiques du Soudan 2G-37-34 (A.N.S.) et S.E. 2/34 (A.N.M.).
94. Voir Rapport politique 2G-37-34, A.N.S.
95. Lettre du commandant de cercle de Nioro en date du 6 octobre 1937. Archives A.P.A.S., APS, non classées. Dossier hamalliste, Soudan, VII G.
96. A. Gouilly, 1948, rapport, op. cit., pp. 43-44.
97. Rapport Long du 1er septembre 1936, p. 7. Archives A.P.A.S. APS, Dossier hamallisme VII (cité par Gouilly, rapport, 1948).
98. Voir séries 2/34, A.N.M. et 2G 37-34, A.N.S., version confirmée par Bocar Bâ, ancien interprète originaire de Kaëdi, décédé en 1979.
99. Sourate IV — Les femmes, verset 62 : « O croyant, obéissez à ceux d'entre vous qui exercent l'autorité … ». Ce verset a en effet été utilisé par de nombreux marabouts proches du régime colonial en vue d'obtenir la soumission et l'obéissance des fidèles au pouvoir colonial.
100. Selon des traditions orales, généralement dignes de foi, recueillies au Hodh.
101. Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Bouboye de Nioro.
102. Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Dahmasse de Nioro.
103. Chérif recensé chez les Laghlal Ahel Dahmasse de Nioro.
104. Chérif recensé chez les Laghlal O. Abdel Malik de Tamchakett.
105. Khaïty avait quitté Akwawine juste avant la bagarre.
106. Traditions recueillies le 17 avril 1973 à la zâwiya de Bamako.
107. D'après la version de Brahim ould el-Bane, un vieux notable tinouajiou que nous avons rencontré à Aïn Farba en août 1972 (R.I.M.). Voir à ce sujet dans le dossier 15 G 14-17 (A.N.S.), le document n° 4989 selon lequel il s'agirait d'une brûlure : « les pieds sont brûlés de onze millimètres de profondeur au troisième degré. »
108. La prédication hamalliste eut un écho favorable dans la tribu Laghlal recensée en grande partie à Yélimané, à Nioro et à Aïoun El Atrouss.
109. Voir 2 G 41-20, A.N.S., p. 144.
110. Selon les traditions orales recueillies au Hodh, ces goumiers de la tribu des Oulad Nacer étaient affiliés à la confrérie hamalliste. Mais d'après Cheïbani ould el-Bane que nous avons déjà cité, Baba et son compagnon furent libérés par des chefs tinouajiou. Il prétend aussi que seul Bébaly fut maltraité.
111. Série 15G-14-17, A.N.S.
112. Tinouassives : il s'agit d'une mauvaise transcription de Tinouajiou.
113. Le Périscope africain n°406 du samedi 20 août 1938.
114. Rappelons que la « drôle de guerre » prit fin en mai 1940. En effet la « guerre-éclair » se déclenche à l'aube du 10 mai 1940. Le 10 juin le gouvernement quitte Paris pour Tours. Paris est occupé le 14 juin 1940. Le 22 juin, dans la forêt de Compiègne le général Huntziger signe la convention d'armistice avec l'Allemagne dans le « wagon de l'Armistice » du 11 novembre 1918.
115. D'après la version de Cheïbani ould el-Bane qui aurait pris part à la bataille de Mouchgag.
116. Voir 2 G-41-20, A.N.S.
117. Lemras : Lemghas ou encore Mouchgag.
118. Voir rapport du gouverneur du Soudan 2 G 41 -20, A.N.S., op. cit.
119. Nioro : armes saisies en 1941 : 274 ; armes de traite recensées: 1084, 2 G 41-20. A.N.S.
120. Voir jugement n° 4 du 30 juin 1941 de Nioro. S.E. 2/ 45, A.N.M.
121. Voir télégramme n° 82 CF, op. cit.
122. Voir 2 G-41-20, p. 140, op. cil. (Cheïbani ould el-Bane nous a déclaré ce qui suit en août 1972 à Aïn Farba : « Les représentants de notre tribu avaient dit aux Français que les partisans de Baba avaient exprimé de vive voix leur désir de chasser les colonisateurs après avoir massacré tous les Tinouajiou. »
123. Voir à ce sujet télégramme n° 25 CF du commandant de cercle de Kiffa, op. cit.
124. Le commandant de Kiffa défendait dans ses premiers télégrammes la thèse selon laquelle il s'agirait « d'une querelle de tribus ». Finalement, il se rallia à celle de
la « révolte contre l'autorité française », suivant ainsi le point de vue des administrateurs de Nioro et de Y élimané.
125. « Ils ont été mis en état d'arrestation quelques jours ou quelques semaines après les événements au sein de leur tribu d'origine, au moins pour la plupart d'entre eux et à ma connaissance sans résistance. » (Selon le colonel Rocaboy, dans une lettre qui nous est parvenue le 25 juin 1975). Il s'agit d'un extrait de la réponse à un questionnaire que nous lui avons adressé. Rocaboy, qui a rédigé de nombreux rapports sur le hamallisme, a fait partie du personnel de commandement de la région à l'époque.
126. Extraits de la lettre en date du 15 septembre 1940. S.E. 2/45, A.N.M.
127. Selon la version de feu Samba Bathily, de Nioro du Sahel.
128. Certains hamallistes sauraient sans doute interpréter le fait que le nom de Dieu soit mentionné onze fois et non douze ou dix foix dans la lettre.
129. Voir Rapport du lieutenant Chapelle. S.E. 2/13, A.N.M.
130. Voir 2 G 41-20, p. 144. A.N.S. (Rapport du gouverneur du Soudan).
131. Extrait d'un rapport du résident de Tidjikja (Dubié) en date du 10/11/ 1940. S.E. 2/45. A.N.M.
132. Voir doc. 2 G 41-20, p. 151. A.N.S.
133. Voir télégramme du gouverneur général n°7081 à Maurit. Saint-Louis surchif. par fil n° 624 S.E. 2/45. A.N.M.
134. Extrait du Journal officiel de l'A. O.F. du 28 juin 1941 (cité par lettre n°2077 A/ P, Série E 2/ 45, op. cit.).
135. Voir « lettre des musulmans » adressée au Gouverneur général, Haut Commissaire en A.O.F., à Dakar, S.E. 2/ 45, A.N.M.
136. Le mot « concentration » est employé par les administrateurs coloniaux eux-mêmes. Voir rapports S.E. 2/45, op. cit.
137. Voir à ce sujet S.E. 2/ 33, op. cit.
138. Idem, ibid.
139. Voir à ce sujet le T.O. n° 537. (Priorité absolue) adressé par Rapenne au gouverneur général le 19 juin 1941. A.N.M., S.E. 2/ 45.
140. J.R. de Benoist, 1979, p. 47.
141. D'après Amadou Hampaté Bâ (entretiens de 1973 résumés par nous).
142. S.E. 2/45, op. cit.
143. Extrait d'une lettre de Boisson adressée au gouverneur du Soudan. S.E. 2/45, op. cit., R.I.M.
144. Voir 2 G-41-20, p. 147, A.N.S.
145. Voir la liste des condamnés à mort en annexe.
146. Voir 2 G-41-20, p. 152, A.N.S. Les tribus coalisées devaient payer 6 947 355,50 pour dédommager les Tinouajiou.
147. Voir Dossier Cheikh Hamallah, Fonds Oran, série F, dépôt des Archives d'Outre-mer, Aix-en-Provence.
148. Ibid.
149. Extrait d'une lettre de la Sûreté naÜonale française adressée au gouverneur de la Mauritanée (S.E. 2/33). A.N.M. D'après la même lettre, Cheikh Hamahoullah fut envoyé en Algérie avec l'accord du général Weygand.
150. Voir l'arrêté en annexe.
151. Voir en annexe l'état nominatif des compagnons de détention du Cheikh à l'hôtel du Vivarais.
152. Voir en annexe une copie de ce procès-verbal et l'ensemble du courrier que nous avons reçu au sujet de Cheikh Hamahoullah de M. le Directeur des Archives de l'Ardèche.
153. Lettre du 16 octobre 1981 de M. H. Hours, directeur des Archives de la Creuse.
154. Pièces annexées au bordereau n°713 AP5 du 20 mars 1947, Archives A.P.A.S. AP5, Dossier hamallisme Soudan VII G (non classé).
155. Rapport de la Sûreté nationale française, op. cit., S.E. 2/33.
156. Lettre n°6270 en date du 23 octobre 1942 du secrétaire d'Etat aux Colonies de Vichy, adressée au gouverneur général de l' A.O.F. S.E. 2/67/68, A.N.M.
157. Voir S.E. 2/33, op. cit., A.N.M.
158. C'est finalement auprès de la Croix rouge que le centre d'internement de Vals a pu obtenir des habits pour le Chérif de Nioro (voir en annexe les lettres relatives à cette affaire).
159. Cheikh Hamahoullah occupait la chambre n°24 à Vals-les-Bains.
160. Voir en annexe le certificat médical établi par le docteur Perron d'Evaux-les-Bains.
161. Extraits d'une lettre circulaire n°259 AP/ 5 du gouverneur général de l'A.O.F. en date du 7 juin 1945 (S.E. 2/33, A.N.M.). Voir en annexe la lettre n°157 du 20 janvier 1943 du directeur de l'établissement d'Evaux qui précise qu'un officiant bénévole psalmodia les prières musulmanes lors des obsèques du Cheikh.
162. Entretiens de 1974 avec M. Maurice Brun, député-maire de Montluçon.
163. Lettre en date du 26 mars 1975 que le docteur Bons a bien voulu nous faire parvenir (en annexe).
164. Lettre n°3149 du 24 décembre 1943 du gouverneur général de l'A.O.F., adressée au Commissaire de la France à Alger. Document des A.P.A.S. cité par Gouilly dans son rapport confidentiel de 1948, op. cit.
165. Voir Circulaire n°259 A.P./5 du gouverneur général Cournarie en date du 7 juin 1945 annonçant officiellement aux gouverneurs des colonies de toute l'Afrique de l'Ouest le décès de Chérif Hamahoullah, op. cit.
166. Témoignage de M. Matron, ancien gardien du cimetière de Montluçon (octobre 1975). L'intéressé réside actuellement dans la même ville (1983).
167. Lettre en date du 11 septembre 1964 du Secrétaire général de la Mairie de Montluçon adressée à Monsieur le Maire absent (Archives municipales, Montluçon).
168. Extrait du Compte rendu de la visite de Monsieur le Ministre de l'Education nationale du Mali (Archives municipales de Montluçon).
169. Voir en annexe la note rédigée à l'intention du général de Gaulle par M. Perrier, haut fonctionnaire, à la veille de l'audience accordée au chef de l'Etat mauritanien le 11 septembre 1964 à l'Elysée.
170. Note de l'Elysée, op. cit.