Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre I
coupée de grands silences. Le pays Diallobé, désemparé, tournait sur lui-même comme un pur-sang pris dans un incendie Le maître, dont le regard était revenu à diverses reprises sur Samba Diallo, attentif et silencieux, demanda en le désignant du doigt à son père :
— Quel âge a-t-il ?
— Six ans.
— Encore un an et il devra, selon la Loi, se mettre en quête de notre Seigneur. Il me plairait d'être son guide dans cette randonnée. Voulez-vous ? Votre fils, je le crois, est de la graine dont le pays des Diallobé faisait ses maîtres.
Après un silence, il ajouta :
— Et les maîtres des Diallobé étaient aussi les maîtres que le tiers du continent se choisissait pour guides sur la voie de Dieu en même temps que dans les affaires humaines.
Les trois hommes s'étaient recueillis. Le père du garçon parla :
— S'il plaît à Dieu, maître, je vous confie mon fils. Je vous l'enverrai dès l'année prochaine, quand il sera en âge et que je l'aurai préparé.
L'année suivante en effet, Samba Diallo, conduit par sa mère, revenait au maître qui prit possession de lui, corps et âme. Désormais, et jusqu'à ce qu'il eût achevé ses humanités, il n'appartenait plus à sa famille.