Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.
L'histoire de l'empire de Cheikou Amadou, que nous présentons ici aux lecteurs, n'est que la transposition en français des traditions orales du Macina. Celles-ci, comme on en jugera, sont encore bien vivantes, précises et n'ont pas subi d'altérations notables : les très nombreux recoupements que nous avons obtenus le prouvent, ainsi que toutes les vérifications de détails auxquelles nous avons pu procéder. Nous avons naturellement éliminé les informations tendancieuses ou erronées, c'est-à-dire reconnues comme telles par les traditionalistes sérieux. Nous avons également refondu toutes les anecdotes et tous les renseignements qui nous ont été communiqués d'un côté ou de l'autre, et cherché à rétablir un ordre chronologique, ou tout au moins logique, exigé par le lecteur européen mais dont les informateurs indigènes ne s'embarrassent guère. Dans la mesure du possible, les tournures et les expressions ont été conservées telles qu'elles sont venues spontanément aux lèvres des narrateurs et tous les détails que nous avons cru devoir ajouter pour une meilleure interprétation des faits se trouvent en note.
Nous avons donc cherché avant tout à respecter la façon dont les indigènes racontent eux-mêmes leur histoire, avec tout ce que cela comporte d'avantages et d'inconvénients. On est assuré de n'avoir introduit aucune fausse ilote, aucune interprétation douteuse dans des récits qui constituent d'incomparables documents sur la vie publique el privée ou sur la psychologie des habitants du Soudan au XIXe siècle. Aux yeux tics africains, l'histoire est, toujours didactique. Elle se compose soit de légendes au sens ésotérique accessible aux seuls initiés, soit de récits relatant les hauts faits des ancêtres et constituant l'apologie de la famille ou de la race, soit de traits de foi et de piété des marabouts proposés en exemple dans les milieux musulmans, L'histoire tourne vite dans ce dernier cas à l'anecdote édifiante ou à l'hagiographie. Il y a là un phénomène qui pourra être taxé de manque d'objectivité, mais qui est bien africain. Il ne surprendra pas ceux qui connaissent l'âme des indigènes et qui savent que pour ces derniers, animistes, musulmans ou autres, tout se ramène à la religion, même les actes les plus humbles de la vie quotidienne. L'opposition entre les Peuls, férus de versets coraniques, ne comptant que sur l'aide de Dieu et interprétant tout comme des signes célestes, avec les Bambara débordants de magie, confiants dans la toute puissance de leurs fétiches et de leurs amulettes, n'est qu'apparente. Ce sont toujours des forces surnaturelles qui guident les hommes, les obligent à agir el constituent en dernier ressort la seule explication historique admise. Les caractères des personnages principaux n'apparaissent que dans la forme des discours, arrogants, onctueux, violents, sarcastiques, astucieux, truculents. Les facteurs économiques, géographiques et démographiques qui ont chi jouer, dans l'histoire de la partie du Soudan qui nous intéresse, un rôle important, sinon déterminant, ne sont guère indiqués. Le lecteur européen le déplorera, mais l'Africain, qui a une connaissance approfondie du milieu et des hommes, ne se trouve nullement gêné par cette lacune.
Richard-Molard, a fait remarquer que l'Islam avait agi dans l'histoire comme un stimulant cyclique des sociétés soudanaises. L'empire de Cheikou Amadou est un exemple saisissant de l'exactitude de cette formule. En quelques années, nous assistons à la fondation d'un état théocratique, non par un chef traditionnel ni par un conquérant, mais par un humble marabout dont la parole et l'exemple triomphent de toutes les difficultés et galvanisent les musulmans dans un élan de foi ardente. Quarante ans s'écoulent, l'espace d'une génération ; l'enthousiasme tombe, les rivalités, les mesquineries, les intérêts personnels reprennent le dessus ; c'est l'effondrement total, le retour aux trahisons, aux guerres fratricides, à l'anarchie.
Le présent volume traitera seulement la période brillante, c'est-à-dire le règne de Cheikou Amadou (1818-1845) et celui de son fils Amadou Cheikou (1845-1883). Il sera suivi, s'il plaît à Dieu, d'un second volume consacré au règne d'Amadou Amadou (1853-1862), à la conquête toucouleure et à la résistance peule aux occupants jusqu'à ses derniers soubresauts, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée des Français (1893). Ainsi, en une période de soixante-quinze ans (1818-1893) se trouvera bouclé le cycle complet d'évolution d'un état soudanais fondé uniquement sur l'Islam.
Nos principaux informateurs ont été :
Pour les citations coraniques, nous nous sommes référés à la traduction Blachères (1949-50). La transcription phonétique utilisée pour le Peul est celle de Labouret (1952).
Amadou Hampaté Bâ et Jacques Daget .
Diafarabé, 1955.