Paris. Les Nouvelles Editions Africaines.
Editions de l'Ecole de Hautes Etudes en Sciences Sociales. 1975. 306 p.
On a peut-être un peu trop tendance à imaginer qu'il n'est d'histoire possible, ou, du moins, acceptable, que celle qui repose sur des sources écrites. Point d'histoire sans documents, sans archives, sans épigraphie. Certains peuples sans avoir écrit leurs chroniques, ont bien confié à la tradition orale le soin de conserver leur histoire, mais que peut valoir une information de ce genre, qu'en peut tirer l'historien ?
A celle question, qui est grave, voici que répondent, par un exemple singulièrement topique, deux érudits soudanais, l'un blanc et l'autre noir, désireux de reconstituer l'histoire récente d'une région constituant pour l'un la terre de ses pères, pour l'autre son pays d'adoption.
Il faut donc croire, à en juger par le résultat obtenu, que la mémoire des hommes, là où du moins il existe des traditionnalistes de profession, n'est ni moins fidèle ni plus infidèle que le document écrit. On demeure en effet stupéfait, à parcourir ces pages de la richesse et de la précision de l'information quand on sait que les éléments de celle chronique détaillée ne sont empruntés qu'à la tradition orale et ne doivent à peu près rien aux documents écrits. C'est une assez surprenante réussite pour mériter de se voir signalée.
L'objet de nos chroniqueurs est de retracer l'histoire de l'état peul du Macina an XIXe siècle, de sa naissance (en 1818, « An I de la Dina ») à la conquête française (1893).
En trois-quarts de siècle nous assisterons à la naissance de l'Etat théocratique dont les ruines d'Hamdallaye symbolisent aujourd'hui encore la solide organisation, aux luttes qui vont l'opposer à presque tous ses voisins, Bambara, Arɓe, Touareg, Maures, etc., les uns animistes, les autres déjà musulmans, à la croissance et à l'apogée de l'Empire, bientôt, après la brillante période qui, après le règne de Cheikou Amadou (1818-1845) va se clore avec celui d'Amadou Cheikou (1845-1853), à la dissociation et au déclin.
Un cycle entier se déroulera sous nos yeux. Le premier volume s'arrête à la mort d'Amadou Cheikou. Mais dès celle-ci on nous laisse à deviner les rivalités intérieures qui vont déchirer la dynastie et, par ailleurs, El Hadj Oumar a déjà fait son apparition à Hamdallay, en pèlerin pour le moment : il y reviendra plus tard...
Les auteurs attirent eux-mêmes l'attention sur les lacunes du récit : celui-ci dit beaucoup de choses, il ne dit pas tout. Toute une série de facteurs échappent à la tradition locale, peu soucieuse de géographie, d'économie ou de démographie. Il n'a pas paru prudent de tenter de suppléer à ces silences. Aussi bien s'agit-il ici ó et il faut le spécifier ó avant tout d'une explication systématique, d'une « mise en forme » de la tradition : c'est en somme une transcription aussi fidèle que possible, et souvent dans ses termes mêmes, de la tradition locale, ce n'est pas un ouvrage nouveau à propos de cette dernière. Et c'est précisément ce qui fait le prix d'un travail comme celui-ci. L'histoire ouest-africaine s'enrichit, grâce à Amadou Hampaté Bâ et Jacques Daget, d'un texte inédit, exactement comme si un tarikh nouveau, couvrant la chronique du Macina, avait été découvert. C'est pour les études africaines une bonne fortune peu commune.
Ajoutons enfin que cette histoire du Macina n'avait guère pu jusqu'ici être abordée et connue qu'à travers des informateurs toucouleurs, à travers les conquérants qu'allaient eux-mêmes relayer les Français. Ici c'est dans une très large mesure la tradition macinanké elle-même qui s'exprime, c'est l'histoire de l'Etat du Macina vue, véritablement, de l'intérieur, ce qui accroît indubitablement le prix d'un ouvrage que le centre I.F.A.N. du Soudan a tenu à honneur de publier, pour en mettre les richesses à la portée des nombreux lecteurs que nous souhaitons à ce travail, fruit d'une collaboration amicale et confiante qui constitue, elle aussi, par elle-même, un excellent exemple et que l'on voudrait voir largement suivi, pour le plus grand bien de la recherche.
Th. Monod
12 novembre 1955.