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Kaidara
Récit Initiatique Peul
Rapporté par Amadou Hampâté Bâ
Edité par Lilyan Kesteloot & Alfâ Ibrâhîm Sow

Classiques Africains. Paris. Julliard. 1969. 181 p.


       Table des matieres      

Kaydara — Strophe 15

— To Kaydara leydi muuɗum kaawnoyiindia
walaa neɗɗanke waawoya darna hiɓɓa
fab anndina en nde wannoo maa ɗo wonnoo.
Yo caggal kaaƴe njoordiic duuɓi seeɗa 15
tawi jinnajid asidii maaje tildii.
Hammadi ruuyti yehid daroyii e boowal,
nde oolol kanŋinoowol fooyni yeeso
honof ndee fooyre yaynata Laamɗo Ɗokko.

Notes
a. L'emploi du morphème -oy- se trouve justifié par l'éloignement (dans l'espace et dans le temps) du pays de Kaydara; ce qui rejette déjà les coordonnées temporelles et géographiques du récit dans l'indétermination.
b. Les poètes agissent fréquemment sur les particules autonomes du fulfulde comme procédé poétique pour obtenir la qualité syllabique voulue. La poésie pular/fulfulde étant quantitative, il s'agit là d'un procédé essentiel, l'intervention de la qualité syllabique étant décisive pour le rythme. Pour cette raison, la particule faa (syllabe longue sous sa forme ordinaire) apparaîtra souvent sous la forme raccourcie fa (syllabe brève). Il en sera de même pour les noms propres dont la déformation contextuelle ne gènera nullement la communication du message; selon les cas, Kaydara (qui, sous cette forme usuelle vaut i syllabe longue et 2 syllabes brèves) se présentera sous les formes contextuelles suivantes : Kaaydara (donc 1 syllabe longue accentuée soit 1 longue et 1 brève pour cette caractéristique, et 2 brèves); Kaydar (soit 2 syllabes longues) et Kaaydar (1 longue accentuée et 1 longue ordinaire; la longue accentuée rejetant celle-ci dans la catégorie d'une sous-longue)… De même, Hammadi devient Hamma… ce qui est à la fois plus intime et plus conforme à la qualité rythmique voulue.
c. njoordii; le morphème -id- ici réduit à -d- étant destiné à marquer la simultanéité de l'action décrite; les montagnes furent durcies ensemble et en même temps.
d. won wiyooɓe jinnaaji.
e. Bien que l'orthographe correcte soit yahi, la forme retenue ici a tendance à s'imposer dans tous les parlers du fulfulde. C'est donc une « faute » grammaticale que l'usage impose à la langue.
f. Cette particule comparative apparaît sous des formes diverses selon les dialectes; on la retrouve sous la forme hano dans certaines régions du Niger, hono et wano au Sénégal, hono, wano, wa, wayma, wayta au Fuuta-Jalon. …

Ce fut au mystérieux, au lointain pays de Kaydara
que nul homme ne peut situer exactement
pour nous révéler quand et où l'histoire advint.
C'était peu d'années après que les montagnes furent durcies 1,
alors que les génies finissaient de creuser les rivières 2.
Hammadi 3 indécis marcha, sur un grand carrefour 4 s'arrêta
à l'heure où la douce lueur d'or éclairait l'horizon
pareille à l'auréole illuminant le Roi Borgne 5

Notes
1. Selon le mythe génésique, les montagnes étaient, à l'origine, tendres comme du beurre végétal; mais Geno (le dieu créateur et éternel), donna puissance au Roi Borgne (le soleil) de durcir les montagnes sous l'intensité de son regard.
2. Pour indiquer que le monde est encore en formation. Toujours selon le mythe, Geno, ayant fait creuser les cours d'eau par des djinns, les fit remplir par des porteuses d'eau qui se rebellèrent et furent transformées en nuages condamnés à errer. Ce sont elles qui nous donnent la pluie en cassant perpétuellement leurs canaris; et elles encore que fouettent sans pitié leurs geôliers les vents, lorsqu'on entend claquer le tonnerre.
3. Chez les Fulɓe, il y a double système de nomination des enfants. L'un, profane, par lequel les parents donnent au nouveau-né le nom qu'ils veulent, de préférence celui d'un ancêtre. L'autre, religieux, dont le code est le suivant :
(a) Hammadi est le nom du premier fils consacré au dieu Ham
(b) Sammba, le nom du deuxième consacré à Saam
(c) Demmba, le nom du troisième consacré à Dem
(d) Yero, le nom du quatrième consacré à Yer
(e) Paate, le nom du cinquième consacré à Pat
(f) Njobbo, le nom du sixième consacré à Njobbo
(g) Deloo le septième consacré à Del.
S'il arrive qu'un homme a un huitième fils, on recommence la série et on le nomme : Hammadi-ɗimmo ou Hammadi bis … Ces noms religieux sont utilisés dans les cérémonies rituelles ou les initiations, comme ici. Enfin, il n'est pas inutile de savoir, pour l'intelligence du texte, que l'on divise, dans les légendes, les héros en trois catégories : Hammadi, prototype de héros, l'« étalon », est connu de tout son village; et tout village où il s'arrête est immédiatement au courant de sa venue; Hammadi-Hammadi, l'« étalon des étalons », plus valeureux encore que le premier, est connu dans son village et dans son pays; s'il se déplace, les pays voisins l'apprennent sans retard ; Hammanndof est le médiocre, le raté ; sa famille même ne s'aperçoit pas de son absence et son hôte ne remarque pas son arrivée.
A ces trois types d'hommes, correspondent trois types de femmes :
(a) Santalde la bonne épouse qui exécute bien ce que dit son mari
(b) Mantalde a plus d'initiative et d'intelligence et, « propriétaire du tambour de guerre », n'attend personne pour se débrouiller
(c) Mantakapus qui, lorsqu'on lui apporte de quoi préparer à manger, le laisse pourrir et quî se plaint et insulte quand on ne lui apporte rien; elle est, en somme, la parfaite mégère !
4. Les pasteurs fulɓe vont par des chemins divers. Chaque fois qu'ils se retrouvent dans une clairière, ils la baptisent « carrefour de la rencontre » ou résidence (hoɗorde) et le lieu devient sacré à la suite d'un rite précis; le silatigi qui est l'initié aux choses sacrées, entre en rapport avec les esprits de l'endroit soit par un rêve, soit au moyen de plantes spécifiques; selon la densité occulte du lieu, ce dernier deviendra campement ou carrefour de rencontre durant deux, trois, quatre jours ou plus. Le rite se fera sur la dictée de l'esprit du lieu; on sacrifiera une chèvre tachetée, un mouton ou un bœuf; le silatigi aura vu tel animal en songe ou bien un événement quelconque l'aura signalé à son attention; la révélation peut aussi être faite à un autre membre du groupe; ou encore le silatigi interprétera les cris ou les mouvements de la tourterelle car « elle est messagère des dieux et son coeur est sans agressivité ».
5. Au début des temps, le soleil était l'œil même de Geno. Puis, lorsque la création fut achevée, Geno le sortit de son orbite pour en faire le « monarque borgne » car son œil unique suffit à voir tout ce qui se passe sur la terre, à la réchauffer et à l'éclairer.