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Kaidara
Récit Initiatique Peul
Rapporté par Amadou Hampâté Bâ
Edité par Lilyan Kesteloot & Alfâ Ibrâhîm Sow

Classiques Africains. Paris. Julliard. 1969. 181 p.


       Table des matieres      

Kaydara — Strophes 1360-1380

min miɗo yonndinii tati diiwle am ɗee. »
Tawi Hammadi hewtii nokku oo
nanii haala haa wii:
1360
— « Ndaa Hamtuudo miɗo nii noon mi wallete ubboyen ne
ndonaa aan Demburu sawram nduu yonii kam. »
Ɗoon Hamtuudo foortii maɓɓi Hamma,
mo fawi dow becce muuɗum hoore makko,
mo heppiƴi hono so baddo so ne'aama bonnii. 1365
Hammadi jantanii Hamtuudo hono hen
ɓe iwi ley saare Naannaa-Koɗo ngari e mum
kunndi togooru nduu mo waaloy e ley mum
mo waalii yiyaali torra nde nanngi laawol.
Hammadi e Hamtuudo ubboy Demburu. 1370
Hammadi roni ɗaalli tati ɗi mo yoppi ɗii.
Waayiraaɓe ɗiɗon be doonii e yaadu.

Ɓe njehi kiikiide muni ngari junngo maayo
yo ngoo woni Salndu-Keerol inndiraama.
Ɓe tawi ɗoon lummbinoowo e laana muuɗum 1375
sehaaka e foomre lekki lekki mawki.
Nyorii Hamtuudo lummbiroyoowo koyɗe
yoga nokkuuje fenkiɗi faa na maata.
Yo ndeen nii lummbinoowo wiyoy mo : « Dara gaa!»
Mo wii : « Ɓii Aada kala fuu keeɗɗo fonngo 1380
ngo, ngon-ɗen e mum so warii faa lummba maayo,
waajibi naata nder kaa laana yoɓa kam.
Ko woni daabaaji fuu ana waawi jolde,

car je me contenterai de mes trois charges. »
Or Hammadi qui venait d'atteindre l'endroit
et qui avait tout entendu, déclara : «
O Hamtuudo ! me voici prêt à t'aider ! Allons enterrer
Demburu dont l'héritage est pour toi ; mon bâton me suffit. »
Lors, Hamtuudo s'élança pour étreindre Hammadi.
Il posa sa tête sur sa poitrine
et gémit comme un garnement corrigé.
Hammadi conta à Hamtuudo comment
les habitants de Nannaa-Koɗo vinrent à lui
et lui construisirent une hutte où il s'abrita
et comment, après une nuit sans orage, il se remit en route. Hammadi et Hamtuudo enterrèrent Dembourou.
Hammadi hérita ses trois bœufs-porteurs
et les deux compagnons continuèrent leur route.
Le soir venu, ils atteignirent un bras de fleuve
nommé Branche-Frontière 1.
Ils y trouvèrent un passeur et sa pirogue
taillée d'une pièce dans un tronc gigantesque.
Hamtuudo s'apprêta à traverser à gué
car le fond affleurait à certains endroits.
Alors le passeur lui dit : « Arrêtez !
tout fils d'Adam qui vient de la rive
où nous sommes et veut traverser le fleuve
doit nécessairement utiliser cette pirogue et me payer.
Les animaux, quant à eux, pourront descendre à l'eau.

Note
1. C'est la limite du pays de Kaydara. Les voyageurs reviennent dans le pays des visibles, mais seul Hammadi franchira la frontière. On ne se promène pas impunément dans le domaine de l'ésotérie ; et si l'on ne sait pas lire les signes et écouter les avertissements voilés, ou manie ainsi une matière trop dangereuse pour un esprit étourdi et imprudent : le sens du malheur de Demburu et de Hamtuudo est peut-être qu'il aurait mieux valu, pour ces deux hommes braves mais vulgaires, ne jamais s'aventurer au pays de Kaydara ; car ils n'avaient ni l'envergure intellectuelle ni la grandeur morale nécessaire pour assumer un tel destin, la conquête de l'or ésotérique les a perdus bien plus sûrement que s'ils avaient essayé de s'enrichir par leurs propres moyens humains et dans un monde où s'appliquaient les raisonnements communs à la moyenne des fils d'Adam. C'est ce que justifie peut-être, en plus de toutes les explications sociologiques qu'on en a données, la tendance africaine à garder le savoir sous le boisseau, à ne le diffuser qu'au compte-gouttes, quitte à risquer de le perdre comme c'est le cas aujourd'hui, pour ne le confier qu'à ceux qui en sont dignes ; car seuls, ils pourront en faire bon usage. Cette conception, qui est évidemment à l'opposé de la conception occidentale moderne, se comprend cependant si l'on songe à certains usages meurtriers très modernes eux aussi d'une « science devenue sans conscience ».