Cahiers de l'Homme. École Pratique des Hautes Études, VIe section. Mouton et Cie. Paris, 1961, 95 pages.
Kumen, après avoir prononcé ces paroles, disparut aux yeux de Sile qui se trouva à l'endroit où il l'avait vu pour la première fois.
« Me voici revenu parmi vous, ô mes frères, fils de ma mère ! Je suis revenu de chez Kumen, qui m'ouvrit les douze clairières. J'ai vu Foroforondu qui ne se montre qu'à celui qui aime et protège le bœuf. J'ai pénétré dans l'étang. Je m'y suis rituellement baigné. J'ai tourné autour des termitières et foulé le sol des fourmilières. Je me suis reposé sous l'arbre multiforme, après avoir chevauché le bovidé hermaphrodite dont l'urine est un purgatif, le lait un aliment complet et une boisson agréable. Je suis voyant pour avoir aperçu Foroforondu dénouer sa coiffure et exposer sa poitrine au bovidé sacré. Le mari et la femme m'ont donné, sans que je le leur aie demandé, la propriété de ndett. Cette attribution m'affranchit de toute dépendance extérieure; je n'ai plus de juge que ma conscience qui ne me quitte jamais, même quand je ferme les yeux durant mon sommeil. »
[1] Le mot gumbaw peut désigner « une serrure en forme de sauterelle » qui ne s'ouvre qu'avec la récitation d'une litanie constituant la « clef ».
[2] L'amulette est une allusion à la touffe de poils dont Sile doit s'emparer.
[3] L'incantation débute par une invocation à Dieu, Doundari, gayobeele (de gayo « c'est ici », beele «mares ») désigne la Gambie.
Sile n'avait pas fini d'articuler ces paroles quand il entendit un chant :
La lutte que devra poursuivre Sile, armé maintenant, mais seul, se mènera entre « la haute brousse » jeeri et « le bord du fleuve » waalo, c'est-à-dire sur le trajet de la transhumance.
Le lion symbolise tout d'abord la force temporelle avec tout ce qu'elle comporte de grandeur et de rigueur, mais également la force occulte, car il est considéré comme le « chat des génies ». Sile doit vaincre le lion et l'asservir à sa volonté : en faisant couler son sang, véhicule de sa force, il la prendra pour affermir la sienne. Il exercera, dans cette lutte ultime, qui est une épreuve, sa force d'initié contre une autre force. Ceci fait que Sile est prêt.
[1] • gumbaw! miɗo iwri jeeri gumbaw ! je viens des hautes brousses
• gumbaw! miɗo faati waalo je me dirige vers la vallée
• gumbaw! mo talkel hôre gumbaw ! je porte une amulette sur la tête
• gumbaw! jam jaɓɓam gumbaw ! puisse la paix venir à ma rencontre.
Sile se met à l'affût. Ce doit être le lion contre lequel il lui faut combattre.
Le lion poursuivit sa litanie, car c'était bien le lion qui chantait :
« Ma marche est noble ; je suis dans la forêt un roi sans rival. Ma voix précède mes pas. Elle dénonce ma présence. Quand elle tombe au milieu des mammifères, ils dressent leurs oreilles. Kumen et son épouse ont armé un ennemi. Ils lui ont ordonné de me tuer. Mais je ne crains rien ; la force règne dans mes membres antérieurs et l'agilité dans les postérieurs. Quand je saute, j'atteins la taille de mon ennemi et je le griffe à mort. Je ne succombe jamais dans une lutte. A celui que je terrasse, je casse le cou ou la clavicule, sinon la colonne vertébrale. »
[2] Sile répondit : « gumbaw, tu viens des hautes brousses ; gumbaw, tu te diriges vers la vallée ; tu portes au sommet du crâne une amulette recherchée ; la mort seule ira à ta rencontre.
Je suis Sile armé de kelli, Sile armé de nelɓi. J'attaque avec vigueur, je bats avec vivacité. Si tu sautes, je me fais oiseau. Contre des griffes, j'ai une lame de fer trempé et contre des dents, une masse éprouvée. Je peux provoquer contre toute force une inertie magique, contre toute agilité, un sommeil irrésistible. »
Le lion leva la tête et ne parvint pas à voir Sile. Il rugit de colère, cassa des branches, courut à droite courut à gauche. Il répéta sa chanson. Sile répliqua par la sienne. Le lion plus affolé qu'auparavant, se dépensa en mouvements épuisants. Après plusieurs scènes identiques, le lion épuisé se coucha sous un buisson.
Au moment où il allait sauter sur Sile qui venait de lui apparaître, il reçut un coup donné avec le bâton en kelli. Il tomba évanoui, non pas sous la simple force du coup, mais bien par l'effet de la force de l'incantation adressée à jalaañ :
[3] « Je me soumets à Dundari qui est le créateur des secrets et de la nature. Je me soumets à Sambanji, initié par Dultakko ; Dultakko initié par Dembateko ; Dembateko initié par Dembanaago ; Dembanaago initié par Kogoldi ; Kogoldi par Jafaldi; Jafaldi par Dikore Jaawo. Celle-ci est la gardienne vigilante du grand cours d'eau gayobeele d'où provient le principe féminin et de la « mare aux pintades », beelel jawle, où fut dérobé le principe masculin. Les deux furent unis pour la procréation de ndurbeele, le bovidé hermaphrodite, source de richesse pour les justes et joie des Fulbe.
« Logé dans un tube en fer « secret des eaux », tu causas ravage autour de toi ; logé dans une corne de boeuf, tu écourtas les jours et la lignée des parents de ton sacrificateur ; logé dans un paquet de racines, tes éléments furent, lors, domptés sinon apaisés et l'on vit le principe du bien émanant de tes dix-huit bras sous l'action combinée de leurs cent vingt-deux nœuds magiques.