Paris, Maisonneuve & Larose, 1983, 278 p.
Du XVIIIe à la fin du XIXe siècle, la ville marocaine de Fès fut une des plus grandes capitales de la pensée islamique.
En effet, selon Georges Drague, c'est à Fès et dans des centres religieux prestigieux du Maroc qu'apparaissent « les confréries des Derkawiyine, des Tidjaniyine, des Kittaniyine et des Bouazzaouiyine du XVIIIe au XXe siècle».
De toutes ces formations religieuses, une seule, la Tijâniyya, semble tournée vers l'Afrique noire. Sa fondation fut l'oeuvre de Cheikh Ahmed Tijânî. Il nous paraît nécessaire de nous attarder sur la biographie de cet homme. Elle est « intarissable de louanges ; ses adeptes n'ont pas de qualificatifs assez expressifs pour exalter ses vertus, rappeler ses miracles, énumérer ses actions. C'est le savant, professeur de l'école florissante du monde musulman, le thaumaturge éclairé par la Divinité toute puissante et dirigé par le Prophète, son unique inspirateur et son soutien 1. »
Le Cheikh Abû-l-Abbâs Ahmed Ibn Mohammed Ibn al-Mukhtâr Ibn Sâlim al-Tijânî est, pour les musulmans, l'un des hommes les plus prestigieux et les plus dignes de vénération.
Comme tous les fondateurs de confrérie, sa naissance et son adolescence sont entourées de légendes. Son principal biographe, Ali Ḥarâzim, le présente dans Jawâhir al-ma'ânî sous les traits d'un enfant prodige. Il rapporte qu'il récitait par coeur tout le Coran à l'âge de quinze ans. Un tel enfant ne pouvait avoir un destin médiocre.
Cheikh Tijânî est né en 1150 de l'Hégire (1738) à Aïn Madi, petite localité située à 72 km à l'ouest de Laghouat, dans le Sud algérien. Son père, Mohammed Ibn al-Mukhtâr, avait été l'objet de déférence et d'attentions. Chacun, à Aïn Madi et dans toute la région, respectait sa vaste culture, ses grandes qualités morales et la pureté de sa foi.
Sa mère, Aïcha, était la fille de Mohammed Ibn Sanûsî, un des plus grands érudits de l'Algérie du XVIIIe siècle.
Les premières années de la jeunesse de Cheikh Ahmed Tijânî furent marquées par un deuil cruel. Son père et sa mère furent emportés le même jour par l'épidémie de peste qui ravagea le Sud algérien en 1166 de l'Hégire (1753). Au cours de ces douloureux événements, la noblesse de l'attitude du jeune Cheikh Ahmed Tijânî ne passa pas inaperçue. Selon ses biographes, il se comporta déjà comme un homme mûr, respectueux de la volonté d'Allah.
Le futur chef de confrérie vivait auprès de son oncle Mohammed, surnommé Ibn Umar, et de sa soeur Ruqayya. Son premier maître d'école, Mohammed Ibn Hammû, n'hésitait pas à le présenter comme un enfant prodige. Chez son second professeur, Mabrûk Ibn Bû'âfiya, il prit connaissance des deux principaux traités de jurisprudence mâlikite, la Risâla 2 d'Ibn Abî-Zayd al-Qayrawânî et le Mukhtaṣar 3 de Khalîl Ben Ishâq. Très tôt, il lut les oeuvres philosophiques d'Ibn Rushd (Averroès, 1126-1198). En 1171 de l'Hégire (1758), Cheikh Ahmed Tijânî quitte pour la première fois sa ville natale pour la région de Fès qui l'attirait depuis sa tendre jeunesse à cause de la réputation de ses savants et lettrés.
Peu de temps après son retour à Aïn Madi, il entreprend un long pèlerinage sur la tombe du grand saint Abd-al-Qâdir Ibn Mohammed, dans les confins sahariens.
Après cinq années de méditation, de prière et de recueillement, Cheikh Tijânî se rend à Tlemcen, l'ancienne capitale des Abd-al-Wâdides. Dans cette ville, il semble déjà mû par une certaine inspiration. Il souhaitait ardemment s'incliner à Médine sur la tombe de son ancêtre, le prophète Mohammed. Il rêvait de fouler la terre sainte, de contempler La Mecque des hauteurs du mont Hira, de suivre les foules à Mina, d'embrasser la Pierre noire de la Kaaba.
Auparavant, il avait eu le privilège de rencontrer les marabouts les plus prestigieux du Maroc. Il avait adhéré successivement à la Qâdiriyya, à la Nâṣiriyya et à la Ṭayyibiyya.
De Tlemcen, il se rend en Tunisie où on lui propose en vain un poste de professeur à l'Université Zaïtouna. En 1186 de l'Hégire (1773), le voici au Caire, assis en face du grand soufi égyptien (d'origine irakienne), Mahmûd al-Kûrdî.
Après avoir accompli ses obligations religieuses aux lieux saints de l'Islam en 1187 de l'Hégire (1774), il revient en Egypte où il est accueilli de nouveau par Mahmûd al-Kûrdî. C'est au cours de cette dernière entrevue que le soufi égyptien demanda à Cheikh Tijânî « d'initier les gens à la Khalwatiyya » (« Laqqini-n-nâsa wa-ḍ-ḍamânu 'alayya »).
De retour au pays natal en 1191 de l'Hégire (1778), il poursuit sa route vers Fès où il devait se recueillir sur la tombe du grand saint Mûlây Idrîs.
Après de nombreuses pérégrinations qui l'ont conduit de Fès à Tlemcen, Cheikh Tijânî poursuit ses méditations à Bou Semghoun, localité située au sud de Geryville 4. C'est alors que « le Prophète lui apparut dans toute sa splendeur, lui fait connaître sa sainte mission et le proclame son unique intermédiaire auprès de l'Etre Suprême.
« Abandonne toutes les Voies 5 que tu as suivies, lui ordonne-t-il, sois mon vicaire sur la terre, proclame ton indépendance des « Chioukh » 6 qui t'ont initié à leurs doctrines mystiques. Je serai ton intercesseur auprès de Dieu et ton guide auprès des fidèles qui s'inspireront de tes conseils et suivront ta voie. 7 »
« De cette époque (1196 de l'Hégire, 1781-1782 après J.-C.) date réellement la fondation de la confrérie des Tidjaniya. Son patron retourne à Aïn Madi, désormais siège principal de l'Ordre où il établit les règles liturgiques de sa corporation 7 »
Mais au cours de ce dernier quart du XVIIIe siècle, l'Algérie était à un tournant décisif de son histoire. Comme la Tunisie, elle faisait partie de l'Empire ottoman. Partout, les beys pressuraient les populations. Ils étaient plus jouisseurs que musulmans. A leur point de vue, l'esprit d'indépendance de la nouvelle confrérie était une manifestation primaire du nationalisme arabo-berbère contre la domination turque. Cheikh Tijânî, qui considérait les Turcs comme des musulmans tièdes, ne tarda pas à émigrer, comme le fit jadis à Médine Mohammed, exaspéré par le paganisme des Qurayshites de La Mecque.
La renommée de Cheikh Tijânî ne s'arrête pas à la seule ville d'Aïn Madi. Il rassembla, à la suite de ses déplacements au Sahara et au Maroc septentrional, de nombreux fidèles. « Sa confrérie devient une puissance redoutable au gouvernement turc qui fit assiéger la ville d'Aïn Madi par le bey d'Oran qui lui impose une redevance annuelle fort élevée (1783-1787 J.-C.) 8.
» La monarchie alaouite n'ayant jamais été favorable aux représentants de Constantinople en Algérie, Cheikh Tijânî considérait les souverains marocains comme des alliés naturels.
Il ne reconnaissait aucune légitimité au pouvoir turc. Il le rendait responsable du recul de l'Islam en Algérie. Quant aux Alaouites, ils espéraient étendre leur domination sur l'Ouest algérien au détriment des beys, leurs ennemis éternels, qui avaient soutenu et fomenté les insurrections des Ben Mahrez, des Rhaylân et des Dilaïtes au cours des premières années du règne de Mûlây Ismâ'îl (1672-1727).
Le danger turc a toujours été réel au Maroc. Avant les Alaouites, les Saadiens furent souvent en état d'alerte face au péril turc. « Toute la politique extérieure des Saadiens, comme le sera celle de leurs successeurs, est commandée par le désir de protéger leurs frontières contre le danger turc 9. »
La raison d'Etat a souvent amené les souverains saadiens à négocier avec les Espagnols, des « infidèles », plutôt que de collaborer avec les Turcs, des musulmans.
« Cette politique est surtout celle de Mohammed ech-Cheikh. Contre les Turcs, il négocie avec les Espagnols d'Oran, rapproché d'eux par la même crainte. Son fils et successeur, Moulaye Abdallah (1557-1574), continue dans la même voie, cédant même aux Espagnols, pour obtenir leur aide, le port de Badis (Velez) en 1564 10. »
Au moment où apparaissait Cheikh Tijânî, l'une des constantes de la politique extérieure des souverains, qu'ils fussent saadiens ou alaouites, était donc l'opposition à la présence turque aux marches orientales du royaume. Les persécutions beylicales achevèrent d'exaspérer le fondateur de la confrérie des tijâniyya. Outre son opposition aux représentants de la « Porte », le régime alaouite exerçait un attrait irrésistible sur Tijânî. Ce dernier ne pouvait que soutenir les Alaouites qui « s'étaient élevés au trône en faisant figure de défenseurs de l'Islam menacé ». Il se réfugia en 1213 de l'Hégire (1799) au Maroc où le Sultan Mûlây Slimân ben Sîdî Mohammed ben Abdallâh lui réserva un accueil chaleureux à Fès. « Dans cette ville, il donne une nouvelle impulsion à ses doctrines, reçoit les faveurs du sultan Moulaye Sliman, fait construire une zaouïa dans le quartier Houmet el-Blida el-Gharouïa où il meurt le 14 choual 1230 (19 septembre 1815), après avoir dicté à ses ahbab Sidi el-Hadj Ali el-Harazim et Si Mohammed ben el-Mouchri es-Saïbi, l'histoire de sa vie et ses recommandations à ses disciples 11. »
Parmi les compagnons de Cheikh Ahmed Tijânî, Cheikh Sîdî Tâhar, Mohammed Ibn Mushri et Ali Ḥarâzim sont les figures les plus éminentes et les plus dignes de vénération.
Cheikh Tâhar de Tlemcen fut le premier disciple du fondateur de la Tijâniyya. Il vécut longtemps avec son nouveau maître avant de l'accompagner aux lieux saints de l'Islam. Ahmed Sukayrij, le célèbre auteur de Kashf al-ḥijâb et l'un des meilleurs historiographes du tijânisme, le considère comme le numéro deux de la confrérie. Il révèle en effet que Cheikh Ahmed Tijânî lui accordait la prééminence sur tous ses autres confidents. Son avis sur les questions religieuses était toujours sollicité et respecté. Nous reviendrons plus en détail sur la personnalité de Cheikh Tâhar et le rôle qui fut le sien dans la désignation de Cheikh Hamahoullah comme khalife du tijânisme.
L'imam Ibn Mushri est originaire de Takart (région de Constantine). C'est à Tlemcen qu'il fit la connaissance de Cheikh Ahmed Tijânî, qui revenait de La Mecque.
Le futur chef de confrérie s'aperçut très tôt de l'érudition et des grandes qualités morales de l'homme de Takart. Ce dernier jouit très tôt de la confiance de Cheikh Tijânî qui le choisit comme secrétaire particulier et directeur des prières (imam) après l'avoir initié à la Khalwatiyya. Sa situation privilégiée au sein du mouvement religieux lui valut des jalousies. Nombre de fidèles ont essayé, mais en vain, de ternir sa réputation. Ils firent circuler des rumeurs malveillantes selon lesquelles Ibn Mushri serait tombé en disgrâce auprès de son maître.
Son installation au Sahara pour diffuser le tijânisme confirma aux yeux de beaucoup ces rumeurs. Mohammed Aṣayih, l'auteur de Bughyat al-mustafîd, écrit à ce propos à la page 231 : « Ce qu'il faut affirmer ici, c'est qu'Ibn Mushri n'est jamais tombé en disgrâce auprès de Tijânî, car il bénéficia jusqu'à sa mort de la confiance absolue du Cheikh. » Enfin, l'Imam Ibn Mushri est connu comme l'auteur d'un ouvrage où il a consigné les recommandations et les principes doctrinaux de son maître. Cet ouvrage est intitulé al-Kitâbu-l-jâmi'u limâ-ftaraqa min al-'ulûm (le Livre de tout ce qui réunit les connaissances éparses) 12.
A notre connaissance , cet ouvrage de grande valeur n'a pas encore été imprimé. Sa publication apporterait sans doute un éclairage nouveau sur des points essentiels de la doctrine tijâniyya et notamment sur le problème de la « perle de perfection » (Jawharatu-l-Kamâli) que nous étudierons plus loin.
La mort de l'imam Mohammed Ibn Mushri, survenue en 1224 de l'Hégire (1809), attrista profondément Cheikh Ahmed Tijânî.
Quant à Ali ijarâzim, il fut à la fois le conseiller, le confident, l'ami et le porte-parole du fondateur de la Tijâniyya. C'est lui qui rédigea le célèbre Jawâhir al-ma'ânî 13 où sont exposées la biographie, la doctrine et les recommandations de Cheikh Tijânî.
Ce dernier aurait déclaré, selon Ahmed Sukayrij, que rien ne se décidait au sein de sa confrérie à l'insu de Ḥarâzim. Il aurait même ajouté :
« Tout ce que Ali Ḥarâzim vous dit, il le tient de moi. Tout ce qui provient de moi vous est transmis par Ḥarâzim 14. »
Bien avant la révélation prophétique de Bou Semghoun, les deux hommes s'étaient rencontrés à Oujda.
Plus tard, en 1799, deux mois après l'installation définitive de Cheikh Tijânî à Fès, Ḥarâzim avait été chargé de rédiger un ouvrage de référence pour les fidèles de la confrérie. Auparavant, on lui avait demandé de détruire tous les papiers sur lesquels il avait consigné les recommandations antérieures de Cheikh Tijânî.
C'est également Ali Ḥarâzim qui eut le mérite d'initier à la Tijâniyya le savant et poête Sîdî al-Ibrâhîm al-Riyâḥî (1767 -1850) qui fut, après le Cheikh Maḥmûd al-Manâ'î — mort en 1831-1832 — le propagateur de la Tijâniyya en Tunisie.
Parmi les disciples et compagnons de Cheikh Ahmed Tijânî, des hommes tels que Ali Temasînî et Cheikh Mohammed al-Ghâlî étaient respectés et écoutés pour leur vaste culture. Al-Ghâlî est très connu en Afrique occidentale pour avoir investi El-Hadj Omar du pouvoir de khalife de la Tijâniyya. Il convient d'ajouter à cette liste des compagnons du Chérif d'Aïn Madi, le nom de Cheikh Mohammed al-Hâfiẓ 15, qui a été généralement passé sous silence. Et pourtant, c'est cet homme qui introduisit et enseigna pour la première fois la doctrine tijâni en Afrique occidentale.
Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ est né à Bareïné 16 au milieu du XVIIIe siècle, dans une famille de lettrés de la tribu des Idaou Ali qui prétend descendre, comme son nom semble l'indiquer, de Ali, le gendre du Prophète Mohammed.
Son père, al-Mokhtar Ibn Ḥâbib, veillait personnellement à son éducation. Al-Ḥâfiẓ eut le privilège de suivre l'enseignement dispensé par Horma Ibn Abd-al-Jâlil, l'un des plus grands poêtes et jurisconsultes du pays de Shinqît 17.
Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ complète ensuite sa formation en lisant les nombreux ouvrages dont disposait son maître, avec une prédilection pour les grands penseurs tels qu'al-Ghaẓâlî (1050-1111) et as-Suyûtî (mort en 1505).
Sa réputation de juriste s'établit très rapidement chez les Idaou Ali. Son pèlerinage à La Mecque vers 1782 fut le couronnement naturel de ses brillantes études.
En effet, à cette époque, de nombreux lettrés maures se rendaient à La Mecque, censée être le lieu de rendez-vous privilégié des hommes les plus pieux et surtout les plus cultivés de la terre. C'est là qu'al-Ḥâfiẓ espérait rencontrer des érudits qui lui apprendraient de nouveaux secrets de la mystique musulmane.
Alors qu'il se recueillait autour de la Kaaba 18, il entendit un homme louer le savoir et la sainteté de Cheikh Ahmed Tijânî.
Dès lors, ce nom resta gravé dans son esprit. Après avoir terminé ses obligations religieuses, il entreprit des recherches en vue de regrouper des renseignements sur l'homme qui portait ce nom qu'il ne pouvait plus oublier, et qu'il prononcera désormais au moins cinq fois par jour après ses prières.
Il rencontra en effet un groupe de pèlerins maghrébins. Le premier qui lui adressa la parole n'était personne d'autre que le confident et lieutenant de Cheikh Tijânî, le vénérable Ali Ḥarâzim. C'est ce dernier qui lui communiquera l'adresse de la zâwiya de Fès.
Avant de rejoindre son pays natal, Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ se rendit dans la capitale religieuse du Maroc. C'est là qu'il s'initia à la doctrine tijâni 19 auprès de Cheikh Ahmed Tijânî lui-même, qui lui demanda de la diffuser au sud du Sahara :
« O Dieu, répands tes faveurs sur Mohammed, le Prophète illettré ! Gloire à Dieu — Prière et salut à L'Envoyé d'Allah! Notre maître et intercesseur auprès de Dieu Seigneur, le Pôle des Pôles, Abû Abbâs Ahmed Ibn Mohammed Tijânî Ḥasanî… a autorisé son disciple le savant … al-Ḥâfiẓ- Ibn Mokhtar Ibn Ḥâbib de Shinqîtî à conférer les affiliations à tous les musulmans qui en feraient la demande … 20 »
Auréolé du titre de moqaddem 21 de la Tijâniyya, Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ quitte Fès pour la Mauritanie. Grâce à son érudition et à son charisme, il obtient très tôt l'adhésion de toute sa tribu au tijânisme 22.
Avant sa mort 23, intervenue vers 1830, la confrérie s'était déjà implantée en Adrar, au Tagant et au Trarza, jusque sur les rives du fleuve Sénégal.
L'un de ses disciples, le moqaddem Maouloud Vall, introduisit la nouvelle Voie au Sénégal. C'est lui qui initia au tijânisme :
Il maintint des relations très étroites avec El-Hadj Omar 25.
Comme on le voit, l'action de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ a été déterminante dans l'introduction et la diffusion du tijânisme au sud du Sahara.
La prise en main de la nouvelle confrérie par El-Hadj Omar Tall, vingt-cinq ans après la mort du marabout maure, devait marquer un tournant décisif dans l'histoire du Soudan occidental au XIXe siècle.
Le saint toucouleur consacra sa vie toute entière à la cause de l'Islam et au triomphe de la doctrine de Cheikh Ahmed Tijânî. Il diffusa le tijânisme depuis les vallées fertiles de son Fouta-Tooro natal jusqu'aux falaises de Bandiagara en passant par les massifs montagneux du Fouta-Djalon et la région du Kaarta où quelques ilôts animistes restaient encore réfractaires à l'Islam. Son oeuvre et les péripéties de son jihâd parfois dirigé contre des musulmans ont été suffisamment étudiées pour qu'on s'y attarde.
Seules l'ultime phase de son épopée et surtout les conséquences de sa défaite au Macina nous intéressent ici puisqu'elles furent à l'origine d'une certaine confusion au sein de la Tijâniyya que les responsables des zâwiya maghrébines tenteront de redresser par un renouvellement spirituel.
Pour mieux comprendre la suite des événements, il nous paraît utile de parler brièvement de l'homme lui-même. Omar Tall, fils de Saïdou Tall, est né entre 1791 et 1794 à Haloar, près de Podor, non loin de Guédé (Sénégal). Après avoir étudié au Fouta-Toro et surtout chez les Maures, probablement au Tagant ou au Trarza 26 où il acquit une solide formation, Omar poursuit son éducation religieuse auprès d'Abd-al-Karîm, le célèbre disciple du Cheikh Mourtada de Timbo 27.
Il effectue ensuite le pèlerinage aux lieux saints de l'Islam vers la fin du premier quart du XIXe siècle 28.
La date du retour d'Omar en Afrique occidentale est aussi
incertaine que celle de son départ pour La Mecque 29.
Quoi qu'il en soit, le séjour en Orient a été déterminant dans la
carrière du marabout toucouleur. C'est en effet autour de la sainte Kaaba qu'il rencontra Cheikh Mohammed al-Ghâlî qui devait l'investir des pouvoirs de khalife du tijânisme pour le Bilâd as-Sûdân (pays des Noirs). Nous avons déjà évoqué le nom et la personnalité de Cheikh Mohammed al-Ghâlî qui fut, selon Ahmed Sukayrij, « l'un des piliers de la Tijâniyya ».
Dans l'ordre des préséances au sein du groupe des compagnons et confidents du Cheikh Tijânî, Cheikh Mohammed al-Ghâlî semble se placer juste après Cheikh Sîdî Tâhar Bû Tayyib de Tlemcen, al-Ḥajj Ali Ḥarâzim, l'Imam Ibn Mushri et Ali Temasînî.
Selon Ahmed Sukayrij, l'auteur du Kashf al-ḥijâb, le dictionnaire biographique des membres éminents de la confrérie tijâni, Cheikh al-Ghâli n'aurait eu du fondateur de la zâwiya d'Aïn Madi que des attributions assez limitées :
« Cheikh Tijânî a autorisé al-Ghâlî à nommer quatre moqaddem. Mais chaque moqaddem pouvait à son tour en nommer quatre autres et c'est tout 30. »
D'après le même auteur, il semble que l'illustre maître du saint toucouleur n'ait pas respecté ces prescriptions du fondateur de la Tijâniyya.
« Après la mort de Cheikh Ahmed Tijânî et le pèlerinage de Mohammed Ghâlî, nous avons constaté que ce dernier nommait des moqaddem avec des pouvoirs absolus. Loin de nous l'idée de croire qu'un érudit et un homme aussi pieux qu'al-Ghâlî puisse se permettre d'agir de la sorte sans autorisation. Il a certainement été autorisé par un khalife ou par une âme spirituelle en songe 31. »
Auréolé du titre de khalife de la Voie tijâniyya au Bilâd as-Sudân, Omar devait répandre le tijânisme dans l'Ouest africain. Cette entreprise de diffusion de la Tijâniyya ne fut pas sans péril puisqu'elle était menée en même temps que la guerre sainte. Pour les musulmans de la confrérie des qâdiriyya, le thème de la guerre sainte, thème cher aux prédications d'El-Hadj Omar, ne paraissait qu'un prétexte permettant à ce dernier de bâtir un empire omarien où l'Islam ne serait propagé que sous la forme de la doctrine tijâniyya.
Dès les débuts de sa prédication, Omar Tall se fit des adversaires déterminés. Dans son enseignement, il ne cessait d'insister sur la supériorité de la Tijâniyya sur toutes les autres confréries musulmanes 32. Or, au Fouta-Djalon, l'almamy et les musulmans du pays étaient de fervents adeptes du qâdirisme. Au Fouta-Toro également, la voie d'Abd-al-Qâdir al-Jîlânî jouissait de la préférence de la quasi-totalité des populations islamisées. Au Macina enfin, les souverains étaient des disciples des chefs de la Qâdiriyya Bakkâ'iyya, le principal mouvement religieux de la région de Tombouctou. Sur un autre plan, les tenants des théocraties musulmanes du Fouta et du Macina, qui étaient avant tout des hommes d'Etat, comprirent très tôt que le saint toucouleur avait des ambitions politiques. Ils étaient très méfiants, voire hostiles, à l'égard d'El-Hadj Omar dès que celui-ci regroupa autour de lui un nombre impressionnant de fidèles.
Entre 1846 et 1847, « l'almamy du Fouta-Toro lui avait interdit d'entrer dans ses Etats et l'almamy du Fouta-Djalon l'empêcha de s'établir de nouveau à Dyegounko 33 ». Faut-il en outre préciser que cette rivalité qui opposait la Qâdiriyya et la Tijâniyya était antérieure à l'entreprise d'El-Hadj Omar ? Il suffit pour s'en convaincre de rappeler les relations qui existaient entre le célèbre Ahmed Kanssûss du Maroc et le chef de la Qâdiriyya de Tombouctou, Békâye ould Cheikh Sidi el-Mokhtar el-Kounti 34.
Le premier écrivait dans l'un de ses poèmes dédiés au second :
— « Je ne dénigre pas le tijânisme, mais je suis jaloux de ce passereau à qui on a apporté un faucon ligoté 35. »
Ahmed Kanssûss n'eut pas de mal à comprendre la métaphore qui revient en termes plus clairs à ceci :
— « Je ne dénigre pas le tijânisme, mais je suis jaloux de Cheikh Tijânî, ce passereau à qui l'on a apporté un faucon ligoté. »
C'était également demander au Marocain d'abandonner la voie tijâni. La réponse d' Ahmed Kanssûss est également présentée sous la forme d'un livre intitulé al-Jawâb al-muskit (La réponse qui fait taire). Il s'adresse en ces termes catégoriques à Békâye 36 :
— « Me demander de quitter la Tijâniyya, c'est la dernière des choses à faire ici-bas 37. »
Nous verrons plus loin Békâye user de la même tactique à l'égard d'El-Hadj Omar. On est ainsi amené à croire que Békâye était le promoteur d'une vaste campagne contre la Tijâniyya. A la vérité, une Sainte Alliance se forma sous la bannière du qâdirisme et de la famille Békâye pour arrêter l'expansion du tijânisme dont El-Hadj Omar s'était fait l'apôtre.
Au moment où ce dernier entrait en lutte contre le chef animiste Mamadi Kandia du Kaarta, Békâye rédigea des poèmes pour lui rendre hommage : « El-Hadj Omar est un Cheikh de la vérité et un sultan qui ne cesse d'écraser tout païen 38. » Mais dès que les intérêts de la confrérie qâdiriyya furent menacés au Macina, Békâye devint ouvertement hostile au saint toucouleur.
[Note. A propos du Maasina, cet ouvrage n'exploite pas L'Empire peul du Macina, rédigé par Ahmadou Hampâté Bâ et Jacques Daget, et qui parut en 1975, c'est-à-dire huit ans auparavant. De surcroît, il ne mentionne que l'oeuvre conjointe de A.H Bâ et Marcel Cardaine Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (Paris, Présence africaine. 1957, 128 p.), et ignore la contribution personnelle postérieure de A.H. Bâ Vie et enseignement de Tierno Bokar, le sage de Bandiagara (1980. Paris: Editions du Seuil. 254 p). Or, dans ce second livre A.H. Bâ révise et corrige certains aspects du contenu de la publication de 1957. — Tierno S. Bah]
La rivalité entre les deux principales confréries de l'Ouest-africain était à son paroxisme. La rupture entre les deux chefs spirituels intervint en 1862. Les compagnons du marabout toucouleur en furent informés en ces termes par Omar lui-même à Hamdallahi :
— « El-Bakkaï m'a trahi, je ne l'aurais jamais cru capable de commettre un tel crime, mais il n'a pas atteint son objectif. Jamais de la vie il ne sera le maître de ce pays s'il plaît à Dieu. Ce sera un tijâni et non un qâdiri qui y règnera. »
— « Que signifient ces paroles, ô maître? », lui demanda-t-on.
Et le Cheikh de préciser :
— « Hier nuit, j'eus ce rêve :
El-Bakkaï est venu de dessous moi tirer mon tapis de prière en s'enfuyant avec, mais pris de peur, il le laissa tomber. Comme il n'arrivait pas à le ramasser,
arriva un tijâni qui le lui subtilisa. Voilà pourquoi je vous ai informés de cet événement avant qu'il se produise 39. »
En effet, Békâye ne tarda pas à « dénoncer El-Hadj Omar comme un hérétique et un ambitieux qui voulait uniquement se créer un empire 40 ». Une véritable coalition regroupant les Maures Kounta et les Peuls du Macina se forma sous la direction de Békâye pour repousser les armées omariennes. A ce sujet, Oloruntimehin nous donne plus de précisions : « Les membres de la famille régnante des Cissé conduite par Ba Lobbo et Abdul Salam en collaboration avec l'influent Békâye
de la famille régnante de Tombouctou, préparèrent une campagne militaire contre les forces d'Omar 41. »
Le choc entre les deux camps devint alors inévitable. Après avoir réduit au silence les Bambaras d'Ali, fils de Da Monzon, et occupé effectivement Ségou 42, El-Hadj Omar s'empara en 1278 de l'Hégire (1862) 43 de Hamdallahi, la capitale de l'empire peul du Macina. Nous ne nous attarderons pas sur les raisons avancées par Omar Tall ou par ses partisans pour justifier la guerre sainte proclamée par le Cheikh toucouleur contre les musulmans du Macina. Les fidèles et les adversaires de l'homme de Haloar continuent de discuter sur la légitimité de l'entreprise omarienne au regard du droit musulman. ll ne nous appartient pas de les départager mais, à ce propos, F. Dumont émet un avis que nous approuvons et qui mérite d'être relevé ici :
« Un siècle après sa mort (El-Hadj Omar), ses descendants, les descendants de ses compagnons et ses admirateurs, semblent avoir ressenti le besoin de justifier, pour la postérité, les terribles aspects du combat pour la foi mené par le célèbre Cheikh tout au long de sa mission. C'est la lutte entre musulmans, par quoi s'est achevé ce jihâd et s'est brisé cet empire qui semble susciter un certain désir de justification, sinon de réhabilitation 44. »
Quoi qu'il en soit, la lutte fratricide qui se termina par la défaite des Toucouleurs eut des conséquences tragiques pour les deux parties. L'année 1862 marque une coupure dans l'histoire politique du Macina avec la liquidation physique d'Ahmed Ibn Ahmed (Ahmadou III), le souverain régnant du Macina. L'allié de Békâye fut mis à mort, selon Cheikh Moussa Kamara 45, par le général omarien Thierno Oumar Baïla à Dilèye, en pays haoussa. C'est alors que le puissant Békâye entra en scène, après avoir reçu les promesses d'occuper le trône du Macina 46.
L'aspect dominant du conflit devint dès lors le duel entre deux chefs de confrérie et thaumaturges. Le résultat devait être interprété comme étant une sorte de verdict divin consacrant la supériorité doctrinale et la transcendance spirituelle de l'une des confréries sur l'autre. Faut-il préciser que Békâye et El-Hadj Omar avaient brandi chacun de son côté le pouvoir mystique qui devait permettre la mise en déroute de l'armée ennemie ?
Le choc décisif ne tarda pas à se produire … Il eut lieu dans les environs de Hamdallahi, victorieusement assiégée par les soldats de Békâye.
La tentative de sortie des armées omariennes bloquées dans la capitale des empereurs peuls du Macina fut désastreuse. Elle ne permit qu'une fuite désespérée aux vaillants guerriers du Fouta écrasés sous le nombre de leurs adversaires acharnés. Quelques jours après la reprise du siège de la Dina 47 par l'armée macinienne, des événements importants se produisirent dans l'Ouest-africain : la débâcle de l'armée
omarienne et la disparition d'El-Hadj Omar Tall à Déguimbéré (1864) 48. Avec cet homme, disparaissaient non seulement un bâtisseur d'empire et un mujâhid 49, mais surtout le porte-drapeau du tijânisme conquérant en Afrique occidentale.
L'aventure poltico-religieuse d'Omar Tall rappelle un peu celle d'Ousman Dan Fodio (1754-1817), qui déclara la guerre sainte aux Haoussas islamisés qu'il traitait de « Noirs païens ». Sur un autre plan, on peut constater que les arguments d'ordre juridique 50 avancés par Omar Tall pour justifier la guerre sainte menée contre le Macina sont à peu de choses près les mêmes que ceux évoqués par Mohammed Bello ben Dan Fodio avant de s'attaquer au souverain du Kanem. Toutefois, l'aventure omarienne rappelle beaucoup plus l'entreprise almoravide (XIe siècle). A des époques et dans des milieux différents, les mouvements almoravide et omarien se sont tous présentés comme des purificateurs et des propagateurs de l'Islam. Les deux mouvements ont été intolérants dans leur prosélytisme. On peut également avancer les mêmes raisons pour l'échec final des Almoravides et des Toucouleurs : ils furent, dans des milieux différents mais toujours au nom de l'Islam, des envahisseurs étrangers contre lesquels des peuples fiers de leurs traditions se dressèrent pour défendre leur raison de vivre. Sur le plan purement religieux, le Waterloo omarien de 1864 sonna le glas de la Tijâniyya en Afrique occidentale.
Pour redynamiser la confrérie, des lieutenants du marabout nommèrent de nombreux moqaddem. Mais si l'on se réfère à Kashf al-ḥijâb, on se rend compte que beaucoup trop de moqaddem avaient été désignés. Se fondant sur une déclaration de Cheikh Mohammed Ghali, Ahmed Sukayrij révèle que le saint toucouleur lui-même n'aurait reçu que des prérogatives assez limitées en ce qui concerne la désignation des moqaddem :
« J'autorise El-Hadj Omar à donner notre wird 51 à tous ceux des musulmans qui viendront le lui demander, hommes ou femmes, petits ou grands, fidèles et contestataires, nobles ou esclaves. Je l'autorise à nommer seize moqaddem et chacun de ces derniers est autorisé à en désigner quatre. Notre confiance est retirée à celui qui ne respectera pas ce qui vient d'être dit 52. »
Au total, l'action religieuse d'El-Hadj Omar et de ses représentants devait aboutir à la désignation de quatre-vingts moqaddem au maximum. Le saint toucouleur aurait respecté les prescriptions de Mohammed Ghâlî, mais il semble que certains de ses compagnons aient outrepassé ses instructions en élevant plus de quatre personnes au rang confraternel.
Ce fut alors une sorte de dynamisme hétérogène que connut la Tijâniyya. De nombreux marabouts se seraient présentés comme des moqaddem d'Omar sans pouvoir le justifier.
Du côté des Idaou Ali de Mauritanie, c'était l'anarchie ou presque. Les successeurs de Cheikh Mohammed al- Ḥâfiẓ et de Maouloud Vall outrepassèrent les pouvoirs qui leur étaient conférés. On assista à l'apparition d'une sorte de génération spontanée de moqaddem, alors que Cheikh Tijânî avait insisté auprès de l'introducteur de la doctrine tijâni en Afrique de l'Ouest pour qu'il ne désignât pas plus de dix moqaddem.
Il faut le signaler, l'imam Ibn Mushri avait mentionné, sur l'ordre du fondateur du tijânisme, la prescription suivante sur le diplôme de moqaddem de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ :
« Notre maître Ahmed Tijânî a prescrit ensuite de ne pas nommer plus de dix représentants (moqaddem) 53. »
Comme on le voit, après la mort de l'introducteur du tijânisme en Afrique de l'Ouest et la disparition d'El-Hadj Omar, une certaine confusion régnait au sein de la Tijâniyya au Bilâd as-Sûdân. Les nouvelles de la mort du Cheikh et du déclin du tijânisme ne tardèrent pas à se répandre en Afrique du Nord 54. Elles consternèrent les responsables du tijânisme maghrébin.
En Afrique noire, la Tijâniyya semblait perdue face aux qâdiris, ceux-là mêmes qui avaient fait voler en éclats le mythe de l'invincibilité de l'armée torodo au Macina. Les nouvelles de la victoire de la Qâdiriyya et la décapitation de la Tijâniyya incitèrent donc la zâwiya de Tlemcen à agir pour sauver le tijânisme en Afrique occidentale. Le soufisme de Tlemcen plongeait ses racines dans les sources les plus secrètes, les plus profondes et dans les traditions les plus anciennes de Cheikh Ahmed Tijânî.
La zâwiya algérienne de Tlemcen était dirigée par Abû Abd-Allâhi Sîdî Tâhar Bû Tayyib 55, un illustre compagnon du fondateur de la confrérie. Nous avons déjà parlé de ce vénérable Cheikh. « Il était considéré par de nombreux disciples de Cheikh Ahmed Tijânî comme le grand Khalifa de la confrérie 56. » Il nous semble important de souligner que, sur un autre plan, Cheikh Tâhar s'était signalé par son attitude farouchement anti-française 57.
Si l'on se réfère à l'une des biographies les plus sûres du vénérable mystique tlemcénien, on comprend mieux la suite des événements :
« Parmi les hommes qui entouraient le fondateur, il faut parler du saint complet, l'homme de Dieu, le confident de Cheikh Tijânî, celui qu'on appelait al-Barakatu-l-uzmâ (la grande baraka). Abû Abd-Allâhi Sîdî Tâhar Bû Tayyib (que la paix soit sur lui) était un âyatullâh (un témoin de Dieu). Ses dons et son oeuvre se passent de commentaire.
Les compagnons étaient unanimes à reconnaître qu'il reçut du Cheikh Tijânî un pouvoir illimité au sein de la confrérie… En dépit de ses qualités exceptionnelles, certaines personnes ont tenté, mais en vain, de ternir sa réputation. En un mot, Cheikh Tâhar était « l'homme autorisé » (al-Ma'dhûn) 58.
Après la mort d'El-Hadj Omar et la confusion qui en est résultée, il fallait remettre de l'ordre au sein de la confrérie. Ce rôle revenait aux grands initiés. Cheikh Tâhar 59, qui avait obtenu du fondateur de la Tijâniyya des pouvoirs illimités, se révéla comme l'homme de la situation. Il chargea en effet son disciple préféré, Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar, d'aller au pays des Noirs à la recherche de celui qui, selon lui, serait le dépositaire du « mot secret » de la Tijâniyya. Ce mot secret, qui serait l'apanage des Pôles (quṭb) et des grands purificatewrs de la Voie (ṭarîqa), fut communiqué à Cheikh Lakhdar 60.
Après lui avoir tracé le portrait de l'homme prédestiné de l'Ouest-africain, Cheikh Tâhar lui donna aussi des indications ésotériques en vue de lui permettre de l'identifier.
Cheikh Sîdî Mohammed ibn Abd-Allâh, dit Lakhdar, n'avait plus qu'à prendre son bâton de pèlerin pour aller identifier le nouveau khalife de Cheikh Ahmed Tijânî en Afrique occidentale.
Avant de suivre l'homme dans ses pérégrinations, il convient de faire d'abord sa connaissance. Lakhdar était un vénérable cheikh qui avait décidé de consacrer toute sa vie à la Tijâniyya. Toutes les traditions orales recueillies en Mauritanie, au Mali, en Côte d'Ivoire et au Sénégal à propos de Lakhdar concordent sur un point : l'homme était d'une grande piété et d'une vaste culture. Selon F. Dumont, Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar était « célèbre et respecté à Nioro » ; « il est cité par Ahmadou Bamba » 62, le fondateur du mouridisme, ce qui est déjà une sérieuse référence. Faut-il rappeler qu'Ahmadou Bamba fut un savant, un poète et un ascète dont Cheikh Sidya fit le panégyrique ?
Cheikh Sîdî Mohammed fut initié au tijânisme 63 par Cheikh Sîdî Tâhar de Tlemcen. Comme on le voit, Lakhdar, l'homme du Touat, n'était pas un inconnu, moins encore un faux dévôt. Au cours de son long périple, il introduisit dans les pays au sud du Sahara le tijânisme à « onze grains ». Jusque-là, les musulmans ouest-africains ne connaissaient que le tijânisme à « douze grains ». Au Maghreb, les adeptes de la Tijâniyya « douze grains » avaient coexisté sans heurt avec les partisans des « onze grains ». Pouvait-on espérer que cette tolérance prévaudrait en Afrique noire aussi ?
Partant de Tlemcen, le missionnaire se dirigea vers l'Adrar mauritanien en passant par le Touat. Il se rendit à Zraïf chez un marabout du nom de Cheikh Mohammed Fadel ould Mohammed el-Abeïd. De là, il ne tarda pas à visiter Chinguetti où il se maria et eut par la suite une fille, Lallé mint Lakhdar. Peu de temps après, il arriva au Fouta-Toro ; partout, il disait qu'il était à la recherche du « Pôle » du tijânisme dont il ignorait le nom.
Il passa de nombreux mois à Kaëdi où sa mysticité lui attira une foule nombreuse. Il initia de fins lettrés de la ville à sa tarîqa avant d'élever quelques personnages, tels Fodié Aboubacar ben Lamba Doucouré, Fodié Abdoullahi Diagana, Fodié Cheikhou Diagana et Fodié Mohammed Youssouf Diagana, au rang de moqaddem. Il n'oublia pas de leur expliquer le but de sa mission en Afrique occidentale. Du Gorgol 64, il se rendit chez les Maures du Hodh. Il nomma de nombreux moqaddem chez les Laghlal, dont Mohammed Abderahmane ould Ahel Mokhtar, Mamadi ould Bouboye, Salih ould Bouboye et Abdallahi ould Limam. Il alla rencontrer et écouter tous les grands marabouts de Oualata et de Néma sans parvenir à identifier l'homme qu'il cherchait. Mais un vieil érudit de cette région lui aurait conseillé de se diriger vers les villes voisines. Sans plus tarder, le Cheikh prit la route menant à Nioro. Sa mission était presque terminée car c'est dans l'ancienne capitale du Kaarta qu'il eut la chance d'identifier le Pôle du tijânisme en la personne de Cheikh Hamahoullah.
Cheikh Sîdî Mohammed ibn Abd-Allâh dit Lakhdar entra à Nioro en 1900 65. Dès ses premières journées, il commença à donner un enseignement supérieur de haute qualité (la théologie, la mystique et le droit musulman de rite mâlikite). La chefferie spirituelle de Nioro était détenue par Chérif Mohammed el-Mokhtar qui suivait la Tijâniyya telle qu'elle fut enseignée par El-Hadj Omar lors de l'intrusion toucouleur au Kaarta au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Le vieux Mohammed el-Mokhtar fut sévèrement critiqué et
condamné par l'étranger qui prônait le retour aux sources et aux textes les plus anciens de la Tijâniyya. D'ailleurs, dans l'interprétation de ces documents, l'Algérien s'imposa. Pour la première fois, et suivant en cela l'homme du Touat, nombre d'ulémas maures commencèrent à réciter onze fois seulement la Jawharatu-l-Kamâli (la fameuse formule de prière tijâni) au lieu de douze comme il était de coutume à Nioro. Seuls quelques Toucouleurs et leurs alliés soninkés, chefs traditionnels de Nioro, résistaient.
De nombreux marabouts s'affilièrent à la tariqa de Lakhdar qui nomma parmi eux des moqaddem dont les plus connus étaient Thierno Saïdou Bâ et Thiemo Oumar Diallo dit Hache. Enfin, Chérif Mohammed Mokhtar lui-même se rallia aux thèses de l'Algérien, mais dans l'espoir d'être investi plus tard comme « khalife » du tijânisme onze grains. Cependant, le Maghrébin avait les yeux tournés vers un adolescent de dix-neuf ans du nom de Chérif Hamahoullah. Il ne voulait pas que ce dernier quittât la maison de son hôte Mohammed Malik. La nuit, il le retenait souvent seul à ses côtés et parfois jusqu'à l'aube. Personne ne savait ce qu'ils se disaient et comment ces longs entretiens en tête à tête allaient se terminer.
Ces rencontres nocturnes entre les deux hommes allaient durer de nombreuses semaines. Les vieux marabouts de Nioro, y compris Mohammed Mokhtar lui-même, étaient déjà jaloux de la considération et de l'estime qu'avait Lakhdar pour le jeune Hamahoullah.
A la suite de ces longues conversations, le Tlemcénien crut avoir décelé chez le jeune homme quelques qualités du khalife qu'il cherchait. Mais celles-ci ne suffisaient pas …
Enfin, un vendredi matin de 1902, l'heure du destin avait sonné pour les deux hommes. En effet, Chérif Hamahoullah se rendit comme d'habitude chez son maître Cheikh Lakhdar. Dès que le vieil homme l'aperçut, il se leva et partit à sa rencontre. Ce qui surprit l'assistance. Mais le vieux missionnaire avait décidé d'en finir.
ll invita Hamahoullah à le suivre dans sa chambre à coucher. Là, il le fit asseoir sur un tapis de prière blanc orné de poil frisé d'Astrakan. Il s'agenouilla lui-même et, sur le sable également blanc, il écrivit le « nom secret » qui, selon lui, confère la puissance spirituelle, cette formule que seuls Cheikh Ahmed Tijânî et Cheikh Sîdî Tâhar connaissaient.
La répétition de ce « nom secret » permet au soufi qui le détient d'entrer dans le cercle restreint des amis de Dieu.
Cheikh Lakhdar aurait donc écrit ce « nom secret », un mot de onze lettres, avant de demander à son élève s'il avait déjà pris connaissance de cette formule sacrée, ne serait-ce qu'au cours de songes ou de simples rêves. N'oublions pas que le rêve occupe une place importante dans le soufisme. L'auteur de Kashf al-ḥijâb ne justifie-t-il pas par un songe la décision de Cheikh Mohammed al-Ghâlî 66 de désigner des khalifes? En effet, les songes ne sont pas seulement divinatoires, mais ils permettent également aux soufis d'établir un dialogue avec les morts, avec les saints qui les ont précédés et de recevoir leurs instructions, des formules ésotériques et des noms secrets de Dieu.
Dans sa réponse, Cheikh Hamahoullah précisa qu'il connaissait bien ce « nom » mais que c'était plutôt un autre « mot secret » qui lui apparaissait au cours de ses rêves et songes. Il enchaîna en démontrant que le « nom » tracé par Lakhdar ne différait du sien que dans la forme et non dans l'esprit, le sens mystique étant le même. Ensuite, il dégagea le sens ésotérique de la récitation onze fois de la fameuse formule Jawharatu-l-Kamâli 67. Au passage, il fit remarquer que les expressions Jawharatu-l-Kamâli et Jawâhir al-ma'ânî contenaient chacune onze lettres (en arabe). Il expliqua que ce n'était pas là un fait du hasard, avant de révéler le rapport secret entre les onze lettres contenues dans Jawharatu-l-Kamâli et la nécessité de réciter la formule onze fois.
Au cours de cette entrevue de plus de cinq heures, Lakhdar avait eu toutes les preuves que Cheikh Hamahoullah était bien le Pôle inconnu que Cheikh Tâhar lui avait demandé de révéler aux fidèles de la Tijâniyya.
Le vieil Algérien confia alors à Cheikh Hamahoullah des formules sacrées, des noms secrets de Dieu dont la récitation élève les saints au niveau le plus haut de la béatitude et leur confère une puissance extraordinaire sur la nature, les hommes et tout ce qui vit dans l'univers. Cependant, il lui recommanda de ne jamais faire usage de cette puissance car, dit-il, la seule grandeur d'un homme de Dieu réside dans sa soumission absolue à la volonté d'Allah. Puis, Lakhdar demanda à son jeune interlocuteur de consacrer désormais tous ses efforts à la défense de l'Islam. Ensuite, il serra contre sa poitrine l'homme prédestiné que tout le Sahel soudano-mauritanien allait bientôt vénérer et considérer comme le saint du siècle. Estimant que sa mission était terminée, Cheikh Sîdî Mohammed Lakhdar réunit les musulmans de Nioro 68 pour les informer de la nomination de Cheikh Hamahoullah comme khalife du tijânisme.
Cette nomination ne devait pas plaire à tout le monde, surtout à certains marabouts qui espéraient secrètement recevoir l'investiture de Cheikh Sîdî Mohammed. Ce dernier n'eut pas le temps de rejoindre son Algérie natale, car le destin le fixa définitivement à Nioro où il devait décéder en 1909.
Cheikh Hamahoullah était désormais seul à la tête des fidèles du défunt. Allait-il avoir autant de succès qu' Abd-al-Mu'min, le successeur d'Ibn Tûmart, le « Mahdi impeccable » à la tête des al-Muwaḥḥidûn (les Almohades) ?
En tout cas, les réactions des fidèles d'Ibn Tûmart furent bien différentes de celles de Mohammed el-Mokhtar et de Fadel Mowla, si l'on en croit Charles André Julien qui écrit à ce sujet :
« L'entourage d'Ibn Toumert respecta scrupuleusement ses ordres. Même Abou-Hafç Omar, chef d'une des plus puissantes fractions des Maçmouda, dont le ralliement de la première heure avait largement contribué au succès, ne se dressa pas contre le successeur désigné 69. »
Mais Chérif Mohammed el-Mokhtar, qui prétendait à la succession de Lakhdar, n'était pas Abu Hafç Omar. Nous reviendrons plus loin sur l'opposition qu'il dirigea contre Cheikh Hamahoullah.
Mais auparavant, découvrons ensemble le nouveau Cheikh, ses origines, sa personnalité, son enseignement et les raisons de son succès.
Notes
1. O. Depont et X. Coppolani, 1897.
2. Risâla : épîtres du Xe siècle (traduit par Léon Bercher).
3. Voir la traduction française de G.H. Bousquet 3 volumes. Alger 1956, 1958 et 1961.
4. Geryville (El Bayed Sidi Cheikh): localité située à l'ouest de Laghouat et au nord-est d'Aïn Sefra, non loin du Djebel Amour (en Algérie).
5. Voies : Qâdiriyya, Nassiriyya, Khalwatiyya, etc.
6. Pluriel de « cheikh » (chef religieux). Cependant, les formes correctes en arabe classique sont shaykh' (sing.) et shuyûkh, mashâyikh (plur.).
7. O. Depont et X. Coppolani, 1897, p. 416.
8. O. Depont et X. Coppolani, 1897, p. 418.
9. J. Brignon et al., 1967, p. 208.
10. Ibid.
11. O. Depont et X. Coppolani, 1897, p. 418.
12. Nous avons retrouvé le manuscrit du Kitâb al-jâmi dans un dépôt d'archives privé au Maroc, à Fès, en 1974.
13. Jawâhir al-ma'ânî a été l'une de nos principales sources pour la rédaction de ce chapitre.
14. A. Sukayrij, 3e édition, 1962, p. 70.
15. On le trouve aussi transcrit sous la forme « el-Hafid ».
16. Bareïné est un petit village situé à 120 km au nord de Rosso en Mauritanie, non loin du fleuve Sénégal.
17. Shinqiṭ (ou Shingiṭ) : ancien nom de la Mauritanie. Pour une définition plus complète de Shinqiṭ, voir notre article “L'Islam en Mauritanie”, dans Introduction à la Mauritanie, Paris, C.N.R.S. , 1979, p. 155.
18. Voir à ce sujet, pour plus de détails, A. Sukayrij, 1962, p. 355.
19. Voir à ce sujet A. Sukayrij, 1962, p. 356 ou encore la circulaire du 8 septembre 1915 au sujet des confréries islamiques de l'Afrique française (S 13- 45 -2- 30, A.N.C.I.).
20. Extraits d'une copie du diplôme de moqaddem de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ reproduite par Paul Marty dans son ouvrage Etudes sur l'Islam maure.
21. Moqaddem ou muqaddam : représentant ou préposé d'un fondateur de confrérie ou du successeur de ce dernier. Il s'agit généralement d'un érudit ou tout au moins d'un bon lettré capable d'enseigner la doctrine de la confrérie et d'initier les fidèles au wird.
22. Voir Introduction à la Mauritanie, op. cit., pp. 215-216.
23. La tombe de Cheikh Mohammed al-Ḥâfiẓ se trouve à proximité du puits de Venni, petite bourgade située à 70 km au nord-est de Boutilimit (Mauritanie).
24a. Selon la version rapportée par Trimingham dans Islam in West Africa, Oxford, 1976, p. 97.
24b. On pourrait à ce sujet consulter avec intérêt la circulaire du 8 septembre 1915 du gouvernement général de l'A.O.F., relative « aux confréries islamiques de l'Afrique française », op. cit.
25. A ce propos, F. Dumont , 1974, p. 7, rapporte que « Maouloud Fall avait passé une journée en compagnie d'Omar en 1846 près de Podor, où le Cheikh (toucouleur) venait d'avoir un entretien avec le lieutenant-colonel Caille directeur des affaires politiques au Sénégal ».
26. Dans l'Anti-Sultan, Dumont écrit qu'El-Hadj Omar s'était « rendu à Walata chez les Maures du Tagant ». Il convient de faire remarquer que Oualata n'est pas au Tagant (au centre de la Mauritanie) mais au Hodh oriental, dans l'est du pays. Selon le lieutenant Rocaboy, El-Hadj Omar séjourna deux années durant à Oualata pour apprendre le droit musulman. Rocaboy, 1947, notes du C.H.E.A.M., vol. 43, n° 1153.
27. Selon la version rapportée par Cheikh Moussa Kamara, “La Vie d'El-Hadj Omar”, ouvrage traduit et annoté par Amar Samb dans Bulletin de l'IFAN, série B, Tome XXXII, n° 1-2-3, 1970 (p. 380).
28. Y. Saint-Martin et J.C. Froelich proposent la date de 1827, A. Le Chatelier 1838, tandis que Delavignette avance 1820.
29. Selon Rocaboy (Mémoire du C.H.E.A.M., 1947), El-Hadj Omar se rend à La Mecque en 1825, repart pour l'Afrique en passant par Le Caire en 1831 et arrive en pays haoussa en 1833. Mais si El-Hadj Omar était bien parti pour les lieux saints de l'Islam en 1825 comme le prétend Rocaboy, il serait donc revenu l'année suivante en Afrique, puisque Hugh Clapperton, dans son livre en deux tomes, Second voyage à l'intérieur de l'Afrique, Paris, 1829, p. 202, affirme l'avoir rencontré en 1826 à Sokoto.
30. A. Sukayrij, 1962, p. 262.
31. Id., p. 263.
32. Voir à ce sujet B.O. Oloruntimehin, “Resistance movements in the Tukulor empire”, in Cahiers d'Etudes Africaines, n° 29, vol. VIII, fasc. 1, 1968, p. 125.
33. Ibid.
34. Cheikh Sidi el-Mokhtar el-Kounti est le fondateur d'un des rameaux de la Qâdiriyya Bakkâ'iyya.
35. A. Sukayrij, 1962, p. 332.
36. « Békâye, de son nom complet Cheikh Sidi Ahmed el-Békâye, fils de Cheikh Ali Sidi Mohammed, est le petit-fils de Cheikh Sidi el-Mokhtar el-Kébir. Depuis 1847, il était le grand maître de la confrérie des qâdiriyya sahariens et chef politique des Maures Kounta de Tombouctou. Il fut tué en février 1865. » Bull. IFAN, t. XXXII, janvier 1970, n° 1, p. 98.
37. A. Sukayrij, 1962, p. 333.
38. Id., p. 334.
39. Cheikh Moussa Kamara, 1970, pp. 50-97.
40. B.O. Oloruntimehin, 1968, p. 125. Voir également à ce sujet J. Abun Nasr, 1965, qui écrit (p. 125) : « To him (Békâye), Hajj Omar is a-Dajjal (The Muslim equivalent of the Antechrist) ».
41. B.O. Oloruntimehin, 1968, p. 127. On consultera également avec intérêt J. Salenc, «La Vie d'El-Hadj Omar. Traduction d'un manuscrit arabe de la zaouïa tidjaniya de Fès », B.C.E.H.S. de l'A.O.F., 1918, p. 417.
42. Selon J. Abun Nasr (p. 122), « les armées maciniennes et ségoviennes sont battues à Tio en janvier 1861 ».
43. Selon la version rapportée par Cheikh Moussa Kamara, 1970, pp. 50-97.
44. F. Dumont, 1974, p. 141.
45. Ch. M. Kamara, 1970, p. 97.
46. A. Sukayrij, 1962, pp. 325-337.
47. Hamdallahi : siège de la théocratie musulmane du Macina connue sous le nom de Dina. Hamdallahi a été fondée par Sékou Ahmadou (1775-1844) sur les conseils du célèbre Guélladio Hambodédio, i.e. Gelaajo Hamboɗeejo.
48. Selon la source la plus répandue au Fouta-Toro et au Mali, Omar aurait « disparu » à Déguimbéré (Mali), mais la plupart des historiens parlent de Ngoro. D'après J. Abun Nasr, 1965, p. 128, Omar est mort au village de Ghoro en février 1864. Le Chatelier prétend qu'il est mort en avril 1865 (voir L'Islam dans l'A.O.F., Paris, 1899, p. 188). Selon J. Brevié dans Islam contre Naturisme, p. 168, le saint toucouleur serait mort à N'Goro comme le rapporte Aliou Tyam, le biographe d'El-Hadj Omar.
49. Combattant de la foi, qui fait le jihâd ou guerre sainte.
50. Il s'agit d'arguments tirés du droit musulman.
51. Wird : ensemble des litanies ou prières prescrites par une confrérie religieuse. Il s'agit généralement de noms de Dieu, de versets du Coran et d'hommage au Prophete à réciter dans un ordre précis, un nombre de fois déterminé dans chaque cas. C'est généralement au cours de ces prières que le musulman utilise son chapelet.
52. A. Sukayrij, 1962, p. 263.
53. P. Marty, 1916, pp. 248-249. Pour plus de détails, voir A. Sukayrij, 1962, p. 356.
54. Voir dans A. Sukayrij, 1962, pp. 335-336, le message d'Ahmed Ibn Mohammed Ibn al-Abbâs al-Alawî annonçant à tous les tijânis marocains la fin d'El-Hadj Omar et les agissements de Békâye.
55. A propos de Cheikh Tâhar, cf. Rocaboy, doc. C.H.E.A.M., n° 1153, p. 3, et R. Lafeuille, doc. C.H.E.A.M., n° 1189; p. 1.
56. O. Depont et X. Coppolani, 1897, p. 431.
57. Ibid.
58. A. Sukayru, 1962, pp. 414-415.
59. Voir au sujet du tijânisme de Cheikh Tâhar le « Rapport de la Commission interministérielle des Affaires musulmanes », réunion du 21-12-1928, 142. séance, S.E. 2/31, A.N.M.
60. « Le bruit de la ruine des chefs tidjaniya parvint en Afrique du Nord ; la maison-mère des tidjaniya s'en inquiéta à juste titre, elle envoya un missionnaire et cela aux environs de 1901, c'est-à-dire trois ans avant la destitution d'Aguibou. Ce missionnaire, c'est Cheikh Sidi Mohammed (Lakhdar) qui initiera Cheikh Ahmédou Hamalla ». (Extrait du rapport en date du 14-9-1943 du résident de Kayes, intitulé « Le hamallisme : sur l'origine des onze et douze ». S.E. 67/68, A.N.M.). Voir également au sujet de Cheikh Lakhdar, le rapport du lieutenant Aubinière, série E. 2/ 13, A.N.M.
61. Selon Paul Marty, Etudes sur l'Islam et les tribus du Soudan, Tome IV, p. 138, Cheikh Sîdî Mohammed serait venu d'Aïn Madi. En réalité, il est originaire du Touat, mais il résidait à Tlemcen auprès de Cheikh Tâhar.
62. F. Dumont, 1974, p. 236.
63. A la zâwiya de Fès comme dans tout le Maroc, le tijânisme se caractérise par la récitation de la Jawharatu-l-Kamâli douze fois.
64. Région administrative ayant pour chef-lieu Kaëdi, ville située sur la rive mauritanienne du fleuve Sénégal.
65. A ce sujet, les traditions orales concordent fort bien avec ce que rapporte Roger Lafeuille (doc. C.H.E.A.M., n° 1189) : « … Cheikh Sidi Mohammed ben Ahmadou ben Abdalla (est) venu du Touat à Nioro vers 1900. »
Voir aussi sur Lakhdar le rapport du commandant de cercle de Kayes en date du 14-9-1943, op. cit.
66. A. Sukayrij, 1962, p. 263.
67. Nous reviendrons plus loin sur le problème de la Jawharatu-l-Kamâli.
68. « Au cours d'une réunion tenue un vendredi, Lakhdar a présenté Cheikh Hamallah à tous les musulmans de Nioro en ces termes : « Soyez témoins que Cheikh Hamallah est l'homme que je cherchais depuis de nombreuses années pour l'investir comme khalife du tijânisme … » Extrait d'une lettre qui nous a été adressée en 1972 par feu Samba Bathily, ancien notable de Nioro, témoin de la scène qu'il rapporte.
69. Ch. A. Julien, 1956, p. 101.