Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre I
était moite de fièvre, son coeur battait follement. Cette phrase qu'il ne comprenait pas, pour laquelle il souffrait le martyre, il l'aimait pour son mystère et sa sombre beauté.
Cette parole n'était pas comme les autres. C'était une parole que jalonnait la souffrance, c'était une parole venue de Dieu, elle était un miracle, elle était telle que Dieu lui-même l'avait prononcée. Le maître avait raison.
La Parole qui vient de Dieu doit être dite exactement, telle qu'il Lui avait plu de la façonner. Qui l'oblitère mérite la mort …
L'enfant réussit à maîtriser sa souffrance. Il répéta la phrase sans broncher, calmement, posément, comme si la douleur ne l'eût pas lanciné.
Le maître lâcha l'oreille sanglante. Pas une larme n'avait coulé sur le fin visage de l'enfant. Sa voix était calme et son débit mesuré. La Parole de Dieu coulait, pure et limpide, de ses lèvres ardentes. Sa tête endolorie était bruissante. Il contenait en lui la totalité du monde, ce qu'il a de visible et ce qu'il a d'invisible, son passé et son avenir. Cette parole qu'il enfantait dans la douleur, elle était l'architecture du monde, elle était le monde même.
Le maître qui tenait maintenant une bûche ardente tirée du foyer tout proche regardait et écoutait l'enfant. Mais, pendant que sa main menaçait, son regard avide admirait et