Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre I
de force pour résister à l'école et de substance pour demeurer nous-mêmes ?
Un silence lourd s'établit entre les trois hommes. Le père de Samba Diallo, qui était resté méditatif, parla lentement, selon son habitude, en fixant le sol devant lui, comme s'il s'adressait à lui-même.
— Il est certain que rien n'est aussi bruyamment envahissant que les besoins auxquels leur école permet de satisfaire. Nous n'avons plus rien … grâce à eux, et c'est par là qu'ils nous tiennent. Qui veut vivre, qui veut demeurer soi-même, doit se compromettre. Les forgerons et les bûcherons sont partout victorieux dans le monde et leur fer nous maintient sous leur loi. S'il ne s'agissait encore que de nous, que de la conservation de notre substance, le problème eût été moins compliqué : ne pouvant les vaincre, nous eussions choisi de disparaître plutôt que de leur céder. Mais nous sommes parmi les derniers hommes au monde à posséder Dieu tel qu'Il est véritablement dans Son Unicité … Comment Le sauver? Lorsque la main est faible, l'esprit court de grands risques, car c'est elle qui le défend …
— Oui, dit l'instituteur, mais aussi l'esprit court de grands risques lorsque la main est trop forte.
Le maître, tout à sa pensée, leva lentement la tête et considéra les trois hommes.
— Peut-être est-ce mieux ainsi ? Si Dieu a