Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre II
restituait un peu de clarté à son intelligence obnubilée. Sous lui, la cible se débattait, haletait et frappait aussi, peut-être, mais il ne sentait rien, que progressivement la maîtrise de son corps imposait à la cible, la paix que les coups qu'il assenait restituaient à son corps, la clarté qu'ils lui rendaient. Soudain la cible s'arrêta de bouger, et, la clarté fut entière. Samba Diallo perçut que le silence s'était fait, et aussi que deux bras puissants l'avaient saisi et s'efforçaient de lui faire lâcher prise.
Lorsqu'il leva la tête, son regard rencontra un grand visage altier, une tête de femme qu'emmitouflait une légère voilette de gaze blanche.
On la nommait la Grande Royale. Elle avait soixante ans et on lui en eût donné quarante à peine. On ne voyait d'elle que le visage. Le grand boubou bleu qu'elle portait traînait jusqu'à terre et ne laissait rien apparaître d'elle que le bout pointu de ses babouches jaunes d'or, lorsqu'elle marchait. La voilette de gaze entourait le cou, couvrait la tête, repassait sous le menton et pendait derrière, sur l'épaule gauche. La Grande Royale, qui pouvait bien avoir un mètre quatre-vingts, n'avait rien perdu de sa prestance malgré son âge.
La voilette de gaze blanche épousait l'ovale d'un visage aux contours pleins. La première