Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre II
battre. Pars ou reste mais n'en parlons plus.
En même temps qu'il parlait, Samba Diallo se surveillait, attentif à maîtriser cette vibration qui lui parcourait le corps, à dissiper cette odeur de feu de brousse qui lui chatouillait les narines.
— Pars ou reste, répéta-t-il lentement, comme dans un rêve..
De nouveau, il tourna le dos à Demba et s'en alla. A ce moment, son pied buta sur un obstacle, comme un piège tendu devant lui. Il s'affala de tout son long. Quelqu'un — il ne sut jamais qui — lui avait fait un croc-en-jambe.
Quand il se releva, nul de ceux qui étaient là n'avait bougé, mais il ne vit personne d'autre que, devant lui, toujours immobile, une silhouette qui tout à l'heure encore représentait Demba, et qui à présent était la
cible que son corps et tout son être avaient choisie. Il n'eut plus conscience de rien, sinon vaguement que son corps, comme un bélier, s'était catapulté sur la cible, que le noeud de deux corps enroulés était tombé à terre, que sous lui quelque chose se débattait et haletait, et qu'il frappait. Maintenant son corps ne vibrait plus, mais se pliait et se dépliait, merveilleusement souple, et frappait la cible à terre, son corps ne vibrait plus, sinon en écho
merveilleux des coups qu'il frappait et chaque coup calmait un peu la sédition du corps,