Yves Saint-Martin
L'Empire toucouleur, 1848-1897
Paris, Le Livre Africain, 1970. 192 p.
Introduction
Les Toucouleur : le pays et les hommes
Le pays
Le cours moyen du fleuve Sénégal est constitué par une large vallée alluviale, qui s'étend sur une longueur d'environ six cents kilomètres, depuis le moment où le cours d'eau quitte les terrains anciens, en aval de Bakel, jusqu'à celui où il commence à construire son delta intérieur, un peu en amont de Dagana. Cette vallée, que la crue annuelle du fleuve inonde sur plusieurs kilomètres de large, forme, en période de maigre, un ruban de verdure et de champs cultivés qui contraste avec l'âpreté des steppes environnantes. On l'a souvent comparée à l'Egypte ; mais il faut se garder d'exagérer sa fertilité. D'autre part les régions qui la cement au nord et au sud, Chemama mauritanienne et Ferlo sénégalais ne sont pas de véritables déserts et tolèrent une certaine activité agricole et pastorale. Mais les terres de la vallée moyenne du Sénégal, par la possibilité d'y faire des cultures de décrue, tranchent par leur prospérité avec les pays voisins, et ont de tout temps concentré les établissements humains.
On y distingue généralement trois zones d'inégale largeur : le fondé, suite de bourrelets de crue d'une vingtaine de mètres de hauteur qui dominent le lit mineur du fleuve et où s'élèvent les villages de pêcheurs et de bateliers ; le oualo, suite de dépressions inondées régulièrement entre décembre et janvier, et qui font suite vers l'intérieur des terres au fondé ; sur cette bande de quelques kilomètres de large, on pratique la culture du mil, des melons d'eau, des oignons et de divers légumes, attestées dès le XIe siècle par El Bekri ; d'autres s'y sont ajoutées depuis. Enfin, le diéri est un second ensemble de bourrelets, marquant ici l'ultime limite des hautes eaux. Il porte les principaux villages, reliés entre eux par des pistes praticables presque toute l'année. Sur ce diéri on fera les cultures d'hivernage qu'une pluviosité variant de 350 à 600 millimètres rend possibles, sinon plantureuses. Au-delà, vers le sud, ce sont les brousses du Ferlo, parcourues par les nomades éleveurs de moutons, de chèvres, et de boeufs.
Entre le lit mineur du fleuve et les steppes pastorales, les agriculteurs noirs sont installés depuis des millénaires ; et l'aspect riant de leur pays, après la traversée dès espaces sahariens, a frappé les voyageurs et les premiers chroniqueurs arabes. Au bord du « Nil des Noirs » 1, on pouvait rompre enfin avec les privations de toutes sortes qu'imposait le désert. Dans le pépiement et l'envol d'innombrables oiseaux, une fois franchies vers le sud les berges boisées du fleuve où s'affairent piroguiers et pêcheurs, on arrive dans une terre ɓenie d'Allah, où deux récoltes successives, celle du diéri, puis du oualo, font manger les hommes à leur faim. En témoignent les greniers à mil qui entourent de leurs cylindres pansus les villages de cases rondes coiffées d'un cône de paille, et les longues théories d'animaux domestiques qui vont boire au fleuve ou s'assemblent autour des mares. C'est le pays de Tekrour, dont le nom est cité par El Bekri, et plus tard par El Edrisi, comme celui du plus ancien royaume noir islamisé. De ce Tekrour, et de ses habitants, le français, sans doute par l'intermédiaire du wolof, a tiré le vocable Toucouleur, — en anglais Tokolor.
Les hommes
« … Le pays offre une suite ininterrompue de lieux habités jusqu'à l'océan. Vers le sud-ouest se trouve la ville de Tekrour, située sur le Nil, et habitée par des nègres qui naguère étaient païens et adoraient des idoles. Ouardjabi, fils de Rabîs, qui devint leur souverain, embrassa l'islamisme ; il mourut en 432 (1040-1041 de l'ère chrétienne). Aujourd'hui, les habitants de Tekrour professent l'islamisme. De Tekrour on se rend à Silla, villa bâtie comme la précédente sur les deux bords du Nil. Ses habitants sont de la religion musulmane, à laquelle ils se laissèrent convertir par Ouardjabi, que Dieu lui fasse miséricorde. » 2
La conversion des Noirs du Tekrour serait donc antérieure à l'action des Almoravides, dont ils furent plus tard les alliés ; elle peut être attribuée à l'influence des marchands maghrébins attirés par la réputation du royaume de Ghana dont le Tekrour était alors tributaire. Selon les traditions locales, les réfractaires à l'Islam auraient émigré vers le sud, et seraient les ancêtres des Sérer, encore partiellement animistes aujourd'hui.
L'islamisation n'empêcha pas les Toucouleur d'avoir à subir des dominations païennes. Celle des Peul, dont ils parlent la langue, — ils s'intitulent eux-mêmes “haal-poularen”, les poulophones, — fut la plus durable, au point qu'on a pu parfois confondre les deux groupes. Le nom de Tekrour s'est ainsi progressivement effacé devant celui de Fouta. Les « Fouta » sont les pays où l'on parle peul, Fouta sénégalais, ou Fouta-Toro ; Fouta guinéen ou Fouta-Djalon.
Mais les Toucouleur sont, bien plus sûrement que les Peul, de sang noir. Ils appartiennent au sous-groupe sénégalais de l'ensemble soudanais 3. Cependant ils ont subi de nombreux métissages ; leur longue cohabitation avec les Peul et aussi leur voisinage avec les Maures valent à bon nombre d'entre eux un teint plus clair et des traits moins négroïdes que ceux de leurs voisins wolof ou sérer : des Négro-Berbères, en quelque sorte.
La religion musulmane et la vie sédentaire furent cependant les plus sûrs ferments de leur originalité et de leur unité. Leur désir d'illustrer et de répandre l'Islam, comme la défense de leur terroir contre les incursions des Maures ou des Peul, firent des Toucouleur des guerriers et des prédicateurs. Ils contribuèrent à la conversion des grands empires soudanais, Mali, Songhaï, et plus tard à celle de toute la région comprise entre l'Atlantique et le Tchad. Aujourd'hui encore les noms de Malik Sy, de Maba Dyakou, d'Ousman dan Fodio résonnent puissamment dans les coeurs des musulmans d'Afrique occidentale.
L'organisation politique
Le territoire de l'ethnie toucouleur, le Fouta sénégalais, est étiré en longitude. Cette particularité, et la disposition des terroirs divisés en zones de cultures de décrue et zones de cultures d'hivernage parallèles au fleuve, ont entraîné un découpage politique en petites unités autonomes dont les frontières sont perpendiculaires au lit mineur du Sénégal : ainsi chacune de ces unités dispose d'une tranche de chaque terroir, fondé, oualo, diéri. Il s'est donc assez vite constitué des « pays », qui formeront plus tard les émirats du Dimar, du Toro, du Lao, des Irlaɓe, du Bosséa, du N'guénar et du Damga. Le nom même de Fouta-Toro donné à l'ensemble, vient du petit royaume de Toro qui dès le XVe siècle, autour de sa capitale Guédé, s'est distingué le plus nettement des autres : c'est dans ce Toro, coeur de l'ethnie toucouleur que naquit à Halwar, à l'est de Podor, vers 1797, celui qui devait être le dernier des grands conquérants et des grands prophètes de son peuple : Omar Saïdou Tall, le futur El Hadj Omar.
Vingt ans avant la naissance d'Omar, le Fouta avait connu une crise grave, et sa structure politique s'était singulièrement modifiée.
Depuis le XVIe siècle, la dynastie peul des Denianké, fondée parKoli Tinguéla, dominait le pays. Ces souverains Peul étaient généralement païens, et même ceux qu'une islamisation de surface avait pu conduire à adopter des noms et des usages musulmans avaient conservé de nombreuses pratiques animistes.
[Erratum. Les Fulɓe non-musulmans étaient —et sont— monothéistes, et non pas des païens. En effet, quelques millénaires avant le déferlement du prosélytisme musulman en provenance d'Arabie vers l'Ouest (Maghreb), les Fulɓe avaient découvert et établi leur foi monothéiste en Geno, l'Eternel, Créateur Suprême. Entité métaphysique, divine, omnipotente, Il transcende l'espace-temps et les contingences terrestres. Consulter à ce sujet Kumen, la bible des pateurs Fulɓe. Premiers à embrasser l'Islam au sud du Sahara au 9e siècle de l'ère chrétienne, les Fulɓe dans leur riche langue, le Pular-Fulfulde, emploient alternativement Allah et Geno, aussi bien dans le vocabulaire laïc que dans le répertoire sacré, oral et écrit. Les oeuvres des grands auteurs islamiques, théologiens et littéraires (Tierno Samba Mombeya, Ousman ɓii Foduyee, Tierno Bocar Salif Tall, son disciple Amadou Hampâté Bâ, etc.) confirment cette convergence spirituelle et cette équivalence linguistique. — Tierno S. Bah]
Le souverain peul du Fouta portait le titre de silatigui, ou saltigui, que les Européens déformèrent en siriatique, ou cheyratick. C'est ainsi que le désignait Le Maire, dans son Voyage aux Isles de Cap Verd, Sénégal et Gambie, publié en 1695. En 1698, le « siriatique » Siré-Sawa-Lamu reçut à sa cour le Français André Brüe, qui, par l'intermédiaire du Père Labat, nous l'a décrite, avec son faste et ses usages cérémonieux et « barbares ». A la suite de Siré-Sawa-Lamu, ses successeurs n'éprouvèrent aucun scrupule à entretenir de fréquents rapports avec les Français établis à Saint-Louis ; et ils prirent l'habitude de leur faire payer assez cher le droit de venir acheter le mil dans les bras du fleuve, ou de remonter le Sénégal vers les terres de Galam et de Bambouk, réputées fabuleusement riches en or, ivoire et esclaves.
Cette connivence avec les infidèles blancs fut sans doute une des causes du mécontentement qui peu à peu grandissait parmi les sujets toucouleur des rois peul. Ce mécontentement explosa dans le dernier tiers du XVIIIe siècle.
Un groupe de pieux musulmans, les Toroɓɓe — ceux qui prient ensemble —, avait pris comme guide spirituel le marabout Souleïman Bal. Ces hommes étaient généralement chefs ou membres de familles éminentes, et leur exemple comme leur influence pouvaient entraîner la masse. C'est ce qui se produisit lorsqu'en 1776 Souleïman Bal leva l'étendard de la révolte contre les saltigui dénianké, qui furent détrônés et contraints à l'exil. A la fois nationale et religieuse, cette révolte se rattachait au grand mouvement de réveil et de rénovation de l'Islam africain. Elle devait avoir de durables prolongements et reste encore parmi les fastes les plus glorieux du Fouta sénégalais :
« Que le Dieu Très-Haut fasse miséricorde à celui qui affranchit le pays de la servitude et le purifia de l'ordure du paganisme en le convertissant à l'Islam, et en y faisant briller la religion par l'enseignement et la crainte de Dieu, au maître pieux, sagace, passionné, éclatant, cultivé, habile, au cheikh Souleïman Bal, fils de Râsin, fils de Samba… » écrit plus d'un siècle après Siré Abbas Sow dans ses Chroniques du Fouta.
Tué peu après, au cours d'une expédition contre les Maures, Souleïman Bal eut pour successeur le marabout Abdoul Kader, de Apé, au Damga. Proclamé Almami — al imam, celui qui dirige la prière —, il fut plus heureux que son prédécesseur puisqu'il chassa définitivement les Maures de la rive gauche, et força les Peul encore païens à la conversion ou à l'exil.
Cette vague de renouveau et de fanatisme islamique était à peine apaisée lors de la naissance d'Omar Tall, et son père Saïdou y avait activement participé. Le futur Hadj pourra plus tard s'inspirer des exemples fournis par Souleïman Bal et son successeur. Comme eux, il sera un musulman pieux et cultivé, un maître mystique, un guerrier passionné, un convertisseur ardent et impitoyable.
L'avènement d'Abdoul Kader marque le début d'un siècle d'organisation stable du pays toucouleur.
L' Almami est élu par les grands chefs ou « Emirs » du Fouta oriental, parmi lesquels celui du Bossea joue un rôle très actif, son fief étant le plus peuplé. Inéligibles eux-mêmes, les chefs tirent les ficelles en coulisse : l'Almami est entre leurs mains ; son pouvoir est essentiellement révocable. Si Abdoul Kader, par son prestige personnel et sa grande habileté, réussit à le conserver vingt-sept ans, il n'en périt pas moins victime d'un complot ourdi par quelques grands chefs qui trouvaient son autorité indiscrète et pesante. Après lui, ses successeurs seront choisis pour leur piété, mais aussi pour leur insignifiance. Le caprice de leurs grands électeurs les désigne, les dépose, les réinvestit à quelques mois de distance parfois. L'un deux, Yûsufu, exerça la fonction à neuf reprises. L'imâmat n'est donc pas une institution monarchique réelle, susceptible d'opposer un obstacle sérieux aux intrigues des grands et aux entreprises des ambitieux. Il est plutôt le symbole de l'adhésion de l'ethnie toucouleur à la religion musulmane comme religion d'Etat, selon le rite de la confrérie Qadriya. La fonction d'almami fut remplie 53 fois en 114 ans, avec un interrègne de deux ans entre 1835 et 1837. Le dernier almami, Siré Baba Ly fut élu en 1880. Depuis 1877, le Fouta était morcelé par l'intervention française (traité de Galoya, 1877). A sa mort, en 1890, Siré Baba Ly ne fut pas remplacé.
Le système établi par Abdoul Kader avait donc été durable ; mais sa souplesse même, et les rivalités entre grands électeurs l'avaient empêché d'être vraiment solide. Les Français d'une part — principalement les gouverneurs Faidherbe et Brière de l'Isle —, El Hadj Omar d'autre part, devaient avoir plus tard maintes occasions de démontrer et d'exploiter cette fragilité.
L'organisation politique était donc celle d'une confédération féodale, bien plutôt que d'une république théocratique, comme on l'a dit souvent. A l'Ouest, on distinguait le Dimar, au contact des pays wolof et des Français de Saint-Louis 4. Puis le Toro, avec sa capitale de Guédé, gros fournisseur de mil à Saint-Louis, affirmait son particularisme par les accords qui depuis 1830 liaient son souverain, le Lam-Toro, au gouvernement colonial du Sénégal. Dans le reste de la confédération, on affectait de considérer ces deux territoires et leurs chefs comme des vassaux ou des alliés de seconde zone. L'influence française saura en profiter ; et El Hadj Omar, originaire du Toro, expérimentera assez amèrement le mépris des grands feudataires des autres provinces.
Au centre du terroir toucouleur, le Lao, dont les chefs résidaient à Aéré, et le territoire des Irlaɓe-Ebiaɓe, où l'élément peul restait important et actif, n'avaient qu'un rôle secondaire. Les émirats orientaux, plus riches parce que mieux arrosés, plus peuplés — aujourd'hui encore on y rencontre les plus fortes densités —, exerçaient la principale influence. C'était autour de Horéfondé et de Thilogne, le Bosséa, dont l'émir jouissait d'un grand prestige, puis le N'Guénar et le Damga. Les pays proprement toucouleur s'arrêtaient à Dembakané, à une vingtaine de kilomètres en aval de Bakel. A l'Est, et au Sud-Est, jusqu'à la Falémé, se trouvait l'Etat du Boundou, constitué au XVIIIe siècle par des Toucouleur de la dynastie des Sissiɓe (Sy), avec pour capitale Boulébané. L'Almami du Boundou, descendant du marabout Malik Sy, règne sur une population composite dont les Toucouleur ne représentent que le tiers. Sarrakolé, Peul, Manding, et même Wolof contribuent, comme le relief vallonné et la végétation de forêt sèche, à donner à ce pays une personnalité très différentes de celle du Fouta. Au XIXe siècle, les almami du Boundou, Boubakar Saada et Ousman Gassi seront les alliés des Français contre El Hadj Omar et son fils Ahmadou, et contre l'el Feki du Damga, dont le Boundou convoite les territoires orientaux.
L'organisation sociale
Le système des castes, en usage dans le pays toucouleur comme dans la plus grande partie de l'Afrique soudanaise, distinguait en gros les nobles, les hommes libres, les artisans, les captifs.
Les nobles constituaient la classe dirigeante des Toroɓe ; cette aristocratie terrienne, guerrière et religieuse avait encore accru sa puissance des biens confisqués aux Peul après la révolte de 1776. Son appartenance à la confrérie Qadriya la mettait en communion de pensée avec les dirigeants des grands empires soudano-peul du Mâsina et de Sokoto. Beaucoup de Toroɓe se disaient et étaient effectivement lettrés en arabe ; mais l'écriture arabe servait aussi à rédiger des textes en poular.
C'est chez les Toroɓe que se recrutaient les chefs, les almami, les marabouts. C'est de leur sein que surgissaient les prédicateurs du Jihad, la guerre sainte. Ils furent les guides des grandes migrations historiques des Toucouleur. Mais leur morgue aristocratique n'était pas du goût de tous leurs vassaux et préparait indirectement le succès d'une prédication plus proche de la masse. El Hadj Omar, en proposant à ses compatriotes l'adhésion à la Tidjaniya, plus démocratique, entraînera derrière lui bon nombre de ces gens de condition plus modeste que sont les simples hommes libres, dyawamɓe, seɓɓe, subalɓe, et les artisans et griots de la caste inférieure des nyenɓe. Il n'est pas jusqu'aux captifs, captifs de guerre ou captifs de case qui ne trouveront dans la conversion selon la règle tidjane, —le wird— une possibilité d'échapper à leur sort et de devenir les égaux des plus nobles aux yeux de Dieu et de son prophète.
Le peuple toucouleur
La question a souvent été posée — c'est assez dire qu'elle n'est pas encore parfaitement résolue — de savoir s'il existe un ensemble de traits vraiment distinctifs permettant de caractériser de façon précise le peuple toucouleur et le « Toucouleur moyen » lui-même.
L'anthropologie et l'ethnologie ne permettent pas de répondre à coup sûr. Métis ? Oui, sans doute, mais quel groupe soudanais ne l'est pas peu ou prou ? La vallée du Sénégal, comme celle du Niger, semble bien avoir été un creuset, un melting-pot, où sont venus se fondre, sur des berges relativement fertiles et accueillantes, des Berbères du Sahara, des Peul et des Sarrakolé d'origine incertaine, des Noirs authentiques, ancêtres des Wolof, des Sérer, des Manding, des Bambara. Et le Toucouleur d'aujourd'hui n'est ni plus grand, ni plus mince, ni plus clair, ni plus foncé, que ses proches voisins.
Indiscutablement, le sang noir a prévalu. L'ethnie toucouleur ne songe nullement à le renier, mais invoque souvent une origine et une présence très anciennes, parce que le nom de Tekrour est contemporain de celui de Ghana chez les premiers chroniqueurs arabes ayant décrit le Bilad-es-Sudan — le pays des Noirs. Maurice Delafosse avance même — ce qui paraît pour le moins aventureux —, que les Peul auraient emprunté leur langue aux Toucouleur, contrairement à ce qu'on affirme généralement. D'autres, comme Faidherbe, dont la thèse, bien que vieillie, a encore des partisans, croient voir l'origine du peuplement actuel du Fouta-Toro dans un métissage des Peul et des Noirs sénégalais, Wolof et Sérer.
Ne serait-il pas plus sage d'imaginer une lente émergence, une sélection progressive de certains caractères : la langue, l'activité principalement agricole, puis la religion ; l'élimination de certains autres ; la combinaison enfin d'origines ethniques variées, pour aboutir, il y a tout juste trois ou quatre cents ans, à la constitution d'une petite nation dont les traits sont allés se précisant jusqu'au XIXe siècle, et paraissent aujourd'hui encore bien fixés ?
Le Toucouleur est, nous l'avons dit, un terrien, un paysan, qu'il possède la terre ou qu'il la cultive pour le compte d'autrui. Les castes artisanales sont orientées vers la fabrication d'outils ou d'ustensiles de première
nécessité se rapportant à une vie sédentaire et rurale. Les esclaves étaient, dans leur grande majorité, employés au travail des champs ; et les divisions politiques du Fouta laissaient à chaque province un morceau de chacun des différents terroirs qui se succèdent à partir des rives du Sénégal, tandis que les pâtures médiocres étaient abandonnées aux Peul, que la révolte redigieuse de 1776 avait permis de refouler partiellement dans les brousses incultivables du Ferlo. Le Toucouleur se définit donc d'abord par son appartenance paysanne, et par le village d'origine de sa famille — trait éminemment sédentaire — même si la pression démographique et l'appauvrissement des terres perpétuellement sollicitées, sans jachère ni engrais, obligent à l'émigration. Il est aussi l'héritier d'une société à structure féodale, où les castes : nobles, hommes libres, artisans, esclaves, restent encore aujourd'hui bien tranchées, et formaient il y a un siècle, un cadre excessivement rigide.
L'Islam, de tradition ancienne, mais réveillé à la fin du XVIIIe sièdle, a imprimé là-dessus une marque qui n'est pas près de s'effacer. Il ne s'agit pas seulement des croyances, où, comme en bien d'autres points du globe, la religion monothéiste a recouvert sans les noyer des superstitions anciennes. Il y a aussi la fierté d'appartenir, depuis un temps qu'on imagine volontiers immémorial, à la religion du Prophète et à la communauté musulmane. Combien de généalogies foutanké ne parviennent-elles pas à remonter acrobatiquement jusqu'à Mahomet 5 ! Il y a enfin, pour les gens de condition noble surtout, la connaissance au moins superficielle du Coran, et de l'écriture, sinon de la langue arabe, donc la possession ancestrale d'une culture transmissible par écrit, et d'une jurisprudence fondée sur un texte sacré : supériorité qu'on fait volontiers sentir au voisin wolof ou sérer.
D'avoir conquis par les armes, en 1776, le droit de pratiquer cette religion et de l'imposer exclusivement, a conféré aux Toroɓe et à leurs descendants le devoir de défendre le sol et la foi. Le paysan toucouleur est donc aussi, volontiers, un guerrier, pour protéger son terroir ou pour l'agrandir, pour préserver sa croyance, ou pour la propager. Sa valeur militaire est réputée, son courage certain ; ses adversaires l'ont redouté, ses alliés, apprécié ; et plus tard ses maîtres-colonisateurs n'ont pas négligé de l'enrôler dans leurs armées.
Amour du sol ; religion solide et ombrageuse, parfois fanatique ; valeur guerrière ; tout cela explique que le Toucouleur doive parfois se défendre de l'accusation d'orgueil et de vanité. Il s'agit plutôt d'un sens exacerɓe de l'honneur qui pousse à la générosité, à l'ostentation, à la distribution des maigres ressources que l'on possède encore aux laudateurs intéressés, aux griots, aux mendiants qui exaltent la noblesse ancienne de celui qu'ils sollicitent. Le désir de paraître fera dévorer dans une noce ou dans un baptême les revenus de toute une année, et au-delà. Un goût un peu théâtral de la dignité drape l'homme toucouleur aussi somptueusement que dans un boubou de parade raidi par l'amidon.
La soumission à la volonté de Dieu s'accompagne parfois d'un certain fatalisme et de quelque nonchalance, mais l'esprit d'aventure et d'entreprise est rarement absent. Il se rencontrait chez ces hommes qui n'hésitaient pas à quitter leur pays et leurs biens pour suivre les prophètes de leur langue et de leur sang, comme il se retrouve aujourd'hui chez ces émigrants foutanké que Dakar et aussi l'Europe voient arriver en assez grand nombre.
Trop restreinte, quand même, pour former une « nation » au sens moderne du mot, l'ethnie toucouleur n'en conserve pas moins jalousement ses traditions, ses particularismes, et, ce qui la caractérise sans doute le mieux, son intelligente mais ombrageuse fierté.
Les migrations
Un autre trait qu'il faut souligner pour bien camper la société toucouleur avant l'apparition d'El Hadj Omar, et pour mieux comprendre son succès auprès des humbles, c'est le goût de ce peuple pour les migrations, encore sensible aujourd'hui, et en partie pour les mêmes causes qu'il y a un siècle ou deux. La natalité forte, les densités élevées, l'exiguïté des terres cultivables et leur accaparement par les classes sociales supérieures suffisent déjà à expliquer cette tendance. Le prosélytisme religieux s'y ajoutait, et peut-être aussi une certaine nostalgie du nomadisme héritée des nombreux métissages avec les Peul. Ce qui fait qu'il n'était pas difficile à un prédicateur habile de recruter des adeptes en faisant miroiter les prestiges de la guerre sainte, les avantages des richesses légitimement conquises sur les kâfir, les païens, et la certitude du Paradis à ceux qui périraient pour la Foi. L'analogie avec les aventuriers chrétiens des xue et xme siècles est frappante, au point que certains auteurs n'ont pas hésité à employer le mot de « croisade » pour désigner ces entreprises. Si le choix du terme est malheureux, l'idée qu'il renferme reste juste.
Les directions principales de ces migrations sont tout d'abord le Sénégal occidental et central d'aujourd'hui. L'islamisation des Wolof, commencée dès le XVIe siècle, et qui s'est poursuivie jusqu'à la fin du XIXe siècle, a été, au Djolof, au Walo, au Kayor et au Baol l'oeuvre continue de prédicateurs toucouleur. Il en fut de même plus tard pour les Sérer du Saloum et du Rip. La part des Toucouleur semble aussi avoir été importante dans la propagation de l'Islam au Fouta-Djalon.
[Erratum. Malgré sa formulation prudente, cette assertion n'est pas du tout confirmée par l'histoire des hégémonies peules, qui disposaient, chacune, d'autonomie de leadership et de personnel religieux. Cela explique qu'aucun de ces états ne recourut à des apports extérieurs pour s'imposer et fonctionner. Mais cette autonomie ne signifiait pas autarcie. Au contraire, les rapports inter-personnels et les échanges bilatéraux entre les dirigeants furent reguliers et importants. Ainsi, Souleyman Baal séjourna à la cour de Timbo avant de retourner au pays pour lancer le Jihad et fonder l'imamat du Fuuta-Tooro. De même, plusieurs princes de Timbo trouvèrent accueil auprès de la dynastie Siisiiɓe (Sy) du Ɓundu. Et, avant d'entreprendre le pèlerinage aux Lieux Saints et son long séjour au Moyen-Orient, le jeune Omar Tall étudia auprès de Sheykh Abel Naɠel Diallo à Labé. Par ailleurs, les rapports entre la Diina du Maasina, l'Empire de Sokoto et l'émirat d'Adamawa furent très suivis … — T.S. Bah]
Mais ici, comme plus à l'est, à Sokoto, au Bornou et dans l'Adamaoua, il est difficile de distinguer le rôle des Toucouleur de celui des Peul islamisés : la langue, la religion et les métissages contribuent souvent à confondre les uns et les autres. Ousman dan Fodio, le conquérant des pays haoussa, se réclamait d'une origine toucouleur, comme le rappela son fils Mohammadou Bello dans une lettre remise à El Hadj Omar en 1837 6. Pour beaucoup de musulmans d'assez fraîche date, le Fouta-Toro devient bientôt la proverbiale « Terre des Saints », d'où la vraie religion s'est étendue sur une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest.
Mais la multiplicité des migrations et leurs succès religieux et militaires ne doivent pas faire oublier leur faiblesse numérique. C'est ainsi qu'au moment de la conquête coloniale du Soudan, M. Delafosse évaluait à moins de 50 000 les Toucouleur établis entre Bakel et Tombouctou, à la période d'extension maximum faisant suite aux conquêtes d'El Hadj Omar et aux migrations vers l'empire de Ségou. Des régions entières ne comprenaient que deux ou trois établissements toucouleur, dominant tant bien que mal des populations bambara, malinké, khassonké, converties superficiellement ou pas du tout, et beaucoup plus nombreuses. Là résidera la principale faiblesse de la construction omarienne. D'ailleurs les réserves humaines du Fouta-Toro n'étaient pas inépuisables. Aujourd'hui, on évalue à moins de 500 000 personnes le total de l'ethnie toucouleur au Sénégal : 442 000 en 1961, dont 229 000 dans la région du Fleuve 7. Il semble qu'on puisse avancer le chiffre de 200 000 individus pour la population toucouleur du Fouta il y a un peu plus de cent ans. La part disponible pour des aventures lointaines était forcément réduite à quelques milliers d'hommes. Dans le cas d'El Hadj Omar, il ne faut pas oublier que la prédication du « prophète » 8 venait souvent contrecarrer l'autorité et menacer la puissance économique des grands feudataires qui s'employèrent à gêner le recrutement.
Omar ira jusqu'à brûler les villages et les récoltes de ses compatriotes, y compris son village natal d'Halwar, pour qu'ils n'aient plus d'autre ressource que de le suivre. Beaucoup partaient sous la contrainte, puis rebroussaient chemin à la première occasion. L'empire d'El Hadj Omar aurait été beaucoup plus solide, et dans doute plus durable si le prédicateur toucouleur avait pu imposer sa domination de façon permanente à tout le Fouta-Toro.
Le Fouta de 1776 à 1854
On nous excusera d'esquisser brièvement l'histoire intérieure et extérieure des pays toucouleur depuis la chute des rois peul jusqu'à la prédication omarienne. Les événements qui s'y produisent alors ne sont pas indifférents à la genèse de l'oeuvre d'El Hadj Omar, ni à un certain nombre de malentendus qui l'opposèrent aux Français.
Nous avons vu que l'institution des Almami fut assez régulièrement continuée. L'oeuvre d'Abdoul Kader fut déterminante, car il eut pour lui la longue durée de son règne et un prestige personnel considérable. Il s'employa à asseoir solidement l'Islam, multipliant les mosquées et faisant enseigner le Coran aux enfants. Un siècle plus tard, l'explorateur Soleillet notera ces théories de garçonnets qui, leur planchette à la main, se rendent à l'école coranique, et saluent joyeusement les voyageurs. Dans chaque village, un marabout portait le titre d'Imâm, “El Iman” et représentait l'Almami. Le revenu de quelques terres lui permettait d'entretenir la mosquée et de dispenser l'instruction religieuse. Les principaux notables terriens comprirent vite que leur intérêt était de se faire donner ces fonctions ou de contrôler leurs attributaires.
Abdoul Kader organisa aussi vers 1790 la redistribution des terres : les grandes familles en furent les principales ɓenéficiaires, et le « Fatiéré Fouta » — partage du Fouta — fixa pratiquement jusqu'à nos jours le statut foncier du pays. Cette observation faite en 1935 par le chef de la province du Damga 9, reste exacte aujourd'hui : au cours d'une tournée dans la région du Fleuve en 1967, le président Senghor s'est employe à convaincre les possesseurs éminents de la terre de la nécessité d'une révision foncière plus conforme à la justice sociale …
L'économie traditionnelle se maintient donc. Les droits de pacage et de parcours des Peul islamisés furent précisés, tandis que les fractions rebelles à l'Islam et à l'autorité des Almani étaient rejetées dans la brousse infertile du Ferlo. Les incursions des Maures furent vivement combattues. Malgré l'identité de religion, l'hostilité resta vive entre les Toucouleur et leurs turbulents voisins « beïdane » (blancs) de la rive droite.
Tandis que les émirs, maîtres de la terre et des pays du Fouta, se contentent de leur sort et commencent à l'agrémenter des cadeaux ou « coutumes » exigés des Européens, certains Toroɓe continuent la prédication guerrière. Celle-ci est favorisée par la présence, principalement à l'Est, d'infidèles hostiles : Bambara du Kaarta et du Diombokho, Peul rebelles, mais aussi, à l'ouest, Wolof encore païens. A la fois prophètes et chefs d'armées ces « saints » et leurs disciples ; les taliɓe, propagent la religion et cherchent à se tailler des fiefs. C'est le cas de Mohamadou Omar, que nous citerons au chapitre suivant ; il en ira de même de Maba Dyackou au Saloum. D'autres vont prêter main-forte jusqu'à Sokoto et Kano à l'oeuvre d'islamisation entreprise par Ousman dan Fodio et ses successeurs. Mais, en même temps, les relations avec les Européens se multiplient et se compliquent. Depuis que les Français avaient pris pied au Sénégal, et que Saint-Louis était devenu leur base permanente (1659), deux préoccupations se partageaient les projets et les calculs des compagnies concessionnaires : la traite de la gomme avec les Maures, qui pouvait se pratiquer assez près de l'embouchure du fleuve, et le « commerce de Galam et de Bambouc », entendons les échanges avec les pays beaucoup plus éloignés, situés au-delà du confluent du Sénégal et de la Falémé. Dès la fin du XVIIe siècle, ce second secteur avait, par la perspective d'en tirer or, plumes d'autruches, ivoire et beaux esclaves, excité la passion de quelques directeurs et agents des compagnies du Sénégal. C'est pour cela que André Brüe s'était rendu chez le roi « Siriatique », dont il avait obtenu la concession de l'île de Sadel, à huit lieues en aval de Matam. C'est pour disposer d'une série de points d'appui et de comptoirs d'échange qu'il avait fait édifier les forts Saint-Joseph, à Makhana, en amont de Bakel, et Saint-Pierre (Sénoudébou) au Boundou, sur la basse Falémé. Plus tard des agents comme Compagnon et Duliron avaient reconnu les mines d'or, sans en rapporter autre chose que des espérances exagérées. En 1743, Pierre David avait construit le fort de Podor, au coeur du pays toucouleur.
Tant qu'avait duré la domination peul, les relations avaient été pacifiques. L'usage s'était établi d'échanger des cadeaux dont à vrai dire ceux apportés par les Français étaient beaucoup plus importants que les quelques présents reçus de leurs interlocuteurs africains. Ces cadeaux, érigés bientôt en redevances obligées et périodiques — les « coutumes » —, avaient pour objet d'assurer la régularité du commerce du mil dans le Moyen-Fleuve — sans lequel les habitants de Saint-Louis, comme aussi les équipages et la cargaison humaine des navires négriers eussent connu la faim. Les coutumes payées par la Compagnie du Sénégal garantissaient aussi le libre passage des embarcations se livrant à la « grande traite de Galam » 10. Lorsque après 1793, le privilège de la compagnie fut supprimé, c'est l'autorité française, représentée par le commandant (gouverneur) du Sénégal pour le roi, qui prit à sa charge ce que l'on doit bien appeler un tribut annuel.
En 1785, le comte de Repentigny officialisait cette pratique en concluant avec les représentants de l'almarni Abdul-Kader le premier des nombreux traités de coutumes qui allaient se succéder pendant près de soixante-dix ans. Mais la situation politique avait changé au Fouta : au lieu des silatigui peul, généralement accommodants et sans préjugés religieux, les Français trouveraient en face d'eux non seulement les Almami toucouleur, farouchement musulmans, mais aussi les « Grands » du Fouta, décidés à prélever, au passage dans leurs domaines, leur dîme sur les convois de la « Petite » ou de la « Grande » traite.
Il s'ensuivit une longue série de malentendus, souvent sanglants. Dès 1805, une expédition punitive française fut dirigée contre le village fortifié de Fanaye — et subit un cuisant échec. Il serait trop long et hors de propos de rapporter ici toutes les vicissitudes de ces relations où la poudre et la diplomatie alternaient, dans une méfiance réciproque et sans cesse accrue. Ce qu'il faut en retenir c'est que pour les Français de Saint-Louis, gouverneurs et militaires en tête, le pays toucouleur est devenu l'obstacle numéro 1, — non à une expansion territoriale à laquelle on ne songe pas encore — mais au commerce sur le fleuve et au-delà. On cherche donc à assurer la sécurité de la traite, et dans cette intention sont fondés les postes fortifiés de Bakel (1818) et de Dagana (1821) aux limites occidentales et orientales du Fouta. On regrette, dans la colonie, le temps des émirs peul et on verra même certains esprits, comme Duranton, suggérer de susciter leur restauration. Ce sentiment d'hostilité à l'encontre des Toucouleur se reportera plus tard, naturellement, sur El Hadj Omar et Ahmadou.
Du côté des chefs et des habitants du Fouta, on ne souhaite pas perdre l'avantage des coutumes annuelles et du troc du mil contre des marchandises européennes, tissus, verroteries et armes, qu'on ne peut guère obtenir qu'auprès des Français. Mais le climat de défiance qui s'instaure, le mépris dans lequel on tient les infidèles, l'avidité de certains chefs aussi, sont la cause d'innombrables incidents. Sans trop forcer les termes, on peut avancer que Français et Toucouleur, d'abord voisins paisibles, puis hargneux, en viennent à cultiver un complexe d' « ennemis héréditaires ». Les brutales interventions de certains gouverneurs — comme Bouet détruisant Cascas en 1843 : « Cascas, ce repaire des pillages et des meurtres dont les habitants du Sénégal avaient été victimes sous mes prédécesseurs, n'est plus que ruines et cendres » 11 —-, les pillages de chalands échoués par des éléments toucouleur incontrôlés, les exigences injustifiées des chefs à propos des coutumes, tout contribue à alourdir le dossier, à durcir les positions, à renforcer les haines.
Notes
1. C'est le nom que les Arabes donnaient au Sénégal — et aussi au Niger !
2. El Bekri, traduction de Slane, rééditée à Paris chez Adrien-Maisonneuve, 1965, p. 324. La Description de l'Afrique Septentrionale datée de 1068.
3. G. Brasseur et Savonnet. Carte ethnodémographique de l'Ouest africain, note de présentation p. 14. I.F.A.N. Dakar, 1952.
4. L'île de N'Dar, proche de l'embouchure du Sénégal, fut occupée définitivement en 1659 par Louis Caullier, au nom de la Compagnie du Sénégal. Il y bâtit le Fort Saint-Louis, autour duquel se développa une agglomération urbaine qui atteignit 7000 habitants en 1789, et 15 000 sous le Second Empire.
La présence permanente de Français : agents des Compagnies à privilèges, fonctionnaires, militaires, marins, représentants des maisons de commerce de Bordeaux et de Marseilles, y donna naissance à une société fortement métissée, d'expression française et de traditions généralement catholiques. On distinguait ainsi les Français de France, dont beaucoup contractaient sur place des unions libres — dites « mariages à la mode du pays » et les métis ou habitans et leur épouses ou signarres — (du portugais Senhora) constituaient — et constituent encore — un groupe social fier de sa double origine. Ils étaient adonnés au commerce (mil, gomme, esclaves jusqu'à l'interdiction de la traite), principalement avec les populations riveraines du fleuve Sénégal. Partisans d'une expansion mercantile plutôt militaire, ils s'intéressaient assez peu aux projets de mise en valeur agricole. La liberté et la sécurité de la navigation et du commerce fluvial leur importaient davantage. Ils avaient des représentants de commerce indigènes (sous-traitants) dans toutes les escales du Sénégal, jusqu'à Médine.
5. Un candidat au baccalauréat, interrogé par l'auteur en octobre 1968, et toucouleur d'origine, faisait remonter au Prophète lui-même la conversion du Tekrour. Echo d'une conviction encore répandue !
6. Manuscrit arabe de Cheikh Moussa Kamara, “Tarikh des Yalalɓe, Denyankoɓe, Wanwanɓe et Takalor”, feuillet 41, verso, Département de l'Islam, I.F.A.N., Dakar.
7. Verrière, Cité par J. Lombard, Géographie humaine du Sénégal, C.R.D.S., Saint-Louis du Sénégal, 1963, p. 16.
8. L'emploi du mot prophète pour El Hadj Omar prête évidemment à controverse. Le seul vrai prophète, pour les musulmans, étant le Nabi, le prophète Mohamed. Mais El Hadj Omar n'est pas un simple prédicateur.
9. Cité par F. Brigaud dans L'Histoire traditionnelle du Sénégal, C.R.D.S., SaintLouis, 1962, p. 42.
10. Galam, déformation de Gadiaga, région située immédiatement en amont du confluent Sénégal-Falémé.
11. Lettre du gouverneur Bouet au Ministre. de la marine et des colonies, Archives du Sénégal, 2 B 22, Folio 24.