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Layteere Koodal e Lootori
L'éclat de la grande étoile
suivi du Bain rituel
Récits Initiatiques Fulɓe de Amadou Hampâté Bâ

Edité par Lilyan Kesteloot, Amadou Hampâté Bâ, Christiane Seydou, et Alfâ Ibrâhîm Sow
Collection Classiques Africains. Paris. Armand Colin. 1974. 149 p.


       Table des matieres      

Layteere Koodal — Strophes 544-570

kala ko kuuw-mi, tawa kala ana nyeenyi.
Nyeencinaaa mi, so mi woofii kaalaa; 545
kawjo-ɗaa ko wattee ley leydi;
ngonaa tiimtotoodo e tiimtorɗe
maamiraaɓe meeɗen ɗeenb ndonoyaa
ɗe kormoraa, ɗe non cinkaa kaŋŋe ».
Huunde worri mi fii oo moƴƴi. 550
Leydi waabi, hebi jawdi e biɓɓe.
Rewɓe jaɓani goriraaɓe ɓe ne nuunɗi.
Cuurki suurta ley kaatane ŋabba,
waɗoya duule muuɗum ana ŋaara.
Ndeendi uura ukkita kine maata. 555
Walaa fuu mo njiyataa ana woytoo,
waayde nyaamri maa comci ɗi watta.
Beembe keewi kala sii nyaamriiji.
Terɗe keewi cellal, sunu yalti.
Maayde famɗi faa yoga fuu yeggiti. 560
Walaa fun ko wemmbini ley leydi;
fay dawaaɗi ŋootti yiilaade!
Bey e baali duroyan coggaaka.
Cofe na keewi, tonkonoc nii e jaawle.
Joowle joowle ngadi pooli na ugga; 565
unduɗed mbeeya caama e boɓi caata.
Baggi duɗɗa duko waalan weeta.
So badike weedde, ara naadoo hiika.
Ŋofa dawaaɗi, joggina dontooje.
Donso yalta ana wakkli malfal. 570
tout ce que j'accomplirai, on le trouvera avisé;
tu me corrigeras et, si je fais une erreur, le diras;
tu dirigeras ce qui se fera dans le pays;
tu seras [le devin] qui se mire dans les miroirs 1
hérités de nos ancêtres,
miroirs sertis d'or, à travers lesquels on invoque. »
Les choses étant ainsi, tout alla pour le mieux 2
le pays prospéra, gagnant biens et enfants ;
les femmes se soumirent à leurs maris qui se conduisirent avec justice ;
la fumée s'échappait des foyers, s'élevant
en nuages rampants ;
le fumet des plats se répandit jusqu'aux narines qui le humaient ;
on ne voyait plus personne se plaindre
de manquer de nourriture ou de vêtements ;
les greniers regorgeaient de toutes sortes de vivres ;
les corps débordaient de santé, tous soucis enfuis ;
la mort se fit si rare que bon nombre l'oublièrent ;
plus aucun sujet de désarroi dans le pays !
Même les chiens se lassèrent de vagabonder ;
chèvres et moutons, sans qu'on les y conduisît, allaient au pré ;
les poules se mirent à pulluler ainsi que canards et pintades ;
les oiseaux s'amassaient en bandes roucoulantes ;
les pilons volaient et retombaient dans les mortiers sonores ;
les tambours grondaient et leur tapage résonnait du soir au matin ;
à l'approche du jour, le baudet venait s'étirer et braire ;
les chiens aboyaient et les coqs chantaient ;
le chasseur sortait, le fusil en bandoulière.
Notes
a. Forme dérivée de nyeeny- (du vers 544 qui précède) auquel est infixé le morphème -it- réduit à -t- après l'élision, très fréquente, de sa voyelle de liaison (i). On voudra bien se reporter à la note sur dunci du vers 123.
b. Ce ɗeen se réfère à tiintorɗe du vers précédent.
c. Tonkonowal, réduit ici à cette forme raccourcie, est emprunté au bambara.
d. Unnduɗe est ainsi écrit à cause du rythme du vers.
Notes
1. Ce sont les miroirs divinatoires, en général des canaris remplis d'eau.
2. La description qui suit est une vision paradisiaque de paix, d'harmonie et d'abondance, boŋeur dù à la réalisation du principe selon lequel un pays ne peut être en paix que si les rois sont initiés ou les initiés, « rois », autrement dit : si le pouvoir spirituel est joint ou allié au pouvoir politique; Joom-Jeeri, le roi, s'est adjoint la clairvoyance et la force occulte de Baaguma; on retrouvera une description analogue du paradis perdu, du pays originel et mythique des Fulɓe : Yooyo (situé selon les uns en Arabie, selon les autres au nord de Tombouctou), dans le récit Njeddo Dewal Inna Baasi.
Quant à la conception d'un paradis futur, au-delà de la mort, elle est assez vague; dans la religion fulɓe, après la mort, l'homme est reçu par ses oncles maternels dans l'autre vie; on accède peut-être à un certain repos, et l'âme individuelle est censée être éternelle, mais « il y a l'inconnu du passé, le connu du présent, l'inconnu du futur ». Cet inconnu, on l'invoque mais on ne spécule pas dessus et il n'est pas localisé dans l'espace. Cependant on priera pour que l'âme soit bien reçue par les siens, pour qu'elle n'erre pas, malfaisante, sous la forme d'un hibou.