Paris, Abidjan. Stock, NEI-EDICEF. 1984. 239 pages.
Toutes les notes de cet ouvrage ont été soit écrites par A.H. Bâ lui-même (grands développements des notes annexes et indications symboliques), soit dictées par lui au fur et à mesure de notre lecture en commun du texte (entre autres, signification spirituelle des différents épisodes du conte).
Hélène Heckmann
L'introduction est précieuse en ce sens qu'elle donne les clefs de lecture, d'un genre dont nous ne sommes pas (ou plus trop) familier, le conte. Le récit, Jantol, a vocation initiatique et éducative mais également ludique. Ceux qui écoutent, généralement les enfants, doivent prendre du plaisir. Plusieurs dimensions sont à l'oeuvre dans ce genre :
La trame de l'histoire doit toujours être la même, toutefois le conteur peut apporter des compléments, des précisions, des explications, mais le sens profond ne peut être changé.
L'enfant (les enfants car il y a sans doute une dimension collective) à qui le conte est destiné doit s'imprégner de l'histoire qui parle du bien et du mal. “Entrer à l'intérieur du conte, c'est un peu comme entrer à l'intérieur de soi-même. C'est en nous-mêmes et non dans les catégories sociales qu'il faut chercher les correspondances des personnages.”
Njeddo Dewal, dans le conte Peul, est le personnage central. Il s'appuie sur les “forces magiques”. Mais l'objet du conte reste bien la transmission de connaissances traditionnelles, ancestrales, aux enfants.
Le conte s'ouvre sur le “Pays de Heli et Yoyo” le paradis perdu avec tout ce qu'on peut espérer d'un paradis : l'abondance de nourriture, la santé, la vieillesse exempte de décrépitude, point de fauve dans la brousse… Se dessine dans cette première partie les éléments de la mythologie autour de quelques éléments centraux tels que le lait, les animaux, la nature et des principes autour du nombre sept. “Le pays septénaire”, tout le conte est sous la marque du nombre sept, à commencer par le nom même de Njeddo Dewal qui signifie la “femme septénaire”. Sept grands fleuves, sept hautes montagnes, sept grandes plaines‚ (voir la note 10).
Mais le paradis n'est pas, hélas, éternel.
L'homme est là pour créer le malheur,
“L'homme n'oeuvrera que pour lui-même
Il se donnera toujours raison,
Accusant son prochain de ses propres défauts.”
A homme de mal, répond aussi homme de bien. Ainsi Ba-Wamnde, “Père du bonheur” sera notre guide au cours de la deuxième partie du conte. C'est la grande quête, ou le mérite de l'homme de bien et de charité reconnu par les sauterelles, les tortues, les chiens, les crapauds, les porcs-épics… chacun remercie l'homme qui dans la détresse les a secouru.
Parmi les clefs, il faut porter attention sur celle qui consiste à présenter des éléments selon leur contraire. L'inversion des phénomènes est monnaie courante et permet d'entrer dans “un monde qui échappe aux lois naturelles … on trouve du feu qui ne brûle pas, de la glace qui réchauffe…” ou encore la sécheresse qui fait reverdir. Dans ce domaine les oeufs d'araignée casse-pierres donnent un sens particulier au paradoxe, le faible vaincrait le fort ou encore “C'est une chose parfois banale qui détruit un royaume”.
Le message pourrait encore être entendu aujourd'hui. Message social du faible contre le fort, “C'est presque toujours un animal âgé, malade ou infirme qui donne à Ba-Wamnde un cadeau merveilleux”, et utile puisqu'il permet de passer les obstacles et les dangers. La note 14 (bas de page 58) nous invite à comprendre le message “reconnaître ce qui se cache derrière les apparences” mêmes repoussantes. Quant à la banalité des choses, les petits événements, ne sont-ils pas à même de cristalliser les efforts nécessaires au changement et à l'optimisme. Ainsi c'est avec des excréments de sauterelles, un peu d'humeur séchée (des yeux d'un vieux) et enfin des oeufs d'araignées que notre homme de bien passera la montagne et arrivera jusqu'à l'homme dont il cherchait la trace (au lecteur de deviner le besoin et le sens de cette quête !).
Enfin nous assistons à une longue poursuite, montés sur des animaux puissants et plus fabuleux les uns que les autres, nos protagonistes s'essaient à commander aux éléments pour assurer leur survie ou dominer son ennemi. Tour à tour les éléments échappent au contrôle. Geno, Dieu lui-même, se donne comme hésitant au point de satisfaire parfois les voeux de Njeddo, la calamité, sorcière du mal.
Beaucoup de formules s'achèvent par “vous verrez ce que vous verrez” suggérant la nécessaire confiance en celui qui prodigue conseil et aide. Plus encore, la formule magique invite à la confiance en soi, en l'action entreprise, pour dépasser les difficultés présentes et à venir. Mais aussi juste confiance pour entrer dans l'avenir.
Njeddo la terrible sorcière, saigne et tue ses sept filles, après bien des péripéties au cours desquelles Baagumaawel et ses oncles sont protégés.
“le bois pourri d'une margelle de puits fini toujours par tomber dans le puits (…) enseigne l'adage. Autrement dit celui qui prépare le mal à l'intention de son prochain verra tôt ou tard ce mal se retourner contre lui.”
Que Geno entende et fasse !