Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre II
comble de l'orgueil. Il ne se passait pas de jour que quelqu'un ne fît de remarque sur la noblesse de son port ou sur l'élégance racée de son maintien, en dépit des haillons sordides dont il se couvrait. Il arrivait même qu'on lui fît grief de ses mouvements naturels de générosité et jusqu'à sa franchise. Plus il se surveillait, plus on le dénonçait. Il en était exaspéré.
Ses compagnons de groupe du moins s'étaient abstenus jusqu'à présent de lui faire des remarques désobligeantes. Il leur en savait gré, silencieusement, quoiqu'il ne se fît pas d'illusions sur ce que certains pensaient réellement. Il savait que Demba, notamment, l'enviait. Ce fils de paysan, patient et obstiné, portait en lui une ambition d'adolescent, vivace et intraitable. « Mais du moins, songeait Samba Diallo, Demba a su se taire jusqu'ici. Pourquoi me cherche-t-il querelle ce matin ? »
— Dites-moi, les gars, quel est, à votre avis, parmi les autres meneurs du foyer celui que je devrais suivre ? Puisque je reçois mon congé de Samba Diallo, je dois limiter les dégâts en choisissant bien. Voyons …
— Tais-toi, Demba, je t'en prie, tais-toi, s'écria Samba Diallo.
— Voyons, poursuivit Demba, imperturbable, bien sûr, de toute façon mon nouveau meneur ne peut valoir Samba Diallo dans l'art de l'imprécation, car, notez bien, ajou-