Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre III
— Ainsi. Je suis l'autorité. Où je m'installe, la terre cède et se creuse sous mon poids. Je m'incruste, et les hommes viennent à moi. Maître, on me croit montagne …
— Vous l'êtes.
— Je suis une pauvre chose qui tremble et qui ne sait pas.
— C'est vrai, vous l'êtes aussi.
— Les hommes de plus en plus viennent à moi. Que dois-je leur dire ?
Le maître savait de quoi le chef allait lui parler. Ce sujet, le chef l'avait abordé avec lui mille fois. Les hommes du Diallobé voulaient apprendre à « mieux lier le bois au
bois ». Le pays, dans sa masse, avait fait le choix inverse de celui du maître. Pendant que le maître niait la rigidité de ses articulations, le poids de ses reins, niait sa case et ne reconnaissait de réalité qu'à Ce vers Quoi sa pensée à chaque instant s'envolait avec délice, les Diallobé, chaque jour un peu plus, s'inquiétaient de la fragilité de
leurs demeures, du rachitisme de leur corps. Les Diallobé voulaient plus de poids.
Lorsque sa pensée buta sur ce mot, le maître tressaillit. Le poids ! Partout il rencontrait le poids. Lorsqu'il voulait prier, le poids s'y opposait, chape lourde de ses soucis quotidiens sur l'élan de sa pensée vers Dieu, masse inerte et de plus en plus sclérosée de son corps sur sa volonté de se lever,