Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre III
les façons de lier le bois au bois que nous ne savons pas. Mais, apprenant, ils oublieront aussi. Ce qu'ils apprendront vaut-il ce qu'ils oublieront ? Je voulais vous demander : peut-on apprendre ceci sans oublier cela, et ce qu'on apprend vaut-il ce qu'on oublie ?
— Au foyer, ce que nous apprenons aux enfants, c'est Dieu. Ce qu'ils oublient, c'est eux-mêmes, c'est leurs corps et cette propension à la rêverie futile, qui durcit avec l'âge et étouffe l'esprit. Ainsi ce qu'ils apprennent vaut infiniment mieux que ce qu'ils oublient.
— Si je ne dis pas aux Diallobé d'aller à l'école nouvelle, ils n'iront pas. Leurs demeures tomberont en ruine, leurs enfants mourront ou seront réduits en esclavage. La
misère s'installera chez eux et leurs coeurs seront pleins de ressentiments …
— La misère est, ici-bas, le principal ennemi de Dieu.
— Cependant, maître, si je vous comprends bien, la misère est aussi absence de poids.
Comment donner aux Diallobé la connaissance des arts et l'usage des armes, la possession de la richesse et la santé du corps sans les alourdir en même temps?
— Donnez-leur le poids, mon frère. Sinon, j'affirme que bientôt il ne restera plus rien ni personne dans le pays. Les Diallobé comp-