Cheikh Hamidou Kane/L'Aventure ambiguë/
Paris, Julliard, 1961. 209 pages
Chapitre III
-tent plus de morts que de naissances. Maître, vous-même, vos foyers s'éteindront.
La Grande Royale était entrée sans bruit, selon son habitude. Elle avait laissé ses babouches derrière la porte. C'était l'heure de sa vision quotidienne à son frère. Elle prit place sur la natte, face aux deux hommes.
— Je me réjouis de vous trouver ici, maître. Peut-être allons-nous mettre les choses au point, ce soir.
— Je ne vois pas comment, madame. Nos voies sont parallèles et toutes deux inflexibles.
— Si fait, maître. Mon frère est le coeur vivant de ce pays mais vous en êtes la conscience. Enveloppez-vous d'ombre, retirez-vous dans votre foyer et nul, je l'affirme, ne pourra donner le bonheur aux Diallobé. Votre maison est la plus démunie du pays, votre corps le plus décharné, votre apparence la plus fragile. Mais nul n'a, sur ce pays, un empire qui égale le vôtre.
Le maître sentait la terreur le gagner doucement, à mesure que cette femme parlait. Ce qu'elle disait, il n'avait jamais osé se l'avouer très clairement, mais il savait que c'était la vérité.
L'homme, toujours, voudra des prophètes pour l'absoudre de ses insuffisances. Mais pourquoi l'avoir choisi, lui, qui ne savait même pas à quoi s'en tenir sur son propre compte ? A ce moment, sa pensée lui remé