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Vincent Monteil
1888-1935

Contribution à la sociologie des Fulɓe.
Le « Fonds Vieillard » de l'IFAN (Dakar)

Bulletin de l'I.F.A.N. Tome XXV, série B, nos. 3-4, 1963. pp. 351-414


      Table des matieres

Conclusion

Bref, toutes les choses africaines sont des choses pensées par l'Africain — avant d'être des choses décrites par les ethnologues. Et il y a de grandes chances que leur connaissance du Tropique soit plus adéquate que celle acquise par l'étranger. Un poème, en langue soudanaise décrit mieux la brousse qu'un livre de botanique, ou chante mieux la guerre soudanaise qu'un manuel d'histoire…

Aussi cette étude sera-t-elle la descriplion des sentiments des Fulɓe vis-à-vis de leur pays, de leur histoire, de leur morale, de leurs devoirs et, de leurs ohligalions — plutôt que la description de ces choses elles-mêmes. Elle aura une sorte d'exactitude — peut-être moins loin de la réalité qu'une enquête méthodique.

« Nos frères musulmans » (Maasina, 1939)

« On parle tant de l'Islam hostile, on regrette que la zone soudanaise soit son domaine — et il est bien vrai que l'Islam et la Chrétienté sont des frères ennemis, mais ce sont des frères tout de même. Grâce à l'Islam, on se sent en pays de connaissance : Bible et Coran, les « Livres » sont de la même encre sémitique nous avons appris, petits catholiques et petits musuluians, à peu près la même histoire sainte, les mêmes légendes des mêmes lieux : notre père Adam tiré de la botte rouge, noire mère Eve, Noé et le déluge, Abraham et Isaac, Jacob et Joseph, Moïse et le Pharaon, et Nemrod, et Salomon et Balkis, reine de Saba — et même Jésus fils de Marie. Sans doute, Roumis et Sarrasins s'accusent réciproquement d'altération des Livres, et la Chrétienté est assez désunie pour savoir que les divergences de détail dans les dogmes séparent, plus que n'unit la commune origine de ceux-ci, mais bien des fois le voyageur au Soudan se sent en famille, grâce à ces vieilles histoires : la Création, le Déluge, la Révélation, le Jugement dernier, le Paradis et l'Enfer, l'âme et la vie éternelle, les anges et les saints. Que de points communs dans le credo des gens des Livres : Orient et Occident (et nos morales sont soeurs : péchés capitaux…) !

La grosse divergence, l'unique, c'est l'attitude vis-à-vis de la chair la luxure n'est pas nommée — le mariage est recommandé, non point comme un pis aller, mais comme un devoir sacré. Sur ce point, seul est coupable l'adultère, considéré comme un vol, une atteinte au droit de propriété, source de conflits sociaux et fraude qui fausse la paternité. Mais la chasteté, la pureté, sur lesquelles s'hypnotisent les moralistes chrétiens ? Ily a bien, chez les Musulmans, l'idée que le sperme est une souillure (comme l'excrément), et les moralistes estiment que l'homme ne doit pas oublier, dans les joies de la chair, ses devoirs envers Dieu, qui lui assureront les seuls biens qui comptent : la Vie éternelle… Religion plus humaine, plus animale disent certains. Est-ce à celte indulgence pour les jouissances sexuelles que les peuples musulmans doivent leur décadence actuelle ? Certains faits semblent le prouver : la rapide usure des civilisations musulmanes, comme celle des civilisations païennes. »