Parmi les textes de caractère littéraire recueillis par Gilbert Vieillard, il en est de toute nature : il y a des poèmes comme des textes en prose, et l'inspiration profane voisine avec la méditation religieuse. On a retenu ici les plus beaux des spéciniens de la culturc peule du Niger et du Maasina.
Alfa Hamadu Mori, faatande Nyagara, maaki
1. Mofte ennabiijo fu, yo nunɗu! Si fu nunɗaali, yo lamɓe men nunɗu! |
Le peuple du Prophète, tout entier, qu'il soit juste ! S'il ne l'est pas, que les chefs, eux, soient justes ! |
2. Mofte ennabiijo fu, yo hulu Alla! Si fu hulaali, yo karamokoɓe hulu Alla! |
Le peuple du Prophète, tout entier, qu'il craigne Dieu ! Si tous ne le craignent pas, que les marabouts, eux, le craignent ! |
3. Mofte ennabiijo fu, yo hersu! Si fu hersaali, jiidiraaɓe men yo ɓe hersu! |
Le peuple du Prophète, tout entier, qu'il ait honte Si tous n'ont pas honte, que les vieilles femmes, elles, aient honte |
4. Mofte ennabiijo fu, yo munyo! Si fu munnyaaki, yo wawaaɓe kanyum munyo! |
Le peuple du Prophète, tout entier, qu'il patiente ! Si tous ne patientent pas, que les impuissants 1, eux, patientent ! |
Si be munnyike, aray gasi… | Si, eux, ne patientent pas, rien n'ira plus 2 |
L'ange Gabriel arriva, il se changea en Arabe, il vint devant le Prophète et se prosterna devant lui — ses cuisses contre les siennes. Il lui dit :
— O Mohammed, dis-moi ce que c'est que l'Islam ?
— Rentre prier, jeûne, fais l'aumône et, si tu peux, fais le pèlerinage à la Maison de ton Seigneur !
— O Mohammed, tu as cru ! Dis-moi ce que c'est que la Foi.
— Crois en Dieu Très-Haut, en ses prophètes, en ses livres célestes, au Jour Dernier (dont tu accepteras le doux et l'amer).
— O Mohammed, tu as cru ! Dis-moi ce que c'est que le Bien (moƴƴuki) ?
— Suis le Seigneur, comme si tu le voyais, meme là où tu ne le vois pas.
— O Mohammed, tu as cru !
— O Mohammed, dis-moi la venue de l'Heure ?
— Celui qui interroge et celui qui est interrogé en savent autant, là-dessus, l'un que l'autre. Mais il y aura des Signes, des petits et des grands :
L'envoi du Prophète,
La disparition de ses compagnons,
Les devoirs, qui ne seront plus comme aujourd'hui
L'abondance d'erreur,
L'abondance de haine,
Le grand nombre de bâtards,
Plus de pudeur chez les femmes,
Et la hauteur des maisons…
Apparition du Mahdi
Et sortie de l'Antéchrist (Dajjal)
Descente de Jésus le Béni
Qui tuera l'Antéchrist ;
Sortie de Gog et Magog…
Lever du Soleil à l'Ouest,
Pour s'unir avec la Lune.
Trois nuits :
La première, de sommeil,
La deuxième, d'errance,
La troisième, de gémissement.
La Bête du prophète Sâlih sortira,
Avec les ongles de Salomon
Et le bâton de Moïse :
Les ongles de Salomon sur le front du Croyant
Et le bâton de Moïse sur le front du païen
(L'un devient clair, et l'autre obscur).
La fumée sortira
Et flottera dans l'air,
En ne donnant aux Croyants
Qu'un léger rhume
Qui les suffoquera
Et sortira par toutes les ouvertures du corps.
Et le Coran, dans ses feuillets,
Et dans les poitrines qui le savent par coeur.
Et le feu, nuit et jour,
Qui chassera les gens comme un troupeau…
Texte recueilli au Maasina (vers 1928 ?). L'original pular manque.
Le début, jusqu'aux « Signes », reproduit à peu près le célèbre Hadîth rapporté par Muslim (ap. 'Omar). Celui-ci, pour l'annonce de l'Heure, dit seulement : « C'est que la servante engendre sa maîtresse » (les seigneurs épousent des esclaves) « et que les bergers, misérables va-nu-pieds, se mettent à construire à qui mieux mieux » (Cf. Alverny. Cours de langue arabe, Beyrouth, 1959, p. 361). Les traditions musulmanes sur « les Signes de l'Heure » (ashrâf as-sa'a) sont anciennes et nombreuses (voir Encyclopédie de l'Islam, article Kiyâma).
Sîsé 3 ! toi qui as tout lu !
Tu pries, la nuit, debout — toute la nuit.
Tu mets en rang les fidèles qui prient.
Tu pries chaque jour, et tu diriges la prière du Vendredi.
Tu es serviable, tu jeûnes, tu fais l'aumône.
Tu mords — et ton ennemi reste suspendu à tes dents (comme un rat à la gueule d'un chat).
A ta parole, tout s'accomplit.
Interrogé, tu ne réponds que dans la voie de Dieu.
Tu ne bois pas de lait au pare aux vaches.
Blessé, tu te tais.
Tu es plongé entre la Mekke et Médine.
Tu n'as jamais souillé la pluie, ni touché les seins des filles, ni été l'imâm d'un village nègre, ni été laveur de morts.
Cormoran du Paradis !
Pique-bœuf du Paradis !
Tu plonges dans le Paradis comme un cormoran dans l'eau.
Tu franchis la passerelle comme un pique-bœufs sur le garrot d'un boeuf.
Poème pular anonyme du Maasina recueilli vers 1928 ? L'original pular manque.
(Le Pullo Umaru est mort — c'était un séducteur. A la demande de son épouse 'Aysha, le Prophète Mohammed le rappelle à la vie, en s'adressant à la Terre en ces termes) 4 :
« Terre, vomis pour moi Oumarou l-Kayli !
Rends-le moi Jeune et beau — qu'il ait 24 ans !
Que sa tête soit à demi rasée ! qu'il soit un
Beau jeune homme, avec des bracelets de marbre
Aux biceps — deux ci et deux là, avec deux
Bagues d'argent ! »
Et voici qu'Oumarou surgit…
Le Prophète Mohammed lui dit : « dis-moi,
Si tu reviens, si tu revois ce monde, te convertiras-tu,
Te repentiras-tu ? » — Et Oumarou de répondre :
« Pourquoi ne reverrais-je pas le monde ? Ici bas,
Y a-t-il encore en ce monde des jeunes filles
Nourries de lait et bien en chair, aux seins
Pointant à peine ? Y a-t-il encore des chameaux
Trois ans ? Et quand le ciel est noir,
Les jours d'orage, arrive-t-il
Encore qu'un homme reste seul avec une femme ?
Non, je ne reverrai plus ce monde… »
Il dit, et la Terre l'engloutit.
(Fin du texte précédent. Mis au point sur l'original pular, griffonné, avec Dyulde Laya, étudiant Pullo de Say, à Dakar, le 3 février 1961. Transcription phonétique, non normalisée, avec distinction (significative ?) d'un o ouvert et d'un ô fermé accent « tonique » indiqué par ' ; deux tons graves descendants ɗo (ici) et to (bon claquantes (glottalisées) bien nettes (Ɗ, Ɓ).
O wi'i: de a waarali ji'a dunya, a tuuban — na ?
Il dit lorsque toi revenir pour voirce monde, toi convertir — est-ce que
O wi'i: ko waɗi ko mi yi'ata dunya ?
Il dit quoi fait que moi ne pas voir ce monde ?
O wi'i ɗo, suuka debbo (yarnaama fa
Il dit ici, jeune fille (abreuvée jusqu'à
Haari, 'enɗi mum na waara — warde), na ton e dunya —na ?
Rassasier, sein d'elle lui s'avance), elles là dans ce monde — est-ce que ?
O wi'i: ɓii — gelooba, waɗa duuɓi tati, na ton —na ?
Il dit : enfant — chameau, faire année trois, lui là — est-ce que ?
O wi'i: kammu nangaɗo — nangaɗo, neɗɗo naatuɗo e debbo
Il dit : ciel très noir d'orage, une personneentrer avec femme
O wi'i : na ton
Il dit : lui là
O wi'i to! mi hootata dunyaaru kaden
Il dit : bon moi je ne retournerai pas dans ce monde encore
Leeydi moɗi mo
Terre avaler lui.
Ɗo fuɗɗi kiiram
Ici commencer jalousie
(Verbes : yar-nude (abreuver) ; hod-de (habiter), hott-ude (retourner). — Expression : kammu nangi: Il fait orage).
Ce sont de courtes pièces de vers (ou très rarement en prose) qui rappellent par le rythme et le sens les hai kai japonais ou les pantun malais. Ils traitent de sujets les plus variés, mais le plus souvent touchent la vie sociale. Leur longueur est variable. Tous sont originaires du Maasina, sauf les trois derniers qui ont été recueillis au Niger.
ɗaaniiɗo e mayɗo? — So fini, laatike gurɗo. | L'endormi et le cadavre ? Oui, mais s'il se réveille, il redevient vivant. |
Jelbuɗo e nyawɗo ? — So haari, latike celluɗo. | L'affamé et le malade ? Mais, rassasié, il devient bien portant. |
Kolɗo e maccyuɗo ? — So holti, latike dimo. | Celui qui est nu et le serf ? Mais, s'il prend un vêtement, c'est un homme libre. |
Jemii na ɓuri nyaloma ? — Andude hadi. | La nuit vaut mieux que le jour ? Pas pour la connaissance des choses ! |
Gilli ɓuri dimdaaɗo? — Ndongu hadi | L'amour vaut mieux que le mariage ? Pas pour la postérité engendrée ! |
Jina ɓuri dewgal ? — Mbeengu hadi. | L'amitié vaut mieux que les liens du sang ? Pas pour l'héritage ! |
Je n'aimais pas la mauvaise femme :
la maison vide me l'a fait aimer.
Je n'aimais pas le souper tardif :
la nuit sans manger me l'a fait regretter.
Je n'aimais pas le champ éloigné :
le prix du grain me l'a rendu cher.
Je n'aimais pas qui me donnait peu
je l'ai aimé, en voyant celui qui ne me donnait rien,
Je n'aimais pas le médisant :
le brutal m'a fait aimer la mauvaise langue…
Le Bon Dieu a créé, huit choses, par paires — qui se sont dédoublées :
Gain et satisfaction,
Science et éducation,
Amour et confiance,
Maison et sûreté.
On gagne, sans être jamais content
on s'instruit, sans s'améliorer ;
on s'aime, sans avoir confiance ;
la famille n'est plus un foyer.
I
Le fils d'un manant a honte de son père :
l'homme sans père lui fait passer la honte.
Le borgne a honte de son oeil unique
l'aveugle lui fait passer la honte.
Tu as honte de ta culotte en loques :
le sans-culotte te fait passer la honte.
II
L'appel du muezzin ressemble au cri des pleureuses :
mais celles-ci font taire le muezzin.
L'assemblée en prières ressemble au corps de bataille :
mais l'armée fait cesser la prière.
Le marché ressemble au jugement dernier :
mais, ce jour-là, plus de marché
III
Tu supportes ton chef, tes parents et ton Maître ;
tu ripostes à ton fils, à ton esclave, à ta femme ;
tu houspilles le voleur, l'hypocrite et le sorcier.
IV
3 minceurs (le cou, les doigts, la taille) ;
3 rondeurs (l'oeil, la fesse , la cuisse) ;
3 clartés (les membres, les dents, l'oeil) ;
3 noirceurs (les cheveux, les gencives, les lèvres).
Kuuɗe jeego ɓuri fu tidde e aduna: Six choses sont difficiles, en ce monde
Haldee hawree — Parler ensemble et s'accorder
Waddee heddo — Entreprendre ensemble et rester ensemble
Heɓa heje — Obtenir et se contenter (ou : partager) ;
Bile nyeenya — Etre dans une situation critique et faire bon visage ;
Wawa sawro — Pouvoir et se contenir
Huto teddina— Avoir maudit et honorer.
J'ai entendu dire chefs par Hamadu Kooba : « il y a trois sortes de chefs :
Bismillâh!
Trois choses sans remède :
Sabi celi inna Arɗo ana liili
Parce que les tortillons de viande de la mère du prince sont mis à sécher au soleil,
Ana haaɗa cile Alla weyde na ?
Cela empêche-t-il les milans de Dieu de planer ?
(Ce que le peuple a retenu de plus clair dans les réformes de Sékou 5) :
Pucci-kampe = ɓe ƴakki be kampi : « Ils croquaient la cola en chiquant, tout en chevauchant; et quand ils avaient percé un ennemi, ils lui crachaient le mélange à la figure. »
C'est une blouse d'épine (saaya gi'e)
Si tu la mets, elle te pique (si a ɓorniina, yuwete) Si tu l'ôtes, tu as honte (si a bortima, a hersan).
Le lait têté est le lait qu'on fait revenir
A parents nobles, noble enfant — si toutefois le poil de chance a poussé sur son front !
Le noble se vante de toujours donner : o haaɓata.
Le griot, de savoir se faire donner : o haɗaaka, o haɗataake. Chacun y met son « honneur ».
Générosité = richesse
Richesse = habileté, bravoure.
Le noble est fort, il a beaucoup de gens à exploiter. C'est la morale de la caste guerrière — exploitée par les nyeenyo…
Les loisirs ne produisent pas toujours la civilisation : l'esclave, maintenu dans l'avilissement ; le noble, réduit aux fanfaronnades et à la galanterie ; les flatteurs et les parasites.
Les Clercs ? Ils se servent du courage des Nobles pour servir la Foi nouvelle, défendre la fraternité musulmane. Le travail servile leur laisse le temps d'étudier : une étude tournée vers Dieu.
Ginwnere ɓurnde tuuba | Petit pagne meilleur que culotte |
Bakkaba foolo nduhaba | Drapé, meilleur que coulissé, |
kewal ɓurngal gaawal, | Fuseau, qui vaut mieux que lance ! |
Debbo ɓurɗo gorko ! | Fille, qui vaut mieux que garçon ! |
Dungo mo wala giɗaali, | Douce pluie, sans éclair, |
Dungu mo wala ponali, | Pluie douce, sans tonnerre, |
Dungu lobbo, | Pluie délicieuse, |
Jaɓunde seyninde | Exquise, agréable fraîcheur… |
Auteur: Saydu, Maabo de Tahoua, Niger.
Ce n'est pas toi qu'on vend,
qu'on donne en gage,
qu'on expose au marché,
ou qu'on marie de force sois :
tranquille, sois sans crainte !
Que les oiseaux de ton coeur ne s'envolent pas
(kori poli ɓernde ma firay !)
Ne tremble pas !Petite fille de la panthère tachetée et griffue
qui a perdu son petit,
qui est gonflée de lait,
mais que nul ne vient traire.
Or baigné dans du lait (kange lotaade biraɗam)
on ne jettera pas l'or,
on ne répandra pas le lait !
Corps blanc,
qui refuse le déshonneur (saliindu semtende)
Auteur: Guro Ahmadu, maabo, Niger.)
1. Le sommeil (ɗoyngol) disait qu'il chasserait
la mort (maayde) ; la Mort n'a pas voulu ;2. L'amitié (yidde) disait qu'elle chasserait
la parenté (jeydal), car les élus de nos cœurs valent mieux
que nos parents : mais seul ton parent peut hériter de toi !3. L'amour (hiiro) 6 disait qu'il chasserait le mariage (koowgal)
Quoi de plus sot qu'un mariage ridicule ?
Mais franc mariage vaut mieux, car, au jour du Baptême,
Malheur à l'Enfant de l'Amour (ɓinngel-hiiro) !
Nul ne viendra purifier le petit bâtard (ɓi-jaalu).
1. O mo fu golle mun jokki !
Chacun sa tâche, et qu'il s'y tienne
2. Ceɗɗo tida e segade.
Pécheur, replonge ton filet
3. Pullo yo tin en sewre.
Toi, Pullo, garde ton troupeau
4. Ɓaleejo tin e tampirgo.
Nègre, conserve ta bèche (litt. « celle qui fatigue ») !
5. Bayillo tiiɗi e taneere
Forgeron, garde ton enclume
6. so tabital fa e leydi moƴƴa!
Pour habiter une bonne terre.
7. Moobo tida e alluuje,
Que le clerc soit à ses planchettes,
8. Nyalla windude ayaaje.
Tout le jour écrit ses versets !
9. Jaawanɗo tin e sogga sotta
Le courtier mène au marché et revend
10. Jogawo hongol fati sontu.
Beau parleur trouve preneur.
11. ɓi-'arɗo yo tin e gaali,
Fils de chef, colle à ta selle,
12. margawal, narra wolde,
tiens ta lance, entre au combat,
13. mbowa balaamal ndi mangu
toi qui es habitué à l'épaule des chevaux !
14. Taƴal caɓBh1e, jogo sawta,
Tailler les branches, tenir ton herminette,
15. wala ko sammi labbo wawde,
qui peut, frileux que toi, boisselier,
16. se'a ture, turbino woyru;
façonner braceleus et creuser mortiers ?
17. so woopi, yana e nyentinde!
Si tu rates, fais des cuillers !
18. Gawlo, tin e gattye,
Griot, reste sans pudeur,
19. Ɗum regodi e ngaalu maɓɓe
puisqu'ainsi tu t'enrichis
20. Maabo, tin e niire!
Tisserand, à ton métier !
21. Fowru, kam, tin e nimre.
Et Loi, Hyène, à la nuit noire
22. Foondu yo tin e jude.
Quand à l'oiseau, il doit voler.
23. Wotoru, mi ɗaldi tubako.
L'auto, je la laisse au Blanc ;
24. Caaru, mi ɗaldi capaato.
et la santé, pour le Maure
25. Caayako, ɗalde ndaneeri.
et l'argent, au bijoutier ;
26. Cagaaku ɗal du burdame,
au Touareg, son errance,
27. e wawaade du kanyum e waango
son bouclier et sa lance :
28. Ɗum ni woni mbaadi malɓe.
c'est ainsi qu'il fut créé
29. Bataru Cooki ɗaldaama,
Aux gens du Tyiki, laissons leurs mauvaises manières :
30. ka ton de jaande waali!
et pourtant, ils sont instruits !
Blouses rouges | Wojji woloji |
Riches en taureaux féconds | Wooɗi kayeeji |
Javelots barbelés | Seeɓi nyacce |
Doigts minces | Sewi peɗeeli |
Beaux en tête des mâles | Selli hoore gorɗi |
Généreux pour qui le salue le soir | Okki kinnuɗo |
Qui rosse le fauve du soir | Hotti kinnunga |
Beaux en tête des vaches | Aɗa wooɗi e hoore na'i |
Beaux en tête des brebis | Aɗa wooɗi e hoore bali |
Pique du bâton celui qui pique des cornes ! | Lukka lukkori |
Pâture à Durgarna, sous les nuages qui planent,
pâture à Singania, dans le vol des milans ;
dans le désert, en compagnie des fourmilières
et de la trace des antilopes ;
là ou il n'y a pas de poulets,
et où mugissent les vaches grises.
Il pleut,, la pluie s'arrête net ;
et son troupeau se serre.
Là où l'on ne sent pas la bouillie chaude
là où l'on n'a pas de tabac…
(Poème, ou « chant » (mergi) de 50 vers, sur l'occupation française au Maasina, l'arrivée des « hommes à peau claire », venus de la mer…
Nyande nden, Jenne, Jenne! Ah, ce jour-là, le jour de Djenné !
A leur arrivée, ils ont commencé par demander des œufs,
puis ils ont, réclamé des couvertures de laine,
ils ont dit qu'ils ont besoin de notre bétail,
et notre argent devint leur impôt.
Nos gosses vinrent apprendre à lire avec eux,
les vieux vinrent travailler chez eux,
les adultes se firent enrôler…
Ils comptent les vaches, ils rassemblent les malades,
ils se sont fins à exterminer les poisssons…
Ils ont marché sur nos sortilèges (kerte ɓe tippi e maaje)…
Les rires de nos enfants nous font pleurer,
car ils ont perdu l'habitude de s'exercer au combat.
Chant (mergi, ou gerfi) sur la Transhumance du Burgu, au Seeno, au Maasina, recueilli à Toggere Kumbe, en avril 1938, auprès du gerfotoɗo Kurka (ou Kurga) Samba Tyoy, de Dagada (griot-poète-chanteur) — 481 vers.)
354. Ni na'i namrata nanɗe leydi | Les vaches broutent les aisselles touffues de la terre. |
435. Nyayre ga'i ; nyaaji Fulɓe, | Les troupeaux de bœufs ; les Fulɓe se pavanent, |
Nyaale keddo ana mbeya. | les pique-bœufs restent derrière, à lambiner. |
456. Nyalande na'i, weende mayri… | Le jour des vaches, ce matin de la terre (litt. : d'elle)… |
466. Maaro haɓɓe e feyaaji | Le riz est lié dans les plaines |
467. Filkotooɓe e finotoɓe, | Par les belles aux boucles d'oreille d'or et de soie rouge, les belles aux yeux bleuis de kohol, |
468. Rewɓe jerme e tammaje. | les femmes aux tresses tintantes de piècettes. |
Les noix de cola
55. Goro ana nyalla jakkeede. | La cola est, au long du jour, croquée. |
211. Laamadu wela fetyeede. | Et l'amère cola, au matin, est croquée. |
385. Kaarɗo siga a sirri boomi, | Rassasié de colas et des secrets des filles, |
386. Siibo ƴiiƴam sigaaje. | suceur du sang des noix de colas. |
394. Suɓa goro ndokka ngo sukaɓe. | (Elles) choissisent des colas qu'elles offrent, aux garçons. |
(Poème de 215 vers (séances), par Hamfoje Soko Ndema. Titre : pofoje : « Les créatures, les êtres vivants, ceux qui respirent. » Racine fof—de respirer, vivre.) Exemple : vers 131 à 134 .
Ɓe ɓanta mo, ɓe paaha ulni'ndu | On le prend et on le met dans la terre, |
Sukkundu, fandu, yewniindu | Fosse profonde, étroite, solitaire, |
Asaandu yokolɓe, jookiindu, | Encombrante et creusée par des jeunes gens, |
Ndu heraali e ɗemɗe sompaaje… | Qui ne résonne pas aux coups de pics… |
Le buruuje 8 du Maasina (llanto espagnol) est le chant funèbre sur le mort ou sur celui qui va mourir au combat. Repos de la veillée d'armes. Dialogue des vautours. Peinture du jeune mort, qui était beau, habitué aux succès amoureux, qui n'a pas eu le temps de se marier. Description des blessures. — 148 vers (sans date, lieu, ou nom d'auteur).
Le jour où sonneront les trompettes de guerre,
le jour où l'on battra les grands tambours des chefs,
le jour où s'élèveront les lamentations des pleureuses,
où les brides se toucheront,
où les jeunes gens se ceindront,
où la main gauche tiendra les rênes
et la droite prendra les sabres ce jour-là ! (nyande nden).Le palefrenier dînera d'une poignée
et les chevaux dîneront de leurs mors
le vaillant, d'une noix de cola,
et le poltron, de mauvaise pensée.Par Dieu, si l'Incomparable (bajjel) est tué,
sa mère pleure, derrière la case,
son père pleure et caresse sa barbe,
l'adulte pleure et se bat la poitrine.
Et l'on voit les blessés traîner les morts.Le cheval noir a la croupe trempée
de la sueur du jaloux en fureur,
il est trempé autant qu'un orateur.
Les lances frôlent les cheveux trop longs,
et si la balle reste dans la tête,
la morve se répand dans le cerveau.
Le vaillant ne craint pas la poudre, et ses brûlures,
le vaillant n'a pas peur de se rompre les os,
il ne redoute pas les balles et leurs blessures,
tandis que le poltron fuit, maudit sa maman,
et ne revient à lui qu'avec les talismans.
Mais voici qu'on abat ceux qui bouchent les brèches :
ce n'est plus le moment d'astiquer sa lance !Notre main gauche est celle des largesses,
et notre droite est celle des paniers (de colas).
Si nos cuisses sont faites aux étrivières,
nos pieds sont façonnés aux étriers.
J'aimais les filles, les conciliabules,
le choc des bracelets et la honte nocturne.
Et je savais faire craquer mes doigts
et je savais me disputer les pagnes…
Humiliation ! C'est moi qui suis frappé ! (Aybo!) 9Connaissez-vous rien de plus pitoyable
que la mort d'un garçon qui n'était pas malade,
que la mort d'un poulain qui n'est pas enrhumé ?
Les voilà enterrés au fond des fourmilières,
avec leurs pieds se bâtiront les termitières
et les os de leurs mains claqueront leurs bravos.
Voici venir, en sautillant, le vautour mâle,
suivi de sa femelle, sur le corps
de ce garçon qui n'élait pas malade.
« Même s'il a mal agi, c'est dommage »,
dit-elle, « lui a-t-on jeté un sort ?
Ou bien a-t-il raté son coup ? » Le mâle
lui répondit « préservez-nous du mal ! »
Il ajouta : « Ce n'est pas un parent,
c'est un jeunot, ce n'est pas ton jeune homme…
Arrache-lui le nez, le ventre, je le prends !
Tirons bien fort, que les entrailles sortent ! »C'était un des galants favoris des villages,
un jeune homme accompli, avec de l'instruction,
qui hantait les ruelles aux rendez-vous volages,
à qui s'offraient les belles avec passion.Et voilà tout ce que Wordu Gooro raconte,
tandis que le récit de Baamu ne vaut rien :
il ne sait pas lui-même ce qu'il dit : méfiance !
S'il immole à soit hôte, il est avare et dur.
Il n'éprouva jamais s'il était vulnérable.
Jamais on n'eut à le guérir d'un coup de lance,
à extraire des morceaux de chair de son corps.
En personne, pas même en lui, il n'a confiance.Mais moi, je chante les louanges de mon Pullo,
et je teindrai en foncé les doigts de mon Pullo. 10
Résumé : Une lionne recueille et élève un enfant dont elle a mangé et tué la mère. Plus tard, l'enfant et un des lionceaux tuent la lionne. L'enfant vit avec le lion qui est son frère, sort inséparable ami. Hélas, un jour vient où la « femme » les sépare. Celle du garçon l'entend parler au lion, qu'elle traite de « bouche puante». Le lion, blessé dans son honneur, demande alors à son ami de le tuer.
— Sinon, je te mangerai !
— Alors, mange-moi, je ne te tuerai pas !
Et le garçon ajoute :
— Ta mère a mangé la mienne, et moi, j'ai tué la tienne. Je n'ai plus de parent, que toi : on ne peut pas tuer son père.
Le lion lui répond :
— Si tu refuses de me tuer, je jure de ne plus jamais te revoir.
Alors le garçon cède et lui dit :
— Je préfère encore te tuer, parce que je ne veux pas que tu refuses de me voir…
(Conte pular du Niger, donné par Sii Gungu Mayga, à Say, eu 1928 ?)
Trois hommes s'étaient mis en route et allaient leur chemin. Ils traversaient la brousse, pendant la saison des pluies, lorsque le ciel noircit, la tornade éclata. Ils ne savaient où s'abriter. Une falaise avait une caverne ; ils s'y réfugièrent. Ils y furent à l'abri de la pluie, mais l'eau se mit à tomber. En un instant il y eut tant d'eau que la falaise s'éboula. La grotte se referma sur eux…
L'un d'entre eux prit la parole :
— Si vous avez tous deux agi comme moi, nous serons délivrés, Dieu nous sortira de cette grotte.
— Qu'as-tu fait en ce monde ?, lui demandèrent-ils.
— Là où je vivais, un marabout recevait beaucoup d'aumônes, des gens lui donnaient des bœufs. Moi, j'ai pris une botte de petit mil, je la lui ai portée. Le marabout n'a pas voulu de mon cadeau : je suis allé la remettre au grenier. J'ai cherché un endroit désert de la brousse, j'ai débroussé et fait un champ; j'ai attendu que les pluies viennent, j'y suis allé avec la botte méprisée, j'en ai battu le grain, j'ai été le semer, j'ai bêché et sarclé — mon champ a bien donné ; je n'ai pas mangé un épi de la récolte ; j'ai fait un gros grenier de paille, j'ai tout rentré dedans; puis, j'ai attendu que la disette vienne ; personne n'avait plus de mil au village, sauf moi. J'ai alors vendu mon grenier, j'ai reçu en échange quatre têtes de bétail ; elles ont produit ; j'ai encore attendu que mon troupeau s'accroisse ; un jour l'homme de Dieu est venu dans mon village ; j'ai trait mes vaches, je lui ai donné le lait, il a bu — il a passé la nuit — au matin, il m'a demandé l'aumône d'un boeuf ; j'ai dit à mon captif de détacher tous les veaux ; j'ai dit au marabout :
— Tu vois ce troupeau de cent têtes et cet esclave ?
— Je les vois très bien.
— Je te donne tout.
— Bon”, a-t-il dit.
Il a reçu les bêtes, je l'ai accompagné jusqu'à ce qu'il soit loin je lui ai dit :
— La botte que je l'avais donnée, tu m'as dit que tu n'en voulais pas, la voilà !
Alors, la roche qui bouchait la grotte pivota et laissa un peu de jour filtrer.
Le second dit :
— Ah, si tu as fait ce que J'ai fait, moi aussi…
— Qu'as-tu donc fait ?
— J'avais fait la cour à une fille, depuis mon enfance ; elle ne m'aimait pas ; je lui faisais des cadeaux, tous les matins de Dieu ; elle s'est mariée, est allée habiter dans la case de son mari. Rien n'est arrivé ensuite, sauf la famine ; son mari est parti et l'a abandonnée, elle toute seule ; elle est venue me trouver pour me dire : donne-moi du mil aujourd'hui !
— Moi seul j'en avais: “ Je ne t'en donnerai pas,” ai-je dit.
— C'est bon !
— Parce que tu ne m'aimes pas.
— Je t'aime, par Dieu, a-t-elle dit.
— Eh bien, je n'ai jamais pu te posséder !
— Je le donnerai mon corps aujourd'hui. Ce soir au coucher du soleil, près du puits, il y a des acacias.
Je suis allé sous l'acacia, je l'ai attendue ; la femme est venue au crépuscule, elle est venue se coller à moi ; j'ai défait la ceinture de ma culotte, j'allais vers elle… elle m'a dit :
— Laisse, pour l'amour de Dieu et du Prophète !
— J'ai remis ma culotte…
La roche s'écarta un peu plus ; un homme pouvait passer la tête, mais la poitrine ne passait pas…
Il ne restait plus qu'un des trois compères — il ouvrit la bouche :
— Moi aussi, j'ai eu ce que je sais bien !
— Que sais-tu ?
— C'était la famine du Haoussa à aller au Bourma ; j'étais pâtre, je suivais les bœufs — j'avais ma mère, mon père, ma femme et trois enfants ; nous n'avions ni mil, ni légumes, ni champ, ni économies ; la pluie tombait, toutes les vaches avaient leurs veaux, une seule sans petit, une hewdawe restait, je l'ai traite dans l'obscurité ; j'ai apporté du lait a ma mère, elle a bu ; j'ai attendu que mon père fut réveillé, je lui en ai donné, il a bu lui aussi ; ce qui restait, je l'ai porté à ma case ; j'ai réveillé ma femme, elle a bu ; tous mes gens se sont rassasiés ; le reste, je l'ai donné en aumône aux petits mendiants de Dieu.
Alors, la pierre se souleva, l'ouverture bailla toute grande ; la falaise se fendit ; cela fit deux rochers, dont les noms sont « Haroun et sa femme » : Harun da Wende. L'une est, sur la rive gauche et l'autre sur la rive droite. C'est près de Naitiaro, en amont, sur la route de Gotey.
Kampôti naquit à Sakatou. Son père s'appelait Biaramondi, sa mère Poaba. Elle têta, fut sevrée, suivit sa destinée, devint nubile. Elle déclara :
— On ne m'épousera pas ! (howataake ! oo'o, mi kam howataake !) 11.
Son père lui dit :
— Si tu ne te maries pas, va-t-en dans la brousse !
Elle demeura ainsi, avec son père et sa mère. C'est alors que Tangomijo (ou Tangumba) apprit son nom. Tous les Gourmantché craignaient Tangunjo. Il vint chez les parents de Kampôti, il descendit chez eux, ils lui égorgèrent un bélier, ils firent tout ce qui se fait pour nu hôte. Il dit qu'il ne voulait rien, mais qu'on lui donnât Kampôti. Elle dit qu'elle ne voulait pas de lui ; ils le dirent à Tangoundio :
— Et pourquoi ne veux-tu pas de moi ?
— Je ne t'aime, pas ! Si on te coupait le cou, à toi Tangoundio, on ferait avec la peau une bonne outre qui ne fuirait jamais !
On lui a dit :
— Pourquoi lui dis-tu ça ?
— Moi, je sais, depuis qu'il va à la guerre, il n'a jamais tué personne et son cuir n'a jamais été troué ! Je ne l'épouserai pas !
Tangoumidio la gifla. Elle se leva, rentra dans leur case, prit un poignard, revint trouver Tangoundio, cacha son poignard comme ça :
— Tu ne m'auras pas , dit-elle.
— Pourquoi dis-tu ça ?
Il essaya de l'attraper par surprise. Elle tira le couteau, visa bien, il entra : le prétendant tomba, se redressa sur les genoux, il tâtait pour la saisir ; elle lui trancha la main ! Des jeunes gens coururent prévenir Biaramondi :
— Ta fille a fait un malheur !
— Je ne l'aimais pas dit seulement Kampôti (o wi tan : mi yiɗa mo !).
— Est-il bien mort ?
— Il est mort, parbleu !
Le père de Tangoundio, Aljuma Bajjo, montait à cheval. Il apportait des cauris pour la dot. Il arriva devant les cases. On lui dit :
— Où vas-tu ?
— Je viens conclure le mariage de Tangoundio
— Tu peux te reposer !
— Pourquoi donc ?
— Ton fils a été tué !
— N'était-il pas venu se marier ? Je n'ai pas vu sa tombe !
Kampôti apprit sa venue. On raconta à Aljuma son audace et sa force. Elle fit sortir le corps de Tangoundio, le mit dehors. Elle dit :
— Donnez-moi le fouet.
Le père mit pied à terre ; il dit :
— Où est mon fils ?
Le père de Kampôti lui dit :
— Demande ça à ma fille !
— Où est mon enfant ?
— Je l'ai tué, dit Kampôti.
— Ce n'est même pas un homme qui l'a tué, rien qu'une femme!
— C'est moi.
— Bon, tu verras ! Mène-moi voir mon fils !
Il trouva qu'il puait déjà :
— Je vais l'emmener dans mon village, pour l'enterrer.
— Tu ne l'auras pas !
Elle prit son fouet, elle battit le cadavre. La mère lui disait :
— Pourquoi fais-tu du mal ?
— Je n'aime pas ma vie, dit Kampôti ! (o wi : mi yiɗa yoonki !) 12
— Est-ce qu'on frappe un cadavre, lui dit son père ?
— Si le mort est battu, le vivant aura peur ! Si les caillous sont croqués, l'épivert se sauvera !
Kampôti mit la selle sur le cheval de son père — elle prit les tresses de sa coiffure, les noua par-dessus sa tête, elle mit un bonnet, deux boubous et une culotte à grands plis, monta à cheval, saisit deux lances et un sabre. Le père de Tangoundio monta aussi à cheval. Il voulut mettre le feu au village. On prévint Kampôti.
— Ca m'est égal, dit-elle.
Elle galopa à sa recherche. Aldiouma Badio la vit :
— Bienvenue, grand chef des Nègres, lui dit-il.
— Merci, tu me fais grand plaisir !
Ils engagèrent le fer, il donna de la lance sur la fille, la manqua ; elle aussi le manqua ; leurs étalons se cabrèrent, se battirent ; celui de Kampôti renversa la monture du guerrier ; ils buttèrent. Kampôti le terrassa, l'attacha serré, l'amena dans l'enclos de son père.
Puis elle quitta le village, dit qu'elle allait piller Bunda, au Dargol. Ce pays-là ne savait pas qu'elle était une femme. Elle « mangea » village sur village. Elle alla jusqu'à Réhenna, au « marché neuf », où elle passa sept jours, sans parler à personne. On disait : « Hourourou, sur Kampôti ! Que Dieu ne l'amène pas par ici. » Quand elle sella son cheval, elle dit :
— Je pars tout de suite… Vous ne connaissez pas Kampôti, ajouta-t-elle.
— Nous ne la connaissons pas, dirent-ils.
— Kampôti, moi je voudrais bien la trouver, dit Koumaï, le chef du village.
— Oh, elle n'est pas venue par ici ?
— Je sais qu'on dit que c'est une femme !
Alors elle dit, en se redressant :
— C'est moi, Kampôti. Que tu me tues ou que tu m'épargnes, c'est bien moi ! Tous les jeunes gens sellèrent leurs chevaux. Elle alla, par derrière, incendier leur village. Le feu dévora le village, case par case. Ils sortirent, ils l'entourèrent, la cernèrent pour la tuer. Mais rien n'arriva, sauf qu'elle dispersa tous les cavaliers et leur échappa.
Asaya, fils d'El-Haydu, père des Touareg, apprit, son nom. Il arriva un jour à l'acculer, sans issue. Elle lui dit :
— Asaya ! tu ne connais pas les Gourmantché !
— A présent, tu as fini tes exploits !
— Cela m'est égal, je suis une femme qui fait le travail des hommes, je me fous de toi !
— C'est bon, dirent-ils, tu as bien agi. Mais, Kampôti, laisse à présent les hommes faire du travail d'homme !
— Une félonie ne mangera pas ma part : un homme n'oserait pas !
Assaya dit encore :
— Demain ce sera fini, ce sera pour moi ! Bon réveil !
Elle passa la nuit. Au jour, tout le camp se mit en selle, un millier de mors, et partit à l'assaut. Ils dirent :
— Kampôti, le salut sur toi ! Nous ne t'avons pas prise en traître. Mets ta selle ! Ce sera pour la dernière fois.
Elle dit :
— Soyez les bienvenus !
Elle sella soit cheval, et mit son talisman (Hama e Hampeete) dans sa poche. Les chevaux s'ébranlèrent. Elle les dispersa tous. Elle les mit en fuite, elle revint au village de Réhenna, enleva tous les bœufs, moutons, chèvres, ânes, les rassembla dans le parc. Les gens étaient devenus, les uns, frappés de stupeur, les autres, fous furieux.
Elle partit en poussant le butin devant elle, retourna à soit village. Son père et sa mère apprirent qu'elle revenait, mais quand ils virent cette colonne, il se sauvèrent, grimpèrent sur les falaises, ils se dirent : « Elle est morte ! » Elle envoya un serviteur ouvrir la porte de l'enclos ; elle trouva ses parents partis, mit pied à terre ; petits et grands, jeunes et, vieux, chefs et pauvres gens, mariées et divorcées, tous apprirent, le nom de Kampôti.
Pori, lui, habitait au château de Pori (birnyol Pori). On disait de lui : « Pori, c'est le venu qui l'a mis ait monde » (hunde maddi ɗum dunya). Lui aussi entendit parler de Kampôti. Il aurait voulu la rencontrer. Il avait trois chevaux et sa lance : hassa ɓe lata (« laisse les tuer » !) Cela dura quelque temps ainsi, sans événement. Kampôti dominait au Midi, vers le Bargou — elle laissait le Nord tranquille.
Pori dit :
— Quand les pluies seront passées, quand le mouillé sera sec, que les récoltes seront couchées, Pori te rendra visite.
« La Tête qui tourne », Baba Ayati, ancêtre des Gourmantché de Faïra, vint chez Pori, lui dit :
— Je te paierai tribut, je serai ton allié.
— Attends, dit-il, en ce moment la guerre ne vaut rien, elle gâte le mil.
Ils attendirent donc, depuis les semailles jusqu'à la moisson.
Un jour, il dit :
— Si nous allions un peu voir son bétail.
Or, elle possédait une vache : Hamrel, elle seule buvait son lait. Son berger, « celui qui prend garde à sa tête », la gardait. Pori et ses gens trouvèrent la bête près d'un puits, ils l'enlevèrent. Lorsque Kampôti ne vit plus Hamrel, elle dit :
— Allez me ramener mon troupeau !
Les serviteurs ramenèrent tout, le bétail, pas d'Hamrel :
— Nous avons fait ce que tu as dit, dirent-ils.
« Celui qui prend garde à sa tête » vint et dit :
— Hamrel a été prise !
Elle tira son sabre, lui coupa le cou :
— Qui en est capable ?
Un jeune Pullo lui dit :
— C'est vrai !
Elle le transperça. Enfin, un lépreux se leva, lui dit :
— Kampôti ?
— Oui ?
— Tu as mangé le Gourma (a nyami Gurma), tu as mangé Réhenna, c'est à toi ! Fulɓe et Nègres, tout est à toi ! Je ne suis, moi, qu'un lépreux, tu ne me tueras pas ! Ta vache a bien été enlevée.
Alors elle dit :
— Tu dis vrai ! Mettez-moi ma selle !
Pori emmenait la vache ; où elle s'arrêtait, il passait la nuit. Elle fit une grande armée de Gourmantché et de Fulɓe, s'allia à Zazo père de Gounnar, ancêtre des Bariba. Ils, se rassemblèrent, cherchèrent la rencontre. Pori, lui, s'était allié aux Touareg.
Pori dit :
— Allez dire à Kampôti que c'est moi qui ai enlevé sa vache
— Bienvenue sur toi, dit Kampôti, tu me fais grande joie.
Ils se préparèrent, des deux côtés, au combat.
La lutte dura une journée, nul ne put vaincre son adversaire. Pori dit :
— Moi, Je vais me coucher !
Les Touareg étaient pour Pori, les Bariba pour Kampôti. An cours de la nuit, elle prit sa boîte à talisman, la calebasse magique, et la secoua. Elle entendit « hurler les races », mais les Gourmantché et les Bargankoɓe (Bariba) ne répondirent pas. Elle fut inquiète et dit : « Aujourd'hui, je ne sais pas ! » (handen, mi ‘anda). Le combat recommença. Un enfant « enleva » son cheval, arriva sur Kampôti, la visa de sa lance, qui alla se ficher dans le sol. Elle s'écria :
— Tu me fais honte, je ne me bats pas contre les enfants !
Personne ne savait que c'était une femme. Enfin, le choc se produisit. Pori pointa de la lance, trancha du sabre, la tua, lui coupa le cou. Ils lui retirèrent ses vêtements, la trouvèrent femme. Ils dirent :
— Regardez, c'est une femme !
Ce jour-là, Pori conquit le pouvoir.
Notes
1. Litt. : « ceux qui sont pus » vs. ceux qui peuvent (Vieillard, 1940, p. 116).
2. Texte pular du Maasina ; traduction de V. M. (d'après mot à mot d'A. Hampaté Bâ ?) — En somme, 4 conseils : justice, crainte de Dieu, honte et patience.
3. « Cissé », nom d'honneur donné aux marabouts réputés du Maasina (Gaden, 1931, p. 154).
4. Conte fulfulde du Niger, récité par le griot Si Gungu Mayga (Say). — Au Sénégal, chez les Wolofs, c'est l'histoire d'Umaru Mikhayshi (?), thème d'un chant magique (burdu), dérivé de l'arabe, mèlé de considérations sur la mort, mais utilisé par des « spécialistes » pour « attirer les femmes ».
5. (1818-1845), fondateur de la Dîna, Etat théocratique du Maasina.
6. hiiro, selon Laya, 1961 : cour nocturne faite à une jeune fille — l'amour courtois (ap. Seydu Amadu).
7. buruuje. C'est la « borda » arabe.
8. Aybo: mortification, humiliation (Niger, Mâsina) ; tracas, tourment, privation, misère, souffrance (Fuuta-Jaloo) ; voracité, gloutonnerie (Fuuta Toro). C'est ce que Louis Massignon appelait : « calcination littérale ».
9. J'ai « repris » cette traduction, en la rythmant et en la soumettant à l'assonance.
10. Le pronom mi est sous-entendu ; kam est un intensif ; how-de : épouser.
11. Exclamation étonnante, désabusée, désenchantée ; le yoonki du Niger est le woonki dit Sénégal et signifie : âme, soufle ou principe vital, vie.
12. Cet admirable récit a été donné à G. Vieillard par le griot Sii Gugu Mayga, alors fixé dans un village près de Say (Niger), qui avait séjourné longtemps en pays gourma et mossi et est mort en 1950. Je l'ai repris, sur l'original fulfulde, avec un étudiant originaire de Say, Dyouldé Laya.