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Vincent Monteil
1888-1935

Contribution à la sociologie des Fulɓe. Le « Fonds Vieillard » de l'IFAN (Dakar)
Bulletin de l'I.F.A.N. Tome XXV, série B, nos. 3-4, 1963. pp. 351-414


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Avant-propos

Ces inédits de Gilbert Vieillard présentent un vif intérêt. Les textes littéraires qu'il a recueillis sont souvent, d'une beauté extraordinaire. Ils montrent à quel degré, au-delà d'un folklore sans portée, la culture peule atteint à l'universel et contribue à la civilisation de l'Homme. Les notes sociologiques sont d'une grande variété el d'une richesse remarquable. Le tour personnel du journal de route est, parfois, émouvant, avec, toujours présente, la touche d'humour et de réflexion malicieuse. Partout et toujours, l'amour des Fulɓe. Bien sûr, certaines expressions « datent » quelque peu, certains jugements paraîtront, un peu trop exclusifs. Mais l'ensemble valait la peine d'être publié.
Je ne prétends pas, d'ailleurs, avoir épuisé le « Fonds Vieillard » . Il y a encore bien des trésors à en extraire. En particulier, le linguiste aurait grand profit à relever, systématiquement, tous les termes ou les tournures des trois grands domaines étudiés par Vieillard : Fouta-Dyallon, Niger, Mâsina. En attendant, on déplorera profondément la disparition prématurée d'un chercheur de grande classe, de grand talent, d'entière bonne foi.
Et l'on approuvera chaleureusement l'initiative de M. Cheikou Baldé, directeur du Centre de Recherches Guinéennes, à Conakry, qui souhaite consacrer à Gilbert Vieillard un numéro spécial de Recherches Africaines. — Vincent Monteil

Introduction

On sait qu'environ cinq millions de Fulɓe sont actuellement dispersés, en Afrique occidentale, sur 4 000 km, entre l'Atlantique et le Tchad. Ils s'appellent eux-mêmes en général Fulɓe (sing. Pullo) et leur origine, leur langue, leur culture posent un problème énigmatique, autour duquel des Européens ont souvent, développé un vérilable romantisme peul.
Dispose-t-on d'assez d'éléments pour classer les Fulɓe dans la « race ? Entre 1916 et 1950, la Mission anthropologique de l'Afrique occidentale française a examiné 52 Fulɓe du Fouta de 25 à 50 ans, et les a comparés avec autant de Maures de Mauritanie et de Wolofs du Sénégal, pour conclure, avec le Professeur Pales : les Fulɓe sont moins grands que les Wolofs, plus élancés que les Maures, au crâne étroit et allongé, au nez long plus large. En somme, « tout se passe comme si les Fulɓe tenaient le milieu entre les Maures et les Wolofs » — mais le Dr Pales précise : sans qu'ils soient le iésultat d'un croisement entre eux.
En Afrique noire, la polygamie, l'esclavage et les guerres ont entraîné d'immenses brassages de sangs qui ne permettent guère de parler de races, c'est-à-dire de « groupements naturels d'hommes, présentant on ensemble de caractères physiques héréditaires communs » . Aujourd'hui, on constate que des populations, apparemment fori différentes et abondamment métissées, sont confondues sous le nom de Fulɓe. Tout ce qu'on peut dire, c'est que cinq milions d'Africains environ ont actuellement en commun une langue dite peule (pulaar ou fulftilde). Ils vivent pour moitié au Nigeria du Nord, et pour le reste en Afrique d'expression française : un million en Guinée, 500 000 au Mali, 300 000 au Niger, 250 000 peut-être en Haute-Volta et 250 000 au Sénégal. A ces derniers il faut ajouter 400 000 Toucouleurs qui sont en réalité, de simples « pullophones » (haal-pulaaren).
Quant aux hypothèses sur l'origine orientale ou égyptienne des Fulɓe, leurs partisans doivent reconnaître, avec Maurice Delafosse (Haut-Sénégal-Niger, 1912, I, p. 211), que « d'après toutes les traditions recueillies à diverses époques chez les Fulɓe des différentes régions du Soudan, les tribus foulbé, échelonnées depuis le Bas-Sénégal et le Fouta-Djallon jusqu'aux pays entre Tchad et le Nil, déclarent à l'unanimité être venues du Fouta sénégalais ou du Mali, c'est-à-dire des contrées situées entre l'Atlantique et le Niger » .
En tout cas, sans doute y a-t-il lieu de distinguer, avec les intéressés eux-mêmes, entre Fulɓe « rouges » (Woɗaaɓe) et Fulɓe « noirs » , articulés en deux clans « rouges » (Ja et Soo) et deux clans « noirs » (Baa et Bari), alliés entre eux par des pactes, dont le nom (denɗiraagal) est celui qui désigne la parenté entre cousins germains.
La langue peule a toujours intrigué. Pour Lavergne de Tressan (IFAN, 1952-1953), elle devrait être étudiée isolément, à part. Ses caractères distinctifs seraient :

Le problème demeure de savoir si les Fulɓe ont emprunté leur langue à leurs voisins sénégagalais les Serères (Homburger, Delafosse), ou si c'est le contraire (Tressan). Charles Monteil aurait plus volontiers rapproché les racines pular du soninké ou du mandé.

Gilbert Vieillard était un de ces Administrateurs de la France d'Outre-Mer passionnés pour leur métier, les Africains et l'Afrique. Sa carrière lui avait permis de fructueux séjours ait Fuuta-Jalon, au Maasina soudanais et au Niger. Ses principales publications sont les suivantes :

Après sa mort, à 40 ans, sur le front français, à Vaucouleurs, en juin 1940, ses papiers ont constitué, à Dakar, à la bibliothèque de l'IFAN, les liasses du « Fonds Vieillard » . Plusieurs spécialistes ont, déjà travaillé sur ces dossiers, notamment Lavergne de Tressan et Ahmadou Hampâté Bâ. D'autre part, presque tout ce qui concerne le Fuuta-Jalon a déjà été exploité dans les publications signalées plus haut. Reste surtout la documentation concernant le Mâsina et le Niger. Elle est assez considérable et touche à peu près à tous les problèmes concernant la sociologie des Fulɓe : le pays et les hommes, les coutumes, l'histoire. Les textes originaux sont parfois recueillis directement de la bouche des informateurs, parfois transcrits en caractères arabes. De nombreux dessins sont dispersés à travers le texte. L'ensemble se présente comme des liasses de feuilles de papier de brouillon, pas toujours faciles à déchiffrer, avec des redites et des repentirs.
Le dépouillement de ce fonds, auquel je me suis livré entre 1959 et 1962, à Dakar, m'a permis, faine de pouvoir tout exploiter, de dégager et de mettre à part un certain nombre de documents particulièrement dignes d'intérêt. Non sans quelque arbitraire, je les présente ici en quatre grandes catégories :

Chaque fois que possible, le texte (original ou les expressions peules seront reproduites. La transcription a été normalisée 1 et, endes objections évidentes et justifiées d s spécialistes, les lettres doubles ont été conservées pour les palatisées (dy, ty, ny) et la vélaire ng. Les sonantes sont rendues par y et m. Les glottalisées sont en majuscule D et Dy. Les voyelles longues sont géminées. [Voir ma notice à ce sujet. T.S. Bah]

Les traductions françaises sont celles de Vieillard, parfois légèrement retouchées d'après le texte original. Dans certains cas, qui seront précisés, une traduction nouvelle, rythmée et assonancée, a été entreprise.

Notes
1. Sur ses brouillons, Gilbert Vieillard ne note pas toujours les voyelles longues, ou les « glottalisées » (claquantes). Il transcrit rarement, par un q, ce qu'il appelle « à peu près gn dans baignoire » , un son différent de n mouillé (ny) et de n vélaire (ng), eu initiale. C'est un a vélaire, puisque mordre (ŋatde) est transcrit qalde par Vieillard. — J'applique l'alphabet standard du Pular/Fulfulde, voir notice (Tierno S. Bah)

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