De nombreuses notes de Gilbert Vieillard concernent la société fulɓe du Maasina, du Niger et du Fuuta-Jalon (celles-ci n'ont pas toutes été exploitées par ses publications). On pourrait les classer, en gros, en quatre rubriques :
Fulfulde ana tiiɗi — Le Fulfulde est difficile
Rime e Fulɓe — né chez les Fulɓe
Mawna e Fulɓe — grandi chez les Fulɓe
Waawa Fulfulde. — peut le fulfulde…
Coutume qui consistait à couper les jarrets d'une bête, pour obliger à la faire égorger : par son père, par exemple, ou par son oncle maternel (maani soɗanaama ngaari).
A rapprocher de la coutume des Berbères, qui sacrifiaient ainsi les animaux tués, pour demander la protection d'un fort ou implorer son pardon.
Les Fulɓe distinguent entre :
Les Fulɓe donnent souvent des noms haaɓe (nègres) aux enfants posthumes, ou aux enfants nés après la mort de leurs aînés en bas âge. De même, les Maures donnent des noms toucouleurs en pareil cas. (Niger, 1928.)
Le berger (Pullo boɗeejo) qui garde les animaux du village, a droit au lait du vendredi et du lundi. Si le propriétaire des vaches va traire, le berger refuse d'aller garder les vaches (observé).
Chez les Bahaaɓe du Seeno, c'est la femme qui trait (Maasina).
Les itinéraires des vaches, à leur retour des pâturages d'été, sont considérés comme des droits très importants, surtout à partir du monient où ils entrent dans la zone encore inondée, en automne : cet itinéraire se nomme gumpol (de jumpude, patauger). Ils sont quelquefois écrits, eu conservés par les jom-wuro ou chefs de campement, sous la forme suivante : tel lieu, séjour x, jom-wuro, etc. Le plus souvent, ils sont appris par coeur — et mis en vers. En pays sec, ce cheminement se nomme burtol.
Les tribus du Maasina ont toutes des droits de passage héréditaires, mais les derniers venus (au cours du XIXe siècle) n'ont aucun droit : « ils ne possèdent pas un brin d'herbe. » Par ex. : les Uwarɓe de la rive gauche (chassés du Ba Kumu par les Wolarɓe de l'Ouest) et les Fulgankooɓe de la rive droite (établis au bord de la falaise).
Au Fuuta-Jalon, jadis, « les vrais exploitants » étaient les « grands électeurs » (seediyaaɓe) (représentant et réunissant les 4 teekun (quartiers rivaux) qui nommaient l'Almami et les chefs de province (diiwal) et de paroisse (misiide) et constituaient une assemblée consultative.
Erratum — Il s'agit là d'une sérieuse méprise. Les Seediyaaɓe sont des Fulɓe du clan Bari ; ils tirent leur nom de leur aïeul Seedi, frère de Seeri, qui est l'ancêtre des Seeriyaaɓe. A la fondation de la théocratie du Fuuta-Jalon, les Seediyaaɓe furent désignés dans l'exercice du pouvoir central confédéral à Timbo, les Seeriyaaɓe reçurent le privilège du sacre ou intronisation (taarugol meetelol Almami) du nouveau souverain dans leur fief de Fugumba. Lire Paul Marty “les pontifes de Fugumba” — Tierno S. Bah.
Double influence :
Au Maasina, comme en beaucoup de régions d'Afrique Noire, on trouve des poètes, des gens dont le métier est de déclamer, de réciter, de chanter. Ils sont de familles diverses. Sont-ils des gens de métiers héréditaires ? Il faut distinguer : il y a des gens de castes, généralement musiciens joueurs d'instruments, ou ouvriers maabo (pl. mabuɓe), labbo (pl. lawɓe).
Le maabo est un homme appartenant à un clan de gens dont l'occupation principale a été le tissage. Mais il faut distinguer les métiers effectivement exercés et les castes d'artisans. On trouve au Soudan des castes d'artisans. On vous dira : celui-ci est un maabo (c'est-à-dire : appartient à une lignée ou le tissage est l'occupation héréditaire). On a ainsi :
Mais il s'en faut bien que tout homme casté soit un artisan — et que tous les artisans soient des gens castés.
Outre son métier manuel, l'artisan casté a fréquemment un « second métier » , qui peut l'aider à le faire vivre, ou même devenir son métier principal ou soir occupation unique : c'est le rôle d'intermédiaire. Selon les sphères sociales, cela tient de l'entremetteur, du messager, de l'espion, du Grand vizir ou de l'ambassadeur.
En effet, les familles soudanaises ont entre elles des rapports réglés par un protocole héréditaire, souvent compliqué. Très souvent, leur honneur leur défend les rapports directs, comme il leur défend certaines occupations. Les gens de caste sont là pour mettre en rapport ces groupes sociaux, petits ou grands : familles, Etats. Ils amortissent les chocs.
Tout Européen qui a vécu en Afrique a éprouvé plus ou moins cette horreur des rapports directs — d'homme à homme. Les Soudanais adorent tâter le terrain. Toute demande (demande en mariage, demande de quelque chose) n'est, autant que possible, pas présentée directement par l'intéressé : votre cuisinier veut une avance, il vous fera de préférence parler par le boy, et réciproquement, ou bien rédigera une lettre — qu'il vous présentera. Si nous acceptez : bon ! Si vous n'acceptez pas, il n'aura pas la honte du refus.
Il en est de même pour les mariages, les divorces et les tractations qu'ils comportent — les brouillés et les raccommodages qui sont la règle dans les ménages soudanais. Dans les matières sexuelles, les « convenances » interdisent souvent aux parents de s'occuper en personne du mariage de leurs enfants. Leur présence est généralement interdite au cours des cérémonies des noces. Tout se passe par mandataire, par personne interposée.
Les relations entre nations se traitaient de la même façon entre guerriers, les entrevues sont difficiles, l'amour-propre empêche les réconciliations ; les fanfarons ne peuvent demander la paix — leur honneur le leur interdit. Or, l'homme de caste, neutre, est tout indiqué : il saura arranger les choses en ménageant les amours-propres. — S'agit-il de vendre, d'acheter ? Un homme libre n'ira pas proposer la vente lui-même, en dévoilant ainsi sa pauvreté, ses besoins. D'où le rôle des courtiers sur les marchés soudanais.
Qu'y a-t-il à la base de cette division des besognes ? De la paresse, certainement (on fait agir autrui, pour éviter un effort — mais surtout de l'orgueil et de la crainte : ne pas s'engager, faire semblant, cacher son vrai désir, ses vrais besoins, ne pas s'exposer à la « honte » (semteende, kersa, kumiga, haw) — cette honte, seule capable de causer les rares suicides africains.
Les gens castés sont aussi les inusiciens et, les poètes — soit que ce soit un accessoire de leur profession, soit que cela soit l'occupation essentielle. La vie des Soudanais a besoin de musique : noces, funérailles, circoncisions, épreuves de virilité, travaux agricoles, marche, rameurs, réceptions des chefs, distractions au cours des loisirs.
Le musicien accompagne et chante le travail et le loisir. Le tisserand, l'ouvrier en cuir, le boisselier sont souvent les musiciens du groupe social. C'est vrai du maabo (les chanteuses maabo du Tarikh), du gargasaajo (ouvrier en cuir), du labbo (boisselier). Les lawɓe des Fulɓe du Mosi, par exemple, sont chanteurs et musiciens. Ce rôle est tenu au Maasina par le maabo. Il ne semble pas que le forgeron soit, en même temps, musicien.
Maabo mbelɗo kolli, mbelɗo ɗemgal, mbelɗo koyngal 4 ; — le Mâbo est agile à la guitare, de la langue et sur ses pieds 5.
Ce dicton pourrait servir d'exergue à tous les gens de caste.
Cependant, les gens non castés, libres ou esclaves, se sont permis de se livrer aux occupations des hommes de caste, quoique ceux-ci protestent. Au Fuuta-Jaloo, les maîtres mettaient leurs esclaves en apprentissage, pour avoir des artisans domestiques plus soumis, plus économiques que les gens de caste. D'autre part, les esclaves émancipés ou évadés adoptent souvent des métiers plus rémunérateurs que la culture et qui satisfont le goût du vagabondage.
De même, l'étranger, à qui les hasards de la vie imposent l'expatriation, s'installera tisserand, faiseur de sandales. Des gens libres, ruinés, feront de la mendicité déguisée, en se faisant chanteurs ambulants (comme les Sangaje, à Say). La musique ne paraît pas toujours laissée aux gens de caste : le héros Ham Aloseyni jouait du julukele, et il n'est pas le seul : le hoddu (instrument à cordes) est le divertisseur.
Quant à la poésie récitée, elle est quelquefois composée par des gens de toute origine mais presque toujours d'humble origine : un maabo, un forgeron d'origine boobo, un berger pauvre. Peut-être pourrait-on parler, timidement, de « don » : il y a, en effet, composition, et ces poésies ne tombent pas toujours dans l'anonymat… Quel est le rang du poète, dans la société soudanaise ? Très humble, doit-on répondre, comme règle générale. Le poète est un pauvre diable. Il peut arriver qu'un homme de caste arrive à de hautes situations, s'il sait se concilier la faveur des grands et des riches : c'est à son intelligence, à ses qualités de diplomate ou de guerrier, qu'il doit sa réussite, et non à ses qualités techniques d'artisan, de musicien ou, encore moins, de poète. Certains ont une renommée locale de bons diseurs à langue bien pendue, mais on ne leur accorde pas pour cela honneurs et richesses.
Aujourd'hui, Il ny a plus de chefs puissants, mais il y a encore des gens riches, des jeunes gens fanfarons et orgueilleux. Aussi, les griots jouent toujours un rôle.
L'évolution des artisans paraît plus poussée que celle des autres classes. A distinguer : certains forgerons, etc. ; au contraire, lawɓe, potières, restent archaïques et méfiants ; tailleurs et brodeurs (le tailleur possède on loue une machine; mauvais esprit musulman 6 (id. pour le brodeur) : ce sont des métiers honorables, généralement exercés par des talibaɓe). … L'abîme qui sépare le buguru d'un Pullo teliko, où logent famille et veaux, et le wageeru d'un notable du Fuuta ou de Timbi, entouré de son jardin planté d'allées de caféiers fleuris et d'orangers ! …
Le « canon » de la beauté physique est séduisant : « mince de taille, large de poitrine, taille de guêpe-maçonne, bras longs et minces, petit col gracieux, petit nez bien tiré, visage de clarté » .
Les allusions galantes ne sont pas sans gaillardise. Tel terme mitagol ou bitila désigne expressément « le fait de se glisser la nuit dans une case et d'y posséder une femme par surprise, à tâtons » (Niger, Say).
Certaines bonnes histoires ont la crudité des fabliaux de nos pères [français]. Telle celle du « lézard de maman » (Niger) : un amant, pressé et prudent, perce un trou dans le mur du fond de la case et, sans se montrer, comble sa belle. Un beau jour, l'enfant s'écrie : « Papa, regarde le lézard de maman ! » Le mari sectionne le corps du délit, le fait cuire et le donne à manger à l'épouse adultère, qui se met à pleurer, tandis que le gosse dit à son père : « Tu as tué le lézard de maman ! »
On raconte aussi qu'un homme se mit à péter. Sa femme dit :
— « Le vent d'Ouest s'est levé aujourd'hui. »
— « Bon, fait le mari, alors il va pleuvoir des crottes » (Niger).
Excision : au Fuuta-Jalon, les fêtes qui suivent la retraite des excisées sont les spectacles les plus fréquents et les plus faciles à remarquer de la vie locale (en janvier-février).
C'est cela que nous conseillait Cerno Saiidu Nuru Tall, petit-fils d'Elhadj Omar, en tournée. Il nous dit : que nous diminuyions le teŋe, que nous diminuyions le tooraare, c'est-à-dire le prix payé aux parents et le douaire :
— comme tooraare, si c'est Une vierge : 25 F ; si c'est une femme déjà mariée, 15 F.
— comme teŋe, une vache de 3 ans, ou bien une somme de 75 F.
« Si vous ne diminuez pas le montant des douaires, vos filles ne se marieront pas, elles vous resteront pour compte. » C'est ainsi qu'il nous a conseillés. »
3. « Pourquoi fait-on rembourser aujourd'hui plus qu'autrefois ?
Pourquoi nous, assesseurs des tribunaux, faisons-nous rembourser les douaires, les cadeaux, presque intégralement ?
— Aujourd'hui nos filles et nos sieurs ne sont plus en nos mains. Les anciens ont trouvé le moyen de rendre les unions un peu moins fragiles. Autrefois, les femmes étaient maintenues assez durement entre les mains de leurs époux. Aujourd'hui, elles ont tendance à s'en aller pour un oui ou pour un non, et on ne peut plus les ramener de force; mais, en les obligeant à payer — ou en obligeant leur famille à payer — intégralement tout ce qu'elles ont reçu au moment du mariage (quand elles ne le peuvent pas ou ne le veulent pas), cela oblige les épouses volages à rester chez leur mari.
— D'autre part, un autre facteur est intervenu. C'est que ceux qui font appel à notre jurisprudence sont des gens du « service » en majorité — qui épousent des filles du pays — lorsqu'ils divorcent, ils tâchent d'exiger de leur belle-famille le remboursement maximum de ce qu'ils ont donné, en cadeaux ou en douaire. Et des assesseurs complaisants ont adopté jurisprudence pour plaire aux gens du « service » .
Selon les Tarikh du Maasina recueillis (originaux en caractères arabes) et traduits par G. Vieillard en 1937, et notamment celui de Karamoko Salmana, de Timbi Tunni (province du Futa Jalon)
« Toutes les tribus fulɓe descendent de 4 tribus :
Chacune de ces tribus descend d'un des 4 enfants nés de l'union de la fille du Roi (païen) du Maasina avec Uqbata ben Yasir, laissé au Maasina par Amru ben el-Asi (envoyé par le calife Omar) en 15 H/637 A. D.
Ces quatre fils se nommaient
Ces tarîkh sont de composition récente. L'un d'eux est daté de 1928. D'autres datent de 1937.
Chaîne de missionnaires musulmans Futankoɓe, élèves de l'Islam maure, partant des campements maures du Hôdh, par le Fuuta-Tooro, le Ɓundu, le Labé, pour aboutir à Timbo, dernier bastion méridional du Dâr-al-Islam, de la fraternité musulmane.
Il y a aussi des poèmes pular de nature religieuse, dont un de l'Emir de Dalla, Alfa Hamidu Ham Sambo, intitulé : « Pour et contre le tabac. »
Le croyant n'attrilbue pas beaucoup d'importance à la précision du moment où il prie. Dans les cours de certaines mosquées, à Tenengou par exemple, il y a une sorte de cadran solaire (ngalawal ou ngamawal) : l'ombre d'un piquet porte sur un bâtonnet gradué horizontal… ou bien l'ombre humaine est mesurée en pieds : longueur variable avec les saisons. » (Maasina, 1937 ?)
Au Fuuta-Jalon, le costume pullo comporte une ceinture garnie d'amulettes. Dans une grande poche, on porte un chapelet de graines, de noyaux de dattes, de bois incrusté, avec un petit peigne à barbe, et (pour ceux qui ne sont pas tidjanes) une tabatière de poudre à chiquer. En bandoulière, le bréviaire semainier ou Dalâ'ilal-Khayrât et, fréquemment, le Coran, le Kamilu, c'est-à-dire « l'intégral » .
A noter que le short est jugé incommode et indécent. On l'appelle, en argot franco-pular, montinaru : « celui qui remonte les testicules » .
Le dessin ci-contre reproduit l'anatomie du coeur, en arabe (Fuuta-Jalon).
Notes
1. Gaden, 1931, p. 197 Hoolaare : confiance, assurance dans la probité, probité, fidélité, honnêteté ; hoolaaɗo Allah : celui en qui en Dieu a mis sa confiance.
2. « Le Pular est né au Fuuta-Tooro, grandit au, Maasina et vieillit au Fuuta-Jalon. » Dicton du Fuuta-Tooro dit par Dia Md. Fadel, Toucouleur, étudiant à l'Université de Dakar, le 19 janvier 1961. Le sens serait celui d'améliorations successives (et non de dépérissement).
3. Alors que le sédentaire wolof jure « par la ceinture de son père » , c'est-à-dire par sa filiation paternelle ; sania gênyoo baay!
4. kolli, pl. de koddu (instrument à cordes) ; ɗemgal : langue ; kongol : phrase, sentence, (Monteil).
welde ɗemgal (Gaden) : être bavard, avoir la langue bien pendue. 5. Trad. Cheikh Hamidou Kane (3-3-61).
6. Regrettable jugement, surprenant sous la plume de Vieillard (V. Monteil).