En novembre 1916, il est commissaire du gouvernement général pour le territoire civil de la Mauritanie. Par décret, la Mauritanie devient une colonie indépendante le 4 décembre 1920. Gaden, gouverneur de 3e classe depuis le 7 août 1919 devient lieutenant-gouverneur de la Mauritanie jusqu'à sa retraite (officiellement le 31 décembre 1926). Il est l'organisateur de la Mauritanie, dont il devient le premier gouverneur.
Gaden est un de ces « techniciens de la colonisation » (280)
Contrairement aux us des administrateurs coloniaux, Henri Gaden choisit au moment de sa retraite, de rester sur le continent africain, à Saint-Louis. Il se consacre à ses travaux linguistiques et ethnologiques : il publie
en 1931 Proverbes et maximes peuls et toucouleurs (281), fruit d'une vingtaine d'années de collecte et du travail avec ses « collaborateurs » africains dont il cite les noms dans l'introduction : Ismaïla M'Baye, brigadier de police à Saint-Louis « que nous avait présenté notre vieil ami Seydou Nourou Tal, petit-fils d'El Hadj Omar » et Djibril Lih, interprète principal du cadre des interprètes de la Mauritanie.
Dans cette longue introduction, il explique l'une des motivations de son travail (p. VI) : « En employant les loisirs de la retraite à la présentation de ces dictons, nous avons eu surtout pour but de faire mieux connaître des populations que nous aimons pour avoir pu apprécier leurs qualités, tout comme officier des troupes coloniales que comme administrateur. »
Il ne peut mener à terme son projet de dictionnaire peul-français : « très fatigué depuis quelques mois » (282), Gaden meurt (283) le 12 décembre 1939 à 0h05 à l'hôpital
colonial de Saint-Louis où il était entré le premier du mois.
Henri Gaden fait partie de ces pionniers d'une pratique ethnologique de terrain ayant pour cadre le continent africain : Ce premier africanisme, porté par
le dynamisme des administrateurs coloniaux, est représenté par
Maurice Delafosse.
Ce courant, innovateur en France avant d'être oublié, allie deux pratiques de terrain (284) : l'observation directe, l'Ethnographic Eye de
Malinowski, qui consacre l'autorité du témoignage direct, sans intermédiaire, comme impératif de la démarche de l'ethnologue
et la « participation comme produit de la présence durable auprès des indigènes », possibilité offerte aux administrateurs
coloniaux, civils ou militaires.
Mais les premiers ethnologues de l'Afrique coloniale travaillent aussi à partir d'écrits : les textes produits par les lettrés musulmans sont essentiels pour comprendre l'histoire des civilisations du Soudan et constitue la première étape vers une prise en compte de la culture africaine comme objet d'intérêt. D'où un travail de transcription, traduction, édition, en peul, arabe ou français
(285). On assiste avec ce travail à la constitution d'un savoir africaniste à partir de pratiques transmises par des orientalistes comme Octave Houdas, premier traducteur et éditeur des textes arabes de l'Afrique de l'Ouest.
« Henri Gaden (1867-1939) était à la charnière de trois entreprises :
Ces trois orientations de son activité donnaient lieu à des traductions dans trois langues : arabe, peul, français.
Cette dernière entreprise mérite de retenir notre attention car elle est le fil d'Ariane qui relie deux périodes — celle de Faidherbe et celle qui entoure la guerre de 1914-1918 que l'on qualifiera de “période de l'association”, ainsi que deux réseaux, celui des administrateurs coloniaux et celui qui articulait les musulmans de Saint-Louis à ceux de la Vallée du Sénégal. » (290)
Cette pratique ethnologique est l'héritière de la tradition des Bureaux arabes de l'Algérie coloniale du milieu du XIXe siècle,
avec comme trait d'union entre l'Algérie et l'Afrique de l'ouest, les Bureaux arabes et l'administration coloniale du Sénégal et du Soudan français, le Général Faidherbe. Les recherches de Gaden
bénéficient de son activité d'administrateur avec la création de liens forts entre lui et les notables et érudits africains pour des fins politiques.
Les premiers articles publiés par Gaden sont une monographie du cercle de Zinder (291), puis deux travaux sur la grammaire baguirmienne (292) qui correspondent à sa présence au Niger et au Tchad. Pour Anna Pondopoulo, qui vient de consacrer un article sur les interactions entre les différentes activités de Gaden, c'est la “période cruciale et liminaire, au cours de laquelle, au contact des populations nomades et sédentaires, Gaden élabore son style administratif, approfondi plus tard en Mauritanie” (293).
Cet objectif de connaissance de l'Afrique sert un but de politique « indigéniste » : mieux comprendre pour agir en connaissance de cause. Henri Gaden participe à la création en 1915 du Comité d'études historiques et scientifiques de l'A.O.F., lancé par le gouverneur général de l'A.O.F.,
François
Clozel, sous le patronage hautement symbolique du général Galliéni. Pour Clozel, connaissance scientifique et colonisation sont dépendants l'un de l'autre : « Bien connaître l'histoire, l'ethnographie, la géographie physique et l'histoire naturelle d'un pays est essentiellement utile à la bonne organisation et à la bonne administration de ce pays. » « Le succès de ses [la France] armes a toujours eu pour premier résultat d'ouvrir des champs nouveaux aux investigations des savants. » (294)
En effet, si cette ethnologie de terrain apporte des renseignements utiles à la domination coloniale, on ne peut la limiter à cela : elle produit un important savoir sur des cultures et sociétés jusqu'alors ignorées car indignes d'intérêt et permet, par ses apports méthodologiques la consolidation d'un discipline naissante. Elle joue d'ailleurs aussi, à travers la mise en valeur des cultures, d'histoires plus tard revendiquées comme « nationales », un rôle non négligeable dans l'émergence des nationalismes africains. Henri Gaden contribue par exemple à la réhabilitation d'une figure essentielle de l'histoire africaine avec la publication
de La vie d'El Hadj Omar.
(Source : IEA/Clio)