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Anna Pondopoulo
Les Français et les Peuls. L'histoire d'une relation privilégiée

Les Indes Savantes. Paris, 2008. 314 p.
Coll. Sociétés musulmanes en Afrique, Jean-Louis Triaud, éd.


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Chapitre II
La singularité réfléchie (première moitié du XIXe siècle)

La « naissance » des Peuls en tant qu'objet d'études mettant en valeur leur différence et leur supériorité par rapport aux populations nègres date du début du XIXe siècle. On peut affirmer, en reprenant l'expression de Michel Foucault, qu'avant cette époque les Peuls n'existaient pas. Le mode de classification, qui leur attribue une place à part sur l'échelle évolutionniste et des généalogies extra-africaines ou nonnègres, se développe au cours du XIXe siècle et continue à alimenter la réflexion européenne sur l'Afrique jusqu'aux dernières décennies du XXe siècle. Ce chapitre explore la genèse de ce paradigme et le met en relation avec, d'une part, l'épanouissement de l'esthétique romantique, et, d'autre part, avec la naissance et le développement de la « science des races ».

L'étude des sociétés peules au sein de la Société de géographie

Les connaissances accumulées en France dans la première moitié du XIXe siècle sur l'Afrique résultaient en grande partie de l'activité de la Société de géographie de Paris, créée en 1821. La Société fut à l'origine des projets et des concours d'exploration; elle lançait les questionnaires destinés aux voyageurs, popularisait les découvertes étrangères, résumait les récits de voyage et dressait leurs bilans géographiques.
A partir de ses questionnaires portant sur l'Afrique occidentale, ses analyses et les comptes-rendus de ses séances, la Société imposa une représentation des sociétés peules forte en couleur. Aussi, la connaissance des Peuls telle qu'elle s'est développée dans les années 1820-1830 fut-elle essentiellement le résultat de l'activité de trois personnes :

Cette image se nourrissait aussi bien de sensations et de faits vécus par les voyageurs que de rêves et de méditations sur les régions inexplorées de l'Afrique. Produit d'une certaine philosophie véhiculée par la Société de géographie durant les premières décennies de son existence, elle fut surtout le fruit de la sensibilité et de l'esthétique romantiques qui coïncidèrent en France avec l'époque de l'abolition de l'esclavage et les débuts de l'expansion coloniale en Afrique.

Jacques Roger, David Boilat, Edme-François Jomard :
les anti-esclavagistes « redécouvrent » le Sénégal

La création de la Société de géographie fut contemporaine du retour des Français au Sénégal (1816). Les tentatives de la prospection française dans la région du haut-Sénégal et de l'expansion le long du fleuve furent attentivement suivies et commentées par la Société. Il n'est pas étonnant que l'une des figures clefs de cette progression française au Sénégal, le baron Jacques-François Roger, fût également, à côté de l'académicien Jomard, l'un des membres fondateurs de la Société de géographie et l'un de ses piliers (à la fin de sa vie, il fut le vice-président de la Commission centrale). Le parcours de cet homme représentait un mélange extraordinaire entre les objectifs de la colonisation, de l'implantation économique et politique de la France au Sénégal, de l'abolition de l'esclavage et ceux de la connaissance approfondie du pays et de ses populations. Il est donc important de revenir sur son rôle dans la Société et sur ses opinions au sujet des populations africaines, car c'est lui qui, au cours de la période décisive pour la Société, personnifiait le lien entre l'administration française au Sénégal, les explorateurs et les géographes.

Le baron Jacques-François Roger (1787-1851) dit du Loiret, reçut une formation juridique et fut nommé, en 1813, avocat aux conseils et à la Cour de cassation. En 1819, il se rendit au Sénégal pour mettre en place des établissements d'essais agricoles, notamment un jardin d'acclimatation à Saint-Louis, dirigé par le jardinier-en-chef Richard. Nommé en 1821 commandant et administrateur du Sénégal et de ses dépendances, il y resta jusqu'en 1827. L'échec du projet des jardins d'acclimatation, qui n'aboutit pas à cause de l'insécurité dans la vallée du fleuve, signifiait également la fin de l'administration de Roger 1. Après son retour en France, il publia le roman Kélédor, « dont le but était d'appeler l'intérêt public sur les Noirs et surtout de faire partager l'indignation de l'auteur contre l'odieux trafic de la traite » 2 et qui exposait, dans une forme romanesque, les éléments de l'histoire du Fuuta Tooro de la fin du XVIIIe siècle et notamment de la « guerre des marabouts ». Roger publia également Recueil de fables sénégalaises et Recherches philosophiques sur la langue ouolofe.
Durant ses années au Sénégal, le baron Roger s'occupa de l'organisation des missions de Grout de Beaufort et de Desprès (partis en 1823 explorer les cataractes de Félou avec espoir d'accéder à Ségou et à Tombouctou), de celle du naturaliste Rouzée, et de celle de Caillié chez les Maures Brakna. Il informait systématiquement la Commission centrale du déroulement de ces missions sans perdre l'occasion de souligner, dans ses lettres à la Société de géographie, ses contacts avec les marabouts maures 3 qui l'aidaient à trouver les guides pour les explorateurs. Pour assurer la sécurité du Sénégal, petite colonie ayant peu de moyens militaires et peu de ressources, Roger élabora une stratégie de rapports avec les chefs locaux, préconisant l'étude des langues et des moeurs des pays avoisinants, de leur histoire, la coopération avec leurs élites, notamment avec les « marabouts ». Il en fit part à la Société dans l'une de ses lettres :

« L'habitude que j'ai acquise de l'Afrique m'a prouvé que la première chose à faire est de se mettre d'accord avec les chefs; sans cela aucune sécurité » 4.

Par conséquent, il fut bienveillant à l'égard des études des langues et des « moeurs » et introduisit à la Société son pupille sénégalais, l'abbé Boilat (élu membre en 1853) ; périodiquement, il recensait les travaux linguistiques et ethnographiques de ce dernier lors des séances. Rentré en France, il contribua à l'élaboration des projets géographiques de la mission de Raffenel et de celle de Panet, « jeune indigène du Sénégal, intelligent et résolu, qui a accompagné M. Raffenel dans son voyage au Kaarta », explorant les voies de liaison entre le Sénégal et l'Algérie par le Sahara.

Abbe Boilat, 1814-1901
Abbé David Boilat (1814-1901)

Roger exprima ses vues sur les sociétés africaines dans sa Notice sur le gouvernement, les moeurs et les superstitions des Nègres du pays de Walo (1828), dans laquelle il défendait l'idée de la perfectibilité des sociétés qui traversent toutes plus ou moins les mêmes périodes d'évolution : ainsi les rapports fonciers dans le Waalo seraient-ils de caractère féodal pouvant être comparés avec le système que l'on découvre dans les îles de l'Inde, tandis que les terres de la vallée du fleuve Sénégal ressembleraient à celle du Nil. La sympathie avec laquelle il décrivait les habitants du Waalo ne dissimulait pas que Roger voyait en eux de bons enfants, doux et joyeux 5, et qu'il s'interrogeait, en les regardant danser, sur le point de savoir si les peuples devaient partout « faire de la même manière leurs premiers pas vers la civilisation » ? Le paternalisme de Roger s'accompagnait d'un anti-esclavagisme décidé et sa représentation du Sénégal de la conviction qu'il s'agissait d'un pays en attente de l'effort civilisateur français. Son humanisme mercantiliste ne limitait pas cependant cet effort au seul développement de cultures et de plantations avec l'appel à la main-d'oeuvre locale émancipée (ce pour quoi il est essentiellement connu dans l'historiographie du Sénégal 6).
La mise en valeur agricole devait aller de pair avec l'implantation d'écoles, l'éducation sur place de futurs naturalistes et de voyageurs indigènes « acclimatés ».
A l'instar d'Edme-François Jomard (1777-1862), égyptologue officiel et président de la Société de géographie (1848) 7, qui créa l'école pour les jeunes Égyptiens à Paris pour former des ingénieurs, le baron Roger fut à l'origine de « l'acclimatation » des Africains à la recherche géographique et ethnographique. Il établit en France une association patronnée par le ministère de la Marine et chargée de l'instruction des jeunes Africains :

« Sur dix-sept noirs ou hommes de couleur, deux sont retournés précédemment, douze ont payé tribut au climat d'Europe, et trois ont fait des études assez avancées pour être admis à la prêtrise ; ils ont appris le français, le latin, le dessin, la géographie, l'histoire naturelle. Le premier parti, l'abbé Moussa, noir, âgé aujourd'hui de vingt-sept ans, est curé à Gorée; les deux autres, M. l'abbé Fridoil, âgé de vingt-huit ans, et M. l'abbé Boilat, âgé de vingt-neuf ans, se rendent à Saint-Louis pour y exercer le saint ministère. Ces Messieurs doivent s'occuper de former des vocabulaires, notamment de l'idiome serère peu connu, et du bambara. Ils se proposent aussi de faire des observations géographiques et des recherches sur les moeurs, les usages, les productions ; enfin, de compléter nos connaissances sur la langue wolofe » 8.

Jomard Edme Francois
Jomard Edme Francois (1777-1862)

A leur retour au Sénégal, ces diplômés de l'école française devaient, mis à part l'exercice de leur mission apostolique, contribuer à une mise en place des écoles primaires et du collège, et au recrutement des élèves. Les géographes français espéraient également trouver parmi eux des auxiliaires « acclimatés » de l'exploration et de la colonisation, « parlant les langues du pays, y possédant déjà des relations de famille, et toutes les ressources naturelles qui ont manqué aux courageux européens » 9. De ces trois Sénégalais rescapés du climat et des difficultés de la vie en France, seul l'abbé Boilat confirma de « justes espérances » placées par des « amis des sciences et de la civilisation » sur ces jeunes Africains « longtemps et soigneusement élevés en France ».
La Société de géographie garda pendant longtemps un ton paternaliste à l'égard de l'abbé Boilat (1814-1901), dont les recherches furent suivies, de près et de loin, par le baron Roger 10. Il présentait régulièrement à la Société les documents « bruts » qui lui étaient envoyés par Boilat et, plus tard, sa grammaire de la langue wolof et ses études sur les habitants du Sénégal. Ces documents portaient essentiellement sur les Maures (recueil d'histoires et de fables, notes « en langue des Maures du Sénégal », prières, accompagnées de « quelques pages écrites en arabe par un Taliba, ou élève de marabout, avec l'encre dont on se sert dans le pays »), adversaires principaux des Français au Sénégal de l'époque.

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Amadi-Galojo, marabout Toucoulor, de race pure, neveu
de Sahada, Almani de Bondou. Portrait dessiné par Mr l'Abbé
Boilat. Sénégal, 1843 », extrait de Roger, Jacques-François,
« Note sur des documents relatifs à la Sénégambie,
envoyés par M. l'abbé Boilat, vicaire à Saint-Louis du
Sénégal », Bulletin de la Société de géographie, 2e série,
t. XX, 1843, p. 306-310.

L'abbé Boilat obtint les textes sur les Maures par l'intermédiaire des marabouts toucouleurs « Diadhiaca » et « Amadi-Golojo », dont il avait inclus les portraits dans son envoi. Ces portraits suscitèrent une émotion toute particulière parmi les géographes et furent reproduits dans le Bulletin, à cause, notamment, du « naturel » avec lequel le dessinateur avait réussi à transmettre les « types de deux races différentes de noirs, et la physionomie des individus». Les savants furent satisfaits d'avoir obtenu, d'une part, un « échantillon » d'un type physique de « race » constituant une référence fiable pour une description des « peuplades », d'autre part, grâce à l'oeil de l'artiste, l'expression d'un« caractère ». Ce désir de pénétrer dans l'intimité des interlocuteurs africains, de connaître le monde de leurs sentiments, de pouvoir interpréter leurs expressions se manifestait, à la même époque, dans les récits de voyages romantiques. Les dessins de Boilat plaisaient aux érudits parce qu'ils répondaient à une certaine sensibilité esthétique projetée sur l'Afrique.

Femme-peule. (Esquisses senegalaises. Abbe David Boilat)
Femme Peule. (Esquisses sénégalaises.
Abbé David Boilat)

L'intérêt pour le monde intérieur des Africains propre à l'époque romantique disparaît progressivement au cours des conquêtes coloniales, remplacé par une description de plus en plus nuancée de l'anatomie des types de « races », cette dernière s'appuyant sur les progrès de la photographie naissante.

Les géographes voyaient en Boilat surtout un élève doué du baron Roger, dont les conclusions étaient naïves, mais les observations méticuleuses et la persévérance dans la science soutenue. Les mêmes remarques concernaient ses dessins, « d'une vérité frappante », en ce qui concernait le costume, la pose el la physionomie des personnages. L'on attendait de l'abbé Boilat surtout l'enregistrement fidèle de la réalité qu'il était en mesure d'approcher de plus près que les Français, tandis que sa démarche analytique et ses conclusions paraissaient moins dignes d'intérêt.

Homme Peule
Homme Peul. (Esquisses sénégalaises.
Abbé David Boilat)

Les informations que l'abbé adressait régulièrement au baron avaient la même signification que les objets qu'il obtenait auprès des indigènes, c'est-à-dire celle d'un fait brut, nécessitant une expertise savante des géographes. Aussi, Roger commentait-t-il dédaigneusement l'un de ces envois de talismans que « l'abbé a confisqués, suivant sa naïve expression, à des signares qui cumulaient jusqu'alors avec les croyances du christianisme les superstitions locales du mahométisme». Dans le fait que l'un des « grisgris » en question correspondait à la valeur d'un esclave, Roger voyait une preuve de la « barbarie » des moeurs des Sénégalais et de leur « crédulité ». Cet échange en dit long sur l'attitude de Roger mettant une distance entre le monde « civilisé » et les signares, mais aussi le distanciant de Boilat. Il met en relief également la difficulté de la situation de ce dernier, engagé dans la colonisation des populations dont il était issu.
Un manuscrit, un vocabulaire, un dessin, un talisman, ou encore un cahier de figures cabalistiques, et « des espèces de vignettes ou d'ornements tracés en plusieurs couleurs par des marabouts », des lettres d'affaires et d'amitié, tels des objets jetés par la mer sur la plage : tout semblait utile aux érudits de l'époque, tout les instruisait et les amenait à la description plus complète de ces pays avec lesquels, cependant, les Français se trouvaient en relations depuis presque deux siècles. Mais le regard changea, et l'on voulait approcher l'Afrique avec une nouvelle conscience, débarrassée du fardeau de la traite esclavagiste. Tout pouvait donc servir au savoir, à l'établissement des comparaisons et des liens entre les différentes cultures. Roger n'était pas arabisant, mais il avait l'intention de soumettre les documents reçus de Boilat à l'expertise des orientalistes et, en attendant, il en donnait une description enthousiasmée 11. Il supposait que le lot de Boilat détenait peut-être des mystères, susceptibles d'éclairer ses collègues, précisait-il, sur l'histoire des peuples et des pays.

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« Diadhiaca, marabout du Fouta-Toro, né à Baol. Portrait
dessiné par Mr l'Abbé Boilat. Sénégal, 1843 », extrait de
Roger, Jacques-François, « Note sur des documents relatifs
à la Sénégambie, envoyés par M. l'abbé Boilat, vicaire à
Saint-Louis du Sénégal », Bulletin de la Société de
géographie, 2e série, t. XX, 1843, p. 306-310.

La coopération avec Roger fut à l'origine des Esquisses sénégalaises de Boilat qui portaient en grande partie sur les populations du fleuve Sénégal et particulièrement sur les Fulɓe et les Haalpulaar'en.

Dans les années 1840, la Société reçut du missionnaire une généalogie en arabe des chefs Trarza depuis leur migration au Sénégal ; un recueil des chansons dans un dialecte des Maures ; diverses notices sur la Haute Sénégambie écrites par un « marabout mandingue » que Boilat avait traduites. La Société de géographie évoquait régulièrement lors de ses séances les envois de documents que Boilat adressait au baron Roger. A L'instar de Roger vingt ans plutôt, Boilat joua le rôle d'intermédiaire entre les géographes et les explorateurs ; il initiait également à ces enquêtes les Africains 12.
Les échanges entre Roger et Boilat, les rapports de filiation entre leurs idées témoignaient de la recherche de nouvelles approches, plus intimistes, pour une connaissance et une description des populations africaines, donnant plus de voix aux informateurs africains. Cette période ne dura pas ; à peu près à la même époque, Jomard blâmait déjà les imprécisions du savoir géographique indigène et lui refusait le droit de servir de source fiable aux Européens 13. Cependant le succès du roman Kélédor du baron Roger auprès des géographes annonçait l'émergence de nouvelles attitudes envers l'Afrique : les descriptions des populations africaines s'émancipaient du cadre de l'histoire naturelle ; la curiosité des savants se portait davantage sur l'histoire et l'organisation des sociétés.
La réception par la Société de géographie du roman Kélédor mérite le détour.

Roger essaya par ce livre d'offrir au public une nouvelle version de l'histoire du Fuuta sénégalais à l'époque de la guerre des marabouts, histoire narrée de l'intérieur des sociétés en question. Le roman répondait surtout à des buts idéologiques : il voulait non seulement mettre l'esclavage en accusation, mais aussi affirmer le rôle salutaire de la présence française dans la région. Il s'agissait de démontrer les horreurs du trafic d'esclaves et de mettre en valeur les jardins d'essais : dans le travail libre proposé par les Français, les sociétés du Waalo et du Fuuta, affranchies des séquelles de l'esclavage, devaient trouver leur avenir.

Jomard salua Kélédor par un grand compte-rendu élogieux publié dans le Bulletin de la Société, dans lequel il appuyait surtout la philosophie du roman qui, à cette époque, était aussi celle de la Société de géographie : elle affirmait l'égalité biologique de toutes les branches de l'humanité et leur perfectibilité sociale et s'opposait aux « esprits philosophiques trop préoccupés d'une différence d'organisation, et qui sont enclins à conclure de la différence des races, non pas seulement à une infériorité d'intelligence et de facultés, mais à une sorte d'incapacité sociale » 14. A l'époque qui suit l'abolition de l'esclavage 15 , il est important, selon les fondateurs de la sSociété de géographie, de réhabiliter les Africains réduits dans l'opinion publique européenne au statut d'esclaves, de leur rendre une humanité en répondant ainsi aux « détracteurs des noirs » ; dans cet objectif, il faudra les étudier chez eux ; aussi s'agit-il d'ouvrir une nouvelle page dans la description de l'Afrique, de rompre avec le passé esclavagiste et en quelque sorte de re-découvrir l'Afrique et ses habitants 16. Qui sont ces « détracteurs des noirs » ? Jomard les trouve parmi « les philosophes et les anatomistes », parmi ceux qui mesurent l'intelligence des Noirs sous « l'angle facial et les autres signes physionomiques » ; « qui établissent sur la conformation de la face l'infériorité de la « race noire ». Son article a pour but essentiel de leur répondre que les habitants du Sénégal se rapprochent des habitants de l'Europe aussi bien par leurs traits physiques que par leur « courage moral et une sensibilité vive et profonde ».
Jomard remarquait que l'ouvrage n'était romanesque que par la forme seulement, et qu'il était d'une grande utilité pour la géographie à cause du « tableau» de la Sénégambie qu'il offrait, à cause de ses notes élaborées, à la fin du texte, et de son glossaire. En outre, Roger communiqua à Jomard « des renseignements inédits » sur les sociétés haalpulaar du fleuve se trouvant au centre de l'action du roman. Dans son compte-rendu l'égyptologue se chargea d'exprimer en quelque sorte l'idée officielle de la Société de géographie sur le passé et l'actualité du fleuve.

Le héros principal du roman, Kélédor, né dans la province de Waalo, élevé dans le pays de Fuuta Tooro (« république théocratique», rajoutait Jomard, afin de familiariser ses lecteurs avec le caractère du régime), fut fait esclave et transporté en Amérique, vers l'an 1797. Il revint de son exil « préparé à jouer un rôle dans le mouvement qui fait marcher insensiblement cette contrée vers une nouvelle existence, fruit de ses rapports continuels avec la civilisation européenne, et surtout du commerce et des améliorations agricoles et industrielles qu'a introduites le gouvernement de la colonie française ».

Le projet de développement agricole devait être secondé, selon les géographes, par une exploration des terres et des ressources et par une description statistique détaillée des habitants. La formation de ces derniers était nécessaire pour en faire des agronomes, des ingénieurs des mines, mais aussi des éducateurs et des curés, et surtout des travailleurs agricoles 17. Le lecteur contemporain remarquera l'ambigüité de l'humanisme de Jomard et de ses confrères dont il fut le porte-parole : la reconnaissance de la nature humaine commune des Européens et des Africains ne contredisait pas pour autant la supériorité indéniable de la France et son rôle pour éduquer et décider du destin de ses frères encore privés des biens de la civilisation.
Quelles répercussions sur les représentations du Fuuta sénégalais cette philosophie avait-elle ? La France, forte de la nouvelle mentalité philanthrope et humaniste, pouvait avoir la conscience libre pour poursuivre son exploration suivie par l'installation de ses postes dans le haut Sénégal, prospecter les approches de Tombouctou et de Ségou. La poussée prometteuse vers l'est était pourtant compromise par l'insécurité politique de la rive droite et les raids des tribus maures, « maîtres de ce territoire », constatait Jomard. Pour connaître ces populations potentiellement hostiles, il était important de dresser un bilan statistique fiable de toutes les régions riveraines. Jomard ébaucha un tableau de la vallée du fleuve et de ses habitants : le Fuuta-Tooro était incontestablement le territoire le plus peuplé (800 000 habitants contre les 40 000 du Waalo et les 300 000 du Ɓundu). Sa population n'était pas autochtone ; elle résultait des migrations récentes ou plus anciennes, notamment du Fuuta-Ɓundu et du Fuuta-Jaloo, pays islamisés. L'affluence des musulmans suivit l'installation du pouvoir théocratique « des Marabouts ou prêtres du Fouta », connus à partir de la colonisation sous le nom de « Toucouleurs ». Jomard et Roger voyaient dans ces Toorobé réunis par le pouvoir musulman un groupe statutaire et non une« race », à la différence de leurs successeurs, portés à fixer des cloisons raciales entre les populations.
Comment, à l'époque de l'abolition, analysait-on la « révolution torodo » qui, d'une part, interdit le trafic d'esclaves musulmans

(« les Foulhs vont jusqu'à croire que nous avons suivi leur exemple en proscrivant la traite »)

d'autre part, fut un obstacle à l'installation de la France dans la région ? L'interprétation de Jomard faisait part des contradictions dans les jugements que les humanistes-géographes portaient sur la « république théocratique ». On reconnaissait aux « Fouls » un « caractère prononcé », de la fermeté et un esprit d'indépendance ; on les comparait, par leur amour pour la liberté, avec les « républiques de Rome et de la Grèce » ; « mais leur fierté n'est pas exempte d'arrogance ; ils passent même pour méchants et perfides » ; ils sont « ambitieux et turbulents, souvent livrés à la guerre civile » 18.
Ces populations qui lui faisaient penser à l'antiquité européenne, lui paraissaient proches des Européens également par leur constitution physique : « On sait qu'au lieu d'un noir foncé, leur teint tire sur le rouge. D'autres traits encore les distinguent du reste des autres noirs ». Ces similitudes offraient comme une promesse de dialogue avec cet État doté de terres riches et d'une main-d'oeuvre abondante : en effet, ces mêmes hommes venaient chaque année par centaines sur les plantations françaises pour se livrer au travail agricole : « Ils sont d'ailleurs moins robustes et moins grands que les Wolofs ».

Les idées de Jomard exprimaient une tendance générale de pensée qui cherchait à réunir tous les renseignements dans un tableau le plus complet établissant des correspondances entre territoire, organisation sociale, esprit ou caractère des populations. A la différence des récits d'autrefois, cette description méthodique ne voulait plus se limiter à une simple évocation de la « douceur » des moeurs ou de la « fierté » ou à « l'arrogance » des populations, même si ces traits de caractère y figuraient toujours. Le critère d'aptitude des peuples entiers et non seulement des monarques à recevoir l'influence bienfaisante de la France devint le paramètre essentiel des comparaisons 19. Au XVIIIe siècle, on classait les « pays » plus par rapport à la volonté de leurs souverains de coopérer avec les Compagnies de commerce. En revanche, à la fin des années 1820, Roger et Jomard évoquaient la disposition des « peuples », des « Foulhs », des « Wolofs », des « Sérères » à s'ouvrir, en offrant leur main-d'oeuvre, aux projets français liés aux cultures et à l'exploitation des mines aurifères.
Les mondes ne paraissaient plus isolés : on cherchait à établir les parallèles entre les aires musulmanes au nord et au sud du Sahara. Les populations africaines musulmanes ne semblaient pas très compliquées à connaître pour des arabisants.

L'égyptologue Jomard, comme les autres géographes qui s'intéressaient à l'Afrique, voyait dans le succès de l'islam sur les bords du Sénégal le résultat des influences maghrébines et égyptiennes.

Les pratiques culturelles locales, non-réductibles à l'influence de l'islam, étaient pour lui des superstitions condamnées à évoluer avec le temps 20. Par contre, l'étude des langues représentait le domaine essentiel sur lequel devait se porter l'effort de la connaissance dans ces régions ; dans ce sens, certains progrès acquis dans la description du wolof (le Mémoire sur la langue wolofe de Roger qui se préparait, et la publication par la Société de géographie du Dictionnaire Wolof de Jean Dard, instituteur de l'École de Saint-Louis 21) étaient à poursuivre et à élargir vers d'autres langues.

On éprouvait comme une déception par rapport au fait que ces langues n'étaient pas écrites : on y voyait une preuve de plus de la supériorité de la civilisation arabe («mais on ne l'écrit pas, l'écriture ne sert que pour exprimer le langage arabe des marabouts, et de ceux des indigènes qui ont appris cette langue »).

L'expérience égyptienne de Jomard lui facilita d'autres comparaisons, chargées de conséquences pour l'avenir. Il fit le premier pas pour rapprocher les Peuls de l'Égypte en inaugurant ainsi le thème de leur éventuelle patrie égyptienne qui monta en puissance durant le XIXe siècle. Le géographe indiqua des similitudes dans les régimes fluviaux du Sénégal et du Nil : il était donc probable que les cultures de leurs populations se ressemblaient aussi.

Les « Foulhs » du Fuuta Tooro se trouvaient au centre du projet de tableau statistique des populations du Sénégal, dressé par Jomard, et réalisé par Roger et par Boilat.

Le poids démographique de ces populations et l'importance économique de leur territoire, grenier de Saint-Louis, expliquaient ces préférences.

Les Peuls intriguaient les géographes par leur rôle de relais avec le monde arabe, par leur culture musulmane, mais surtout par la difficulté de juger, à cette époque, de leurs choix politiques et de leur attitude définitive envers la France.

Il est cependant remarquable que les Français, riches de deux siècles de contacts avec le Fuuta, bâtirent leurs représentations sur les Peuls, en ce début du XIXe siècle, en s'appuyant surtout sur les renseignements venus d'autres régions, notamment communiqués par les voyageurs anglais.

Pascal d'Avezac : les Peuls et l'érudition géographique

Si Roger et Boilat initièrent ce que Jomard appelait un tableau statistique du Sénégal conforme aux aspirations des Français de l'époque post-napoléonienne, un autre personnage au sein de la Société de géographie joua un rôle similaire pour toute l'Afrique occidentale, en organisant les connaissances de ses contemporains sur cette partie du continent selon les nouveaux modèles. Il s'agit de Marie Armand Pascal d'Avezac de Castera-Macaya (1800-1875) 22, esprit de synthèse et érudit de l'époque romantique qui nous intéresse surtout comme homme de relais entre les différents milieux, entre les savants, les fonctionnaires d'État et les voyageurs. D'Avezac est plutôt oublié par les chercheurs d'aujourd'hui ; c'est pourtant lui qui contribua à créer, dans les années 1830, une description géographique de l'Afrique occidentale la plus complète (en ce qui concerne la France de son temps), tenant compte des connaissances anciennes et des renseignements nouveaux. Ses écrits érudits, s'appuyant sur des fonds d'archives et sur des informations de première main reçues d'Afrique, accordaient une grande attention aux populations maures et toucouleurs. Ils attirèrent la curiosité des géographes et des orientalistes, dont celle de Gustave d'Eichthal, l'un des membres les plus enthousiastes de la famille saint-simonienne. Les liens d'amitié rapprochant Pascal d'Avezac et Gustave d' Eichthal (ils se retrouvaient à la Société de géographie et oeuvrèrent, ensemble, à la création de la Société ethnologique de Paris), aidèrent à ce que ce dernier se penchât sur les Peuls, se saisît des recherches du géographe, leur communiquât une nouvelle portée idéologique et les orientât vers la problématique de l'histoire universelle. Cependant, à l'origine de cette évolution des représentions européennes sur les Peuls, se trouvaient les travaux érudits de d'Avezac marqués par une sensibilité romantique. Son rôle au sein de la Société de géographie autant que quelques-uns de ses contacts méritent d'être évoqués.

Marie Armand Pascal D'Avezac, (1800-1875)
Marie Armand Pascal D'Avezac, (1800-1875),
dessin de Bonhomais. Bibliothèque de
l'Arsenal, Manuscrits, Papiers d'Eichthal,
14410/33

Fils d'un magistrat de Tarbes et ressortissant d'une famille implantée à Saint-Domingue 23, Marie Armand Pascal d'Avezac se fit remarquer, à vingt-trois ans, par un essai volumineux sur sa Bigorre natale 24. Cet ouvrage, appartenant à la tradition de la statistique descriptive napoléonienne, dont les pratiques furent poursuivies pendant la Restauration par les efforts bénévoles d'érudits provinciaux, facilita les entrées de d'Avezac au ministère de la Marine, où il fut nommé, après ses études de droit à Paris 25, comme attaché à la Division des Colonies. Sa longue carrière en tant que conservateur des Archives du ministère de la Marine et des Colonies (il prit sa retraite en 1862, en qualité du directeur du Deuxième bureau du cabinet du Ministre) témoigne d'une convergence entre le domaine érudit et l'appareil de l'État, désirant contrôler et archiver le processus de l'expansion coloniale à l'époque post-napoléonienne. Aussi, dans sa lettre appuyant la candidature du jeune d'Avezac au poste de secrétaire du Conseil des députés des colonies, nouvellement créé par le décret de Charles X, le ministre d'État, Vicomte de Martignac 26, évoquait-il les origines anciennes de sa famille et le passé colonial de cette dernière à Saint-Domingue aussi bien que l'expérience de d'Avezac en tant que secrétaire-archiviste, ayant emporté le concours pour une place de secrétaire rédacteur de la Chambre des députés et, par ailleurs, spécialiste de l'histoire de la Bigorre 27.
L'engagement de d'Avezac dans la Société de géographie datait de la même époque : les deux rôles se complétaient ; ses activités de géographe lui attiraient les distinctions des monarchies européennes, réconfortant ainsi sa position d'Archiviste officiel des colonies 28. Aussi, d'Avezac fut-il à la fois présent dans plusieurs sociétés savantes (Société de géographie, Société asiatique, Société ethnologique de Paris) et, d'autre part, avait-il accès aux renseignements les plus récents parvenant d'Afrique à Paris. Par son intermédiaire, les rapports des agents français dans la vallée du fleuve Sénégal accédaient au public des géographes et des orientalistes. Ses articles dans le Bulletin de la Société de géographie et dans les Annales maritimes et coloniales reflétaient les moments importants de l'exploration et de l'expansion française et anglaise dans l'ouest africain. En ce sens, son rôle au sein de la Société de géographie ressemblait à celui de Jomard ; il peut être exprimé par une formu le lapidaire : « entretenir le public français de ces efforts [de l'exploration] et [d']en contrôler les résultats ».
A la fin de sa vie, d'Avezac fut perçu par ses collègues comme la personnification même de la Société de géographie et comme l'un de ses représentants les plus « autorisés » : en effet, il fut élu treize fois vice-président et six fois président de la Commission centrale et, à partir des années 1840, participa systématiquement aux commissions attribuant les prix de la Société pour les découvertes et élaborant les instructions à l'attention des voyageurs (notamment aux marins militaires impliqués dans la conquête comme Raffenel, Protet, Bouët-Willaumez). Ses recherches embrassaient quatre domaines :

Ses synthèses africaines débutèrent, en 1836, par un ouvrage dans lequel il défendait l'authenticité des résultats obtenus par la mission de René Caillié : Études de géographie critique sur une partie de l'Afrique septentrionale (1836). Il revint sur les descriptions générales de l'Afrique dans Esquisse générale de l'Afrique et de l 'Afrique ancienne (1837). Sa Notice sur le pays et le peuple des Yébous, en Afrique (1845) fut contemporaine de son implication dans la création de la Société ethnologique de Paris (dont il fut, en 1845, le vice-président). Cet ouvrage dressait un portrait du peuple « sous tous ses aspects » : il s'agissait de la région et de la population encore inconnues en France (les Igbo du Nigeria actuel). D'Avezac l'appuya sur les renseignements collectés auprès d'un ressortissant de ce pays qu'il avait rencontré à Paris.
D'Avezac fut l'un des acteurs principaux dans le processus de la séparation entre la jeune ethnologie (que lui et ses confrères dans la Société comprenaient comme une discipline qui s'occupait de l'homme « sous le point de vue de la distinction mutuelle des races ») et la géographie, sa science-mère. La description des « races » s'affirma dans les années 1830 comme un prolongement logique de la description statistique. Depuis la création de la Société de géographie en 1821, les questions concernant « la délimitation » des « races », les rapports entre elles et leur dépendance du climat et d'autres conditions naturelles attiraient l'attention de géographes. D'Avezac, en sa qualité de Secrétaire de la Commission centrale, fut impliqué dans ces débats, et y participa avec de l'autorité 30.
Selon lui, cette branche naissante de la science de l'homme aurait pour vocation de décrire les « types » (physiques, mais surtout moraux) des nations actuelles et d'étudier leur « emplacement » en indiquant leurs migrations et leurs patries antérieures. Elle s'appliquerait également à « la délimitation mutuelle des races » et à « la classification des peuples » pour lesquelles les « caractères physiologiques » sont d'une grande importance, les langues jouant cependant un rôle déterminant. Dans ce sens, l'Atlas ethnographique de Balbi pouvait servir de modèle: il accordait aux langues la valeur« d'un argument exclusif» dans la délimitation des « races ».
Reconnu comme autorité dans le domaine de la description géographique érudite, d'Avezac participa aux ouvrages encyclopédiques de son époque : Encyclopédie moderne de Didot, Encyclopédie des gens du monde, Encyclopédie nouvelle, également à la Revue des Deux mondes, aux Nouvelles Annales des Voyages. En 1866, il fut élu à l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres 31, ce qui fut le couronnement de sa carrière érudite, mais aussi la confirmation de ses liens avec l'univers des orientalistes, des épigraphes et des spécialistes de langues rares et anciennes : il fut proche de l'historien de l'antiquité et philologue Alfred de Maury, qu'il essaya d'associer aux travaux de la Société ethnologique ; tandis que l'orientaliste Charles-François Defrémery (1822-1883), saint-simonien, élu, lui aussi, à l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres (1869), fut son gendre. Avec Defrémery, titulaire de la chaire de langue et de littérature arabes à l'École des langues orientales et collaborateur au Journal asiatique, connu par ses nombreuses traductions (notamment des Voyages d'Ibn Batoutah (1859, 4 vol.), et par ses recherches sur l'histoire perse et arabe, mais également par son ouvrage Des mots espagnols et portugais dérivés de l'arabe (1869), d'Avezac partageait l'intérêt pour la langue et la civilisation berbères dans leurs rapports avec le catalan et le basque.
Ces études constituaient l'un des domaines privilégiés des recherches de d'Avezac 32. Il évoquait sa curiosité pour l'histoire des rapports de la littérature et du folklore provençaux et espagnols avec les langues de l'Afrique du Nord dans sa lettre à Fauriel, à cette époque conservateur des Manuscrits de la Bibliothèque royale et inspecteur général des Archives et bibliothèques 33. Dans sa lettre, d'Avezac communiquait à Fauriel les références de ses ouvrages dans lesquels il traitait des sources africaines de la civilisation ibérique 34.
La passion de d'Avezac pour les langues et les cultures orientales transparaissait dans ses analyses géographiques. Aussi ses bilans de voyages (comme ceux des frères Lander ou de René Caillié) ou les notes relevant de la correspondance administrative du Sénégal, qu'il publiait dans le Bulletin de la Société dans les années 1830-1840, allaient-ils de pair avec ses écrits sur le Maroc et sur les itinéraires de voyageurs arabes à travers l'Afrique septentrionale : il traduisit de l'arabe quelques-uns de ces textes 35.
Attiré en particulier par les études de la langue berbère, à cette époque en pleine effervescence, il en dressa un état de lieux dans le Bulletin, l'accompagnant d'un aperçu de manuscrits disponibles. Il mit également en relief la valeur géographique du séjour de Caillié chez les Maures Brakna, que les contemporains, davantage impressionnés par l'itinéraire de ce dernier vers Tombouctou, laissèrent dans l'ombre.
Ayant appliqué ces procédés érudits, propres aux études orientalistes, à la description géographique de l'Afrique occidentale, d'Avezac détacha cette dernière du « simple » récit de voyage et l'inscrivit dans le domaine hétéroclite de l'érudition savante de son temps. Il correspondait parfaitement au type du savant de cabinet se nourrissant de récits de voyages dont les représentants furent nombreux à la Société de géographie à l'époque de la Restauration 36. Cependant son rôle était loin d'être celui d'un compilateur détaché de la réalité : au contraire, il fut l'un des organisateurs de la science de son temps, lanceur d'idées et de projets de recherche, associé à l'expansion coloniale et à la politique. Ses bilans de découvertes en Afrique occidentale qui communiquaient au public l'état des lieux prospectés et des territoires restant inconnus 37 se fondaient sur une certaine méthode de la description géographique s'appuyant sur la confrontation de sources manuscrites, sur l'étude des langues et privilégiant les renseignements reçus des « indigènes » : des voyageurs arabes et des esclaves noirs affranchis. D'autre part, d'Avezac contribua à la délimitation du domaine des disciplines incluses, comme la linguistique ou l'ethnologie, dans la description géographique.
La curiosité de d'Avezac pour la langue et les populations berbères et pour les influences maures en Espagne déterminèrent l'orientation de ses écrits sur l'Afrique occidentale. Les lettres des résidents des forts français, informant la direction de la Marine des derniers événements dans le Fuuta Tooro, donnèrent matière à ses réflexions sur les liens entre l'Afrique du Nord et l'Afrique noire.

En orientaliste versé dans l'histoire, d'Avezac interpréta les phénomènes religieux agitant l'actualité de la moyenne vallée du fleuve comme un prolongement du mouvement de la réforme musulmane lancée par les tribus maures. Il vit dans les populations peules et haalpulaar des bords du Sénégal les héritiers des Almoravides et des Almohades.

D'Avezac développa son point de vue sur les Peuls dans un article intitulé « Notice sur l'apparition nouvelle d'un prophète musulman en Afrique», lu à la Société asiatique en 1829. Il y traita d'un fait qui se produisit en 1828 à Suyuma, près de Podor, dans le Tooro. Il s'agissait de Muhammad Amar Ba, le « Mahdi de Suyuma », qui, après plusieurs années d'études auprès des cheikhs maures, revint dans sa région natale et prêcha la guerre sainte contre les infidèles et les notables ayant des contacts avec Saint-Louis, et donc « corrompus ». Plusieurs chefs des provinces de Dimar et de Tooro (à l'ouest du Fuuta) se saisirent de son message afin de remplacer Youssouf, l'almamy au pouvoir (qui était un ressortissant du Fuuta oriental). par son concurrent, un ex-almamy, Biran Wane 38. Le mahdi, armé par Biran et accompagné de ses hommes, attaqua les troupes de Youssouf, mais fut battu.

Il réapparut deux mois plus tard dans le village de Suyuma et appela les habitants à se repentir de leurs péchés (qui seraient à l'origine de sa défaite) ; ensuite il se saisit d'un poignard et égorgea son nouveau-né devant le public. Son action, ayant fait l'objet de la désapprobation de l'almamy et de ses notables, s'épuisa rapidement. Il créa un village près de Podor où il vivait, entouré de ses disciples, encore dans les années 1850 39.

Les observateurs français se trouvant à l'époque « en rivière » relevèrent surtout l'aspect politique de ces événements qui les impressionnèrent. Ils évoquèrent le danger que représentait l'alliance de Muhammad Amar Ba avec l'almamy Biran et avec Eliman Bubakar, chef de la province de Dimar, d'autant plus que son message eut un certain succès auprès des musulmans de Saint-Louis (« … à Saint-Louis, où l'on a vu un grand nombre de mahométans de l'île se convertir à lui »). En revanche, d'Avezac transforma ce fait en exploration érudite de l'histoire du phénomène du mahdisme. Il en tira également des considérations sur le caractère du peuple peul.
En contact avec les administrateurs des postes du fleuve (notamment avec Charles Berton, inspecteur des cultures chargé de l'administration de Richard-Toll, et avec Ferdinand Duranton, administrateur du poste de Dagana et explorateur du haut Sénégal), il les interrogea à propos du caractère de l'islam des habitants du Fuuta. Il compara leurs renseignements avec les textes des auteurs arabes, et en conclut que les Maures, comme les Toucouleurs, seraient des malékites présentant la particularité de croire à l'apparition du Mahdi. D'où leur fanatisme et leur prosélytisme : ils se sentent chargés d'une « glorieuse mission de réforme et de domination » qui en fait des « fondateurs de puissantes dynasties ». Le pays du couchant (al-Maghreb) que d'Avezac élargit à toute l'Afrique occidentale serait par excellence le pays du mahdisme ; tel était le rôle qui lui était attribué dans les prophéties de Mohammed. Le mouvement d'Abd-Allah Yasyn al-Gézouly (« les romanciers espagnols ont appelé cette dynastie puissante du nom d'Almorabides ») 40 serait d'une importance capitale pour comprendre les événements actuels dans l'ouest africain.

Le mot « marabouth » ayant une racine commune avec le « rabâth », ermitage, correspondrait à une trace vivante de l'influence des Almoravides en Afrique occidentale. Comme « les Mouahhédyn ou unitaires », « que les romans andalous ont appelés les Almohades », ils seraient des ancêtres directs du mouvement de la réforme dans ces régions.

Pour d'Avezac, les événements du village de Suyuma correspondaient à l'une des nombreuses manifestations d'une ancienne tradition religieuse, remontant à l'origine même de l'islam. Son texte exprimait une philosophie de l'histoire que l'on qualifiera de romantique: les faits seraient des expressions d'une réalité cachée, des signes ; en se révélant dans des circonstances variables, ils évoquent tous le même esprit d'origine, la même énergie du départ.

A la même époque, Chateaubriand, l'un des premiers présidents de la Société de géographie, publia Les Aventures du dernier Abencérage (1826). L'appel aux « romans andalous », aux « romanciers espagnols » n'était pas fortuit : liant les Peuls et les Haalpulaar'en aux Almoravides, d'Avezac communiqua à leur image une nouvelle gamme d'associations. Pour les géographes et tout le public féru de récits de voyages, ils ne représentaient plus des habitants turbulents du fleuve, mais un « peuple » investi d'une vocation religieuse.

L'histoire et l'actualité du pays toucouleur n'ont de sens, selon d'Avezac, que dans la mesure où ce dernier constitue un hinterland de l'aire culturelle maure. L'identité des Peuls est décrite par rapport à leur proximité avec les Maures ; ils habitent « au sud des populations mauresques ». Ils se rapprochent également des Maures physiquement : se trouvant « au milieu des races nègres », ils sont cependant « une race cuivrée » ; ils « se comptent, aussi bien que les Maures, parmi les nations blanches» 41.

Les géographes découvraient aux Peuls et aux Maures des ressemblances de « structure » : on savait que les uns comme les autres avaient de nombreuses ramifications et se déplaçaient sur des vastes territoires, sans que les Européens aient pour autant une idée exacte sur leurs groupes et sur les frontières de leurs transhumances.

Le questionnaire que la Société de géographie proposa aux souscripteurs dans les premiers numéros de son Bulletin témoignait de ces lacunes : il visait à les combler en incitant les voyageurs à s'intéresser aux origines des tribus maures et à leur organisation, au problème de la « véritable différence » entre les Maures et les Arabes dans l'Afrique septentrionale 42.

Les questions que le Bulletin formula au sujet des Peuls étaient beaucoup moins élaborées ; elles concernaient surtout les vocabulaires.

En effet, les plus importants voyages informant les Européens sur les États peuls se déroulèrent quelques années plus tard. Par contre, vers la fin des années 1820, on possédait déjà des renseignements suffisants pour reconnaître des ressemblances entre les différentes régions où les Peuls étaient majoritaires. Aussi, D'Avezac décrivait-il les Peuls en tant que « peuple » et entité ethnique et culturelle, et non uniquement comme une population associée à un territoire.

Les questionnaires préalables sur les Maures lui servirent de modèle. Il soulignait le problème de l'immensité de l'espace occupé par les Peuls et de l'imprécision de ses frontières « qui s'étend, comme une vaste zone, depuis le célèbre empire de Bornouh jusque vers les bords de la Mer Atlantique ». Si le peuple ne peut pas être réduit à un certain territoire, il faudrait chercher ailleurs, ajoutait-il, les explications de son comportement, de son histoire et de sa culture. Le nom de « ces peuples », aussi pluriel que leurs terres (« le vulgaire les désigne sous les noms divers de Fellâtas, Foulah, Fouleys, Peuls etc., mais eux-mêmes se donnent le nom de Félans »), exprimait-il les multiples facettes de la même identité ou plutôt des identités différentes ?

D'Avezac essaya de reconstruire son étymologie (en libérant, selon sa méthode, son radical et en le comparant à d'autres termes qui se présentaient par association, ce qui lui suggérait de nouvelles significations). Finalement, il opta pour l'appellation « les Félâns », terme fréquent, dans les années 1820-1840, sous la plume de Jomard, de d'Eichthal et de Caillié, dans les pages du Bulletin de la Sodété de géographie. Son usage, emprunté aux récits de voyageurs écossais (notamment à Clapperton), reflétait aussi la primauté des Britanniques dans l'exploration des États peuls de l'Afrique intérieure.

Le texte formulait une interrogation importante sur la signification de l'extension géographique des Peuls pour leur histoire. Quelle est la force qui maintient en correspondance leurs différentes populations ? Comment leur déploiement à travers une « vaste zone », « la longue traînée qu'ils forment de l'est à l'ouest », est-il devenu possible sans que se perde leur identité collective ? Enfin, à quoi reconnaissait-on cette identité ?

Les récits de voyageurs du début du siècle, comparés aux renseignements puisés auprès des lettrés indigènes (qu'il appelle « ignorants marabouths nègres ») et dans les ouvrages des anciens auteurs arabes (« les bons auteurs ») permirent à d'Avezac de faire des rapprochements intéressants entre plusieurs États peuls, dans lesquels il voyait les restes d'un ancien ensemble désuni par les incursions des Bambaras, « une race nègre puissante », « laquelle paraît avoir effectué sa marche du midi vers le nord » :

« Ainsi groupés par masses isolées, les Félans se trouvent naturellement partagés en divers états : ceux qui forment le groupe le plus occidental occupent deux royaumes principaux, gouvernés par des princes indépendants l'un de l'autre : l'un de ces royaumes est celui de Bondou, vers l'est ; l'autre est celui de Foutah, à l'ouest » 43.

Une interprétation de l'histoire africaine comme confrontation de « races » était nouvelle dans les écrits sur l'Afrique et inaugurait toute une thématique de recherches. Même si ce texte de 1829 ne résonnait pas encore en termes de « races de conquérants » et de « vaincus », il s'inspirait d'une idée romantique comparant les peuples selon leur« puissance », leur « esprit » et leur « potentiel intérieur ».
Au XVIIIe siècle, les Français se rendaient déjà compte de la parenté entre les habitants du Fuuta Jaloo et du Fuuta Tooro, parlant la même langue et ayant des institutions politiques similaires. Or, c'est seulement à l'époque romantique, après avoir connu les grands mouvements des populations suscités par la Révolution et les guerres napoléoniennes, que les Européens interprétèrent la multiplicité d'États peuls comme le fait du même peuple, ayant un passé commun et ayant appartenu, jadis, à une vaste entité politique et territoriale morcelée par les intrusions d'autres migrants, notamment des Bambaras. Le contexte européen suggérait d'analyser les guerres dirigés par les almamys comme des tentatives pour retrouver l'unité perdue, tandis que le peuple à l'origine de ce mouvement attirait vers lui la curiosité des géographes à la recherche des civilisations disparues, comme celles d'Égypte ou de l'Arabie. Le cheminement de la pensée raciologique naissante vers les Peuls se fit d'autant plus facilement que certains de leurs États militarisés et prédateurs représentaient un obstacle évident à l'avancée des Blancs vers l'intérieur du continent. On attribuait aux Peuls le dessein commun de vouloir perdre les chrétiens : ils seraient à l'origine du péril couru par les expéditions de Mungo Park, de Laing et de Clapperton. D'Avezac exprima une tendance traversant l'opinion occidentale en train de découvrir l'Afrique : décrire la diversité des sociétés peules en tant qu'unité afin de pouvoir la personnifier dans l'image d'un « peuple » ou d'une « race ».
Son récit des événements de Suyuma répondait à cet objectif. Ayant constaté, à l'instar de tous les observateurs européens, la faiblesse des almamys du Fuuta (« de si frêles monarques »), due à la lutte de ses différentes provinces pour le pouvoir 44, d'Avezac en donna une illustration en relatant les faits de la guerre entre les partis de l'almamy Youssouf Ly (Yousef dans le texte) et de l'almamy Biran Wan (que d'Avezac appelle Ibrahym) 45. Le mouvement contestataire du« Mahdi de Suyuma »,Muhammad Amar Ba (Mohammed ben A'mar ben Ahhmèd) émerge, selon d'Avezac, comme la réponse du peuple à cet état de désordre. Muhammad, meneur des foules, est décrit comme un « apôtre » au physique exceptionnel, ne ressemblant pas aux Noirs, mais aux Maures ou aux Blancs : « Mohammed appartient à la race cuivrée pure, ainsi que me l'a assuré M. Leprieur, pharmacien de la marine, tout récemment arrivé du Sénégal, et qui a eu l'occasion de voir de ses propres yeux le Mahdy » 46.
Le thème du héros solitaire communiquant avec les forces surnaturelles, investi d'une mission auprès des foules profanes, était l'un des sujets privilégiés de l'art romantique. L'idée d'une vocation dont les saint-simoniens étaient responsables auprès du peuple et celle de la parole prophétique qui leur venait du Père Enfantin soudaient précisément ceux-ci. D'Avezac, on le verra, n'était pas étranger à ce groupe. L'attraction que l'on éprouvait, en Europe, dans les années 1820-1830, pour le thème du prophète 47, se fait effectivement sentir dans les titres choisis par les auteurs des articles sur le conflit dans le Tooro : il s'agit d'un « prophète » et non d'un« mahdi » ou d'un « marabout ».
D'Avezac suivit cette mouvance ; il communiqua à son public un portrait du « prophète de Suyuma » haut en couleur, contribuant à attirer vers les « Fellans » davantage de regards intrigués. Il évoqua son aspect extravagant, et surtout sa beauté physique, qui participait, elle aussi, au succès de son entreprise ; sa voix était « tonnante » et son éloquence « irrésistible ». Le géographe s'intéressa en particulier à la relation vibrante que le mahdi entretenait avec la foule de ses compatriotes ; il en décrivait les étapes comme si elles pouvaient le renseigner sur les causes de la popularité de ce dernier : sa démence, sa retraite spirituelle, son apparition spectaculaire à l'heure de la prière de l'après-midi, l'excitation extraordinaire de la foule, enfin la scène du sacrifice de son fils le jour de Tabaski qui devait le rendre comparable au prophète Abraham (« car c'est lui qu'Allah a désigné pour effacer les péchés de son peuple »). Ainsi « le prophète » exprimait-il « l'âme » de son peuple ; sa volonté individuelle obéissait à un impératif extérieur mystérieux.
Le milieu dans lequel évolue Muhammad Amar Ba est également important pour cerner son personnage : il rencontre une résistance de la part de l' almamy régnant Youssouf et de son conseil et aussi des habitants de la ville de Podor, plus éclairés « des lumières de la civilisation à raison de l'ancien contact de ses habitants avec les Français de la Compagnie d'Afrique », et organisés autour de l'homme fort des Brakna à Podor, Mokhtar-Boubah (Mokhtar Bubu, « ministre des Braknas » 48). Cependant le mahdi s'appuie sur des assises solides dans la culture locale ; son message résulte de la fermentation religieuse de son pays, dont les habitants se distinguent par « l'ardeur des études théologiques » et par l'observation rigoureuse des cinq prières. D'Avezac retrace, avec une attention soutenue, la filière des enseignements qu'avait suivie Muhammad Amar Ba, dont l'un des maîtres fut Eliman Bubakar de Dimar, figure controversée pour les Français, tantôt leur allié, tantôt leur adversaire farouche. La caractéristique de ce personnage est intéressante par la tentative du géographe de rapprocher le comportement « irrégulier » d'Eliman de Dimar avec le fait qu'il n'est pas un Peul « pur » : « Les rapports des voyageurs s'accordent à le représenter comme un homme au-dessus du vulgaire, mais double, dissimulé, avide, et sans foi, se donnant pour un ami des Européens, et trahissant leur confiance. Il n'est point de la race des Félans purs, mais bien de celle des Nègres ou plutôt des mulâtres qui habitent le Toro » 49. Le texte crée une différence radicale entre les Peuls et les « Nègres » en laissant planer la supposition qu'à chacun de ces types doit correspondre un caractère particulier.
D'Avezac s'interrogeait sur l'avenir collectif de ce peuple, géniteur de prophètes : « si le génie de cet homme ne prépare point à son peuple d'extraordinaires destinées … ? ». Parmi les Européens qui entretenaient les contacts avec ce peuple mystérieux, d'Avezac voyait également des êtres hors du commun, marqués par l'esprit romantique. Telle est la description de l'explorateur Ferdinand Duranton, nommé dans le texte « F … D … », mais facilement reconnaissable, dont le portrait ressemble à celui du « prophète ». Duranton renseignait d'Avezac sur « les tribus mauresques voisines du Sénégal » : il lui communiquait ses observations sur les divisions au sein des Maures lrarza et Brakna des bords du fleuve. Personnage controversé aux yeux de ses contemporains, Duranton leur paraissait tantôt comme un aventurier ayant abandonné son devoir, tantôt comme un explorateur courageux 50. Il laissa des observations détaillées des populations du haut Sénégal, il attira l'attention sur leur importance dans le commerce entre le Sahara et la côte atlantique. L'indépendance de son comportement, son mariage avec la fille du chef du Khasso et son implication personnelle à côté de celui-ci dans les opérations militaires impressionnèrent ses contemporains.

Les membres de la Société de géographie le considéraient comme un voyageur hors du commun, « acclimaté », vivant selon la manière du pays, portant le costume maure, parlant les langues locales.
D'Avezac laissa de Duranton une image romantique et affectueuse : fort 51 et beau, il possédait la carrure nécessaire pour affronter les Maures et les Peuls « d'une haute taille, d'un tempérament sec et nerveux, ayant le teint brun, les traits du visage prononcés, les cheveux et la barbe très-noire, le costume africain achève de lui donner tout l'extérieur d'un Félan », « J'ai vu, en 1828, ce voyageur sous le costume félan, drapé avec grâce des mêmes pagnes qu'il portait dans le Kassou, ayant au cou l'amulette obligée, à la ceinture le poignard, et parlant au jeune esclave, présent de noces de son royal beau-père, tantôt l'une tantôt l'autre des diverses langues de Sénégambie, toutes avec une égale aisance, une égale volubilité » 52. Ce portrait permet de comprendre mieux l'idée que les Européens se faisaient à cette époque des Peuls, d'autre part, il évoque le recours fréquent des voyageurs des années 1820 au déguisement, au travestissement en indigène ; plusieurs parmi eux se déplacèrent à travers l'Afrique en se faisant passer pour des Maures ou des Égyptiens. Lors de leurs séances, les géographes discutaient sérieusement des avantages et des défauts de cette façon de voyager, finalement, on la reconnut être trop dangereuse. La popularité du costume « arabe » auprès des explorateurs de la même génération témoigne des difficultés des périples en Afrique musulmane, mais aussi d'un état d'esprit romantique, désireux de traverser les différents milieux, de revêtir de nombreuses apparences et de pénétrer dans la peau de l'autre, afin de se connaître mieux soi-même 53.
Duranton pouvait témoigner des Peuls comme s'il en était un ressortissant. En se rendant familier aux Peuls, il permettait de les imaginer davantage proches des Européens. Les sympathies politiques de d'Avezac et ses fréquentations dans le milieu des saint-simoniens contribuèrent à la circulation de ses idées dans un cercle élargi des géographes, des voyageurs et des orientalistes. Sans pouvoir affirmer qu'il faisait partie du groupe proche du « Père », nous savons par ailleurs que des liens d'amitié et de coopération le liaient à plusieurs saint-simoniens 54, surtout à Gustave d'Eichthal, l'une des figures de proue du mouvement, mais aussi à l'orientaliste Charles Defrémery, son gendre. D'Eichthal, étant devenu secrétaire de la Société ethnologique, demandait des conseils à d'Avezac comme ayant davantage d'expérience en tant que secrétaire et gestionnaire des sociétés savantes 55. La correspondance entre d'Eichthal et d'Avezac conservée par la bibliothèque de l'Arsenal date de 1844, de 1846, de 1848, de 1849, de 1853, mais elle n'est que l'une des traces de relations plus anciennes. Cette correspondance porte principalement sur la mise en place et le fonctionnement de la Société ethnologique de Paris 56, et la publication de son Bulletin.
Les lettres évoquent également l'implication énergique de d'Avezac dans le soutien porté à la carrière du saint-simonien, explorateur de Madagascar et de la Nouvelle-Calédonie, le capitaine Guillain 57. En 1849, le géographe essaya d'obtenir sa promotion au sein du ministère de la Marine, il demanda à d'Eichthal d'y contribuer également, en lui rappelant que « Guillain est un débris de la famille saint-simonienne, c'est-à-dire un esprit d'élite, faisant son métier de marin avec cette conscience intelligente qui double le mérite des services, mais il ne fait pas le puff qui réussit si bien à quelques autres. » 58 Pour trouver les interlocuteurs susceptibles d'aider Guillain, d'Avezac s'adressa au Père Enfantin. La seule lettre qui témoigne de contacts entre Enfantin et d'Avezac est liée à la situation de Guillain 59.
Il est tentant d'émettre l'hypothèse que d'Avezac faisait partie du cercle des saint-simoniens, que son amitié avec d'Eichthal remontait à cette participation et précédait leur collaboration dans les sociétés savantes, et que l'émergence de la problématique de la particularité des Peuls coïncidait avec les intérêts des saint-simoniens qui lui assurèrent une certaine diffusion. La participation des saint-simoniens au travail des sociétés savantes n'était pas sans impact sur le choix de leurs options dans les années 1830-1840, notamment la systématisation et la propagation des découvertes en Afrique 60 par la Société de géographie et la description de ses peuples entreprise dans le cadre de la Société ethnologique.
En effet, d'Eichthal fut le propagateur de la Société ethnologique auprès des saint-simoniens : il y attira son ami Charles Lambert 61. D'autre part, le premier président de la Commission centrale de la Société de géographie, Edme-François Jomard, « égyptologue officiel » de la France et l'une des figures essentielles de cette société, entretenait, à partir de 1843 et jusqu'aux années 1860, des contacts soutenus avec Prosper Enfantin, notamment en sa qualité de membre de la Commission scientifique de l'Algérie. Leurs lettres, traitant principalement de sujets techniques, reflètent, néanmoins, la tentative d'Enfantin de familiariser aussi Jomard avec ses idées religieuses, mais il se heurta à l'attitude polie et distante de ce dernier qui le félicitait simplement de pouvoir le compter « au nombre de ceux qui prennent intérêt aux saines doctrines de philosophie religieuse, appliquées au temps présent » 62.
Nous n'avons donc pas suffisamment de renseignements pour juger de l'implication de d'Avezac dans le mouvement des saint-simoniens. Par contre, nous pouvons affirmer qu'il créa une image des Peuls chargée d'une sensibilité romantique, qu'il organisa les renseignements nouveaux et anciens de telle façon que l'idée d'un peuple doté d'un destin particulier émergea de sa description. Enfin, les contacts et les relations de d'Avezac contribuèrent à ce que l'emprise de ses idées sur le terrain des échanges scientifiques fût durable.

Les voyageurs rencontrent les Peuls (début du XIXe siècle)

La curiosité des géographes pour les sociétés peules 63 émergea dans le contexte de la multiplication des missions d'exploration vers l'intérieur de l'Afrique dans les années 1820-1830. Elles suivaient trois axes principaux :

La plupart de ces expéditions furent organisées par une association britannique pour la promotion des découvertes en Afrique (African Association, créée en 1788). La Société de géographie de Paris, consciente du retard français dans le domaine des découvertes, suivait leur déroulement et relatait systématiquement leurs résultats dans les pages de son Bulletin. Les traductions françaises, commentées et présentées par les géographes, suivaient de près la publication des récits de voyages anglais 64.
Or dans ces récits les descriptions des contacts avec les sociétés peules occupaient une place importante : hautes en couleur, elles reflétaient les difficultés des voyages. Les membres de la Société de géographie portaient un jugement critique sur les renseignements des voyageurs ; aussi les idées courantes sur les Peuls résultaient-elles du dialogue entre plusieurs discours. Le Bulletin essayait de regrouper les renseignements disponibles pour entretenir ses lecteurs sur les questions restant obscures, à savoir :

Cependant la part de l'élément romanesque, insistant sur le danger et la mort, mélangeant le fantastique et le réel, était importante dans les représentations sur les Peuls à l'époque romantique. Les peurs et la fascination que les Fulɓe suscitaient chez les Européens constituèrent le fondement du savoir transformé par la suite en une « science de race ». Il est donc important de relever les accents de quelques-uns de ces récits de voyages (dont les circonstances et les itinéraires sont par ailleurs bien connus).

Premières impressions négatives

La recherche des sources du Niger et les tentatives de visiter la ville de Tombouctou dominaient la pensée européenne sur l'Afrique au début du XIXe siècle ; aussi, découvrait-on les sociétés peules au rythme de la progression vers ces deux objectifs.
Les récits des découvertes de Mungo Park 65 et sa mort tragique dans les rapides de Bussa, dans l'ouest du Nigeria actuel, constituèrent des événements essentiels pour communiquer à l'imagination des géographes et des voyageurs une idée macabre sur les Peuls : durant plusieurs décennies on les croyait responsables de la disparition de l'explorateur 66. Les Européens croyaient que les Peuls représentaient l'obstacle principal pour la circulation de voyageurs dans les régions situées dans le courant moyen du Niger. Ce thème fut repris dans le récit du chirurgien Dochard sur le Fuuta Jaloo (1816, expédition du major Peddie et du capitaine Campbell). Retardée sur le Rio-Nunez par l'almamy du Fuuta Jaloo, l'expédition dut rebrousser chemin vers la côte, tandis que ses participants, excepté Dochard, succombèrent aux maladies.

guerrier-foulah400
« Guerrier Foulah » par Guérin, extrait de Gray,
William, Dochard, Voyage dans l'Afrique occidentale
pendant les années 1818, 1819, 1820 et 1821,
depuis la rivière Gambie jusqu'au Niger, en traver-
sant les états de Woulli, Bondoo, Galam, Kasson,
Kaarta etFoulidou,
par le major William Gray et feu
Dochard, chirurgien d'État-Major, traduit de l'anglais
par Mme Charlotte Huguet, Paris, Avril de Gastel,
1826.

Après cette fin tragique, il accompagna le major William Gray dans son voyage dans le Ɓundu (1818-1821). Son journal de la mission de 1816 fut publié avec le récit de Gray 67. Reconnaissant que les Peuls avaient leurs raisons de redouter les Européens 68, le chirurgien interpréta toutefois leur attitude comme la manifestation d'un fanatisme aveugle 69. La Société de géographie de Paris commentant l'échec de l'expédition de Peddie et de Campbell y voyait également la responsabilité des « Foulahs », « les plus inhospitaliers, les plus cruels et les plus méfiants de tous les Africains » 70.
La création de la Société de géographie fut contemporaine d'une série de missions britanniques qui confirmèrent le danger associé aux Peuls. L'expédition du major William Gray correspondait à une nouvelle tentative pour accéder à Tombouctou à partir de la côte ; elle avait pour objectif de reconnaître les pays situés entre le Sénégal et la Gambie jusqu'à cette ville et d'établir des relations de commerce avec les populations de ces régions. Instruits par la triste expérience de leurs prédécesseurs, les voyageurs devaient éviter le Fuuta Jaloo et« le terrible Almamy du Timbo ».
Cependant, bloqué dans le Ɓundu, Gray découvrit que c'était un pays« habité par un peuple aussi fanatique, aussi méchant que celui du Fouta-Dhialon » 71.
Finalement, les explorateurs se replièrent sur le fort français de Bakel, sans avoir découvert « de nouvelles contrées » 72.
Le récit de Gray fut encore plus virulent à l'égard de la population du Ɓundu que celui de Dochard sur les Peuls du Fuuta Jaloo. L'attitude de l'almamy était « humiliante » ; son fils aîné leur parla « avec hauteur et avec un air d'indifférence très offensant » ; avec « un ton impérieux » ; « il affectait de s'envelopper la bouche et le nez avec la partie de son turban … comme s'il eût craint de respirer le même air qu'un infidèle » 73. Les voyageurs furent ulcérés par le nombre croissant de présents exigés pour obtenir un passage vers le Ségou et par leur répertoire de plus en plus sophistiqué, les cadeaux « ordinaires » n'étant considérés que comme des « douceurs ». Gray décrivit leur désespoir face à la perspective de rebrousser chemin vers la côte par le Fuuta Tooro qui les effrayait surtout par la situation des « interrègnes hors du pouvoir de Footas, plus à craindre encore pour nous que les Bondoo » 74.
Les traductions françaises de l'ouvrage de Gray et du journal de Dochard parurent à la même époque que Le Voyage dans le Timanni de Laing 75, évoquant les faits de la guerre entre les Peuls et les populations du Sulimana (le Selima) et du Kuranko, peuplé par les Kuranko (à la frontière du Fuuta Jaloo et de la Sierra Leone). En somme, les récits des trois explorateurs décrivaient les États peuls comme des sociétés militarisées, prédatrices, en pleine expansion, ayant des projets hégémoniques et soudées par une haine viscérale envers les chrétiens.
Dans leurs notes et présentations, les géographes contribuèrent à rendre encore plus cohérente cette image négative des Peuls. Ainsi, de Larenaudière et Eyriès, membres de la Commission centrale de la Société de géographie et traducteurs des ouvrages de Gordon-Laing et de Gray, préparaient-ils l'opinion à la nécessité de doter l'exploration de moyens plus musclés. Dans son Essai sur les progrès de la géographie de l'intérieur de l'Afrique, sorte de bilan des dernières expéditions, de Larenaudière véhiculait une idée romantique de l'Afrique occidentale, terre mystérieuse aux richesses innombrables ayant une nature démesurée, portée à l'excès dans toutes ses manifestations, peuplée d'animaux féroces et d'hommes sauvages. Il appelait de ses voeux une franche coopération entre les explorateurs et les militaires : « la guerre elle-même est souvent la voie mystérieuse qui conduit aux découvertes » 76. Les intérêts économiques justifiaient cette expansion :

« Nous voulons que l'Afrique, avec le reste du monde, paie son tribut à notre industrie; qu'elle verse au milieu de nos villes encombrées d'hommes, ses trésors, ses produits, ses métaux précieux »; quelles que soient les raisons de la découverte, « il faut que l'Afrique intérieure subisse à son tour la civilisation moderne».

Ces appels s'accompagnaient de la liste des explorateurs décédés, victimes du climat, des maladies et de la malveillance des indigènes ; on suggérait au public que les États peuls étaient des adversaires principaux de la progression européenne sur le continent 77.
Moins présents que les Anglais dans l'exploration du continent au début du siècle, les Français revinrent au Sénégal en 1817.

Le voyage de Gaspard-Théodore Mollien vers les sources de la Gambie, du Sénégal et du Niger inaugura cette période et servit de référence pour des nombreuses synthèses postérieures sur les Peuls. Cependant, le séjour sensationnel de Caillié à Tombouctou en 1828 éclipsa en quelque sorte la mission de Mollien dans l'opinion des contemporains. Afin de stimuler les découvertes dans l'intérieur de l'Afrique, la Société de géographie de Paris établit un prix au premier Européen qui entrerait dans cette ville. L'exploration du continent mystérieux sollicitait l'énergie et les rêves de la génération des jeunes gens nés autour de 1800, ayant grandi à l'époque des guerres napoléoniennes et condamnés à l'inaction sous la Restauration 78. L'image romantique de Tombouctou, révélée aux Européens par les voyages de Laing (1826) et de Caillié (1828), s'associa à celle des Peuls, dont le rôle politique était pressenti. Le journal de Caillié confirmait l'opinion des Européens selon laquelle les Fulɓe étaient les ennemis principaux de leur investigation en Afrique occidentale. D'autre part, il communiqua à l'image de ces populations un parfum particulier ; tout était singulier chez eux : leur comportement, leurs demeures, leur manières.

De l'angoisse à l'enthousiasme : Mollien et Caillié chez les Peuls

Les récits de voyages de Mollien (1818) et de Caillié (1828), séparés par un intervalle de dix ans possédaient beaucoup de traits en commun 79, aussi bien que les biographies des deux hommes 80. Gaspard-Théodore Mollien (Calais 1796 - Nice 1872), fut attiré, comme René Caillié (Mauzé 1800 - La Baderre 1838), dès sa jeunesse, par les voyages. Il se forma en prenant des notes sur l'histoire naturelle, les langues et la statistique. A la différence de Caillié (retiré en province et mort prématurément quelques années après son retour d'Afrique), Mollien fréquenta les réunions savantes et mondaines, devint proche de Cuvier et de Humboldt et termina sa carrière comme consul général de France à la Havane. Il fit un voyage important en Colombie et, à la fin de sa vie, visita l'Inde et la Chine. Parti de l'embouchure du Sénégal, Mollien traversa le Fuuta Tooro, le Ɓundu, et le Fuuta Jaloo. Il explora les sources de Rio-Grande, de la Gambie, de la Falémé et du Sénégal. Il séjourna à Timbo dont il établit les coordonnées géographiques.

Rene Caillie - 1799-1838
René Caillié (1799-1838)

Sur sa route vers Tombouctou, Caillié traversa également le Fuuta Jaloo et le Maasina ; au préalable, il visita brièvement le Ɓundu et laissa un portrait sommaire de son almamy, Muusa Yero, le successeur et le neveu de l'almamy Amadi Aissata, décédé au début du séjour de Gray. Les deux narrations constituaient les rares récits de voyages écrits en français ; aussi devinrent-elles une importante référence pour les géographes. Avec le temps, il se produisit dans l'esprit des auteurs de synthèses sur l'Afrique occidentale, qui puisaient dans Mollien et Caillié, comme un amalgame entre les deux narrations. Il est donc important de relever la dynamique qu'elles communiquèrent aux représentations sur les Peuls au milieu du XIXe siècle.
Mollien et Caillié appartenaient à la même génération animée par l'esprit de découverte : Mollien se rendit en Afrique à bord de la Méduse et fit partit des naufragés qui réussirent à atteindre la côte mauritanienne ; il regagna Saint-Louis à pied, après une longue marche dans le désert. Caillié, dont le premier séjour au Sénégal datait de la même époque, s'embarqua sur la gabare la Loire qui « marchait de conserve avec la Méduse » mais qui, « s'étant heureusement écartée » de son itinéraire, arriva indemne dans la rade de Saint-Louis 81. Le sinistre fantôme de la Méduse hantait l'imagination de Caillié : relatant sa participation à l'expédition du major Gray auprès de l'almamy du Ɓundu, il faisait part d'« un esprit de terreur [qui] s'était emparé de tout le monde » 82 lorsque ses compagnons et lui essayaient d'échapper dans la nuit à leur escorte toucouleure ; leur situation lui rappela alors celle des victimes du radeau.
Par leur style et par la construction de leurs récits, les narrations des deux voyageurs appartenaient à la culture romantique 83, dans laquelle ils puisaient de nombreux sujets. Le thème de la survie dans des conditions extrêmes prédominait dans leurs textes : Caillié affirmait qu'il portait toujours dans son sac un arrêt de mort, tandis que Mollien relatait ses pressentiments de sa disparition proche au Fuuta Jaloo et évoquait le danger mortel qui le poursuivait en permanence durant sa traversée du Fuuta Tooro. Leurs sentiments leur paraissaient essentiels : ils essayaient aussi de pénétrer ceux des Africains. Ils faisaient part de leur exaltation devant la grandeur de la nature, et témoignaient d'une énergie mystérieuse qui les animait le long de leurs voyages. Caillié ressentait une force puissante et incontrôlable qui l'incitait à entreprendre son périple à Tombouctou ; cette ville devint pour lui une sorte d'obsession : « et par la suite la ville de Tombouctou devint l'objet continuel de toutes mes pensées, le but de tous mes efforts ; ma résolution fut prise de l'atteindre ou de périr » 84. Il présentait son projet davantage comme la poursuite d'une passion que comme un plan d'exploration géographique ; le désir de voyager s'empara de lui comme une force fatale : « ce dessein était irrévocable ». Mollien, lorsqu'il accéda aux sources du Sénégal, fut « saisi d'un sentiment religieux » qu'il éprouva à nouveau en observant la prière du couchant au Fuuta Jaloo.
Les tentatives de changer d'identité que Mollien et Caillié entreprirent lors de leurs voyages relevaient également des codes de l'époque romantique. Au Fuuta Jaloo, Mollien élabora le plan de descendre le Niger en pirogue jusqu'à Tombouctou, en se déguisant en l'esclave de son guide. Au Fuuta Tooro, il voulut d'abord voyager habillé en costume indigène. La façon de se déplacer en se faisant passer pour un Arabe se trouvait au coeur de la narration de Caillié. Après le séjour de quelques mois parmi les Brakna, Caillié revint à Saint-Louis avec la certitude de pouvoir explorer l'intérieur de l'Afrique en se présentant comme un Arabe rescapé des pays chrétiens : il envisageait notamment le voyage dans le Bambuk, mais également une traversée du Sahara d'ouest en est, « en voyageant comme marchand et comme pèlerin jusqu'à La Mecque » 85. A Saint-Louis, il démarchait les bureaux toujours « revêtu du costume du pays, soumis à tous les usages et aux pratiques de l'islamisme » (notamment parce qu'il était observé par les Maures à qui il avait promis de persister dans l'islam), ce qui choquait ses compatriotes. Le Bulletin de la Société de géographie fit part de l'aspect scandaleux que représentait pour le gouvernement sa présence déguisée lorsqu'il sollicitait des subventions pour une nouvelle mission : « il éprouva le même refus qu'on avait fait partout à la simplicité de son extérieur et à ce qu'on appelait l'extravagance de ses projets » 86.
A la même époque, plusieurs voyageurs entreprirent d'explorer l'intérieur de l'Afrique « ayant pris le costume et toutes les habitudes d'un musulman » 87. Ainsi Burckhardt, séjourna-t-il deux ans et demi dans l'Égypte supérieure et en Nubie. Il préparait le projet d'une traversée de l'Afrique d'est en ouest, lorsqu'il mourut au Caire en 1817. En 1819, Ritchie et Lyon explorèrent Mourzouk et le Fezzan habillés en musulmans. Ce travestissement répondait à la nécessité de contourner les obstacles auxquels s'exposaient les chrétiens dans les pays d'islam ; il relevait également de la tentative de pénétrer l'identité de l'autre afin de mieux se connaître soi-même et de transgresser les barrières séparant les individus 88.
A la différence de l'administration coloniale, les géographes furent réceptifs à l'initiative de Caillié. Ils évoquèrent l'importance de l'étude interne de la vie des sociétés africaines : « M. Caillié parvint à se concilier l'esprit des Maures, et à jouir parmi eux de quelque considération ». On attribuait la raison principale du succès de son voyage à Tombouctou à sa capacité de mimétisme : on le confondait avec les musulmans dont il partageait la nourriture. Il était facile de l'imaginer comme un Peul se nourrissant de fruits sauvages. Mais une inversion n'était pas impossible, on pouvait avoir l'idée d'un Peul ressemblant à un René Caillié vêtu d'oripeaux et endurci par son voyage. Lui-même semblait tirer une certaine fierté de cette confusion, prétendant que certains Maures de Djenné avaient un teint plus clair que lui.
Mollien et Caillié apportèrent au récit de voyage une nouvelle dimension psychologique : la problématique de l'échange, de l'interaction avec l'autre se trouvait au centre de leur narration. Mollien, qui, après un moment d'hésitation, préféra garder son apparence européenne, se souciait énormément de l'effet qu'elle produisait sur ses hôtes. Au cours de son voyage, il s'interrogeait constamment sur la signification de leur comportement, en l'interprétant plutôt comme présentant un danger potentiel.
Caillié jugeaient les Africains selon leur réceptivité pour son histoire de captivité chez les chrétiens. La période d'un certain « lyrisme » narratif, de la curiosité pour les manifestations psychologiques des sociétés africaines ne dura pas : elle disparut avec le déclin de la culture romantique en Europe. Le désir de savoir ce que ressent l'autre et de découvrir les motifs de son comportement ne préoccupe aucunement les médecins militaires des années 1860, attirés surtout par la description anthropologique. Il y a lieu donc de s'interroger sur le rôle que la sensibilité romantique joue pour que s'élaborent, à partir de la première moitié du XIXe siècle, des représentations fortes et durables sur la singularité des sociétés peules 89.
Ayant exercé une influence puissante sur la philosophie de l'histoire en Europe, le romantisme participa également à la création des modèles descriptifs des populations africaines.
Les deux voyageurs démontrèrent que « l'univers de l'esprit », tout ce qui était « l'âme » le monde psychologique de leurs hôtes Fulɓe, y compris leurs sentiments hostiles (comme, par exemple, « le fanatisme ») étaient plus complexes et contradictoires qu'on ne le pensait en Europe.

Mollien surtout se laissa emporter par la description des arcanes du tempérament « ombrageux » des Peuls.

Il voyait ses tenants dans la jalousie : tout en étant fiers de leurs valeurs, les habitants du Fuuta Jaloo souhaitaient apprendre les secrets de la réussite économique des Blancs ; ils se comparaient, en permanence, avec les chrétiens. Les habitants de Timbo étaient familiers des Européens (« L'orgueil de ce noir fut pleinement satisfait en me montrant qu'il connaissait notre manière de vivre ») ; ils reconnaissaient la supériorité de ces derniers dans plusieurs domaines et l'attribuaient à des pouvoirs magiques (d'où les demandes adressées au voyageur pour confectionner des talismans et des gris-gris ou pour traiter les maladies). Leur jugement sur les diverses capacités des Blancs révélait l'existence d'une confrontation latente entre les comptoirs de la côte et l'État peul 90.
C'est pourquoi le savoir et les techniques des Blancs étaient systématiquement relativisés, mis en question et minorés : « les Européens savent fabriquer les armes à feu, mais n'entendent rien à s'en servir ». En outre, les Peuls se considéraient comme supérieurs aux Blancs au plan spirituel parce qu'ils pratiquaient la vraie religion : « le blanc sait lire, il sait écrire, mais il ne sait pas prier ». Mollien se sentit l'objet de cette comparaison à la fois inquiète et dévalorisante, qui suscitait chez lui une colère impuissante dont il fait part à plusieurs reprises, révélant ainsi l'état d'esprit de l'homme occidental du début du XIXe siècle, fier de sa civilisation.
En même temps, Mollien nuança l'image sombre que l'on se faisait en Europe du pays des almamys. Il releva les dires de ses interlocuteurs (par exemple, d'un « iman de Timbo » « dont les traits et la couleur ressemblaient entièrement à ceux des Maures »), selon lesquels la moitié des habitants du Fuuta Jaloo détestait les Européens, tandis que l'autre moitié, composée de marchands, les aimait beaucoup 91.
A l'instar des autres Européens (Caillié, Dochard), il se plaignait de la cupidité des Peuls, tout en insistant sur la pluralité d'opinions de ses hôtes qui n'étaient pas unanimes sur l'attitude à adopter à son égard.
L'accueil réservé à Mollien variait également selon les territoires 92. Le style de sa narration, privilégiant les contrastes, augmentait l'impression de la différence. Tantôt il fut saisi par la peur ou l'indignation devant la cupidité et la fourberie des habitants, tantôt il admirait une sorte de paradis terrestre peuplé d'hommes et de femmes doux et amènes : « ces dons, la beauté du site, le respect que les habitants me témoignaient, me firent croire, pendant quelque temps, que tout ce que je voyais était une illusion que mon imagination seule avait créée ». Il fut surpris de rencontrer au coeur de l'Afrique tant d'urbanité et de politesse 93. Son récit soulignait la richesse du pays et la prospérité de ses habitants due aux nombreux pâturages et aux troupeaux, dans d'immenses plaines « parsemées de pierres ferrugineuses ». Le voyageur nota la qualité des constructions des villages du Fuuta Jaloo, leur style particulier et leur propreté.
Il décrivit des rues constituées d'allées couvertes, d'avenues de bananiers. Dans Timbo, « une ville de guerre », il aperçut des fortifications composées de trois forts : ici la richesse des habitants résultait moins du commerce que des razzias et des contributions versées par les populations soumises.
Cette ville de guerre était aussi celle de l'éducation. Mollien y découvrit l'importance de la classe des légistes musulmans et la présence de la culture écrite dans la vie quotidienne. A son arrivée, il vit les rues désertes, les hommes se trouvant à la mosquée à« lire les lettres » que l'almamy leur envoyait depuis l'armée. A son départ, une « lettre » officielle lui était donnée, sorte de laissez-passer autorisant ses déplacements 94.
Il assista à un cours que le « remplaçant » de l'almamy donnait à ses disciples et fut surpris par le niveau de leur « discussion » sur « le sens de divers passages du livre qui était l'histoire de Mahomet » : « le silence le plus profond régnait parmi cette jeunesse qui paraissait vraiment studieuse » 95. La demeure du marabout avait un aspect monacal : des livres et un lit composaient tout son ameublement. Ce pays où les « savants » se trouvaient au pouvoir impressionna, mais aussi intimida Mollien : il fut heureux d'en sortir indemne 96.
Le récit de Caillié insistait, comme celui de Mollien, sur la spiritualité des sociétés peules : c'est par leur esprit particulier que le Fuuta Jaloo, mais aussi le Fuuta Tooro et le Maasina, se distinguaient de leurs voisins. Caillié approfondit l'investigation du « domaine de l'esprit » que Mollien avait inauguré ; son « identité » arabe lui permit de s'approcher davantage de ses hôtes. A l'instar d'autres romantiques, Caillié se représentait le monde comme étant partagé entre l'existence matérielle, lourde et oppressante, et la vie de l'âme avec ses manifestations de sympathie, de compassion, de sentiments désintéressés qu'il retrouva auprès des Peuls.

Il découvrit que la simple identité musulmane était la condition nécessaire, mais insuffisante pour lui permettre de voyager dans de bonnes conditions. Tandis qu'il cherchait à produire un effet sur son auditoire africain en faisant appel à ses sentiments (séparation avec ses parents, exil, esclavage chez les chrétiens, désir de retrouver ses racines musulmanes et sa patrie perdue), ses hôtes l'interrogeaient sur les marchandises qu'il transportait. Il décrivit des sociétés versées dans le commerce et l'échange, où chaque service nécessitait une récompense. Sur les routes, Caillié observa des masses de gens qui se déplaçaient : les Foulahs chargés de sel, et d'autres se dirigeant dans le sens opposé, portant des cuirs, de la cire et du riz. A l'est de Kakondi, il rencontra pour la première fois des pasteurs avec des grands et beaux troupeaux qui constituaient leurs principales richesses.
Ayant des ressources réduites, il notait scrupuleusement chaque cadeau qu'on lui demandait, chaque objet qu'il offrait ou donnait en échange ; de longues pages de sa narration évoquent ses soupçons et ses craintes par rapport aux vols de ses affaires.
Caillié fut surpris et dépassé par le spectacle des échanges qu'offraient les sociétés peules et mandingues, un flot d'objets circulaient autour de lui, transportés par des circuits organisés et multiples dont l'un des aboutissements était les entrepôts des grossistes maures de Djenné ; leur sens de l'hospitalité lui permit de continuer son voyage jusqu'à Tombouctou. Caillié qualifiait les gens qu'il rencontrait en fonction de leur façon de contribuer à sa survie ; ainsi, les Peuls qui lui offraient du lait, du miel, du pain et du riz, dans un geste souvent désintéressé (ou pour des motifs qu'il ignorait) reçurent plusieurs fois ses éloges. Les premiers Peuls qu'il rencontra après son départ de Kakondi sur la route vers le Fuuta Jaloo lui offrirent des fruits de nédé.
Désormais, il était content quand il reconnaissait des villages peuls sur les bords du Niger ; même si leurs habitants ne pouvaient rien lui donner, une pensée sympathique à leur égard ne le quittait plus.
La bonne entente de Caillié avec les Peuls continua tout au long de son voyage.
Il exprima à plusieurs reprises sa sympathie à leur égard, notamment à travers la description de la campagne du Fuuta Jaloo 97. Dans son récit, une correspondance classique élaborée par l'histoire naturelle entre le climat et le caractère des habitants, entre la nature et la culture, reçut une interprétation plus intime, plus spirituelle : le paysage et les populations qui l'habitaient étaient unis par un lien mystérieux, par un sentiment qui pénétrait la terre et les hommes et parvenait jusqu'au narrateur. Les pasteurs qu'il rencontrait menaient apparemment une vie distincte des autres populations, éloignée « de toute société ».
Comme le Fuuta Jaloo, le Maasina était un pays d'agriculture et d'élevage ; les Peuls affluaient à Djenné pour y vendre leurs beaux boeufs et des moutons appréciés pour leur laine, aussi bien que du lait et du beurre. Le voyageur y rencontrait des « Foulahs » qui s'arrêtaient pour le voir, lui témoignant le plus vif intérêt. Traversant les territoires autour de Djenné (contrôlés par le Maasina), il fut impressionné par la générosité des Peuls à son égard, dont certains lui portaient une « sorte de vénération ». Leur sensibilité et leur réceptivité envers le récit de sa « captivité» chez les chrétiens les distinguaient des autres communautés musulmanes, notamment des Mandingues :

“Les Foulahs, auxquels on avait dit que j'étais Arabe, avaient pour moi une sorte de vénération ; ils ne pouvaient se lasser de me regarder et de me plaindre ; leur extrême dévotion les rend très charitables ; ils venaient s'asseoir auprès de moi, prenaient mes jambes sur leurs genoux, et les massaient pour soulager la fatigue » 98.

Caillié attribuait cette attitude à la ferveur religieuse des Peuls, mais aussi à leur identité singulière, différente des « Nègres ». Plusieurs Peuls lui expliquèrent qu'ils étaient des Blancs, surtout comparés à leurs voisins mandingues. Il fut attentif à l'importance, dans la vie quotidienne, de l'éducation et de l'hygiène, au soin des familles pour habiller leurs enfants. Par ailleurs, il découvrit dans leur comportement « quelque chose » de spécial qu'il n'arrivait pas à exprimer distinctement, mais qu'il devinait dans les nombreuses manifestations de sympathie spontanée qu'on lui témoignait.

Il s'agissait d'une certaine « douceur »: l'adjectif « doux » accompagne systématiquement ses descriptions des Peuls (« cette femme avait une physionomie extrêmement douce » ; « une calebasse de lait doux qu'il m'engagea à boire ») ; même le paysage s'adoucissait à leur contact : «Le ciel était serein; la chaleur du jour était remplacée par une douce fraîcheur ; enfin tout contribuait à l'agrément de notre position ». Le voyageur rapportait de multiples cas de curiosité bienveillante à son égard. « Je vis un jeune Foulah qui ne pouvait se lasser de me regarder … Il alla avertir sa vieille mère et ses soeurs, et leur dit que j'étais un Arabe, compatriote du prophète, et allant à La Mecque » 99. La douceur des Peuls s'associa dans son esprit avec celle du lait qu'ils lui procuraient, élément principal de son alimentation et source de sa survie.
Caillié découvrit chez les habitants du Fuuta Jaloo une forte identité musulmane, un « fanatisme » et une aversion pour les chrétiens (« ils ont en horreur les chrétiens ») 100. Les raisons complexes de l'hostilité de l'almamat envers les Européens ne lui échappaient pas ; il remarquait que les chefs du Fuuta Jaloo étaient persuadés que les Blancs voulaient s'emparer des mines d'or situées à l'est de leur pays. Il n'ignorait pas non plus que des relations commerciales développées existaient entre les almamys et les factoreries anglaises de Sierra Leone : les Peuls échangeaient sur la côte l'or du Buré contre des fusils et d'autres marchandises avec lesquels ils achetaient des esclaves ; ils se rendaient fréquemment sur la côte pour y vendre leurs boeufs.
Cependant le voyageur n'était guère au courant de la crise qui entravait ces relations, en raison des tentatives anglaises pour interdire la vente des esclaves. Caillié décrivit les habitants du Fuuta Jaloo comme farouchement opposés aux influences qui pourraient leur parvenir depuis la côte atlantique.

Cette société, divisée en hommes libres et en esclaves, impressionna le voyageur par la force de son sentiment « national ».

Les « Foulahs » de Djenné étaient aussi « fanatiques » que ceux du Fuuta Jaloo. Ils se trouvaient en guerre « très vive» contre les Bambara de Ségou et interdisaient l'entrée de leur ville aux infidèles ; leur chef déplaça sa capitale de Djenné, trop commerçante, à Hamdallahi (Hamdallayé) [« el-Lamdou-Lillahi, « à la louange de Dieu »] où il établit des écoles pour les enfants et les adultes 101.

Par ailleurs, Caillié les trouva « très affables et très doux envers les étrangers, du moins ceux de la religion ». Il fut néanmoins frappé par l'attitude intransigeante des Peuls du Maasina à propos de tout comportement s'écartant, selon eux, de l'islam : les villageois proches de Djenné exerçaient une sorte de police de moeurs. Il les qualifia de « fanatiques et ridicules Foulahs ». Mais comme à l'accoutumée, ce sont ces mêmes « fanatiques » qui lui témoignèrent le plus d'humanité dans les moments de difficultés : lors de sa navigation vers Kabara, c'est « un jeune Foulah de Massina » qui fut son seul recours ; il acheta pour lui du lait, lui rendit des services, et surtout le consola (« lorsque je m'affligeais du peu d'égards qu'on avait pour moi »).
En somme, Caillié s'attacha moins à décrire la particularité physique des Peuls (qu'il ne percevait guère) que la distance spirituelle qui, selon lui, les séparait de leurs voisins. Il s'attarda peu sur le physique des Peuls et se limita à évoquer leur « couleur marron un peu clair », la beauté de leur visage, « le front un peu élevé, le nez aquilin, et les lèvres minces ; la forme de la tête presque ovale ». S'il reconnut, une seule fois, que « leurs traits se rapprochent de ceux des Européens », il découvrit les mêmes traits chez d'autres Africains : le port altier, le front haut, les lèvres « aussi minces que celles des Européens ». Par contre, il insistait sur la forte identité des Peuls qu'ils affirmaient en se distanciant des autres populations et notamment des Mandingues : ils « se croient supérieurs aux autres nègres ».
Au cours de son voyage, Caillié prit l'habitude de différencier les « Foulahs » des autres populations. D'ailleurs, à part les Mandingues, peu d'appellations ethniques existent dans son texte. La singularité des Peuls par rapport aux autres communautés désignées vaguement comme des « noirs » apparaît pleinement dans son interprétation de la situation politique de Tombouctou. Informé, par ses compagnons de voyage, que la population marchande de la ville souffrait des lourdes contributions imposées par les Touaregs, Caillié se demanda pourquoi « un si grand nombre de peuplades » restaient « sous le joug avilissant et ruineux de ces Touariks ». Selon lui, si les Peuls s'étaient montrés les seuls capables de s'attaquer « à ces hommes barbares » (lors des combats des Peuls d'Ahmadu contre les Touaregs), c'était parce que les « nègres », en général, étaient « indolents », tandis que les Maures, « adonnés au commerce, n'ont pas le caractère martial » En revanche, la « race » des « Foulahs », « bien supérieure à la race purement nègre, est pleine d'énergie ; elle est trop belliqueuse pour subir un joug aussi honteux » 102.
Il n'est pas exclu que cette phrase, d'un style peu conforme au reste de la narration de Caillié, ait été rajoutée par Jomard. Les récits de Mollien et de Caillié communiquèrent l'idée d'États peuls cachés à l'intérieur du continent, gardant jalousement l'accès des grands fleuves et les secrets de leurs abondantes ressources (notamment de l'or 103). Ils attirèrent l'attention des observateurs européens sur la problématique de la singularité de ces États, forts, prédateurs et soudés par une idéologie anti-chrétienne. Ainsi inaugurèrent-ils une réflexion sur les sources du « sens national » des Peuls.
Ayant constaté le loyalisme spontané de leurs hôtes, ils notèrent leur adhésion aux pouvoirs en place au Fuuta Tooro, au Fuuta Jaloo et au Maasina 104.
Les deux voyageurs se ressemblaient dans leur façon de préférer les rencontres avec de simples citoyens au contact avec l'intimidante autorité de l'État musulman. Ayant rencontré des groupes différemment islamisés, ils les désignaient tous par le nom générique des « Foulah » 105.

Quel lien unissait ces diverses sociétés ? Les géographes s'interrogèrent donc sur la capacité des Fulɓe à se rassembler sous les slogans musulmans pour conquérir toute l'Afrique occidentale. La réflexion se tourna alors vers la « nature » particulière à l'origine du « fanatisme » des Peuls. Il en fallait peu pour transformer ce raisonnement en la recherche de la « race » peule singulière. Ce ne fut pas le cas dans les récits de Mollien et Caillié : ils n'insistèrent jamais sur la différence physique des Peuls par rapport aux « Noirs ».

En revanche, les écrits datant du milieu du XIXe siècle, citant abondamment les deux voyageurs, infléchissaient leurs observations dans le sens voulu, celui de la construction d'une « race » peule pure, fondée sur les caractères physiques.

Les récits de Mollien et de Caillié créèrent une image contradictoire des sociétés peules : inspirés par l'esthétique romantique rapprochant les contraires, ils laissèrent entendre que les Foulbé étaient « doux », mais « féroces », « fanatiques à l'excès », mais « humains ».

Ces textes s'offraient à de nombreuses interprétations, mais surtout ils sollicitaient l'imagination des contemporains.

A l'époque de Mollien et de Caillié, d'autres voyages vers l'intérieur furent lancés à partir du Sénégal. Ils avaient pour objectif d'atteindre Tombouctou. En 1825, Duranton et de Beaufort, voyageant séparément, se dirigèrent vers cette ville, par la voie du Sénégal. Ils côtoyèrent les populations peules du Ɓundu et du Kaarta, mais ne laissèrent ni ouvrages ni articles, sinon leurs lettres.
Cependant, les échos de leurs voyages contribuèrent à enraciner davantage l'amalgame entre la nature sauvage et hostile et les Peuls peuplant ce paysage inhospitalier. Duranton, critiqué par ses contemporains pour son implication personnelle dans les affaires du Khasso, accusé d'être au service des Anglais et réhabilité seulement après sa mort, fut néanmoins apprécié par les géographes pour son exploration du haut Sénégal. Grout de Beaufort, emporté par la fièvre alors qu'il se préparait à atteindre Ségou à partir de Bakel, reçut de Jomard une reconnaissance élogieuse post mortem 106. A la différence de Caillié, autodidacte, ou de Duranton, trop versé dans les affaires, de Beaufort fut, aux yeux des géographes, un explorateur expérimenté, capable de décrire les phénomènes géologiques, familier avec le calcul des probabilités et avec les observations astronomiques et, de ce fait, pouvant recueillir « une ample moisson d'objets ou d'observations d'histoire naturelle », et, par conséquent, des renseignements sur les peuples 107.
De Beaufort prépara soigneusement son voyage à Paris, étudiant la botanique, la zoologie et la minéralogie, suivant des cours de chimie et de physique ; il apprit également l'arabe. L'analyse de la société comme prolongement de la nature eut des conséquences pour la représentation qu'on se fit des sociétés peules. Aussi, de Beaufort conclut-il à la ressemblance entre la nature des bords du Sénégal et celle du Nil ; ceci facilita la démarche de ses collègues géographes retrouvant dans les habitants du Fuuta sénégalais des descendants des Égyptiens..

Ce qui est remarquable, c'est que les géographes français n'exploitaient guère les connaissances sur le haut Sénégal accumulées auparavant, à l'époque de la traite esclavagiste, par les Compagnies de commerce. En effet, les commerçants européens connaissaient déjà une partie de ces Etats peuls, avec lesquels ils entretenaient des relations d'affaires compliquées.
Dorénavant, comme on va le voir, on avait besoin d'un savoir nouveau, porteur d'une vision globale des régions intérieures de l'Afrique occidentale, faisant apparaître le dessin de ses grands fleuves.

Le « complot » peul

Par l'intermédiaire des consulats européens à Tripoli, les Européens ne recevaient que des échos imprécis concernant le caractère du pouvoir à Tombouctou. Ils croyaient que la ville était tombée entre les mains des Peuls du Maasina : on rapportait que leur chef s'appelait Cheikh Ahmadu et qu'il avait créé un État musulman avec capitale à Hamdallaye. Le consul français à Tripoli, Rousseau, informait la Société de géographie que « Tombouctou a passé sous la domination des Fellans ou Fellatahs ; et que c'est un nommé Ahmed-Labbou 108, parent de Bello, qui y commande ».

On ignorait quelles étaient les véritables relations du Maasina avec Tombouctou 109 et on soupçonnait que Cheikh Ahrnadu était l'un des lieutenants du puissant Mohammed Bello, chef de Sokoto.

Le mythe des richesses de Tombouctou, de son rôle particulier dans le commerce du Soudan et de son caractère interdit aux chrétiens se conjugua aux représentations sur l'importance de Sokoto. Ainsi, commentant les résultats du voyage de Laing à Tombouctou, le Bulletin de la Société de géographie constata-t-il, en 1827, que « aujourd'hui ce sont les Fellans, sectateurs du prophète arabe, qui y règnent exclusivement [à Tombouctou]. Ces derniers, dont le sultan actuel nommé Bello, demeure à Sakatou, sont parvenus, il y a à peu près un an, par leur bravoure et leurs forces militaires, à la domination presque universelle du Soudan, en subjuguant la plupart de différentes nations qui l'habitent » 110. Le Bulletin évoquait le caractère belliqueux de la « horde des Fellans » et leur politique expansionniste. Rousseau soulignait qu'ils avaient remplacé le gouvernement oligarchique de la ville par leur représentant, et qu'ils se dirigeaient vers l'ouest afin « d'envahir le Bambara ».
Pour les Britanniques, il était important de savoir qui y commandait pour retrouver les responsables de l'assassinat du major Laing 111, égorgé, dans des circonstances inconnues, dans le désert aux environs de la ville. D'après Clapperton (1824), c'était une princesse tributaire des Peuls qui y régnait, tandis que, selon l'enquête lancée par les services consulaires britanniques de Tripoli (1826), les autorités des « Fellans (ou Fellatah) » « ont poursuivi le major Laing avec acharnement ». La lettre de Laing, écrite peu de temps avant sa disparition, confirmait ce point de vue : le sultan de Sokoto, Mohammed Bello, souhaitant empêcher les chrétiens d'entrer dans les pays musulmans du Soudan, se serait opposé à son projet de voyage à Djenné. Laing y évoquait « les mauvaises dispositions des Foulahs de Massina, qui ont, cette année, détruit l'influence des Touariks, et se sont faits des patrons de Tombouctou », et surtout l'hostilité du sultan Bello à son égard qu'il exprima « en termes non équivoques, dans une lettre que Sidi-Boubokar, cheikh de cette ville, a reçue de lui » 112.
Laing pensait que le gouverneur de Tombouctou dépendait directement du sultan de Sokoto, et que ce dernier était à l'origine de l'ordre assignant au voyageur de quitter la ville, mis à exécution par l'intermédiaire de son lieutenant, le sultan « Ahmed-ben-Mohammed-Laboo, commandant du Macina, Djenné et Jerry ». Quinze notables de Tombouctou signèrent une lettre accompagnant le message de Laing : ils affirmaient que Cheikh Ahmadu, le chef du Maasina, suivant les instructions de Mohammed Bello, avait obligé Laing à quitter la ville et à marcher dans le désert où il fut assassiné par son guide arabe.
Les consuls anglais et français dépendaient des renseignements que leur communiquaient leurs informateurs particuliers et le pacha de Tripoli. Or, ce dernier poursuivait ses propres desseins politiques vis-à-vis des représentations européennes et manipulait leur opinion. Ainsi, Rousseau, le consul français, s'appuyant sur la correspondance entre le pacha et les autorités du Baguirmi, aussi bien que sur les dires d'un « Scheikh de Tripoli qui a longtemps résidé à Tombouctou », transmettait-il à la Société de géographie des jugements défavorables sur les Peuls. Ses renseignements, inspirés par le Baguirmi, en état de guerre avec le Sokoto, devaient compromettre l'émirat aux yeux des Européens.
Rousseau soulignait que c'étaient les « Fellans » (« dont la horde puissante et belliqueuse règne exclusivement aujourd'hui sur les immenses déserts de l'Afrique centrale ») qui avaient exigé la mise à mort de Laing 113 , l'ayant poursuivi à sa sortie de Tombouctou et impitoyablement égorgé. La présence de l'étranger leur aurait servie de prétexte pour envahir la ville et lui imposer leur tribut.
Ces idées persistèrent dans l'imaginaire européen, bien que les géographes reçussent des renseignements contraires : Laing aurait été attaqué par une tribu maure « Berabiches », nomadisant entre Tombouctou et Arawane, « qui le tuèrent, volèrent son argent, et laissèrent là les livres qu'il possédait » 114. René Caillié, rentré, en 1828, de son périple, confirma la même information. Le baron Roger communiqua à la Société de géographie deux lettres rédigées, l'une par un « marabout » et l'autre par un marchand maure de Tombouctou, de passage à Saint-Louis. Elles ne mettaient nullement en relation le meurtre de Laing et les projets des chefs peuls 115.
Caillié rectifia les rumeurs sur le gouvernement peul à Tombouctou, affirmant qu'en « 1828, les Fellatas ne commandaient point dans cette ville ». Le pouvoir n'y était pas stable ; il subissait les rythmes de vie des populations nomades, qui dépendaient, elles, des phénomènes naturels : « tantôt les peuplades nomades s'emparent d'une cité, y lèvent un tribut, et, passant comme le fleuve, se retirent avec leur butin. Qu'y a-t-il donc à s'étonner que le major Laing ait trouvé Temboctou sous la domination des Fellatas, et moi sous celle des Kissours, qui sont les véritables habitants du pays ? » 116
Jomard, qui manifestait à cette époque une vive curiosité à l'égard des Peuls, se demandait comment cette attitude d'hostilité était compatible avec l'accueil favorable dont avait bénéficié Clapperton en 1824, lors de son premier séjour à Sokoto 117. Entre temps, la nouvelle de sa mort, au mois d'avril 1827, était parvenue en Europe : elle renforça les soupçons sur les mauvaises intentions de l'empire peul à l'égard des chrétiens. On fit le rapprochement entre le sort des deux voyageurs : Bello et son entourage furent accusés d'être à l'origine de ce nouveau décès. Les opinions se partagèrent : tandis que Rousseau prétendait que Clapperton avait été tué par les gens du sultan Bello, les géographes supposaient que le voyageur écossais avait été victime du climat et de la dysenterie.

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Hugh Clapperton, gravé par Tardieu, extrait de Clapperton,
Hugh, Lander, Richard, Second voyage dans l'intérieur de
l'Afrique depuis le Golfe de Bénin jusqu'à Sackatou [Sokoto]
par le Capitaine Clapperton pendant les années 1825, 1826
et 1827. Suivi du voyage de Richard Land er de Kano à la
côte maritime,
trad. de l'anglais par MM. Eyries et de
La Renaudière, Paris, A. Bertrand, 1829.

Cependant, en 1829, le Bulletin publia une compilation du récit du second voyage de Clapperton qui rapportait sa controverse avec le sultan Bello 118. Les géographes penchèrent alors pour une explication attribuant les causes de la mort du voyageur à un « traitement aussi inattendu et aussi peu généreux » de la part du chef peul 119. Dans l'imaginaire des observateurs européens les décès de Gordon-Laing et de Clapperton s'amalgamèrent pour fixer le portrait définitivement négatif de l'ensemble des sociétés peules :

« Le sort fatal de Clapperton se lie malheureusement trop bien avec la catastrophe du major Laing » 120.

Dorénavant, les Européens étaient au courant de l'existence d'États peuls puissants et mieux organisés (que ceux qu'on connaissait déjà), déterminés dans leur attitude anti-européenne. L'idée de l'omniprésence des Peuls en Afrique occidentale s'imposa dans les écrits des géographes : à l'intérieur de l'Afrique, l'homme blanc était inévitablement confronté à la présence hostile d'un peuple organisé et conquérant, ayant un sens de l'État développé et une civilisation supérieure à celle de ses voisins dispersés, auxquels il faisait la guerre pour les réduire en esclavage.

Les « Fellans » : blancs, noirs ou autres ?

La publication des papiers retrouvés de Laing souleva la question de l'authenticité des observations de Caillié à Tombouctou 121. Le voyageur français fut surtout critiqué pour ses opinions sur les Peuls que l'on jugea inexactes. Selon ses antagonistes, il ne remarqua pas la « blancheur » des Peuls : « Osman, le chef ou gouverneur de Tombouctou, ne peut pas être un nègre au teint noir et à cheveux crépus, parce qu'il est le lieutenant du sultan des Fellatahs ou Foulahs ». Le journaliste anglais s'étonnait qu'il n'ait pas reconnu dans le gouverneur un homme blanc: « ce n'est certainement pas un nègre à teint noir foncé, à cheveux blancs et crépus, comme le voyageur français le décrit, mais un Foulha ou Fellata, probablement aussi blanc que M. Caillié » 122.
Caillié rétorquait que « les Foulhas ou Fellatas sont noirs et ont les cheveux crépus, bien que leur teint soit moins foncé que celui des nègres mandingues. Quel est donc le critique qui a osé écrire à la face de l'Europe que les Fellatas étaient blancs ? ».

Même si les renseignements sur les Peuls étaient contradictoires, l'opinion dominante insistait sur la proximité de leur physique avec celui des Blancs associé à leur rôle politique important. Jomard chercha à concilier les avis différents, tout en laissant la porte ouverte à l'idée de la blancheur des Peuls. Il supposa que les conquérants de Tombouctou pouvaient confier le gouvernement de la ville à « un indigène » qui ne serait pas un « Fellata » ce qui expliquerait qu'il ne ressemblait pas à un Blanc 123.
La discussion au sujet de l'aspect des Peuls émergea à l'époque du débat sur l'origine des différentes couleurs de l'humanité. Depuis les premiers contacts avec l'Afrique, le physique de ses habitants ne cessait d'inquiéter l'imaginaire européen.
Les interprétations de la couleur noire des Africains varièrent selon les époques, en gardant toujours leur sens dévalorisant. A l'âge romantique (qui fut aussi celui des guerres napoléoniennes, des mélanges de population et du discours abolitionniste), le regard des savants, des voyageurs et des hommes de lettres apercevait davantage les nuances de la coloration de la peau, les « teints ». Les récits de voyages cherchaient à préciser la définition des couleurs (teint foncé, très noir, rouge, cuivré, etc.) et distinguaient les populations selon les variations de leurs couleurs 124. Les indications concernant le teint, la texture des cheveux, la forme du visage constituaient des passages obligés de la description statistique.
Les observations sur le coloris plus clair des Peuls apportaient une matière précieuse au débat sur l'influence du climat sur la constitution du type physique. En 1801, le docteur Winterbottom (frère du missionnaire qui visita, en 1794, le Fuuta Jaloo avec Watt), affirmait que, dans la longue durée, l'effet du climat sur l'aspect physique pouvait être modifié par les conditions locales naturelles et sociales : le relief, le sol, mais aussi le développement de la civilisation et des cultures.

Les Peuls du Fuuta Jaloo en offraient un exemple spectaculaire. Leur couleur plus claire démontrait que les habitants de la côte étaient en général plus foncés (en raison des reflets du soleil projetés par la mer) que ceux de l'intérieur.

Winterbottom soulignait qu'il s'agissait de nuances dans la couleur noire : « Même s'ils sont moins noirs que quelques uns de leurs voisins, le physique des Foola doit être considérée uniquement comme intermédiaire entre les Africains plus noirs et les Maures » 125

Il affirmait que les Peuls ne pouvaient en aucune façon être vus comme des « nègres blancs », des albinos ou comme les « Leucaéthiopes » de Ptolémée et de Pline.

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« Abd el Gassam, a Felatah from Timbuctoo,
left. A Bornouese on a Journey, right », extrait
de Denham, Clapperton, Oudnay, Narrative of
Travels and Discoveries in Northern and
Central Africa, in the years 1822, 1823, and
1824 by Major Denham, Capta in Clapperton
and the late Doctor Oudney, in Missions to the
Niger,
v. III, part II, The Bornu Mission, 1822
-1825,
ed. by E. W. Bovill, Cambridge
University Press, The Hakluyt Society,
1966, p. 375.)

Les Fulɓe du Fuuta Jaloo ne pouvaient pas être confondus avec les Européens, puisque eux-mêmes soulignaient leur différence et considéraient qu'un mulâtre habitant le Fuuta Jaloo était un Blanc.

Ainsi, au début du XIXe siècle, plusieurs opinions sur la couleur des Peuls coexistaient-elles. Tandis que Winterbottom soulignait la proximité entre les Peuls et leurs voisins, certains voyageurs évoquaient leur « teint cuivré » ou « rouge », d'autres n'y faisaient aucune allusion. La représentation transformant les Peuls en population « blanche » résulta surtout du travail de synthèse effectué par les géographes dans les pages de leur Bulletin. Elle émergea de l'interprétation libre des remarques puisées dans les récits de voyages sur « les traits presque européens », « la ressemblance avec les Maures », « les cheveux laineux », « le teint rougeâtre » et d'autres notes qui rapprochaient les Peuls des Européens ayant subi les effets du climat aride. Ce travail d'arrangement s'appliquait également aux sources locales. Ainsi, de Larenaudière, indiquait-il que des informateurs arabes du consul anglais à Mogador signalaient la présence, près de « Cachena » [Katsina], d'une « race » d'hommes ressemblant aux Anglais 126. Même si les voyageurs observaient les « traits fins », « le teint moins foncé », « la démarche fière » chez d'autres populations soudaniennes, les géographes attribuaient ces caractères surtout aux Peuls. Publiant les comptes rendus du Voyage de Caillié, le Bulletin privilégia les passages portant sur les Fulɓe. Retirés du contexte de la narration, ces fragments recevaient le sens d'un message cohérent.
Pourquoi, en ce début du XIXe siècle, les auteurs des synthèses géographiques sur l'Afrique occidentale (d'Avezac, de Larenaudière, Jomard) privilégiaient-ils l'idée de la singularité physique des Peuls au détriment d'autres hypothèses ? En somme, cette tendance était contemporaine des révélations de Denham et Clapperton sur l'empire crée par Usman dan Fodyo.

Les géographes français en gardèrent l'idée « d'une nation qui tient dans l'échelle humaine le rang intermédiaire entre l'Arabe et l'Ethiopien », ayant un certain niveau de civilisation et connaissant des procédés de la médecine et des arts militaires 127.

Leurs récits permirent de supposer qu'à côté des « peuplades » organisées en États belliqueux, mais éphémères, existaient des structures plus puissantes, contrôlant d'énormes territoires.

Le peuple créateur de cet empire semblait jouer en Afrique occidentale le même rôle que les Arabes à l'époque de l'islamisation du Maghreb. Quelle était sa nature ? Quelles étaient ses intentions ? Ces interrogations incitèrent les géographes à rassembler les faits connus en système, en soulignant l'idée de la différence.

Les érudits et les naturalistes du début du siècle avaient du mal à admettre qu'un peuple « nègre » pût être capable d'une puissante organisation étatique. En 1832, d'Avezac, devenu membre de la Commission centrale de la Société de géographie, affirmait dans ses comptes rendus que les Peuls étaient « une race cuivrée, étrangère au milieu des nègres qu'elle subjugue », mais également étrangère aux « races blanches au nombre desquelles elle se compte » 128.

Il faut revenir sur les récits de la mission de Bornu pour comprendre son impact sur les représentations des hommes de cabinet de Paris, véritables auteurs de la théorie de la singularité des Peuls.

La mission du Bornu et la découverte du Sokoto

Une mission officielle et recommandée

Suite à l'échec des expéditions explorant les sources du Niger et Tombouctou depuis la côte atlantique, les voyageurs britanniques entreprirent de prospecter celles-ci à partir de Tripoli, par les routes caravanières de Fezzan et de Mourzouk 129. En 1818, l'expédition dirigée par Ritchie et Lyon visita ces oasis sahariennes. Les voyageurs se donnèrent des noms musulmans et revêtirent le costume arabe 130. A Fezzan ils collectèrent des renseignements sur le Bornu, Katsina et « le Soudan » (les États haoussa), aussi bien que sur le Sokoto, un État peul inconnu et puissant, situé au centre de l'Afrique et réputé pour le fanatisme de ses habitants et son implication dans la chasse aux esclaves. L'expédition fut cependant un échec : Ritchie décéda à Mourzouk, tandis que Lyon n'accéda pas aux confins sud du Sahara. Leur mission fut poursuivie par l'expédition du Bornu de 1822-1825 131, à laquelle participèrent le chirurgien et le naturaliste amateur Walter Oudney (1790-1825), le lieutenant de marine Hugh Clapperton (1788-1826) (qui avait servi préalablement en Asie et au Canada) et le lieutenant Dixon Denham (1786-1828) 132. L'expédition devait explorer le courant inférieur du Niger, décrire son embouchure (en confirmant ou en écartant l'hypothèse selon laquelle ce fleuve pouvait confluer avec le Nil), et prospecter les territoires au sud et à l'est de Bomu, en établissant des rapports de commerce avec leurs chefs.
S'étant rapprochés du Bornu et du Haoussa, les voyageurs pénétrèrent dans les régions dissimulées par le désert d'un côté et par les montagnes et les forêts humides de l'autre : les connaissances des Européens sur les villes principales de ces territoires, Kano, Katsina et Kuka, se limitaient aux écrits de Léon l'Africain remontant au XVIe siècle 133. Le séjour de Denham et de Clapperton au Soudan central coïncida avec les tentatives de Muhammad Bello (qui succéda, en 1817, à son père, Usman dan Fodyo, créateur du sultanat peul) pour mater les rébellions qui éclataient périodiquement dans plusieurs provinces haoussa gouvernées par les Peuls et pour consolider l'administration centrale. Tandis que Clapperton décrivait Sokoto et la cour de Muhammad Bello, Denham visitait le Bornu 134, qui rivalisait à cette époque avec les Peuls pour la suprématie politique dans la région. Clapperton laissa deux descriptions de Sokoto : celle relatant son séjour de 1825 et le journal de son second voyage de 1826 135, achevé et publié par son compagnon Richard Lander 136.

Le voyage de Clapperton fit sensation : son récit, rapportant ses longues conversations avec le sultan Muhammad Bello, présentait au public le portrait d'un « despote éclairé » qui semblait témoigner lui-même de son mystérieux pays 137 Clapperton rapprocha les habitants de Sokoto de l'univers musulman de l'Afrique du Nord ; il décrivit leur façon rigoriste de vivre l'islam « au quotidien ». Aussi les rendit-il davantage familiers pour le lecteur occidental, habitué aux récits sur l'Empire ottoman.
Après son premier séjour, le voyageur désirait revenir dans le pays pour achever la prospection du cours inférieur du Niger et pour rencontrer de nouveau les Peuls du Sokoto ; en s'approchant de la frontière de l'État peul il éprouva de la joie 138. La mission du Bornu avait un caractère officiel ; aussi les conditions du voyage de Clapperton étaient-elles différentes de celles de Caillié et de Mollien, comme étaient différentes ses impressions. Les Britanniques étaient munis d'une recommandation du pacha de Tripoli et d'une forte escorte « de 300 Arabes à cheval » ; ils communiquaient avec les chefs locaux par l'intermédiaire de la communauté des marchands et des légistes arabes installés dans le Bornu et dans le Sokoto de longue date et bénéficiant d'une renommée auprès des autorités des villes. Les voyageurs avaient le statut d'envoyés du Gouvernement britannique. En cette qualité, Clapperton réitéra ses propositions au sultan d 'abandonner le commerce des esclaves.

L'image du pays et de ses habitants : guerriers et beaux hommes

Clapperton créa une image complexe et contradictoire de la société peule du Sokoto 139. Dans son premier récit, il mentionnait avec sympathie les chefs et les gouverneurs peuls, insistant sur leurs qualités (beauté, courage, politesse, civilité, curiosité, érudition). Malgré cela, il mettait en relief l'attitude de rejet que ses hôtes lui manifestaient parce qu'il était chrétien ; il citait de nombreux cas d'un comportement intolérant à l'égard de ses serviteurs ; il évoquait également la méfiance des Peuls trahissant leur hostilité générale pour les non-musulmans, surtout de la part des gens ordinaires : on lui demanda, par exemple, s'il était venu en qualité de messager de la reine de Grande-Bretagne, ou s 'il était espion, prospectant la route pour d'autres Européens. L'admiration pour le raffinement de la culture de Sokoto allait de pair dans son récit avec la crainte vis-à-vis de son organisation militaire et de la rigidité de ses valeurs musulmanes.
Il laissa des descriptions pittoresques des guerriers peuls : un « capitaine fellatah », réputé par ses succès sur les champs de bataille, lui parut être l'un des plus beaux hommes qu'il ait jamais vus 140. Ce personnage, accompagné d'une escorte, emmenait « une jeune femme enlevée à son père », au « teint cuivré assez clair » et aux « manières extrêmement douces et affables ». La guerre était la réalité quotidienne du sultanat. Clapperton fut témoin des départs réguliers du gouverneur de Kano, du sultan de Sokoto et d'autres chefs pour des « ghrazzies ou expéditions » 141.
Il faisait part de l'esprit expansionniste du sultan Bello qui promit aux Anglais l'accès aux territoires sur la côte atlantique en considérant que « Dieu lui a confié toutes les terres des infidèles ». Ces considérations confirmaient les observations de Denham qui décrivit l'armée peule en action contre les Bornuans, lorsque les Peuls défendaient le site fortifié de Musfaya (au nord du Cameroun actuel) ; les Peuls seraient « le peuple le plus belliqueux dans toute la région » ; leurs femmes assistaient les assiégés, leur apportant des flèches empoisonnées et les aidant à rouler des pierres sur la tête des ennemis. Il fut encerclé par les Peuls (« des sauvages féroces »), qui le retinrent contre le sol avec leurs lances et le dépouillèrent de ses vêtements.
Entièrement nu, il réussit à se sauver en courant à travers un bois épineux rempli de serpents 142.
Denham désignait les « Fulani ou Fellatas » comme les maîtres des territoires entre le lac Tchad et Tombouctou, mais précisait que leurs conquêtes résultaient de deux mouvements distincts : celui d'Usman dan Fodyo, dans les États haussa, et celui du djihad de « Seku Hamadu » dans l'ouest, comprenant le Maasina et Djenné. Il trouvait exceptionnelle la rapidité avec laquelle les Peuls avaient imposé leur pouvoir à leurs « nombreux et puissants » voisins noirs. Pour Denham et Clapperton la représentation des Peuls en guerriers redoutables était liée à l'idée de leur beauté : « They are a very handsome race of people » 143. Ce qui voulait dire également, selon Denham, qu'ils étaient différents des « nations nègres qui les entourent » 144. La seconde édition de son ouvrage illustra ce passage par un dessin représentant un guerrier de Bornu, avec les traits négroïdes, et un guerrier « Fellata », ressemblant plutôt à un homme blanc au teint clair et aux cheveux ondulés.
Comme Mollien et Caillié, Denham et Clapperton privilégiaient des images confrontant les contraires. Ainsi évoquaient-ils avec admiration la « beauté cruelle » des hommes peuls, à la fois dangereux et attachants : leur armée semant la terreur mais étant composée des beaux guerriers.

Les portraits des notables et des dirigeants

Dans l'interprétation de Clapperton, les caractères des notables foulas sont ambigus et contradictoires. Une certaine ouverture d'esprit coexistait chez eux avec des attitudes méfiantes et superstitieuses ; généreux et hospitaliers, ils limitaient pourtant les déplacements du voyageur et sollicitaient ses présents; étant curieux pour les différents aspects de la vie en Europe, ils étaient aussi conservateurs. En somme, les véritables dispositions des dirigeants de Sokoto paraissaient obscures aux Européens.
La mort même de Clapperton fut la conséquence, selon les géographes, du caractère équivoque des Peuls. Cette idée s'enracina d 'autant plus facilement dans les représentations françaises qu'elle concordait avec des opinions négatives exprimées par d'autres voyageurs.
À Kano où, durant son premier voyage, Clapperton resta plus de quinze jours, il eut le loisir de rencontrer plusieurs dignitaires de l'entourage du sultan. L'un des neveux de Bello l'impressionna par sa curiosité pour les pays étrangers, aussi bien que par sa capacité à lire et parler l'arabe couramment, et par son goût des livres. Par ailleurs, de nombreuses occasions paraissaient bonnes pour affirmer les différences avec le chrétien. Un certain « Abdelgader » proche de Bello le questionna avec insistance sur les pratiques religieuses en Europe, la vénération d'images et la consommation de porc ; à la grande indignation de Clapperton, il qualifia la Trinité de relation entre « Père, Fils et Oncle ». Le voyageur voyait dans ces propos la preuve du fanatisme musulman et de leur intolérance à l'égard des chrétiens. Un jour, excédé, il menaça le gouverneur de Kano de se plaindre auprès du pacha de Tripoli.
Clapperton faisait part de ses conversations avec Bello ce qui rendit sa narration particulièrement intéressante pour ses contemporains. Le portrait du chef peul, à qui le voyageur trouva « l'air noble », mettait en relief ses traits européens : il était assez corpulent, mais paraissait plus jeune que ses quarante quatre ans ; il avait une courte barbe frisée, une petite bouche et une nuque délicate, un nez grec et des grands yeux noirs. Celte description laissait de lui l'image d'un homme instruit, fin lettré, diplomate subtil et réservé. Le sultan était informé des grands événements qui se déroulaient dans le monde, il fit facilement le rapprochement entre l'occupation anglaise de l'Inde et la situation de son pays. La critique systématique de l'esclavage par Clapperton renforça sa méfiance. L'un des épisodes les plus délicats fut celui des explications que l'officier dut fournir à Bello concernant la présence de son confrère Denham au sein des troupes de l'armée ennemie du Bornu 145.

Une capitale ouverte sur le monde

A la différence des voyageurs français qui se déplaçaient avec une escorte minimale et évitaient, autant que possible, de rencontrer les autorités des États peuls, la mission officielle de Clapperton lui permit de voir le sultan dans l'exercice de son pouvoir et de noter l'importance dans sa politique des questions internationales. Le représentant du sultan l'accueillit à l'extérieur de la ville 146, tandis que la foule se ressemblait pour l'acclamer; il y discerna « des bienvenues chaleureuses des jeunes et des vieux ». On le logea dans la maison du vizir, « gadado » [Giɗaɗo dan Lema) qui manifesta envers l'étranger la plus grande courtoisie et le surprit par le niveau de son arabe. La rencontre avec le sultan se produisit dès le lendemain de son arrivée dans la capitale, ce qui pouvait être interprété comme un signe de reconnaissance de sa mission officielle.
Les signes de l'appartenance de Sokoto à l'aire culturelle arabo-musulmane attirèrent toute l'attention de l'observateur; il constata la présence dans la capitale de nombreux marchands arabes et de lettrés musulmans venus de tous les coins d'Afrique occidentale. Plusieurs notables peuls lui firent part de leurs voyages à Bagdad, à Constantinople, à Jérusalem et à La Mecque, tandis qu'un Peul « sec et bavard » essaya de le convaincre que les Wahhabites de cette ville étaient le même peuple et parlaient la même langue que ses compatriotes 147. En somme, Clapperton se trouva être « l'hôte honoré de la communauté sophistiquée », qui, en plus, pouvait le renseigner sur la géographie et les itinéraires des pays avoisinants.
Muhammad Bello se montra réceptif à sa proposition de développer des relations commerciales avec l'Angleterre et demanda qu'on lui envoie un consul britannique et un médecin; il réitéra à plusieurs reprises son souhait de recevoir des fusils anglais.
Clapperton répondit que seule la suppression de la traite rendrait cet arrangement possible et renouvela ses appels à « coopérer avec Sa Majesté pour mettre fin à la traite d'esclaves sur la côte». Bello refusant de comprendre comment l'État pouvait fonctionner sans le travail des esclaves, leurs échanges se trouvèrent alors dans l'impasse.
Sur un plan plus intime, les Peuls éveillaient chez Clapperton des images et des associations ouvertes davantage sur des réalités d'ordre universel que sur la singularité ou l'isolement. Ainsi, dans un passage fameux (cité par de nombreux compilateurs désirant prouver la « blancheur » des Peuls, notamment par d'Eichthal et par Crozats) comparait-il une fillette peule qui lui offrit du lait avec une jeune laitière du Cheshire. Pourtant il s'agissait non pas d'une ressemblance physique, mais de son aspect« soigné et propre», de son « innocence » et de sa « gentillesse », qui rappelèrent à Clapperton, souffrant et fatigué, sa patrie 148.
Cette parenthèse lyrique se refermait brusquement sur une description ethnographique, celle de la spécialité des femmes peules à faire du beurre « qui est aussi propre et excellent que le nôtre », rendue encore plus neutre par un constat d'ordre statistique : « le beurre est également fabriqué dans d'autres parties de l'Afrique centrale … ». En somme, Clapperton réussit à prouver que cet Etat situé au coeur de l'Afrique était beaucoup moins enclavé que ne l'imaginaient les Européens.

La référence au Moyen Âge

Cependant il considérait que, par le niveau de son développement, la société de Sokoto appartenait au Moyen Âge. A Kano, il vécut la même déception que Caillié à Tombouctou: les récits des commerçants arabes avaient exagéré l'importance et la beauté de la ville. Au début du XIXe siècle, les érudits géographes entreprirent l'examen critique des sources anciennes et contemporaines: confronté aux renseignements des voyageurs européens, le savoir indigène était systématiquement mis en question. Les connaissances véritables devinrent l'apanage de l'homme occidental moderne, équipé d'instruments de mesure et d'observation. Le spectacle des sociétés « féodales », « sauvages », ou « barbares » suscita des jugements condescendants des voyageurs qui percevaient dans les manifestations de la vie sociale en Afrique les signes d'époques historiques révolues en Europe occidentale, notamment celles de l'Antiquité et du Moyen Âge.
Ainsi Denham découvrait-il, dans l'habillement et dans l'armement des archers et des cavaliers du Bornu et du sultanat peul, des traits qui lui rappelaient le Moyen Âge.

Dans la description de ses entretiens avec Bello, Clapperton insista surtout sur la différence qui séparait l'univers du Sokoto de celui de l'Europe du début du XIXe siècle. Il transmit l'image d'un souverain cultivé, mais dont le savoir relevait d'une érudition qui avait perdu le contact avec la civilisation européenne 149.

Sa narration faisait comprendre que le Sokoto se situait dans la périphérie du monde musulman, recevant avec retard les échos de la vie moderne. Cependant ses échanges avec le sultan démontrèrent le contraire : le voyageur apprit progressivement que son hôte était au courant de l'existence de journaux en Europe et désirait les voir de près. Il interrogea Clapperton sur l'insurrection des Grecs contre les Turcs et mentionna les actions militaires de l'Angleterre contre la flotte algérienne 150 (1816).

Il avait son interprétation de la confrontation entre l'Europe chrétienne et l'Empire ottoman et prévoyait l'expansion européenne vers les pays du sud. Clapperton était victime 151 de sa représentation déformée du Sokoto, renvoyant ce pays au Moyen Âge et sous-estimant l'autonomie de sa démarche politique et son contact avec la modernité.

L'État prédateur

Clapperton rectifia son attitude enthousiaste à l'égard du Sokoto lors de son second voyage 152, avant même de franchir la frontière de l'État musulman. Ayant accédé au sultanat par les territoires du sud, il observa les campagnes ravagées par la guerre et par les razzias des Fulɓe. Son récit insista sur le caractère militaire de Sokoto, représentant une menace pour la sécurité de ses voisins. Il souligna le caractère ethnique de son recrutement, faisant appel aux ressortissants peuls des différentes régions.

Les contemporains retinrent de cette narration l'idée d'un État prédateur ayant une armée redoutable et fondant sa politique sur le principe racial de la différence avec les populations noires.

Malgré son désir de revoir les chefs peuls, Clapperton n'avait pas de sympathie pour le régime qu'ils installaient dans les villes conquises aux Haoussa. Il remarqua qu'à Zaria, première grande ville commandée par les Peuls sur sa route vers le Sokoto, ils avaient remplacé entièrement les Haoussa qui se réfugièrent dans les régions montagneuses habitées par les païens, et où les jihadistes continuaient à les harceler. Le voyageur soulignait la rapacité de la population de Zaria : les caravanes fuyaient cette ville et voyageaient en secret à travers la brousse. Ces nouveaux habitants que Clapperton estimait entre quarante et cinquante mille, venaient du « Foota Bonda» (de Ɓundu) et du Fuuta Tooro.

Ces soldats produisirent sur le voyageur une impression désagréable : il constata qu'ils connaissaient bien les Européens et qu'ils les méprisaient 153.

Des sentiments anti-chrétiens caractérisaient l'état d'esprit de cette armée réunie sous les slogans du djihad ; seul le gouverneur de la ville se comportait bien à l'égard des étrangers, tout en partageant d'ailleurs les préjugés de la foule : les Anglais habiteraient sur une île minuscule ; ils seraient de piètres combattants.

Ces observations suggérèrent à l'Écossais l'idée de l'unité « raciale » des Fulɓe : le gouverneur précédent de Zaria était originaire du Ɓundu ; aussi les « Foulahs » et les « Fellatas » seraient-ils le même peuple. Clapperton évoquait la capacité des Peuls à se mobiliser pour une cause commune au-delà des frontières de leurs États respectifs ; il voyait en eux les maîtres futurs de tous les territoires situés entre la côte et le Sokoto 154.

Le Journal du second voyage de Clapperton contenait la synthèse de ses connaissances sur l'histoire du djihad d'Usman dan Fodyo et sur les principes de l'organisation de l'État installé par Bello 155. Il interpréta ce mouvement surtout comme une guerre à caractère racial, dont le succès résultait du charisme de son chef, mais aussi de la faiblesse des villes « noires » haoussa : « Leur croyance en lui en tant que prophète, leur pauvreté, leur nombre et le bien-être tranquille des noirs, endormis dans leur indolence fatale, ont transformé ces derniers en proie facile ».

Le djihad serait une rébellion des Fulɓe nomades (« éparpillés à travers le Soudan … au milieu de la brousse déserte … rarement visitant les villes ») contre les « nègres » Haoussa ramollis dans les villes 156.

La distinction entre les « nègres » et les « Fellatas » est une constante du texte. Les contemporains de Clapperton conclurent de son récit que ce furent surtout les Peuls nomades qui déterminèrent la propagation de l'islam 157.

La publication du Journal du Second Voyage de Clapperton dans l'empire de Sokoto, suivi du Journal de la fin de cette mission par Richard Lander renforça l'image sombre des Peuls qu'on accusait d'avoir provoqué la mort du voyageur écossais.

C'était une preuve supplémentaire d'un « complot » organisé par les Peuls des différents États afin d'empêcher les chrétiens de pénétrer vers les sources du Niger.

On attribuait aux Peuls toute une stratégie militaire et « impérialiste » en supposant qu'ils envoyaient d'abord leurs éclaireurs et leurs espions, qu'ils annexaient ensuite les territoires prospectés le long des grands fleuves en devenant progressivement leurs maîtres 158.

Les voyageurs ramenaient de leurs missions des récits d'après lesquels les Peuls, de leur côté, attribuaient aux Blancs la même attitude expansionniste : les Blancs habiteraient sur les îles, en mer ; n'ayant pas assez de terre pour se nourrir, ils enverraient d'abord leurs espions (qui seraient des explorateurs) pour se renseigner et pour se saisir des pays des Peuls qui étaient les plus beaux au monde.

La traduction de l'ouvrage de Clapperton révéla au public français la magnificence de l'État peul le moins connu, jugé comparable aux cités musulmanes d'Afrique du nord. Sous l'influence de son récit s'installa une représentation attribuant aux Peuls une couleur presque blanche, des traits européens et un style de vie beaucoup plus civilisé que celui de leurs voisins « nègres ».

Dorénavant, il était nécessaire de réunir les connaissances sur les Peuls de l'est et de l'ouest, comparer les récits des voyageurs anglais et français et comprendre la véritable nature de ces sociétés qui avaient suscité tant d'échos contradictoires et tant d'émotions fortes.

Gustave d'Eichthal et ses amitiés : les « Fellans » à l'épreuve d'une utopie

Les représentations françaises sur les Peuls changèrent radicalement vers 1840. Un nouveau paradigme, auquel une vie durable était destinée, fut mis en circulation par Gustave d'Eichthal (1804-1886), saint-simonien, secrétaire de la Société ethnologique (dont il fut l'un des fondateurs en 1839), membre actif de la Société de géographie et de la Société asiatique, homme d 'affaires dans le domaine des banques et des chemins de fer. D'Eichthal innova en matière de termes et de concepts. Il appuyait son analyse sur trois notions :

Jamais avant lui, les connaissances au sujet des Peuls n'avaient été organisées en système et comparées avec les observations au sujet d'autres peuples.
D'Eichthal se saisit des faits collectés par les voyageurs, et qui reprenaient souvent les discours de légitimation et d'affirmation des élites islamiques peules ellesmêmes. Il les tria et les réorganisa en système en attribuant aux Peuls une mission particulièrement importante dans le progrès de l'humanité : servir d'intermédiaires entre l'Europe et l'Afrique, entre les « races » blanche et noire, entre le monde chrétien et le monde musulman. Depuis son travail sur « histoire et origine des Foulahs ou Fellans » 159, on distinguait systématiquement les « Peuls » des « Nègres » : les Peuls étant venus de l'extérieur, on ne pouvait plus les confondre avec leurs voisins africains.

Le problème des origines des Peuls devint alors le thème de réflexion des chercheurs

Cette problématique émergea à l'époque du début de la conquête coloniale, quand, après un moment d'hésitation et d'incertitude, la France opta pour une intervention plus active en Afrique. Le « mythe » créé par d'Eichthal était complexe ; il intégrait le paradigme naissant de la différence des « races », mais aussi la réflexion sur les rôles comparés des nomades et des sédentaires dans l'histoire, sur la parenté entre les langues, sur le métissage.
D'Eichthal traitait de ces questions selon son idée de progrès et d'une responsabilité morale des peuples qu'il partageait avec la « famille » des saint-simoniens. Sa pensée reflétait les impératifs politiques du moment, notamment ceux liés au déclin de l'Empire ottoman et à la recherche de la stratégie que l'Europe de la Sainte Alliance devrait élaborer à l'égard de l'islam. Il installa les Peuls au carrefour des différents problèmes, ce qui attira vers ces populations la curiosité du grand public.

La « rencontre » entre d'Eichthal et les Peuls ne correspondait qu'à l'un des épisodes parmi les nombreuses activités de cet étonnant personnage. Cependant ses idées dans ce domaine produisirent un effet durable et retentissant. Il y a donc lieu de s'interroger sur la charge intellectuelle que d'Eichthal communiqua aux connaissances préalables sur ces sociétés. Aussi est-il important de rétablir le contexte de ses contacts avec les cercles scientifiques et politiques et d'explorer les sources intellectuelles de ses écrits 160. Plusieurs courants d'idées déterminèrent son affiliation à la Société ethnologique : son amitié avec le philosophe Auguste Comte ; son appartenance au groupe des saint-simoniens, disciples d'Enfantin ; ses liens avec les historiens Michelet, Renan, Monod.

La biographie scientifique de Gustave d'Eichthal

Gustave d'Eichthal naquit le 22 mars 1804 dans une famille de banquiers de Nancy 161 qui s'étaient fixés à Paris. Au début des années 1820, il suivait les cours de mathématique auprès du fondateur de la philosophie positiviste, Auguste Comte. Il devint son disciple, et même « son premier disciple », selon les historiographes du positivisme 162.
Le saint-simonien Olynde Rodrigues, qui fréquentait également le cercle d'Auguste Comte, introduisit d'Eichthal dans le groupe des saint-simoniens dont il fut, à partir de 1829 et jusqu'à sa dispersion en 1832, un ardent et actif adhérent.

Gustave d'Eichthal (1804-1886)
Gustave d'Eichthal (1804-1886)

Dans sa Notice sur ma vie il décrivait son ralliement à l'Église saint-simonienne comme un acte ayant résulté de plusieurs années d'apprentissage commercial en Angleterre et en Allemagne et de son intérêt pour les questions sociales. A partir de 1829, d'Eichthal publia des articles dans les organes des saint-simoniens Le Globe et L'Organisateur, principalement à caractère économique. Il participa, en tant que défenseur de Duveyrier, au procès des saint-simoniens en 1832.
Après la dissolution de l'Église saint-simonienne, et le repliement de ses adeptes sur « l'Orient » (ils se rendirent au Proche-Orient, en Egypte et en Algérie, d'Eichthal partit à la découverte de son Orient à lui : il séjourna longuement en Italie et en Grèce où il coopéra avec les nouveaux pouvoirs grecs et fonda avec un autre jeune Français, Alexandre Roujoux, sous la direction du ministre Colletis, « un bureau d'économie publique ».

D'Eichthal participa activement à la reconstruction de la Grèce après la guerre d'indépendance et rentra en France en 1835 sous la pression des ennemis des saint-simoniens. Ses études postérieures sur le grec comme langue universelle et ses activités pour créer l'Association pour l'encouragement des études grecques trouvent leurs racines dans cette époque, aussi bien que ses réflexions sur les rapports entre les civilisations chrétienne et musulmane et son projet de transformation de l'Empire d'Autriche en monarchie austro-hongroise 163.

Les observations sur la complexité ethnique de l'Empire ottoman étaient à l'origine de son intérêt pour l'ethnographie et l'ethnologie. Pendant les dix années suivantes, il voyagea beaucoup, notamment en Algérie, et se lança dans l'ethnographie, en participant à la fondation de la Société ethnologique, contemporaine de l'édition de ses Lettres sur la race noire et la race blanche 164. En 1839, il devint secrétaire de la Société ethnologique et publia régulièrement dans les Mémoires et le Bulletin de cette société qui cessa en principe d'exister en 1848 165. Il suivait également les travaux de la Société asiatique (créée en 1821) et devint membre de la commission centrale de la Société de géographie.

Ce fut la période de sa curiosité pour les Peuls, qui n'occupèrent d'ailleurs que temporairement son esprit ; il s'intéressa surtout aux influences réciproques entre les civilisations.

D'Eichthal comprenait l'ethnologie comme l'étude des rapports entre les « races » et les peuples, notamment « des rapports de la race blanche et de la race noire, considérées comme types mâle et femelle de l'humanité » 166.

Les récits d'exploration attisèrent sa curiosité à l'égard de l'Afrique : « La lecture du voyage du Capitaine Lyon à Fez (Tripolitaine) [sic], celle des voyages de Denham et Clapperton dans le Soudan m'avaient vivement intéressé et poussé à l'étude des races africaines, par suite à d'autres études ethnologiques » 167. Les activités de d'Eichthal au sein de la Société ethnologique coïncidaient avec le retour de nombreux saint-simoniens de leur mission en Orient (Enfantin rentra en France en 1836) considérée comme un échec. La création de la Société répondait en partie à une remise en question de leurs idées sur le rôle que l'Orient devait jouer dans le mouvement du Progrès.

Dans les années 1860, il publia un important ouvrage sur les origines bouddhiques de la civilisation américaine, dans lequel il poursuivait sa recherche d'un lien culturel qui pourrait procurer à l'humanité plus d'unité et de solidarité 168. Le même motif lui inspira ses études sur les débuts du christianisme, et notamment une révision critique des textes à l'origine de cette religion : en 1863 il publia les Évangiles, suivis de l'Examen critique et comparatif des trois premiers Évangiles (1863) ; et des Trois grands peuples méditerranéens et le christianisme (1865). A la même époque il considérait que le grec moderne devait devenir l'idiome universel des échanges internationaux et se lança dans la rédaction de manuels de cette langue, aussi bien que dans les études de la philosophie et de l'histoire grecques (Études sur la philosophie de la justice. Platon (1863) ; Le site de Troie (1875) ; Socrate et notre temps (1881).
Ces nombreuses activités obéissaient à un projet spirituel que d'Eichthal partageait avec les saint-simoniens. Sa vie appartenait « moins à l'histoire de la philologie qu'à celle de la pensée philosophique au XIXe siècle » 169. En 1896, la Société positiviste lui rendant hommage dans les pages de sa revue, soulignait l'importance de son engagement dans les entreprises des saint-simoniens 170.
L'influence d'Auguste Comte fut également décisive pour l'univers mental de d'Eichthal. Sa volumineuse correspondance, ses carnets et les brouillons de ses écrits (conservés notamment à la Bibliothèque de l'Arsenal) permettent de découvrir l'étendue de ses échanges avec les historiens et les hommes de lettres de son époque et d'émettre ainsi quelques hypothèses au sujet des inspirations qui le guidaient dans ses recherches.
Ayant séjourné à Londres et à Berlin, villes où il se fit le propagateur actif des idées comtiennes et, plus tard, de celles des saint-simoniens, il se familiarisa avec les nouveaux courants dans les sciences humaines, notamment en philosophie et en ethnologie 171. Il contribua à introduire la philosophie de Kant et de Hegel en France et joua le rôle d'intermédiaire en présentant l'oeuvre hégélienne à Auguste Comte 172, aussi bien qu'aux historiens français 173. La proximité de d'Eichthal avec les idées de Comte se manifeste dans ses ouvrages sur la politique internationale et sur les rapports entre les nations en Afrique. On y retrouve la même tendance de décrire le « caractère » du peuple, ses penchants, son tempérament 174.
Cependant les tendances mystiques et religieuses qui étaient apparues dans les idées de Saint-Simon à la fin de sa vie et qui devinrent la pierre angulaire du système des saint-simoniens conquirent la curiosité d'Eichthal qui se reprocha de leur groupe en 1829. Comte désapprouva cette dérive vers la théologie dans laquelle il voyait l'abandon de la méthode scientifique 175. Par la suite, des représentations religieuses déterminèrent les réflexions de Gustave d'Eichthal sur la vocation des peuples, marquant également ses études sur les Peuls.
La correspondance avec Comte reprit dans les années 1830, après la dissolution formelle de la secte de Ménilmontant 176. A cette époque d'Eichthal s'investit entièrement dans la promotion de l'ethnologie en France. Il envoya au philosophe ses lettres sur la Race blanche et la race noire et sollicita son opinion. Les hagiographes d'Auguste Comte réunis dans la Société positiviste ont maintenu Gustave d'Eichthal dans le panthéon des disciples du philosophe 177, mais son image dans leur interprétation fut à jamais ternie par sa « trahison » saint-simonienne. Son engagement social à côté des saint-simoniens fut, selon les positivistes, au détriment de son talent de penseur.
Quel fut l'impact de ces sympathies sur ses écrits ethnologiques ? Sa rencontre avec le Père Enfantin et avec son groupe, en 1829, répondait à ses recherches spirituelles qu'il ne pouvait pas satisfaire dans le sillage de Comte 178. Il aidait le mouvement matériellement et même après son détachement du « Père », sa maison demeura longtemps le lieu de réunion d'anciens saint-simoniens.
On peut interpréter l'activité des saint-simoniens comme la poursuite de la tentative de Saint-Simon de créer une théorie globale des phénomènes naturels et sociaux et d'expliquer les faits sociaux par les lois de la nature 179. Le groupe réuni autour du Père Enfantin voulait élargir cette réflexion au-delà du monde occidental en y associant les découvertes des voyageurs et les nouveautés géographiques et ethnologiques, en rajoutant ainsi à l'oeuvre du Maître un chapitre manquant sur les rapports entre l'« Occident » et l'« Orient » — on dirait, aujourd'hui, entre le « Nord » et le « Sud » Ils voulurent appliquer leurs idées à « l'Orient », comme ils appelaient les pays musulmans, et, plus généralement, aux pays non-européens, y compris l'Afrique 180 et la Russie. D'Eichthal devint le théoricien du programme de la « famille » pour l'Afrique noire.
Les disciples d'Enfantin furent impliqués dans les grands projets industriels de leur époque (comme le percement du canal de Suez) et dans l'entreprise coloniale 181.

Nombreux parmi eux furent des hommes d'affaires, liés aux banques et aux chemins de fer, comme « le plus mystique d'entre eux, Enfantin », qui mourut en 1864, administrateur du chemin de fer de Lyon, ou d'Eichthal lui-même 182. Par l'intermédiaire des sociétés savantes et par la presse, aussi bien que par ses liens internationaux 183, ce réseau accéda (au moins dans la deuxième génération) aux positions d'autorité dans les domaines de la vie intellectuelle et de la politique.
Un esprit particulier, celui des apôtres d'une nouvelle religion, régnait dans le milieu des saint-simoniens 184. Gustave d'Eichthal fut l'un de ceux qui étaient attirés vers le saint-simonisme par cette chaleur, comme il disait lui-même, de la vocation apostolique, qui n'excluait pas cependant la méthode critique de l'analyse des faits dite « positiviste ». Il croyait au « perfectionnement continu de l'humanité» le considérant comme le résultat d'une volonté divine : le désaccord sur ces questions se trouvait à l'origine de sa rupture avec Comte. La vocation spirituelle, le désir de retrouver la religion des premiers jours, le sentiment d'entendre la voix leur confiant une mission expliquent en partie l'intérêt aigu que les saint-simoniens portaient à l'Orient, au désert et aux pays de l'islam. Ils étaient particulièrement attirés par le thème « de l'origine » : celle de la civilisation, de la religion.

Dans cette mouvance d'esprit s'inscrivaient les études de d'Eichthal sur l'Ancien Testament, sur la Grèce en tant que berceau de la civilisation, et également sur les Peuls en tant que peuple inspiré par une idée religieuse.

Les saint-simoniens considéraient que l'islam, la plus jeune des religions révélées, était encore capable de susciter des mouvements populaires, notamment en Afrique, ce que rapportait le voyageur britannique Clapperton qui avait séjourné dans l'empire musulman de Sokoto.

Ce n'était pas par hasard que d'Eichthal porta le choix de ses recherches sur les « Félans » et qu'il s'inspira de l'article de son ami, membre de la Société de géographie, sympathisant des saint-simoniens, le Comte d'Avezac.

Les saint-simoniens se représentaient l'« Orient» comme le terrain d'application de leur activité. Le départ de Gustave d'Eichthal en Grèce et son implication dans la Société ethnologique correspondaient au même mouvement vers les sociétés non-occidentales.
Il y avait un lien évident entre les recherches de la « Femme » entreprises par les disciples du Père en Orient185 etles réflexions de d 'Eichthal publiées sous forme de lettres en 1839 186, selon lesquelles la « race » blanche aurait un esprit « masculin» qui serait complémentaire de l'esprit « féminin » de la « race » noire : « Le Noir me paraît être la race femme, dans la famille humaine, comme la race blanche est la race mâle » 187. Pour d'Eichthal, l'Afrique faisait partie de l'Orient imaginaire des saint-simoniens. L'« Orient » comme aire géographique se transformait en « Orient » comme culture, et comme « race ».

La réflexion de d'Eichthal sur les « races » fut le fruit de sa coopération avec le saint-simonien Ismayl Urbain, converti à l'islam et résidant en Algérie, où il occupait le poste d'interprète auprès du Gouvernement 188. Une longue amitié les liait ; d'Eichthal commentait des interrogations personnelles d'Urbain sur ses antécédents (il était fils d'une mulatresse guyanaise), sur l'esclavage, sur les colonies et sur l'apport des ressortissants d'Afrique noire à la civilisation européenne. Il suggérait à Urbain, qui s'intéressait surtout aux questions musulmanes, d'explorer davantage la question de la situation des Noirs dans le monde.

Ces échanges furent à l'origine de la curiosité de d'Eichthal pour le problème du métissage, que l'on retrouve dans son interprétation du problème de l'origine des Peuls : « C'est ainsi que j'avais été conduit à la rédaction d'un Mémoire sur les Foules et d'un autre sur l'histoire des races océaniennes et américaines» 189.

L'affiliation de d'Eichthal à la Société ethnologique datait de la même époque ; elle correspondait moins à un hasard de circonstances et de rencontres qu'à un choix répondant à sa réflexion préalable sur les caractères des « races » :

« Au mois d'août 1839, M. William Edwards avait fondé la société ethnologique, je fus mis en rapport avec lui par Michelet, et devins aussitôt secrétaire adjoint de la société. […] Dans les séances d'Avril, Mai, Juin et juillet 1847 eut lieu une discussion très importante provoquée par moi sur cette question : quels sont les caractères distinctifs de la race blanche et de la race noire et les conditions d'association de ces deux races ? Le résumé en a été donné dans le bulletin de la société.

Ce bulletin cessa d'être publié après les événements de 1848 et la société elle-même cessa bientôt d'exister » 190.
Les recherches de d'Eichthal dans le domaine de l'histoire des « races » répondaient à son aspiration à la religion qui correspondrait le mieux aux attentes de l'humanité à l'époque du progrès industrie 191. Il s'intéressait à l'islam, mais fut surtout l'explorateur des sources du christianisme et du judaïsme. Son intérêt pour les origines, les commencements des civilisations, des peuples, des phénomènes religieux, le rapprochait du courant romantique de la pensée historique de son époque. Sur le plan géographique, ses études reprenaient les principaux centres d'intérêts de Saint-Simon et des saint-simoniens : elles se concentraient sur les civilisations de la Méditerranée, sur la Grèce, dans laquelle Saint-Simon voyait le berceau de la civilisation occidentale, sur l'Égypte et Israël. Comme Saint-Simon et Comte, d'Eichthal accordait une grande importance à la dialectique; il considérait que l'humanité progressait en traversant des périodes d'antagonismes entre les civilisations, des crises et des contradictions. Ces catégories fondaient également les recherches des historiens de la première moitié du XIXe siècle, préoccupés par le problème du sens « naturel » de l'histoire et par le besoin d'écrire l'histoire des peuples et non des familles royales 192. Lié à Michelet, Guizot, Thierry, familier avec la pensée philosophique contemporaine allemande, d'Eichthal contribua à sa manière à la symbiose entre la philosophie et l'histoire, qui marqua le développement des sciences humaines en Europe après les guerres napoléoniennes.

L'idée d'échange avait une signification capitale dans la vie et l'oeuvre de d'Eichthal. Ceci au niveau des concepts: contacts entre les peuples et les civilisations, mais également au niveau du vécu: les papiers de d'Eichthal renferment une énorme correspondance, étalée sur de longues années, avec des hommes illustres de son époque, aussi bien en France qu'en Europe. Le nombre de ses correspondants est impressionnant, y figurent des personnages aussi différents que Ernest Renan et Victor Hugo, Jules Michelet et Gustave de Gérando, des industriels, des scientifiques, des hommes de lettres et des hommes d'État. D'Eichthal était conscient que sa correspondance représentait une oeuvre en soi et la traitait avec un sérieux particulier: en effet, elle est en majorité (ou en totalité) conservée; les archives contiennent de nombreux brouillons des lettres non envoyées et envoyées, et soigneusement classées par l'auteur. Il considérait quelques-unes de ses lettres comme ayant la valeur d'un ouvrage, d'un texte publié 193. Ses réflexions sur la race noire et la race blanche apparaissent également sous forme de lettres.
Doué d'une grande sensibilité aux idées nouvelles, d'Eichthal contribua à leur circulation entre les différents cercles; il fut un intermédiaire précieux entre les philosophes, les historiens, les hommes d'État et les entrepreneurs. Marqué par ce dilettantisme éclairé, ses écrits sur les Peuls et sur les « races » mélangent les faits puisés dans les observations des voyageurs, les jugements politiques de l'auteur et les concepts de l'idéologie théosophique des saint-simoniens. Ce qui intrigue et explique leur succès auprès d'un large public.

Les Peuls deviennent une « race »

La rencontre avec William Edwards (1776-1842), médecin, naturaliste et linguiste autodidacte qui considérait une « race » comme une catégorie historique 194 fut capitale pour Gustave d'Eichthal. Il découvrit un nouveau domaine auquel il pouvait appliquer ses idées de la construction de la future civilisation commune. Le débat sur les « races », leurs origines, leurs croisements et leur permanence dans l'histoire répondait, on ne peut mieux, à ses représentations sur les forces qui animent l'histoire.

D'Eichthal trouva dans le « cas » des Peuls la possibilité heureuse d'appliquer à une situation politique et ethnique concrète sa théorie de l'évolution de l'humanité fortement marquée par les idées récentes d'Edwards dont il était devenu un adepte convaincu 195.

Il joua un rôle actif dans l'organisation de la Société ethnologique ; il y attira plusieurs de ses amis saint-simoniens — Michel Chevalier, Rodrigues, Ismaïl Urbain, Victor Courtet de l'Isle ; Marie-Armand Pascal d'Avezac y participa aussi. L'essai de d'Eichthal sur l'histoire et l'origine des Peuls (1841), sur lequel il travaillait à la fin des années 1830 196, inaugura les premières séances de la Société. Cet ouvrage exprimait son adhésion énergique au projet d'Edwards d'« étude scientifique des races humaines », ce qui lui communiquait un ton militant, différent de la narration érudite des contemporains. D'Eichthal voulait démontrer que le concept de la permanence des « caractères » des « races » offrait aux hommes politiques de précieux moyens d'action ; qu'il représentait une sorte de savoir positif, pouvant servir de fondement à une politique africaine appropriée.

D'Eichthal n'est jamais allé en Afrique sub-saharienne ; il réunit des renseignements tirés des récits de voyages pour les transformer en preuves de ses hypothèses. Le contexte particulier de la production de ces textes resta en dehors de son analyse, aussi bien que la vérification de l'authenticité de ses sources 197.

Son essai fut animé par une seule idée — prouver l'existence d'une « race » peule. Il le fit avec un certain succès puisque de nombreux « hommes de terrain » tombèrent sous son emprise et se précipitèrent à la recherche de nouvelles preuves de la singularité des Peuls.

Son ouvrage était nouveau par l'objet même de sa recherche. Il ne s'agissait plus, comme auparavant, de décrire l'histoire d'un « État » ou d'un « pays », mais de faire connaître l'histoire et l'origine « d'un peuple » 198

A la différence des « peuples » européens, les populations africaines étaient peu connues du public érudit occidental ; on les décrivait habituellement comme des « tribus » ou des « peuplades ». D'Eichthal devait donc convaincre ses lecteurs que la population en question possédait une identité.

Cette tâche était d'autant plus difficile que, lorsque d'Eichthal rédigeait son ouvrage, les Européens possédaient des informations sur des groupes de Peuls éloignés les uns des autres, qui portaient des noms différents et dont la langue n'était décrite que pour quelques régions. Le dessein théorique était nécessaire pour voir derrière ces éléments une idée de l'unité.

Prouver l'unité de la race

Il résolut cette difficulté en créant le portrait d'un Peul idéal (quoique muni de précautions et de nuances), permettant de distinguer les « Fellans » « en général », de postuler l'unité de leur histoire et de leur civilisation :

« Les individus de cette nation, ceux du moins chez lesquels il n'y a pas mélange de sang nègre, ont une couleur de peau foncée que les voyageurs appellent tantôt rouge, tantôt bronzée, tantôt cuivrée, quelque fois presque blanche, la figure ovale, le nez aquilin, les cheveux lisses, les extrémités des membres petites » 199.

Toutefois, il admettait la diversité d'opinions des voyageurs (qui « ne sont pas très-concordantes ») sur la couleur des Peuls, mais l'expliquait par l'imperfection des termes, trop pauvres pour exprimer « la variété des nuances que présente la couleur ».

Ayant émis ces réserves, il pouvait donc réitérer son argumentation de l'unité physique du peuple peul, correspondant à son unité culturelle et assigner aux sources européennes un certain consensus à ce sujet :

« Les voyageurs, frappés de la différence qui existe entre la race nègre et la race fellane, ont soigneusement constaté les traits génériques qui caractérisent cette dernière ».

En se référant aux derniers récits des voyageurs, il concluait à l'unité géographique de la zone « entre l'Océan atlantique à l'ouest, le Bornou et le Mandara à l'est, entre le grand Désert au nord, et les montagnes de la Guinée, au midi » abritant les groupements peuls. Il soulignait la communauté de l'histoire de cette région « grande comme le quart de l'Europe », remontant au royaume de « Takrour ».

Le milieu géographique détermina un lien entre la nature et l'histoire. D'Eichthal relevait les indications des voyageurs qui avaient découvert, au début du XIXe siècle, la communauté de langue parlée par les Peuls de la Sénégambie et par ceux du bassin du Niger. Il indiquait la ressemblance dans les modes de vie des sociétés de l'est et de l'ouest ce qui prouvait leur appartenance à une même « civilisation », différente de celle des « Noirs » : élevage des troupeaux, notamment de boeufs, construction de cabanes de feuillage, nomadisme, paganisme progressivement remplacé par l'Islam.

La possibilité de comparer les récits des voyageurs britanniques ayant décrit le Bornu et le Sokoto avec les relations de Caillié et de Mollien qui avaient pour cadre la Sénégambie offrait des nouvelles perspectives à l'analyse de d'Eichthal, mais aussi des problèmes à résoudre.

Comment réconcilier le nomadisme et le paganisme de certains groupements peuls et, d'autre part, leur rôle actif dans la création des États musulmans appuyés sur des sociétés sédentaires ? S'agissait-il bien du même peuple ? D'Eichthal contournait cet obstacle logique en indiquant une certaine parenté de structure entre la vie des pasteurs qui évoluent « au milieu des peuples noirs, ayant peu de relations entre eux et très peu aussi avec leur voisins » et l'organisation de ces États, qui sont « indépendants les uns des autres, et des États nègres voisins ». Par ailleurs, ces États n'étaient pas le produit des Peuls « purs », mais résultaient, selon ses termes, de la « fusion des deux races », ce qui expliquait probablement leur caractère différent.

D'Eichthal innova la description ethnographique en soulignant l'importance de l'économie, du mode de production pour la mise en place des traits culturels d'un peuple. Mais l'argument principal sur lequel il appuya son concept d'une « race » peule singulière résidait dans le contraste, dans la différence : les Peuls ne seraient pas des Noirs. S'étant inspiré de l'essai de William Edwards 200, il dressa le répertoire des « traits génériques » des « Fellans ». Il trouva dans leur « cas » la possibilité parfaite d'appliquer à des sociétés peu connues sa théorie de la survivance des « races », dont l'un des admirateurs fut son ami Jules Michelet.

Relever les « traits génériques» de la « race »

Les principaux « traits génériques » distinguant les Peuls des Noirs et les rapprochant des Européens résidaient, selon d'Eichthal, dans leur couleur, dans la texture de leurs cheveux, dans la forme du visage, dans la démarche (« le corps droit et la tête haute »). Reprenant la problématique d'Edwards, d'Eichthal s'interrogeait sur la permanence de ces traits, condition nécessaire pour distinguer les Peuls en tant que « race ».
A l'époque où les Peuls étaient « devenus conquérants, propriétaires du sol et possesseurs d'esclaves », où ils étaient sortis de leur antique état d'isolement et avaient multiplié des contacts avec les peuples vaincus, sédentaires et noirs, leur population était devenue davantage métissée. D'Eichthal voyait dans le métissage et dans les échanges le signe du progrès de la civilisation. Selon lui, les États musulmans correspondaient à un stade plus perfectionné que les sociétés païennes.
Comment admettre que la civilisation issue du métissage est plus avancée que celle créée par une « race blanche » authentique ?

D'Eichthal constatait que, dans toutes les régions les plus importantes habitées par les Peuls, ils avaient créé « une race mulâtre », dont les membres occupaient des positions clefs dans la société, tandis que « la race des Poules rouges » diminuait de jour en jour. Il entreprenait une longue digression au sujet des différentes catégories de métis.

Le premier degré d'éloignement du « type pur » consiste en la perte de la couleur initiale qui devient « très foncée », mais les « traits ressemblent presque à ceux de la race blanche ». Dans cette catégorie on trouve les habitants du Fuuta Jaloo et les « Toucolors » du Fuuta Tooro, des États qui intéressaient le plus d'Eichthal.

Les Peuls que Caillié avait rencontrés le long des rives du Niger, entre Djenné et Tombouctou, « ont altéré les traits primitifs de leur race », car leur cheveux sont crépus comme ceux des Nègres ; la « dégénération » est encore plus sensible chez les Peuls idolâtres de « Ouasselon » (Wasulu) et de « Foulou » (Fuladu), qui « sont semblables aux Nègres » physiquement, mais surtout qui ont perdu « un des caractères les plus distinctifs de leur race », à savoir une « grande habitude de propreté » 201.

L'indice de l'abandon presque complet des traits génériques correspond à la perte de la langue. Ainsi, les particularités les plus importantes de la « race » peule ont-elles survécu dans les États les plus développés, ce qui explique les succès de leur civilisation.

Il faudrait donc admettre que de nombreux métis peuvent être assimilés aux Peuls ; le métissage leur ayant permis de s'adapter à la vie sédentaire : «

Il y a donc dans le Haoussa, comme dans toutes les provinces où les Fellans ont renoncé à leur ancienne existence nomade et pastorale, une partie de la population qui a conservé les traits primitifs de la race, et une autre qui les a plus ou moins altérés par le mélange du sang nègre ». L'invention de la classification des « types » croisés comme modèle de description de la population n'appartenait pas à d'Eichthal ; son collègue le docteur Edwards y recourait pour décrire, par exemple, la situation ethnique de l'Europe du Sud. La coexistence de plusieurs « types » au sein d'une « race » ne contredisait pas l'idée de sa permanence : par exemple le « type » féminin 202 de la « race » peule mettait en relief la différence « entre le type nègre et le type fellan ».
Dans le système d'Edwards, aux particularités physiques de la « race » correspondaient les traits de sa culture et de son caractère. A son instar, d'Eichthal entreprit la tentative de rassembler les renseignements dans ces domaines selon un certain plan :

A la différence des narrateurs du XVIIIe siècle qui étalaient ces informations en des sortes de répertoires linéaires, d'Eichthal les présentait en tant que des émanations de l'esprit d'une « race », preuves d'un être unique de chaque peuple. Tandis que les écrits d'Edwards employaient les expressions comme « race portée à l'activité », « laborieuse », etc., d'Eichthal découvrait que « les Fellans sont en général remarquables par leur politesse […] D'un autre côté, ils sont très-susceptibles […] Plusieurs voyageurs ont été frappés de leur tenue silencieuse et mélancolique ; une disposition qui chez eux s'accorde très-bien avec celle-là, est un goût prononcé pour la musique » 203. En somme, c'est une « race » « plus active, plus intelligente, plus impérieuse que celle des Nègres ».

La division de l'espace africain en domaines des « Peuls » et des « Noirs » nécessitait de préciser quels étaient leurs rapports : d'Eichthal les décrivit selon le modèle des vainqueurs et des vaincus, élaboré d'abord par Saint-Simon au sujet des Gallo-Romains soumis par les Francs. Dans les années 1820, cette théorie, surtout présente dans les travaux d'Augustin Thierry et de Guizot, fut adoptée plus ou moins explicitement par tous les historiens romantiques 204. Dans l'interprétation de Saint-Simon, l'antagonisme entre les vainqueurs et les vaincus se résumait par la lutte des classes et aboutissait à la Révolution française.

D'Eichthal s'inspira de cette représentation de l'histoire animée par la succession de périodes de pression et de relâchement social qu'il transposa dans le contexte africain : la domination des Peuls contribuait à éveiller chez les peuples noirs l'esprit de résistance et, de ce fait, entraînait leur participation à l'histoire 205.

Ce modèle serait partout le même, aussi bien en Sénégambie que dans les États haoussa. Ainsi, à côté de l'apparence physique, de la langue et du goût pour le nomadisme, l'histoire des Peuls incarnait-elle l'un des traits génériques de leur « race ».

Écrire l'histoire de la « race »

Le mot « histoire » (figurant dans le titre Histoire et origine des Foulahs ou Fellans) déterminait la démarche de d'Eichthal qui visait la reconstruction de l'histoire d'une « race ». Pour d'Eichthal comme pour Edwards, l'histoire n'est pas réductible à un conglomérat de faits ; elle a un sens spirituel, une direction ; elle exprime la destinée de la « race » 206. Il interrogeait ses sources avec les questions formulées par Edwards : dans quelle mesure les « races » changent-elles au cours de l'histoire ; leur origine est-elle révélatrice de leur situation actuelle ? Quels sont les facteurs qui garantissent la permanence des traits d'une « race » ?

Ayant étudié les récits des voyageurs, d'Eichthal supposa que, dans leur « état naturel », les Peuls n'avaient pas le caractère belliqueux d'aujourd'hui. A leur condition isolée « dans les forêts », à leur vie nomade et autonome, correspondait la pureté du type physique à la peau claire, le paganisme, les moeurs paisibles.

En revanche, la création des États — concomitante de la sédentarisation et du métissage — fut décisive pour l'apparition du caractère conquérant, « orgueilleux et perfide » et du fanatisme musulman. L'islam fut le facteur déterminant qui transforma le caractère de la « race ». D'Eichthal croyait que les religions monothéistes étaient à l'origine des bouleversements dans l'évolution des peuples, brisant leur isolation et suscitant les contacts entre les civilisations. Ainsi, en Afrique, l'islam continuait-il son action transformatrice. Sous son influence, brutale au début, mais en somme positive, les cultures africaines devaient s'ouvrir aux relations avec l'Europe.

Dans ce processus, d'Eichthal attribuait aux Peuls un rôle d'avant-garde : c'était la « race » par laquelle l'influence civilisatrice arrivait. Il joignait à son ouvrage une conclusion optimiste dans laquelle il exprimait ses points de vue sur « le développement de l'islamisme en Afrique ».

Ainsi l'exemple des Peuls démontrait-il que les « races » n'étaient pas invariables et que, sous la pression de facteurs aussi puissants que la religion, elles pouvaient changer de caractère et de comportement.

En revanche, le sentiment développé de « l'orgueil national » fut le mécanisme principal de la persistance de la « race » dans la durée : « C'est par ce sentiment de nationalité que les Fellans ont pu se conserver si longtemps peuple à part au milieu des Nègres, et ensuite fonder en un moment leur immense empire ».

Quoique traitant des Peuls, l'ouvrage de d'Eichthal représentait une expérience d'écriture de l'histoire en tant qu'« histoire des races » et, de ce point de vue, une tentative de réflexion philosophique de caractère général au sujet de cette catégorie. Il mit en relief l'ambiguïté de ce terme, désignant à la fois « espèce » et « origine » :

« Les Fellans ont eux-mêmes au sujet de leur origine une croyance aussi formelle qu'elle est générale. Ils se disent de race blanche » 207

La synonymie entre « race » et « origine » rendait possible, en ce qui concernait les Peuls, le raccourci sémantique entre la couleur claire et les origines extérieures. D'Eichthal remarquait une certaine facilité liée à la confusion entre la « race » et « l'origine », et s'interrogeait :

« Mais la différence de race doit-elle en faire supposer une de patrie? » 208.

Pour répondre à cette interrogation, il évoquait les hypothèses existantes sur l'origine des Peuls, en commençant par la chronique du sultan Bello rapportée par Clapperton qui présentait les Peuls comme descendants d'un Arabe musulman et d'une princesse torodo (« towroud ») du Fuuta Tooro. Tout en critiquant la tentative de cette légende, datant de l'époque musulmane, d'établir une filiation entre les Peuls et les Arabes, il en fut le lecteur attentif. Ainsi suggéra-t-il que le pays de Tooro était le point de départ d'où les Peuls s'étaient répandus dans l'ouest de l'Afrique.

Les autres versions analysées et rejetées par d'Eichthal étaient celles qui attribuaient aux Peuls des origines africaines, les situant au nord-est de l'Afrique : les rapprochant des Nubiens (Mollien et Ritter); ou des « Leuco-Éthiopiens de Ptolémée et de Pline », dont la branche s'était installée au Fuladu (le Major Rennel et Mungo Park) ; ou à Tétouan (Clapperton). Ces hypothèses contredisaient la théorie de d'Eichthal assignant aux Peuls une différence raciale radicale.
Il proposa sa version de l'origine des Peuls qu'il appuya sur les considérations d'Edwards selon lesquelles la langue était le paramètre le plus résistant de la « race » ; une sorte de « connexion non-interrompue » entre les « races » anciennes et actuelles.

Si les Peuls « sous le rapport physique sont tout à fait distincts de la race nègre », leur langue ne peut pas avoir « d'analogie avec toutes celles des peuples nègres que nous connaissons en Afrique ». Ayant passé en revue les recueils existants des mots de la langue peule, d'Eichthal en tira la conclusion erronée qu'elle n'avait pas de similitude avec celles des autres peuples de la région ; elle n'était donc pas « un idiome africain ».

D'Eichthal chercha les origines des Peuls à Madagascar : il supposa que les migrations de la « race » malaisienne (de Malaisie) vers le continent africain y avaient créé une souche peule. Il voyait les preuves de son hypothèse dans la similitude apparente des deux vocabulaires. Sa supposition coïncida avec les découvertes ethniques et linguistiques datant de l'expansion française à Madagascar, à laquelle participèrent les saint-simoniens 209. D'Eichthal recherchait une « race » dont les migrations se dirigeraient de l'est vers l'ouest et qui ne serait pas complètement européenne, mais plutôt, selon son idée, intermédiaire entre les Africains et les Européens : « la race brunâtre de l'archipel indien » correspondait à ses desseins.
Dans la conclusion de son ouvrage, d'Eichthal effaça toutes les nuances qui jusqu'alors, existaient sur les marges de son travail. Suivant l'esprit de la narration romantique, il poussa à l'extrême la différence entre les Peuls et les Noirs aussi bien en ce qui concernait la « constitution physique » (« rien n'est plus opposé que ces divers caractères »), que « sous le rapport moral ».

Les Peuls seraient une « race » d'origine extérieure, mais présente en Afrique dès l'antiquité, car c'est probablement elle qui est évoquée dans la Genèse sous le nom de Fout ou Pout.

Appliquer la théorie à la politique

Gustave d'Eichthal envisageait que ses recherches pouvaient fournir des « secours … aux tentatives que la civilisation européenne dirige maintenant vers l'Afrique » 210. Le partage des populations africaines en deux « races » opposées par leur caractères, origine, histoire et langues était lourd de conséquence. Dorénavant, leur rapports pouvaient être compris comme antagonistes, ce qui permettait aux puissances européennes de préciser leur stratégie vis-à-vis de l'Afrique et éventuellement d'y trouver des alliés. D'Eichthal espérait que les Européens établiraient de bons rapports avec les Peuls en raison de leur origine extra-africaine qui « détruit entre les Fellans et les Européens la barrière que les restes d'un préjugé funeste maintiennent encore entre les Européens et les Noirs ». Au lieu de réitérer la méfiance envers les sultanats de l'Afrique occidentale comme le faisait la majorité des observateurs, d'Eichthal voyait dans leur apparition le début d'une nouvelle époque :

« Toute la partie du continent africain dans laquelle ce peuple est répandu, la région occidentale au sud du Sahara, qui comprend le Haoussa, le bassin du Niger, la Sénégambie et la Guinée, marchent en ce moment à des destinées nouvelles » 211

Fidèle à sa foi dans le Progrès universel et à une représentation saint-simonienne de l'évolution de l'humanité par une succession d'époques organiques et non-organiques, il considérait que la création des États musulmans en Afrique « dont les Foulahs eux-mêmes ont été les principaux agents » était une preuve de leur « pouvoir civilisateur ».
Il comparait les jihads peuls à l'action de la civilisation européenne. Dans l'avenir, les Peuls devaient inévitablement se trouver en face des Anglais, qui, à cette époque, multipliaient leurs projets de pénétration en Afrique : « il faudra donc ou combattre les Fellans, ou rechercher leur alliance et s'efforcer d'obtenir leur coopération ».
A l'aube de la colonisation de l'Afrique, il prônait les principes du futur indirect rule : pour s'assurer la coopération des Peuls il faudrait « se faire craindre et respecter », mais surtout renoncer à « l'esprit de prosélytisme » chrétien.

Ces représentations correspondaient à l'idée que d'Eichthal se faisait du rôle de l'islam en Afrique, qu'il comprenait comme une religion jeune et active, suscitant des changements rapides et profonds dans les sociétés, et différente en cela des autres systèmes religieux monothéistes qui avaient vieilli et perdu leur esprit d'origine 212.

L'islam s'est montré capable de « renverser les idoles », d'« abolir les sacrifices humains », de « restreindre la polygamie », de protéger les droits des femmes, de « fonder les liens de famille », de libérer les esclaves, aussi bien que d'aider la propagation de l'écriture et la connaissance du livre, de stimuler le développement du droit, le sentiment d'individualisme, le commerce et les échanges, et surtout d'offrir à l'Afrique la perspective de l'unité religieuse.

Là également, d'Eichthal se manifesta comme précurseur de toute une lignée d'hommes politiques, de fonctionnaires coloniaux, d'historiens et d'hommes de lettres, théoriciens et praticiens de la colonisation qui exprimaient la tendance à préférer les sociétés musulmanes et lettrées aux sociétés païennes et de tradition orale.

Les sociétés peules, que l'opinion européenne associait de plus en plus au cours du XIXe siècle avec les mouvements musulmans, se sont trouvées au coeur des études représentatives de cette tendance. Il est donc intéressant de constater que les racines de ces thèses prennent appui dans l'idéologie saint-simonienne, dans les écrits de Gustave d'Eichthal et dans la philosophie évolutionniste de l'histoire qui situait les sociétés « sans écriture » et « sans religion » au niveau de la « barbarie » et en bas de l'échelle des civilisations humaines.

D'Avezac et d 'Eichthal examinèrent les renseignements sur l'Afrique recueillis par les voyageurs à travers leur vision de l'histoire universelle ; ils « traduisirent » les faits de l'histoire africaine dans le langage historique de leur époque 213. Ils introduisirent dans les descriptions de l'Afrique des catégories et des termes nouveaux :« race », « civilisation», « progrès », « la communication entre les régions », « la marche des migrations », « le berceau d'une civilisation primitive », « peuple conquérant » et « peuple vaincu », etc., les rendant ainsi accessibles à l'opinion des érudits en histoire et en géographie, mais aussi à la curiosité du grand public. Le message de d'Eichthal ne passa pas inaperçu auprès de ses contemporains, qui furent intrigués par la présence en Afrique occidentale de ce peuple mystérieux qu'ils connaissaient pourtant auparavant, mais dont « l'apparition » les « frappe vivement » 114.

Le Bulletin de la Société de géographie de novembre 1840, faisant rapport de l'ouvrage de d'Eichthal, se montrait sensible au dynamisme et aux transformations spectaculaires dont étaient capables les Peuls. Encore récemment, ce n'étaient que des tribus dispersées de nomades, ayant peu de relations entre elles, tandis que voilà qu'ils sont déjà les chefs d'un empire musulman qui, en plus, menace « d'envahir la région nord-ouest de l'Afrique tout entière » !

Si d'Eichthal fit « apparaître » les Peuls, c'est parce qu'il avait démontré qu'ils correspondaient à une « race ». Les contemporains voyaient le sens de son message dans le fait qu'il « enleva » les Peuls au monde des « Nègres » auquel on les avait assignés « par erreur ».

Il mit la touche définitive à l'« énigme peule » (comment expliquer la présence de la « race » blanche au milieu de la « race » noire ?) qui naquit de la convergence entre plusieurs facteurs de la vie sociale et du développement des sciences, dans la première moitié du XIXe siècle. A cette époque, l'acquisition des nouveaux savoirs sur l'Afrique s'accompagnait de l'élaboration de la catégorie de « race » et des recherches d'une théorie de l'histoire, émancipée de l'impératif métaphysique.
D'Eichthal mit en relation les faits connus sur les Peuls avec ces nouvelles tendances, qui restèrent en vigueur durant le XIXe siècle. Ainsi élabora-t-il un amalgame qui explique, probablement, la persistance des stéréotypes sur la particularité des Fulɓe.

Notes
1. Pour ce projet, voir Barry, Le Royaume du Waalo, p. 213-236; Hardy, Georges, La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854, Paris, [s.n.], 1921.
2. Notice nécrologique sur le baron Roger, Bulletin de la Société de géographie, 3ème série, t. I, 1851, p. 305-308, p. 306.
3. Au sujet de Grout de Beaufort: “… j'avais dirigé notre voyageur sur Tombouctou, en lui envoyant pour guide un Maure nommé Mbouia, qui arrivait de cette ville, et qui se proposait d'y retourner”, « Extrait d'une lettre de M. le baron Roger, gouverneur du Sénégal, à M. Jomard, membre de l'Institut », Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. v, 1826, p. 410-413.
4. Ibid., p. 412.
5. « Ces hommes, généralement bons, ont un air riant, et leur abord est agréable. Ils dorment vers le milieu de la journée, et prolongent souvent leur veillées très-avant dans la nuit », « Présentation de Fables sénégalaises, recueillies de ‘Oulof’ et mises en vers français, avec des notes sur la Sénégambie, par M. le baron Roger », Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. x, 1828, p. 289.
6. Voir, par exemple: Monteilhet, J. « Une exploration du Gouverneur Roger en Sénégambie (février-mars 1823) », Annuaire et mémoires du Comité d'études historiques et scientifiques de l'Afrique occidentale française, Gorée, Imprimerie du Gouvernement général, 1916, p. 80-101.
7. Sur Jomard, voir : Gran-Aymerich, Eve, Dictionnaire biographique d'archéologie, 1798-1945. Paris, CNRS Editions, 2001 ; De La Roquette, « Notice sur la vie et les travaux de M. Jomard », Bulletin de la Société de géographie, t. V, février 1863, p. 81-101. Voir également, Bourguet, M.-N., « Des savants à la conquête de l'Egypte ? Science, voyage et politique au temps de l'expédition française », in L'expédition d'Egypte, une entreprise des Lumières, 1798-1801, actes du colloque international, réunis par Patrice Bret, Cachan, Technique & documentation, 1999. p. 21-36.
8. Jomard, Séance du 18 novembre 1842, Bulletin de la Société de géographie, 2e série, t. XVIII, 1842, p. 389-390.
9. Roger, « Note sur des documents relatifs à la Sénégambie, envoyés par M. l'abbé Boilat, vicaire à Saint-Louis du Sénégal », Bulletin de la Société de géographie, 2e série, t. xx, 1843. p. 306-310, p. 307.
10. Sur David Boilat, voir : Diop, Abdoulay-Bara, Introduction, in Boilat, David, Esquisses Sénégalaises, Paris, Karthala, 1984, p. 5-26 ; Bouquillon, Yvon et Cornevin, Robert, David Boilat, 1814-1901 : le précurseur, Dakar, Nouvelles éditions africaines, 1981; Riesz, Janos, Les débuts de la littérature sénégalaise de langue française : relation d'un voyage du Sénégal à Soueira (Mogador) de Léopold Ponet, 1819-1859 ; Esquisses sénégalaises de David Boilat, 1814-1901, Talence, Centre d'étude d'Afrique noire, 1998.
11. « Il s'y trouve joint un manuscrit qui paraît ancien, et qui est d'une fort belle écriture, en caractères arabes, d'encre noire et rouge » Roger, op. cit., p. 309.
12. « M. l'abbé Boilat l'informe que le marabout mandingue, Fondit-Sât […]. est parti pour Tombouctou, avec le projet de descendre le fleuve jusqu'à son embouchure. M. l'abbé Boilat a remis à Fondit-Sât une série de questions relatives aux contrées qu'il va parcourir, et il espère transmettre par la suite à la Société les réponses et l'itinéraire du voyageur africain qui, du reste, a déjà visité précédemment les bords du Djoliba », Bulletin de la Société de géographie, 3e série, t. III, 1845. p. 269. En 1844, il envoya à la Société de géographie une relation de l'expédition de feu Huart aux mines de Kebègue, écrite par trois jeunes Sénégalais, récemment sortis du collège de Saint-Louis.
13. Au fur et à mesure que la présence coloniale s'affirmait au Sénégal, les Français développaient des jugements de plus en plus sceptiques en ce qui concerne la valeur des informations obtenues auprès des « indigènes ». Le baron Roger exprimait, par exemple, ses critiques au sujet des renseignements sur le Ouadaï envoyés par le consul français à Tripoli et recueillis de la bouche d'un chef maure (« Documents sur l'Afrique centrale, extraits de plusieurs lettres de M. Rousseau, consul-général et chargé d'affaires de SMTC près la Régence de Tripoli de Barbarie », Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. IX, 1828).
14. Jomard, E-F. «Analyse de l'ouvrage intitulé : Kélédor, histoire africaine, de M. le baron Roger», Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. VIII, 1828, p. 61-76, p. 63.
15. En 1814-1815 le traité de Vienne mit fin aux guerres franco-britanniques et abolit la traite négrière sans supprimer néanmoins l'esclavage. La Société française pour l'abolition de l'esclavage s'organisa en 1834. La nouvelle proclamation de l'abolition de l'esclavage au Sénégal fut nécessaire en 1848. Sur cette période, voir : Klein, Martin, Slavery and Colonial Rule in French West Africa, Cambridge, Cambridge University Press, 1998. p. 19-27.
16. « Heureusement il pense et il s'exprime comme tous les voyageurs qui les ont vus chez eux, et non pas dans l'esclavage », Jomard. op. cit., p. 64.
17. Au sujet du Waalo, « aujourd'hui tout entier acquis à la France », Jomard écrivait que « des plantations nouvelles, au nombre de plus de 40, y sont disséminées ; la colonisation y prospère, des noirs libres viennent y louer leurs services, ils s'y rendent de 100, et même de 200 lieues de distance », ibid., p. 67.
18. Ibid., p. 69.
19. En évoquant les Sérères, Jomard les plaçait à l'endroit correspondant de son tableau : « Plus sauvages, ils ont résisté au mahométisme, et ils s'éloignent aussi des Européens », ibid.
20. « Que les Européens profitent encore quelque temps de cette faiblesse des nations africaines, puisqu'elle leur sert de passeport », ibid., p. 67.
21. Dard, Jean, Dictionnaire français-walaf et français-bambara, suivi du dictionnaire wolof-français, Paris, Imprimerie Royale. 1825. Sur Jean Dard, voir : Gaucher, Joseph, Les Débuts de l'enseignement en Afrique francophone : Jean Dard et l'Ecole mutuelle de Saint-Louis du Sénégal. Paris, le Livre africain, 1968.
22. On peut voir son nom orthographié quelques fois comme « Davezac » ou comme « Davezac-Macaya » ; les bibliographies évoquent ses prénoms « Marie Armand » ou « Armand », tandis que les comptes-rendus de la Société de géographie utilisent davantage « Pascal ».
23. Famille aristocratique de Bigorre, les d'Avezac s'installèrent à Saint-Domingue dans la première moitié du XVIIIe siècle. Le père du géographe, né à Saint-Domingue, revint en France à l'époque de la Révolution et fut nommé administrateur du directoire de Bagnères. Il retourna plus tard en Amérique et mourut à la Nouvelle Orléans (Chaix d'Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, tome VII, éd. Vendôme, 1983, p. 145-146).
24. Avezac, Armand d', Essais historiques sur la Bigorre, accompagnés de remarques critiques, de pièces justificatives, de notices chronologiques et généalogiques, Bagnères,). M. Dossun, 1823, 2 vol.
25. En 1820-1822, il fut secrétaire-archiviste de la ville de Bagnères-de-Bigorre, et ensuite, de 1823 à 1827, secrétaire à l'Intendance de la Maison Militaire du Roi, à Paris.
26. A la même époque, en 1828, de Martignac, ministre de l'Intérieur, créa le Département des cartes et documents géographiques à la Bibliothèque royale dont la direction fut confiée à Jomard (De La Roquette, « Notice sur la vie et les travaux de M. Jomard », p. 92).
27. Archives du ministère de la Marine et des Colonies, Dossier personnel de d'Avezac de Castera-Macaya.
28. Le seul signe de trouble dans la complémentarité entre l'érudition et le pouvoir se produisit après la révolution de 1848 : son dossier personnel contient une pétition au ministre de la Marine, datée de 1849 et signée par les représentants pour le Département des Hautes et Basses Pyrénées, soulignant que d'Avezac « désire vivement » conserver sa position de chef du bureau des Archives : « tout changement, même avec augmentation de traitement, lui serait fâcheux », Note à M. le Ministre de la Marine sur M. D'Avezac, chef des Archives, Archives du ministère de la Marine et des Colonies, Dossier personnel de d'Avezac de Castera-Macaya.
29. Le seul signe de trouble dans la complémentarité entre l'érudition et le pouvoir se produisit après la révolution de 1848 : son dossier personnel contient une pétition au ministre de la Marine, datée de 1849 et signée par les représentants pour le Département des Hautes et Basses Pyrénées, soulignant que d'Avezac « désire vivement » conserver sa position de chef du bureau des Archives : « tout changement, même avec augmentation de traitement, lui serait fâcheux », Note à M. le Ministre de la Marine sur M. D'Avezac, chef des Archives, Archives du ministère de la Marine et des Colonies, Dossier personnel de d'Avezac de Castera-Macaya. 29. Deloche, « Discours prononcé aux funérailles de M. d'Avezac », Bulletin de la Société de géographie, 1875. t. I, p. 208-212.
30. Voir sa Notice des travaux de la Société de géographie de Paris et du progrès des sciences géographiques pendant l'année 1836 (1837) où il exprima ses opinions sur les travaux de ses contemporains portant sur les « races ». Seul l'Essai zoologique sur le genre humain de Bory de Saint-Vincent reçut son agrément en tant qu'oeuvre originale « d'un observateur ingénieux et sagace ».
31. Pour les éléments de la biographie de d'Avezac, voir : le Dictionnaire de biographie française, p. 872 ; Maury, Alfred, Discours aux funérailles de M. d'Avezac, Paris, Institut de France, Académie des inscriptions et belles-lettres, 1875; Deloche, op. cit.
32. Les contemporains remarquaient qu'il « parlait la langue castillane en véritable enfant de l'Ibérie » ; « il avait résidé quelque temps à Madrid », où il fut attaché à l'ambassade.
33. Claude-Charles Fauriel (né en 1772) fit une carrière vertigineuse grâce à la Révolution française. Ses relations dans les cercles savants de l'Empire lui permirent de conserver et de renforcer sa situation pendant la Restauration. Parmi ses amis figuraient Guizot, Mignet, Victor Cousin, Augustin Thierry, Thiers, Schlegel. Autodidacte, il commença à publier ses premiers essais sur la littérature dans les années 1820 (notamment Chants populaires de la Grèce moderne, 1824-1825, qu'il rédigea à la suite de l'insurrection grecque). Dans les années 1830, il donnait, suite à la recommandation de Guizot, des cours sur la littérature provençale à la faculté des lettres de Paris. Il enseigna également les langues indo-européennes et la littérature espagnole et fut élu membre de l'Institut en 1836.
34. « … je me hâte de vous fournir l'indication précise des autorités auxquelles je réfère mon Esquisse de I'Afrique en ce qui concerne l'origine africaine des Ibériens … La même question s'est plus d'une fois représentée sous ma plume ; je prends la liberté de vous adresser les feuillets de l'Encyclopédie Nouvelle où, dans l'article Andalousie, j'ai exposé, il y a quelques années, mes idées sur les rapports multipliés d'origine entre les populations andalouses et africaines. Et comme je vous connais grand amateur de linguistique ibéro-berbère, je me hasarde à vous indiquer, dans le tome 2 de la même Encyclopédie, les articles Basques et Berbères, où j'ai inséré, outre quelques mots sur les origines historiques de ces deux peuples, des relevés assez précis des sources à consulter sur leurs langages respectifs », Lettre à Fauriel, le 5 décembre 1837, Manuscrits de l'Institut de France. Fauriel 2327 (1), n° 10.
35. Avezac, Pascal d'., Etudes de géographie critique sur une partie de l'Afrique septentrionale: itinéraires de Hhaggy Ebn-el-Dyn el-Aghouathy, avec des annotations et remarques géographiques, une notice sur la construction d'une carte de cette région, et un appendice sur l'emploi de quelques nouveaux documents pour la rectification du tracé géodésique des mêmes contrées, Paris, P. Renouard, 1836.
36. Sur les profils des membres de la Société de géographie de Paris, voir Lejeune, D. Les Sociétés de géographie en France et l'expansion coloniale ou XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1993.
37. Voir ses articles sur l'état de la prospection des fleuves Sénégal et Niger. Par exemple, « Aperçu des parties explorées du Niger et de celles qui restent à explorer », Bulletin de la Société de géographie, 2e s., XVI, 1841, p. 73
38. Pour la reconstruction détaillée de ces événements, voir : Johnson, The Almamate of Fuuto Tora, p. 418-421.
39. L'histoire du mahdi n'était pas achevée à l'heure où d'Avezac écrivait son article : il fut relâché par la cour de l'almamy et termina sa vie tranquillement près de Podor, dans les années 1860, entouré de nombreux élèves. Johnson mena des enquêtes auprès de ses descendants (ibid., note so. p. 474).
40. D'Avezac de Macaya, P. « Notice sur l'apparition nouvelle d'un prophète musulman en Afrique ». Nouveau journal asiatique, vol. 4. sept. 1829, p. 179-210, p. 188.
41. Ibid., p. 191.
42. Bulletin de la Société de géographie, série 1, t. I, 1822, p. 20 et 29.
43. D'Avezac, ap. cit., p. 196
44. « Le caprice,l'intrigue,l'esprit de parti, ne président que trop souvent à de tels choix ; aussi les dépositions, les mutations fréquentes, sont-elles la suite naturelle de cet ordre de choses », ibid., p. 200.
45. Pour l'exposé détaillé de cette rivalité, voir Johnson, op. cit.
46. D'Avezac, op. cit., p. 201, note 1.
47. Le « prophète de Suyuma » est né en 1803 ; il a à peu près le même âge que le Père Enfantin, d'Avezac et d'Eichthal. Gustave d'Eichthal, ethnologue et publiciste qui prit la relève de la pensée de d'Avezac, et dont il sera question plus tard, avouait dans son journal ressentir en lui une vocation d'apôtre.
48. Sur ce personnage, voir : Johnson, The Almamate of Futa Toro, p. 439.
49. D'Avezac, a p. cit., p. 202 , note 2.
50. 1787, Jérémie, Saint-Domingue — 1838, fort de Médine, sur le fleuve Sénégal, à l'ouest du Mali actuel. Explorateur des territoires du haut Sénégal au début de l'expansion française vers l'intérieur de l'Afrique, Duranton fut singulier par sa tentative de s'installer durablement dans l'un des Etats de cette région, le Khasso, et y mener une politique indépendante. Sur Duranton, voir : Balteau, Barroux, Prevost et al., Dictionnaire de biographie française, t. XII, 1970, Letouzey et Ané, p. 723-725; Hardy, G., « Un épisode de l'exploration du Soudan. L'affaire Duranton (1828-1838) », Annuaire et mémoires du Comité d'études historiques et scientifiques de l'AOF, Gorée, Imprimerie du Gouvernement général,1917, p. 411-436.
51. Ses origines le rendaient insensible aux influences dévastatrices du climat « qui a moissonné tant devoyageurs ».
52. D'Avezac, Notice sur l'apparition, p. 190.
53. Sur cet aspect de la culture romantique, voir : Gusdorf, Georges, Fondements du savoir romantique, Paris, Payot, 1982.
54. Son portrait se trouve dans les papiers de d'Eichthal à l'Arsenal, dans un dossier classé « Album de portraits de saint-simoniens », Ms.14410. Puisque cet album contient également d'autres portraits (George Sand, Hegel), il n'est pas possible d'en conclure que d'Avezac faisait partie des saint-simoniens.
55. Lettre de d'Avezac à d'Eichthal, 31 janvier 1846, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 13750/220.
56. Il semblerait qu'entre d'Avezac et d'Eichthal il existait une complicité que ni l'un ni l'autre n'avait avec le président de la Société, le Docteur Edwards : « … M. Edwards est venu hier m'exprimer le désir de nous réunir chez lui demain mercredi pour causer de notre Société ethnologique et du Bureau à élire. Je ferai en sorte d'y aller, et j'irai certainement. … Mais j'aurais bien voulu avoir votre avis d'avance sur ce qu'il y a lieu de faire : car beaucoup de questions me semblent à résoudre quant aux personnes et quant aux choses … Ne pourriez-vous venir demain un instant au Ministère dans le milieu de la journée : j'ai grand désir de savoir vos intentions personnelles quant à vous et quant aux autres » Lettre de d'Avezac à d'Eichthal, (s/d), février 1846, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 13750/234.
57. Sur Guillain voir : Reuillard, Michel, Les Saint-Simoniens et la tentation coloniale. Les explorations africaines et le gouvernement néo-calédonien de Charles Guillain (1808-1875), Paris, Ed. l'Harmattan, 1995.
58. Lettre de d'Avezac à d'Eichthal, 7 septembre 1849, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 13751/186.
59. Dans cette lettre, d'Avezac demande à Enfantin des renseignements sur un certain Fleury, susceptible de recommander Guillain au ministre du Commerce. La lettre est surtout intéressante par le ton qui permet de supposer que d'Avezac connaissait Enfantin suffisamment bien pour lui demander des renseignements confidentiels : Lettre de d'Avezac à Enfantin, s/d [chemise 1843-1855], Bibliothèque de l'Arsenal, MS 7689/67. Il est cependant étonnant de ne trouver aucune autre trace de relations entre d'Avezac et les saint-simoniens dans les importantes archives de ces derniers.
60. Pour la participation des saint-simoniens à l'exploration de la côte orientale de l'Afrique et également pour leurs projets de l'exploration de l'Afrique centrale dans les années 1850, voir : Emerit, Marcel,« Explorateurs et diplomates saint-simoniens », Revue d'histoire moderne et contemporaine, t. XXII, juillet-septembre 1975, p. 397-415.
61. Voir son diplôme de membre signé par le Président du Comité central Edwards, le Vice-Président d'Avezac et le Secrétaire-adjoint d'Eichthal, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 7722/69.
62. Lettre de Jomard à Enfantin, s/d, journal d'Algérie 1840-1844, Bibliothèque de l'Arsenal, MS 7613, pièce 204.
63. Les tables du Bulletin de la Société se référant aux années 1820-1830 recensent de nombreux renvois aux « Peuls », « Foulhs », « Fellans », « Fellatas », tandis que, dans les années 1840, les Peuls disparaissent de l'index presque complètement.
64. Il s'agissait de traductions intégrales, mais également d'extraits sélectionnés pour donner au public une idée du voyage. Tel fut le cas de l'ouvrage du Capitaine Lyon (Lyon G.-F., L'Afrique ou histoire, moeurs, usages et coutumes des Africains. Fezzan. Tr. de l'anglais par Edouard Gautier, Paris, Nepveu, 1821) publié en petit format ludique et accompagné de magnifiques lithographies en couleur. Son traducteur mettait en valeur ses titres savants, garants de son droit de trier dans le texte : «secrétaire adjoint à l'Ecole royale et spéciale des Langues orientales établie près la Bibliothèque du Roi, l'un des collaborateurs de la Biographie universelle, de la Revue encyclopédique, Membre de plusieurs sociétés savantes, etc. ».
65. Durant son premier voyage, commencé à l'embouchure de la Gambie, Park traversa le Kaarta, royaume bambara en guerre avec Ségou. Il parvint au bord du Niger et descendit jusqu'à Sansanding. Malade et sans moyens, Mungo Park regagna la côte (1797) par le pays des Mandingues ; il fit ce trajet avec une caravane d'esclaves, habillé en costume du pays. En 1800, l'île de Gorée devint anglaise ; Mungo Park entreprit, à partir du Sénégal, sa deuxième mission. Il était accompagné de trente-cinq soldats, dont six seulement réussirent à atteindre Bamako. En 1809, la nouvelle de la disparition de l'expédition dans les rapides de Bussa parvint en Europe.
66. En 1825, à la cour du sultan Mohammed Bello, le voyageur écossais Clapperton recueillit plus de détails sur la fin de la mission de Park ; il eut la confirmation que ce dernier et ses compagnons furent poursuivis par les Touaregs et probablement tués par les païens de Yawri. On ne dissocia pas pour autant les Peuls de la mort de Park : ayant aperçu que les passagers de la barque bloquée dans les rapides étaient des Blancs, les habitants de Yawri, qui craignaient les razzias des Peuls de Sokoto, les prirent pour l'avant-garde de ces derniers et les massacrèrent.
67. Voyage dans l'Afrique occidentale, pendant les années 1818, 1819, 1820 et 1821, depuis la rivière Gambie jusqu'au Niger, en traversant les états de Woulli, Bondoa, Galam, Kasson, Kaorta et Foulidou, par le major William Gray et feu Dochard, chirurgien d'Etat-Major, traduit de l'anglais par Mme Charlotte Huguet, Paris, Avril de Gastel, 1826, 392 p.
68. Ils croyaient que les Blancs étaient venus pour les forcer à changer la religion et qu'ils possédaient les machines de guerre sophistiquées et des chiens pouvant combattre cent hommes, ibid., p. 28.
69. La contrée « était déjà souillée par la présence de tant de cafres » ; c'était offenser le prophète que de leur accorder le passage, pour « aller porter leur richesses chez le roi de Ségo », ibid., p. 31.
70. Larenaudière, Philippe François de, Essai sur les progrès de la géographie de l'intérieur de l'Afrique et sur les principaux voyages de découvertes qui s'y rattachent, Paris, de La Forest, 1826, p. XLIII.
71. Bulletin de la Société de géographie, 1830, Ière série, t. XIII, p. 102.
72. Durant son séjour forcé à Bulébané, capitale de Ɓundu, Gray dépêcha l'un de ses officiers, natif du Sénégal, Adrien Partarrieu (qui participa également à la mission précédente de Dochard), « sachant les langues arabes et moresques, et connaissant un peu celle des naturels africains », à Saint-Louis, pour se procurer de nouvelles marchandises pour l'almamy. A cette occasion, René Caillié qui s'y trouvait également, et rêvait de participer à une expédition dans l'intérieur, s'offrit pour accompagner Partarrieu dans le Ɓundu. L'échec de l'expédition de Gray détermina ses projets de marche vers Tombouctou, et surtout son option de voyager en costume arabe.
73. Gray, Voyage dans l'Afrique occidentale, p. 110.
74. Or la vraie raison des manoeuvres de l'almamy pour empêcher l'expédition de prolonger son voyage vers Ségou résidait dans la guerre que le Ɓundu menait contre l'Etat des Bambara de Kaarta ; l'almamy leur proposa, au contraire, de rebrousser chemin vers la côte par le Fuuta Tooro, Etat allié. En 1815, le Ɓundu déclara la guerre au Kaarta. La coalition se forma entre le Ɓundu, le Fuuta Tooro et le Gajaaga qui combattait les forces réunies du Kaarta, du Guidimakha et du Khasso. En 1818, Mollien décrivit le Ɓundu dévasté par la guerre. En 1819, à l'époque du séjour de Caillié dans la région, le Ɓundu et ses alliés furent battus à plusieurs reprises par la coalition du Kaarta. Le nouvel almamy redoutait le renforcement des positions des Anglais et des Français dans la région et surtout voulait empêcher la création d'une alliance entre les Bambara et les Européens. Voir sur le séjour de Gray et de Dochard à Bulébané,la résidence de l'almamy, Gomez, Pragmatisme in the Age of jihad, p. 91-93.
75. Voyage dans le Timani, le Kouranko et le Soulimana, contrées de l'Afrique occidentale, fait en 1822, par le major Gordon-Laing, traduit de l'anglais par MM. Eyriès et de Larenaudière, Paris, Delaforest et Arthus Bertrand, 1826.
76. Larenaudière de, Essai, XLV.
77. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. IV, 1825, p. 191.
78. « La génération qui parvenait à l'âge d'homme en 1815 se retrouvait dans une situation que Musset a décrite dans Confession d'un enfant du siècle (1835) : « Pendant les guerres de l'Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse … », Gusdorf, Fondements du savoir romantique, p. 139.
79. Réédités et commentés à plusieurs reprises, les récits de Caillié et de Mollien sont bien connus du public et correspondent aux « grands classiques, de la littérature de voyage française. Ils furent également objet de la lecture critique des anthropologues et des spécialistes de « Colonial studies », voir Grosz-Ngaté, M., « Power and knowledge. The Representation of the Mande World in the Works of Park, Caillié, Monteil et Delafosse », Cahiers d'études africaines, XXVIII (3-4), 111-112, 1988, p. 485-511. Pour une analyse de l'image des Peuls qu'ils véhiculaient : Pondopoulo, A., La France colonisatrice dans la vallée du fleuve Sénégal : création de mythes réciproques (fin XIXe-début XXe siècle), D.E.A. d'histoire de l'Afrique, sous la dir. de Catherine Coquery-Vidrovitch, Paris, Université Paris VIl, octobre 1993. Pour l'étude de leurs stratégies de voyage et de leurs procédures d'enquête comparées avec d'autres voyages de l'époque, voir Surun, Isabelle, Géographies de l'exploration : la carte, le terrain et le texte (Afrique occidentale, 1870-1880), Nordman, Daniel, dir. de thèse, Th. doct., Histoire, Paris, EHESS, 2003, 3 vol. 80. Voir notice sur Mollien par son neveu, L. Ravaisson-Mollien, dans l'édition de 1889 : Découverte des sources du Sénégal et de la Gambie en 1818 précédée d'un récit inédit du naufrage de la Méduse par G. Mollien et d'une Notice sur l'auteur par L. Ravaisson-Mollien de la bibliothèque Mazarine, Paris, Ch. Delagrave, 1889. René Caillié relate sa jeunesse dans l'Introduction à son Voyage. Il existe de nombreuses biographies de Caillié, écrites dans une veine patriotique ou s'inspirant de l'exotisme de son voyage ; parmi les plus récentes : Lamare, Jacques, Les Dix dernières années de René Caillié, Rochefort, Pilliot, 1987.
80. Voir notice sur Mollien par son neveu, L. Ravaisson-Mollien, dans l'édition de 1889 : Découverte des sources du Sénégal et de la Gambie en 1818 précédée d'un récit inédit du naufrage de la Méduse par G. Mollien et d'une Notice sur l'auteur par L. Ravaisson-Mollien de la bibliothèque Mazarine, Paris, Ch. Delagrave, 1889. René Caillié relate sa jeunesse dans l'Introduction à son Voyage. Il existe de nombreuses biographies de Caillié, écrites dans une veine patriotique ou s'inspirant de l'exotisme de son voyage ; parmi les plus récentes : Lamare, Jacques, Les Dix dernières années de René Caillié, Rochefort, Pilliot, 1987.
81. Caillié, René, Voyage à Tombouctou, Préface de Jacques Berque, Rééd., Paris, la Découverte, 1996, t. I, p. 42.
82. « De temps en temps on sonnait du cor ; ce signal de détresse, au milieu du silence des nuits et de l'horreur de la solitude, avait quelque chose de lugubre, qui nous faisait tous frissonner », ibid., p. 56.
83. Il est difficile de donner au romantisme une définition exhaustive : « Le vaste mouvement de sensibilité et d'idées appelé « romantisme » a embrassé tant de domaines divers … qu'il dépasse tous les efforts de synthèse entrepris pour le saisir dans sa totalité », (Peyre, Henri, « Romantisme », in Encyclopaedia Universalis, corpus 20, Paris, 1995, p. 187-201) . Georges Gusdorf l'explora en tant que théorie de la connaissance et mit en relief un nombre de traits de la sensibilité romantique (Gusdorf, Fondements du savoir romantique). Pour l'histoire des rapports entre le romantisme dans la littérature et dans la science historique, voir Van Tieghem, Philippe, Le romantisme français, Paris, Presses Universitaires de France, 1944, rééd. 1999.
84. Caillié, Voyage à Tombouctou, p. 41.
85. Ce projet ne trouva pas plus de compréhension auprès de l'administration française de Saint-Louis, qu'auprès du baron Roger sur le point de quitter le Sénégal, ou auprès de ses successeurs. Sur les difficultés rencontrées par Caillié après son retour à Saint-Louis, voir chapitre V de son Voyage à Tombouctou, t. I.
86. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. XIII, 1830, p. 107.
87. Sur le « déguisement » en tant que pratique culturelle de voyager au début du XIXe siècle, voir Surun, op. cit., p. 371-389.
88. Le thème du changement d'identité et de patrie fut courant dans la littérature romantique, mais aussi dans les textes érudits de cette époque. Les possibilités des métamorphoses allant dans un autre sens, de l'Afrique vers l'Europe, furent évoquées. Le roman de Roger Kélédor mettait en scène l'aventure d'un homme ayant été fait esclave et recherchant sa patrie, tandis que d'Avezac dans son étude Les Yébous témoignait de la vie en Europe de son informateur africain.
89. Certains chercheurs remarquèrent le lien entre le regard romantique et une exaltation du thème de la singularité des Peuls. Paule et Gérard Brasseur emploient le terme « romantisme » dans le sens de l'exotisme ; ils rappellent qu'« un certain romantisme, assez proche de celui qui attacha les amoureux du désert aux grands nomades du Sahara, attira cependant au Peul l'affection des amateurs d'un certain type de vie patriarcale … », Brasseur, Paule et Gérard, « Le Peul imaginaire », Revue française d'histoire d'outre-mer, 1978, t. LXV, n° 241, p. 535-541, p. 541. Thierno Diallo souligne le goût pour le fantastique de la culture romantique quand il écrit, au sujet « des ethnologues , des historiens, des linguistes ou de simples amateurs de sensations » qui « se sont mis à élaborer des théories les plus diverses, tantôt cohérentes et fort sérieuses, tantôt fantaisistes voire fantastiques » et qui « ont dit tout ce qu'une imagination aiguisée par le romantisme du siècle dernier pouvait concevoir à propos des Peuls … », Diallo, Thierno, « Origine et migration des Peul avant le XIXe siècle », Annales de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Dakar, n° 2, 1972, p. 121-193.
90. Sur le monopole qu'exerçait le Fuuta Jaloo dans la traite des esclaves avec les Européens et sur son rôle actif dans le commerce lui permettant de faire pencher en sa faveur les termes de l'échange, voir : Botte, Roger, « Les rapports nord-sud, la traite négrière et le Fuuta Jaloo à la fin du XVIIIe siècle », Annales ESC, 6, novembre-décembre 1991, p 1411-1435.
91. Mollien, op. cit., p. 204.
92. Ce qui reflétait une grande autonomie des provinces (pl. diwe; singulier diwal par rapport au pouvoir de l'almamy. Voir: Goerg, Odile, Commerce et colonisation en Guinée, 1850-1913, Paris, L'Harmattan, 1986, p. 138.

[Remarque. — L'orthographie correcte est diiwe et diiwal, respectivement. La voyelle longue est requise car elle est sémantiquement pertinente pour cette paire d'empunts à l'arabe, bien ancrés dans le lexique et de haute fréquence dans le discours social et politique de la théocratie fuutanienne. Pour l'étymologie du mot diiwal, lire Gilbert Vieillard. Notes sur les Coutumes des Peuls au Fouta Dialon. Les deux mots à voyelle courte, diwal et diwe, signifient saut (comme en sports), chute (de rivière). — Tierno S. Bah]

93. Par exemple, Mollien rapportait l'épisode où il s'était mis à siffler en appelant son cheval : on lui demanda en ricanant si, dans son pays, il était gardien de vaches. Sa conclusion (« siffler en public est regardé comme un vice d'éducation » (Mollien, op. cit., p. 202) évoquait une société où les règles du comportement social étaient élaborées et respectées.
94. Ces « laissez-passer » contrôlaient obligatoirement les déplacements de tous les commerçants traversant le Fuuta Jaloo (Goerg, op. cit., p. 151).
95. Mollien, op. cit., p. 242.
96. « Je n'ai éprouvé aucun mauvais traitement de la part des habitants de cette ville : c'est le seul éloge que je puisse en faire ; l'habitude qu'ils ont de voir des étrangers doit en être la cause ; ils ont des relations très fréquentes avec le Rio-Nunez et Sierra-Leone », ibid., p. 246.
97. « Je contemplais avec admiration cette belle et riante campagne » ; « Depuis mon départ de Kakondy, je n'avais pas encore vu un si beau pays ni aussi fertile », Caillié, Voyage à Tombouctou, t. I, p. 225.
98. Ibid., t. I, p. 217.
99. Ibid., p. 222.
100. Durant son voyage, il exploita la réputation musulmane du Fuuta Jaloo afin de donner plus de crédit aux motifs de son périple.
101. La construction de Hamdallahi date de 1819-1821, selon Sanankoua, Bintou, Un empire peul au XIXe siècle. La Diina du Maasina, Paris, Karthala, 1990, et de 1815, selon Imperato, P., Historical Dictionnary of Mali, third edition, London, The Scarecrow Press, 1996, p. 57.
102. Ibid., t. I, p. 229.
103. Sur les espoirs placés par les Français dans le potentiel aurifère du Fuuta Jaloo et leur désenchantement à la suite de l'échec subi par la Société des mines d'or de la Falémé, voir : Laurent, I., « L'or dans les colonies françaises », Annales de l'Institut colonial de Marseille, t. 901-1902, n° 8-9. p. 115-231 (sur la Sénégambie, p. 156-165).
104. Ainsi Caillié découvrit chez les Peuls de Djenné, du Maasina et du Fuuta Jaloo un respect particulier pour l'autorité suprême : de simples soldats ou commerçants lui proposèrent à plusieurs reprises de rendre visite aux almamys de leurs Etats respectifs, ce qu'il évita. Mollien eut une réaction similaire ; il se dépêcha de quitter le Fuuta Tooro et le Fuuta Jaloo.
105. Après le Fuuta-Jaloo, Caillié se trouva dans le pays mandingue Wasulu habité également par des « Foulahs idolâtres, pasteurs et cultivateurs » qui, tout en ne parlant pas le poular, étaient cependant des Foulahs ; « plus clairs, que les Mandingues, ils étaient un peu plus foncés que les « nègres du Fouta-Dhialon », Caillié, op. cit., t. I, p. 349.
106. » Après avoir parcouru le Karta et le Bambouk, déterminé, par des observations astronomiques, la position des lieux principaux sur la Gambie et entre les deux fleuves, visité les cataractes de Félou et de Gowina, préparé une carte du cours de la Falémé, recueilli une ample moisson d'objets ou d'observation d'histoire naturelle… On lui doit la connaissance des obstacles que présente, à la navigation, le Sénégal supérieur … », Jomard, E.-F., « Nécrologie sur M. de Beaufort, voyageur en Afrique », Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. V, 1826, p. 600-610.
107. L'ordre de présentation des disciplines qui constituaient le bagage nécessaire d'un explorateur trahissait leur hiérarchie subordonnant l'observation des sociétés à celle des faits naturels. Les peuples sont les produits du paysage dans lequel ils évoluent, tandis que leur description fait partie de la connaissance de la nature. L'énumération des activités auxquelles de Beaufort s'adonna en Afrique révèlait le même ordre de représentations : « il eut soin d'observer la hauteur barométrique des lieux, de décrire les roches principales et leurs gisements, de dessiner les plantes, les insectes. les animaux divers, enfin la physionomie des habitants », ibid., p. 605.
108. Cheikh Amadu Bari, ou Amadu Lobbo, ou Cheiku Amadu (1755-1844), fondateur de l'Etat islamique peul du Maasina, qui renversa la dynastie païenne peule des Diallo et régna de 1810 à 1844. Dans les années 1800, il séjourna à Gobir auprès d'Usman dan Fodyo qui lui donna sa bénédiction pour le jihad.

[Remarque. — Très fouillé et source fiable sur cette question, L'empire peul du Macina (Amadou Hampâté Bâ et Jacques Daget) ne mentionne pas ce détail biographique. — Tierno S. Bah]

109. Entre 1826 et 1827, ayant battu les Bambara, Ahmadu conquit le Maasina et imposa le tribut à Tombouctou. Cependant, les Peuls n'avaient pas de présence militaire dans la ville. Voir: Imperato, Historical Dictiannary of Mali, p. 57. Sur la conquête peule de Tombouctou, voir : Abitbol, Michel, Tombouctou et les Arma, 1979, Maisonneuve et Larose, Paris, p. 235-238. Abitbol signale également le pouvoir indirect des Peuls sur la ville : « En 1825-26, le Pacha Uthman accepta de faire sa bay'a à l'envoyé de Schaykhu Ahmadu, al-Hadj Modi, qui vint à Tombouctou « avec une puissante armée ». Les Peuls ne touchèrent pas toutefois à l'administration de la ville. Ce ne fut donc qu'après la bataille de Ndukkuway en 1828 … que les Peuls procédèrent aux premières nominations du personnel religieux de Tombouctou », p. 235.
110. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. VIII, 1827, p. 178.
111. Sur les circonstances du séjour de Major Gordon Laing (1794-1826) à Tombouctou et sur sa mort, voir : Bonnet de Mézières, A., Le major A. Gordon Laing, Tombouctou 1826. Textes et documents nouveaux découverts à Tombouctou et Araauan, Textes arabes traduits par O. Houdas, Lettre-préface de M. le gouverneur Clozel, Paris, Larose, 1912 ; Monod, Théodore, De Tripoli à Tombouctou, le dernier voyage de Laing : 1825-1826, Paris, Société française d'histoire d'outre-mer, Paris, P. Geuthner, 1977 ; Imperato, op. cit., p. 150.
112. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. XI, 1829, p. 80.
113. Ils « vinrent, au nombre de trente mille, l'y réclamer impérieusement pour le mettre à mort », et « empêcher par-là, dirent-ils, que les nations chrétiennes, profitant des informations qu'il pouvait [le major Laing] leur donner sur le Soudan, ne pénétrassent quelques jours dans ces contrées éloignées pour en asservir les peuples », Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. IX, 1828, p. 151.
114. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. Xl, 1829, p. 83.
115. Selon ces lettres, Laing fut attaqué par les Touaregs qui pillèrent sa caravane ; le voyageur se réfugia à Tombouctou ; ses persécuteurs exigèrent des autorités de la ville de leur livrer le blanc ; obligé de quitter la ville, Laing fut alors égorgé par les Touaregs.
116. Ibid., p. 238.
117. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. VIII, 1827, p. 203.
118. Clapperton se trouvait alors au Sokoto à un moment inopportun, celui de la montée des hostilités contre le sultanat du Bornu ; quelques autorités religieuses de Tripoli l'avaient désigné aux chefs FulBHe comme un espion de l'Angleterre. Le bagage de Clapperton fut saisi ; on l'accusa d'être complice du cheikh de Bornu et de porter à ce dernier la lettre du ministre britannique des Colonies (ce qui était vrai) et des armes. Pour l'analyse contemporaine de la mésentente entre Bello et Clapperton, voir : Johnston, H.A.S., The Fulani Empire of Sokoto, London, Oxford University Press, Ibadan, Nairobi, 1967.
119. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. XI, 1829, p. 74.
120. Ibid., p. 80.
121. La question de la controverse franco-britannique au sujet des séjours de Laing et de Caillié à Tombouctou et de l'implication dans ce débat de la Société de géographie de Paris, est étudiée en détail dans Surun, Géographies de l'exploration, p. 453-467. Il s'agissait d'une véritable compétition entre les milieux géographiques français et anglais pour la primauté de la description de Tombouctou. Sous le patronage de Jomard, Caillié édita son journal de voyage en toute hâte pour être en avance par rapport à la publication post mortem des papiers de Laing (Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. XIII, 1830, p. 239).
122. Ibid., p. 237.
123. Ibid., p. 232.
124. Caillié, par exemple, considérait que les Peuls du Fuuta Jaloo étaient plus noirs que ceux qu'il rencontrait dans les villages isolés de la brousse.
125. « But though less black than some of their neighbours, the Foola complexion can only be regarded as an intermediate shade between the darkest African and the Moor », Winterbottom, Thomas M, Dr., An Account of the native Africans in the neighbourhood of Sierra Leone, to which is added an account of the present stage of medicine among them, London, J. Hatchard and J. Mawman, 1803, p. 185.
126. Larenaudière de, Essai sur les progrès de la géographie de l'intérieur de l'Afrique, p. XXVII).
127. Ibid., p. LXIV.
128. Bulletin de la Société de géographie, 1ère série, t. XVIII, 1832, p. 8.
129. Sur le choix de cette direction et sur ses avantages. voir Préface de l'éditeur dans Den ham, Clapperton, Oudnay, Narrative of Travels and Discoveries in Northern and Central Africa, in the years 1822, 1823, and 1824 by Major Denham, Captain Clapperton and the late Doctor Oudney, in Missions to the Niger, v. II, The Bornu Mission, 1822-1825, ed. byE. W. Bovill, Cambridge University Press, The Hakluyt Society, 1966.
130. « M. Ritchie se nomma Youssouf-El-Ritchie ; Belford se fit appeler Aly, et le capitaine Lyon, Saïd Ben Abd Allah ; ils prirent le molla d'une mosquée pour leur enseigner les principaux rites et les prières de l'islamisme », Lyon G.-F., L'Afrique ou histoire, moeurs, usages et coutumes des Africains. Fezzan, tr. de l'anglais par Edouard Gautier, Paris, Nepveu, 1821, 141 p., p. XL).
131. Pour la traduction française d'Eyriès et de Larenaudière, voir : Voyages et découvertes dans le nord et dans les parties centrales de l'Afrique, exécutés pendant les années 1822, 1823 et 1824 par le major Denham, le capitaine Clapperton et feu le docteur Oudney, traduit de l'anglais par MM. Eyriès et de La renaudière, Membres de la Comission centrale de la Société de géographie, 3 v., Paris, Arthus Bertrand, 1826.
132. La mission du Bornu bénéficia d'un grand succès auprès des historiens et ses différents aspects font l'objet d'une volumineuse bibliographie. Pour des aperçus sommaires voir notamment: Hiskett, M., « The nineteenth century jihads in West Africa » in The Cambridge history of Africa, gen. ed. J. D. Fage and R. Oliver, v. s. Cambridge University Press, Cambridge, London, New York, Melbourne, 1976, p. 125-169; Hallet!, R., « Changing European attitudes to Africa » in ibid., p. 471-485.
133. En revanche, les villes du Haoussa et du Bornu entretenaient des liens réguliers avec les centres commerciaux d'Afrique du Nord ; les ressortissants du Soudan peuplaient les oasis sahariennes se trouvant sur la route de la mission. Sur la particularité de cette route et d'autres voies caravanières voir, « Introduction » in Denham, Clapperton, Oudnay, Narrative of Travels and Discoveries, p. 94-95.
134. A Bornu, Denham et Clapperton (Oudney décéda à Mourmour près de Kuka) se séparèrent : le premier accompagna l'armée du Bornu et Bu Khalum, chef militaire arabe, représentant le pacha de Tripoli, dans leur expédition commune contre les Peuls, tandis que Clapperton visita Kano et Sokoto.
135. Trois mois après son retour d'Afrique, Clapperton repartit pour la côte de la Guinée pour remonter vers le Sokoto et explorer le bas Niger. Ce séjour lui fut fatal, mais il lui permit de confirmer ses hypothèses concernant la position de l'embouchure du Niger dans le golfe du Bénin, et de recueillir des informations supplémentaires au sujet de l'Etat de Muhammad Bello.
136. Journal of a Second Expedition into the Interior of Africa, from the Bight of Benin to Soccatoo by the late Commander Clapperton of the Royal Navy to which is added the Journal of Richard Lander from Kano to the Sea-coast, partly by a more eastern route. London, John Murray, 1829, New Impression 1966, Frank Cass & Co.
137. Pour la reconstruction de l'histoire du Sokoto à travers les sources locales, voir : Last, Murray, The Sokoto Caliphate, London, Longman, 1977.
138. « I certainly felt very light-hearted and comfortable, as I thought now I had entered the territories actually under the domination of the Fellatas », ibid., p. 156.
139. Sur les contradictions entre la variante manuscrite de son journal et ses éditions, voir : Lockhart, Jamie Bruce, « ln the Raw: Some Reflections on Transcribing and Editing lieutenant Hugh Clapperton's writings on the Borno Mission of 1822-25 », History in Africa, 26, 1999, p. 157-195.
140. Denham. Clapperton & Oudney, Voyages et découvertes. p. 70.
141. Pour l'analyse de l'organisation militaire du Sokoto, voir : Smaldone, Joseph, P., Warfare in the Sokoto Caliphate. Historical and sociological perspectives, Cambridge, Cambridge University Press, 1977.
142. Barth signalait que, plusieurs années plus tard, les malams ou oulémas peuls se souvenant de leur victoire à Musfaya, se moquaient d'un Blanc entièrement nu. Cité dans la note de l'éditeur : Major Denham's Narrative, in Denham, Clapperton, Oudnay, Narrative of Travels and Discoveries, p. 348, note 1.
143. Ibid., p. 330.
144. « race of handsome athletic beings, of the Felata breed, who deffend themselves with both skill and courage against their enemies of the Negro nations th at surround them », ibid., p. 524.
145. Le sultan rendit à Clapperton les livres ayant appartenu à Denham, y compris son Journal : « Ali which the sultan returned to me in the most handsome manner », ibid., p. 677.
146. En relatant son arrivée à Sokoto, il n'omettait aucun détail de son costume soigneusement préparé pour cette occasion : il revêtit un pantalon blanc, des bas de soie, et, cc pour achever la parure », des pantoufles turques et un turban, qui complétaient son uniforme de lieutenant décoré d'un cordon doré. Il fut salué par les fanfares des cornes et des trompettes et son entrée se fit en grande pompe.
147. Ibid., p. 637.
148. La plaisanterie de la fillette, qui affirmait que Clapperton serait « de sa nation », permit à l'auteur de donner libre court à ses sentiments : il évoqua l'émoi que suscitait chez lui l'innocence de ce visage et de ces formes ; « quelque chose d'inoubliable » ; « je ne sais pas comment ça s'est produit, mais sa présence chassa les effets de la fièvre» (« I don't know how it happened, but her presence seemed to dispel the effects of the ague »), ibid., p. 640.
149. Ainsi, dès le début, Bello interrogea-t-il son hôte sur la diversité religieuse de l'Europe (« our religious distinctions ») ; l'officier faillit y perdre la face quand le sultan lui demanda si « nous étions des nestoriens ou des sociniens », à quoi il répondit, embarrassé, que les Anglais étaient des protestants. D'autres questions théologiques s'ensuivirent, jusqu'à ce que Clapperton confessât qu'il n'était pas assez érudit pour y répondre.
150. Le bombardement infligé par le lord Exmouth à la marine barbaresque faisait partie des mesures européennes contre les raids de pirates preneurs d'esclaves.
151. Lors de son second séjour, il fut surpris par l'accueil froid qui lui était réservé, tandis que le sultan lui exprimait les suspicions que suscitait chez lui l'expansion britannique en Inde qu'il extrapolait facilement à son pays. Clapperton, découragé et malade, attribua cette attitude aux intrigues des marchands arabes, qui souhaitaient empêcher le développement du commerce avec la côte et l'intérieur de l'Afrique.
152. Enthousiasmé par ce séjour qui le rapprochait des sources du Niger, Clapperton repartit, à la fin de la même année 1825, accompagné de son domestique Richard Lander, dans la direction de Sokoto, mais essaya la voie du sud. Ils choisirent pour point de départ Badagry, au sud-ouest du Nigeria actuel, traversèrent le pays yorouba et parvinrent aux rapides de Bussa (où ils rassemblèrent quelques renseignements sur la mort de Mungo Park). Ils franchirent le Niger et arrivèrent à Sokoto, où Clapperton, accueilli avec plus de méfiance et de suspicions par Bello et surtout par son entourage, mourut en 1827. Lander rebroussa chemin vers la côte. Il y revint l'année suivante, avec son frère John, pour explorer l'embouchure du Niger et laissa de ce voyage une description particulièrement négative des incursions peules dans les territoires proches de la côte, peuplés par les païens.
153. Selon son expression : le contact avec les Français et les Anglais ne les rendit pas meilleurs.
154. Clapperton, Journal of a Second Expedition, p.159.
155. Il est difficile de dire si Clapperton, épuisé et malade, pouvait être véritablement l'auteur de ces généralisations ou si elles étaient reconstruites, d'après ses notes, par son compagnon Richard Lander ou par l'éditeur. Voir, Lockhart, « In the Raw ».
156. Clapperton confirme cette distinction dans un autre passage, quand il écrit que les « nègres aussi bien que les Fellatas » vénéraient Usman dan Fodyo en tant que saint homme. Clapperton, op. cit., p. 206.
157. Pourtant Clapperton lui-même remarquait que la plupart des recrues venaient du Fuuta Tooro, du Bundu et du Fuuta Jaloo : ils étaient certainement des cultivateurs désireux d'acquérir de nouveaux esclaves.
158. Dans sa préface pour l'édition française de Denham, Clapperton et Oudney, de La renaudière concluait « On peut prédire que les Félâns seront bientôt maîtres partout où ils se montrent aujourd'hui simples voyageurs, et que la navigation du Niger leur appartiendra, comme leur appartient celle du Sénégal, dont ils occupent les rives depuis Bakel jusqu'à Daghanah », Denham, Clapperton, Oudnay, Voyages et découvertes dans le nord et dans les parties centrales de l'Afrique, traduit de l'anglais par MM. Eyriès et de Larenaudière, préface par de Larenaudière, p. 11.
159. Eichthal, Gustave d', « Histoire et origine des Foulahs ou Fellans », Mémoires de la Société ethnologique, t. I, 1841, p. 1-288.
160. On peut trouver les renseignements sur sa vie dans : Eichthal, Eugène d', Quelques âmes d'élite (1804-1912). Esquisses et souvenirs, Paris, Hachette, 1919 ; Eichthal, Gustave d', Notice sur ma vie, 1875, Bibliothèque de l'Arsenal, Ms. 14394/1; Laffitte, Pierre, « Nécrologie. M. Gustave d'Eichthal »,La Revue Occidentale, philosophique, sociale et politique, 9e année, n° 3, 1886, p. 385-386; Littré, E., Auguste Comte et la philosophie positive, Paris, Librairie de L. Hachette et Co., 1863 ; Reinach, Salomon, Bénigne Emmanuel Miller. Gustave d'Eichthal. Deux nécrologies, Berlin, S. Calvary, 1887.
161. Son frère Adolphe fut régent de la Banque de France, député de la Sarthe et conseiller municipal de Paris de 1851 à 1854. Le fils de Gustave, Eugène d'Eichthal (mort en 1936), conciliait, comme son père, les affaires et la carrière d'un homme de lettres : il fut vice-président de la Compagnie des chemins de fer du Midi, mais aussi membre de l'Académie des sciences morales et politiques et, en 1912, directeur de l'École libre des sciences politiques, y ayant remplacé Anatole Leroy-Beaulieu. Il fut ami de l'historien Gabriel Monod (marié avec l'une des filles du célèbre social-démocrate russe Alexandre Herzen) et du sociologue Émile Boutmy. Il réunit et édita un certain nombre d'écrits de son père, notamment les textes d'exégèse.
162. D'Eichthal devint élève de Comte à l'époque de la publication du premier tome du Système de politique positive (1822) qui marquait la rupture du philosophe avec son maître Henri de Saint-Simon. Comte s'entoura d'un cercle restreint d'élèves dévoués, parmi lesquels figuraient Humboldt, Carnot, Augustin Thierry. D'Eichthal était l'un des plus proches ; il accordait au maître son aide matérielle quand celui-ci rencontrait des obstacles dans l'aboutissement de sa carrière universitaire.
163. Eichthal, Gustave d', Les Deux mondes, servant d'introduction à l'ouvrage de M. Urquhart La Turquie et ses ressources, Leipzig, F. A. Brockhaus, 1837 ; Eichthal, Gustave d', De l'Unité européenne, Paris, Truchy, 1840.
164. Eichthal, Gustave d', Urbain, Ismayl, Lettres sur la race noire et la race blanche, Paris, Paulin,1839.
165. Sur l'histoire de la Société ethnologique, voir Blanckaert, Claude, « On the Origins of French Ethnology. William Edwards and the Doctrine of Race » in: George W. Stocking, Jr. ed., Bones, Bodies, Behavior. Essays on Biological Anthropology, The University of Wisconsin Press,1988, p.18-55, notamment p. 43 sur les activités de la Société après 1848.
166. Eichthal. d', Notice sur ma vie, p. 2.
167. Liste des travaux de M. d'Eichthal, Arsenal, Ms. 14394/1. p. 2.
168. Eichthal, Gustave d', Etude sur les origines bouddhiques de la civilisation américaine, Paris, Didier, 1865, extrait de la Revue archéologique.
169. Reinach, Benigne Emmanuel Miller. Gustave d'Eichthal. Deux nécrologies.
170. Selon son rédacteur, pour faire la biographie de Gustave d'Eichthal, il fallait présenter « une appréciation du saint-simonisme », Laffitte, Pierre, « Correspondance d'Auguste Comte et Gustave d'Eichthal »,La Revue Occidentale, philosophique, sociale et politique, 19e année, 2, 1896, p. 186-276, p. 186.
171. C'est lui qui fit découvrir à John Stuart Mill le Système de politique positive.
172. A ce sujet, Comte écrivait à d'Eichthal : « Je crois qu'il y a entre lui et nous un grand nombre de points de contact, quoique je ne croie pas jusqu'ici, comme vous, à l'identité de principes et je pense que nous ferons fort bien de nous rapprocher de lui. Je suis très-content de l'accueil qu'un homme aussi distingué a fait à mon travail », Littré, E., Auguste Comte et la philosophie positive, Paris, Librairie de L. Hachette et Cie, 1863, p. 157.
173. D'Eichthal fut proche d'Edgar Quinet, qui avait fait connaître en France les écrits de Herder (1827), et du « groupe germanophile » de Gustave de Gérando (Voir : Walch, Jean, Les maîtres de l'histoire. 1815-1850, Paris-Genève, Champion-Siatkine, 1986, p. 234). Il fut également un des meilleurs amis de Michelet qui, à cette époque, s'intéressait à la problématique (développée notamment par Hegel, par Herder et par Vico) de la mentalité propre à chaque peuple et à chaque époque. Au sujet de ses liens avec les philosophes allemands, voir également, Espagne, Michel, Les Juifs allemands de Paris à l'époque de Heine : la translation ashkénaze, Paris, Presses universitaires de France, 1996.
174. Voir ses lettres où il s'agit de « l'esprit » de plusieurs nations européennes (Littré, Auguste Comte, p. 169).
175. « […] Je suis donc convaincu, ou que l'excellence de votre organisation cérébrale l'emportant sur l'influence délétère de votre coterie, vous reviendrez à l'état positif (ce que je me plais à espérer pour un ou deux ans d'ici, au plus tard), ou que vous retomberez entièrement dans le catholicisme. Dans l'un et l'autre cas, la discussion sera plus nette », ibid., p. 174.
176. Neuf lettres de d'Eichthal à Comte datées de la fin des années 1830, sont conservées dans les archives d'Auguste Comte à Paris, dans la Maison Auguste Comte.
177. Pierre Laffitte, président de la Société positiviste, saluait en d'Eichthal non un savant, mais un homme « qui offre un si beau type de cette bourgeoisie si élevée de la Restauration », Laffitte, « Nécrologie. M. Gustave d'Eichthal » p. 386. Voir aussi, Laffitte, « Correspondance d'Auguste Comte et Gustave d'Eichthal ».
178. « Cependant l'absence de religiosité de la doctrine de Comte à cette époque avait fini par refroidir mon père, et après une période d'apprentissage commercial et financier au Havre, à Berlin et en Angleterre, attiré par Olinde Rodrigues qui venait depuis la mort de Saint-Simon (1825) de grouper quelques uns de ses disciples, il se rattacha à la nouvelle école que Rodriguez dirigeait avec Bazard et Enfantin », Eichthal, Eugène d', Quelques âmes d'élite (1804-1912). Esquisses et souvenirs, Paris, Hachette, 1919, p. 20. D'Eichthal s'éloigna des saint-simoniens en 1832, mais garda des relations avec de nombreuses personnes de ce cercle et fut toujours sensible à la problématique de leur réflexion.
179. On trouve l'aperçu historiographique des études sur Saint-Simon et les saint-simoniens dans : Walch, J., Bibliographie du saint-simonisme, Paris, Vrin, 1967 ; Regnier, Ph., « De l'état présent des études saint-simoniennes », in Derré J.-R. (dir.), Regards sur le saint-simonisme et les saint-simoniens, Lyon, 1986, p. 161-206. Pour les études plus récentes, Picon, Antoine, « Les polytechniciens saint-simoniens au XIXe siècle », Notes de la fondation Saint-Simon, juillet 1994 ; Picon, Antoine, Les Saint-simoniens : raison, imaginaire et utopie, Paris, Belin, 2002.
180. Voir les écrits des saint-simoniens au sujet de l'Afrique : Enfantin, Barthélemy Prosper, La colonisation de l'Algérie, Paris, P. Bertrand, 1843 ; Guyot, A., La France en Afrique, Paris, rue Gaillon, 1846; Voilquin, Suzanne, Souvenirs d'une fille du peuple ou la saint-simonienne en Egypte, 1834-1836, Paris, E. Sauzet, 1866.
181.Sur les saint-simoniens en Algérie et en Egypte voir : Régnier, Ph., Les saint-simoniens en Egypte (1833-1851), préf. par Amin Fakhry Abdelnour, Le Caire, Amin F. Abdelnour,1989 ; Emerit, Marcel, Les Saint-Simoniens en Algérie, Les Belles Lettres, 1941 ; M. Morsy, dir., Les saint-simoniens et l'Orient. Vers la modernité, Aix-en-Provence, Edisud, 1989 ; sur l'implication des saint-simoniens dans la politique coloniale, voir : Reuillard, Les saint-simoniens et la tentation coloniale. On trouvera une synthèse de l'aventure orientale des saint-simoniens dans Picon, A., « L'Orient saint-simonien: un imaginaire géopolitique, anthropologique et technique », in Enquêtes en Méditerranée. Les expéditions françaises d'Egypte, de Morée et d'Algérie, éd. par Bourguet, M.-N., Nordman, O., Panayotopoulos, V., Sinarellis, M., Athènes, Institut de Recherches Néohelléniques, 1999, p. 227-238.
182. Selon A. Pican, un noyau d'une soillantaine de polytechniciens constituait le coeur de ce mouvement (Picon, « Les polytechniciens saint-simoniens au XIXe siècle »). Sur le fonctionnement des saint-simoniens en tant que réseau voir également Musse, Pierre, Télécommunications et philosophie des réseaux. La postériorité paradoxale de Saint-Simon, Presses Universitaires de France, 1997.
183. Gustave d'Eichthal fut chargé de propager les idées de la « famille » en Allemagne, en Autriche, en Grande-Bretagne où il séjournait souvent pour les besoins de ses affaires. Un groupe de polytechniciens impliqués dans le mouvement resta plus d'un an à Saint-Pétersbourg en Russie, marquant les milieux des démocrates russes.
184. Salomon Reinach qui a bien connu les membres de ce groupe, décrivait en ces termes leur choix spirituel : « L'esprit qui animait ces hommes était celui de la Révolution française ou plutôt celui de la philosophie mosaïste, qui stimule les efforts et les vertus non par la promesse d'une félicité supra-terrestre et individuelle, mais par la conception messianique d'une ère de bien-être, de jouissances et de bonheur pour tous ». Reinach, S., op. cit., p. 5.
185. Alem, Jean-Pierre, Enfantin. Le Prophète aux Sept Visages, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1963.
186. Eichthal, Gustave d', Urbain, Ismayl, Lettres sur la race noire et la race blanche, Paris, Paulin, 1839.
187. Gustave d'Eichthal à Ismayl Urbain, Paris, 19 mars 1838, Arsenal, FE 7722.
188. Sur Ismayl Urbain, voir : Levallois, Michel, « Ismayl Urbain: éléments pour une biographie » in Morsy, op. cit., p. 53-82; Levallois, Michel, Ismayl Urbain (1812-1884) : une autre conquête de l'Algérie, préf. de Charles-Robert Ageron, Paris, Maisonneuve et Larose, 2001, 671 p.
189. Liste des travaux de M. d'Eichthal, Arsenal, MS. 14394/1, p. 2.
190. Ibid., p. 4.
191. « Toutefois la principale préoccupation de Monsieur d'Eichthal a toujours été la réalisation de cette pensée de Saint-Simon, que l'ordre nouveau qui date de l'émancipation des Etats-Unis et de la Révolution française, ne peut définitivement se constituer que par un dernier développement du christianisme, développement qui à son tour exige la révision des documents sur lesquels le christianisme se fonde », ibid.
192. Walch, Jean, Les maîtres de l'histoire : 1815-1850: Augustin Thierry, Mignet, Guizot, Thiers, Michelet, Edgar Quinet, Paris, Champion, Genève, Slatkine, 1986, p. 19
193. Ainsi, inclut-il dans la liste de ses travaux la correspondance avec Auguste Comte, en l'inscrivant dans une période précise (1822-1825), en indiquant les lieux d'où les lettres furent envoyées, en précisant lesquelles ont été publiées.
194. Sur la biographie et les idées d'Edwards, voir : Blanckaert, « On the Origins of French Ethnology ».
195. Dans son essai Des caractères physiologiques des races humaines considérés dans leurs rapports avec l'histoire ; lettre à Amédée Thierry (1829), Edwards affirmait que les espèces maintiennent leurs caractéristiques fondamentales et leur comportement à travers l'histoire. L'histoire naturelle de l'homme devait, selon lui, déterminer les origines des peuples et distinguer les caractères des « races » qui constituent les nations.
196. Sa variante raccourcie fut publiée pour la première fois en novembre 1840, dans le Bulletin de la Société de géographie, sous le titre Recherches sur l'histoire et l'origine des Foulahs ou Fellans.
197. Il s'appuyait surtout sur des traités de géographie et les recueils de récits de voyages, comme Walckenaer, Histoire générale de voyages ou Ritter, Géographie générale comparée ou Balbi, Géographie comparée.
198. Eichthal, Histoire et origine des Foulahs, p. V.
199. Ibid. p. 1-2.
200. Edwards, Des caractères physiologiques des races humaines considérés dans leurs rapports avec l'histoire.
201. Eichthal. Histoire et origine des Foulahs, p. 50.
202. Edwards multipliait les descriptions des types liés à la condition sociale et au sexe : « J'ai eu l'occasion d'étudier la réunion de la race gaële et de la race allemande, non parmi les habitants des villes, mais parmi ceux de la campagne et spécialement parmi les femmes », Edwards W. F., De l'influence réciproque des races sur le caractère national, Imprimerie Dondey-Oupré, 1845, p. 10.
203. Eichthal, op. cit., p. 55.
204. Walch, Les Maitres …, p. 25.
205. « Ils étendent leur domination par le fer et le feu jusqu'au moment où leurs excès mêmes déterminent chez les Nègres envahis un mouvement de résistance, et développent chez ces peuples une énergie dont ils avaient semblé jusque-là incapables », Eichthal, op. cit., p. 53.
206. Edwards adressa son essai de 1829 au frère d'Augustin Thierry, Amédée, avec la proposition d'« appuyer ou infirmer ce que vous déduisez de documents historiques par des observations relatives à l'état actuel des peuples » (Edwards, Des caractères physiologiques des races, p. 1). Les peuples contemporains gardaient, selon Edwards les « traits génériques » de leurs ancêtres, ce qui devait permettre aux historiens de reconstruire le passé en observant les « caractères » d'aujourd'hui. La dimension historique était particulièrement importante pour les travaux de la Société ethnologique qui se donnait pour objectif d'« étudier les races humaines à travers les traditions historiques, les langues, les traits physiques et moraux de chaque peuple », Bulletin de la Société ethnologique, 1841, p. II, (cité dans Blanckaert, « On the Origins of French Ethnology », p. 41).
207. Eichthal, op. cit., p. 66. Il apporte toutefois un peu de nuances au caractère absolu de cette affirmation, en remarquant que, selon le capitaine Lyon, leur blancheur évoque leur teint moins foncé que celui de leurs voisins. Dans une note en bas de page, il rappelle que les Peuls ne sont pas les seuls parmi les peuples d'Afrique à s'attribuer une origine blanche. Ainsi font « les Kroumen aux environs de Sierra-Leone » et les Gallas au sud de l'Abyssinie.
208. Ibid., p. 71.
209. Reuillard, Michel, Les saint-simoniens et la tentation coloniale.
210. Eichthal, op. cit., p. 147.
211. Ibid., p. 148.
212. « Nulle histoire ne saurait être plus intéressante au point de vue philosophique que celle de cette révolution opérée pour ainsi dire à notre porte, parmi ces populations que l'on croit généralement encore plongées dans une profonde barbarie» , ibid., p. 154.
213. Le mot « traduction » est tout à fait approprié pour caractériser le travail de d'Eichthal. Ainsi comparait-il le sort des païens razziés par les Peuls musulmans avec celui des Saxons vaincus par Charlemagne et celui des Slaves conquis par les Allemands. Par ailleurs, il comparait les Peuls avec les Romains, les Grecs et les Hébreux, car eux aussi, pensait-il, accordaient la liberté aux esclaves fugitifs convertis à l'islam.
214. « Recherches sur l'histoire et l'origine des Foulahs ou Fellans, par M. Gustave d'Eichthal », Bulletin de la Société de Géographie, novembre 1840, p. 257-267, p. 258.

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