Les Indes Savantes. Paris, 2008. 314 p.
Coll. Sociétés musulmanes en Afrique, Jean-Louis Triaud, éd.
Les Français commencèrent à découvrir systématiquement la vallée du fleuve Sénégal dans la première moitié du XVIIe siècle 1, à l'époque où les négociants de Dieppe cherchaient à s'installer dans le Galam 2, marché d'esclaves et réservoir d'or. De cette période datent les contacts établis avec le Fuuta-Tooro, État le plus étendu et le plus peuplé de la vallée du fleuve, et avec ses habitants, les Peuls ou Fulbé. Déjà au milieu du XVIe siècle, les négociants de Dieppe remontaient régulièrement le fleuve Sénégal avec deux barques ; en 1638, à l'embouchure du Sénégal, fut érigée la première habitation permanente des Français ; en 1659 ils se fixèrent à Saint-Louis.
Ainsi, lorsque le Chevalier de Jaucourt publia dans l'Encyclopédie de Diderot (1752) l'article « Foules » — « Foules, (géog) peuples d'Afrique dont les voyageurs écrivent le nom diversement, Faluppos, Feluppes, Flaupes, & par les François Foules » —
consacra-t-il le mot déjà connu depuis deux siècles 3. Dans la bouche des Français, le nom« Fulbé » se transforma en « Foules », mais surtout en « Poules »ou en « Peuls », largement prédominant (d'après le naturaliste Adanson et le commerçant Labarthe, les Peuls ne s'appelaient Foules que « par corruption»).
Dès le début du XVIIIe siècle, les Français, stimulés par une vive concurrence avec les traitants hollandais et anglais 4, essayèrent de « s'établir puissamment » dans le Galam. Dans les années 1740, sous la direction de Pierre David, la Compagnie des Indes construit le fort de Podor (1743) et celui de Saint-Joseph dans le Khasso. Le bon voisinage avec les chefs peuls du Fuuta, guerriers portant le titre de siratigui ou de satigi 5, devint crucial pour le commerce européen et surtout pour le trafic d'esclaves : les récits des négociants accordaient à leurs partenaires fulbé une place importante. Mais, au cours de la période de 1758 à 1783, les agents de la Compagnie désertèrent le Fleuve : l'Ile Saint-Louis et la colonie du Sénégal, aussi bien que les forts de Podor et de Saint-Joseph, devinrent possessions anglaises 6.
A partir des années 1780, les récits des commerçants français ayant retrouvé le Sénégal marquent un tournant spectaculaire dans les relations avec les chefs du Fuuta. L'image du pays et de ses habitants n'est plus la même : dorénavant les Peuls sont présentés comme une population musulmane particulièrement fanatique et hostile aux Français, distincte, en raison de sa passion anti-chrétienne, de tous les groupes avoisinants. A l'origine de cette nouvelle image fut l'évolution de l'État du Fuuta devenu, vers 1776, une république théocratique dirigée par un almamy 7.
Ce revirement n'était pas soudain, mais s'inscrivait dans le processus du développement de la société et du système politique du Fuuta, exposés à la traite esclavagiste, aux incursions des tribus maures, à la concurrence entre les compagnies de commerce 8. Les relations de Saint-Louis avec le Fuuta traversèrent la première crise déjà en 1673-1677, lors des événements de « la guerre des marabouts » 9 ou Tubenan (de l'arabe tawba qui signifie repentance, conversion), lorsque des lettrés musulmans, dirigés par Nasir al-Din, de la tribu maraboutique berbère Banu Dayman, s'insurgèrent contre le pouvoir des dynasties régnantes du Fuuta-Tooro, du Waalo et du Kajor et installèrent l'État musulman ou l'imamat 10.
Nasir al-Din se donna le titre d'Amiral-Mu'minin (« Commandeur des croyants », en arabe ou de Laamiɗo julɓe, en peul, ou, en wolof, bur juulit, ce que les Français déformèrent en Bourguli) . Ses disciples bénéficièrent du soutien massif de la population, sensible au message anti-esclavagiste du jihad : « Dieu ne voulait point qu'ils pillassent leurs sujets, encore moins les tuer ou prendre captifs » ; ils remplacèrent les souverains de trois États par leurs représentants et menacèrent les Français à Saint-Louis.
Après la mort de Nasir al-Din en 1674, le mouvement s'épuisa. Les administrateurs de Saint-Louis participèrent activement à la réhabilitation des dynasties renversées.
Mais l'idéal politique de l'imamat persista dans la communauté musulmane : un siècle plus tard, autour de 1769, le légiste Suleyman Bal 10bis prôna la nécessité des réformes, afin de mettre fin aux incursions esclavagistes des soldats marocains et des Maures. Ses idées triomphèrent en 1776, lorsque les familles des notables musulmans du Fuuta-Tooro renversèrent le régime de la dynastie des Dényankooɓe 11 et établirent une oligarchie musulmane, dirigé par l'almamy Abdul Kader (au pouvoir de 1776 à 1806). La révolution toorodo 12 écarta du pouvoir les chefs satigis et interdit la vente des esclaves musulmans sur son territoire en déstabilisant ainsi les réseaux du trafic européen 13.
Les observateurs français érigèrent alors tout un système de différences entre le régime des guerriers peuls satigis et celui des almamys : vers le milieu du XIXe siècle il s'imposa en tant que distinction entre la « race » peule et la « race » (ou les « races ») des « Toucouleurs », nom par lequel les Français désignaient dorénavant les musulmans du Fuuta-Tooro 14. La plupart des récits de négociants français du XVIIIe siècle évoquaient deux époques différentes : à l'idée, en somme positive, de l'État des satigis succéda une image repoussante du pays et de ses habitants gouvernés par les almamys.
Le XVIIIe siècle correspond à une période cruciale pour la naissance de l'idée de la particularité des Peuls dans les représentations françaises. Comment cette métamorphose du regard européen se produisit-elle concrètement ? La relecture des récits de voyages de négociants nous permet d'interpréter une contradiction entre l'image de la rupture brutale séparant les siratigis et des almamys et l'idée de la continuité de l'espace musulman autonome au Fuuta 15. Les récits des négociants antérieurs à 1776 témoignent-ils de cette « action souterraine de l'Islam » ? En quels termes les narrations d'avant et d'après les réformes évoquent-elles les relations des négociants avec le Fuuta ? Quels sont les thèmes permanents et les lieux communs de ces récits ? Qui en étaient les auteurs et quel public visaient-ils ?
L'un des premiers récits de voyage vers le Galam à travers le Fuuta est celui de Claude Jannequin 16. Il relatait la misère des populations, insistant sur la différence entre la France et l'Afrique. Quatre « Royaumes », selon lui, s'étendaient sur les bords du fleuve Sénégal. Tous ces pays lui paraissaient ressemblants ; leurs habitants aussi avaient des coutumes similaires. Malgré une certaine difficulté à distinguer et à nommer
ces États, leurs peuples et leurs souverains 17, il considérait que l'État du Fuuta-Tooro dirigé par le satigi Sawa Lamu (ou Samba Lamu) 18 (« Sambalame ») était le plus important. Il élargissait le domaine peul au-delà de ses frontières et il attribuait les titres de la dynastie des satigis aux autres populations (« celuy des Maures de Barbarie, par Camalingue 19 »). Dans le pays des satigis, Jannequin aperçut des pratiques musulmanes quotidiennes ; il évoquait les « Alcati », « qui sont gouverneurs & maîtres de
quelques terres » et aussi « les maîtres des villages & les Marabouts » ; il nota la célébration des rites et des fêtes musulmanes. La condition des habitants était meilleure que celle de leurs misérables voisins : « n'ayant pas si grande disete de vivre ».
La relation de voyage de La Courbe (1685) apportait davantage de détails sur la cohabitation de la communauté musulmane et de l'aristocratie guerrière des satigis. Michel de La Courbe dirigea la colonie du Sénégal de 1688 à 1690 et de 1709 à 1710. Son récit témoignait des tentatives des Français de s'interposer entre les « marabouts » et les Chefs guerriers 20. Les renseignements de La Courbe furent largement repris dans l'ouvrage du père Jean-Baptiste Labat 21 qui les attribua ensuite principalement à André Brüe, directeur de la Compagnie Royale à Saint-Louis de 1697 à 1707, de 1714 à 1720 et en 1723, et l'un des ses dirigeants les plus entreprenants 22.
La relation de Labat décrivait l'époque d'une relative stabilité des relations de la Compagnie Royale avec le Fuuta. Dans le choix de ses sources 23, il privilégia la durée de séjour de ses informateurs : « qui ont demeuré bien des années dans les pais que je vais décrire, en qualité de Commandans pour le Roy et de Directeurs generaux pour la Compagnie Royale du Senegal » 24. Les Français ne connaissaient pas un « au-delà » au nord et au sud du fleuve et se contentaient de suivre l'itinéraire vers le Galam :
« parce qu'on s'est borné jusqu'à présent à faire le commerce par eau en suivant les bords de la Rivière, au lieu de pénétrer dans les terres » 25
Leurs connaissances sur les peuples se limitaient à un cadre territorial précis ; ils définissaient les habitants par rapport à leurs souverains, en faisant une sorte d'amalgame entre un gouvernement, un territoire et une population. Ainsi, les Peuls étaient-ils les sujets du satigi : « Les Peuples du Royaume de Siratic sont appelez Foules ».
Les commerçants avaient quelques notions sur le gouvernement du Fuuta. Ils constataient que le pouvoir s'y transmettait non pas de père en fils, mais de père à neveu, fils de la soeur 26. Labat en concluait à la fragilité de la situation du souverain confronté aux rivalités entre les prétendants à la succession. Les agents de la Compagnie Royale étaient familiers de ces particularités et en tiraient profit en se mêlant aux querelles de familles des satigis 27. Ainsi en 1707 le Directeur de la Compagnie André Brüe choisit-il un « bon parti », ce que lui permit d'obtenir « la permission d'établir des Comptoirs dans tous les endroits de son Royaume, et … en toute propriété l'isle de Sadel pour y établir la Compagnie, et y bâtir un Fort avec du canon » 28.
Le rôle du Fuuta dans le commerce français était doublement important : les satigis assuraient aux Français le passage vers le Galam ; ils participaient également au trafic d'esclaves et se procuraient des marchandises européennes. Les récits évoquaient leur attachement aux produits européens, et notamment aux alcools :
« Farba étoit un des meilleurs amis que les François eussent en ce quartier [Il s'agit de Hovalaldé] ; il avait hérité cela de ses ancêtres »;
« Farba étoit un des plus riches Seigneurs en bestiaux qui fut dans tout le païs, il aimait l'eau de vie passionnément, de sorte qu'on étoit assuré de faire une traite avantageuse avec luy quand on luy portait de cette liqueur. Le prix ordinaire d'un grand boeuf et bien gros, étoit un Rodome, autrement dit un flacon d'eau-de-vie tenant une pinte » 29.
Les opinions favorables que les agents de la Compagnie émettaient au sujet des Peuls témoignaient des avantages qu'ils tiraient de leur commerce. Le pays leur paraissait riche et ses habitants sympathiques, surtout comparés à leurs voisins, les Maures et les Wolofs. Les auteurs de cette période excellaient dans l'établissement des caractères et de leurs différences : la comparaison constituait une façon privilégiée de décrire un peuple. Ainsi, les Peuls surpassaient-ils les Wolofs dans tous les domaines :
« Ils se nourrissent bien mieux que les Joloffes […] Ils ont plus d'esprit que les Joloffes, et plus de politesse ; ils aiment les marchandises d'Europe, et ceux qui leur en apportent, ils leur font caresse, les reçoivent parfaitement bien chez eux » 30.
Les commerçants qualifiaient la conversation des habitants d'« agréable » et d'« intelligente », tandis que leur mémoire était « heureuse ».
Cependant les observateurs français anticipaient déjà les signes menaçants de la dégradation des rapports avec le Fuuta. Ils remarquaient les progrès de l'Islam qu' ils associaient à l'influence des Maures 31. Il existait à la même époque des populations noires plus « zélées » que les Peuls, notamment les « Nègres du Royaume de Mandingue » 32. En revanche, l'élite du Fuuta était marquée par l'islam de façon inégale. Le cas de Farba recevant volontiers les offrandes françaises en eau-de-vie, coexistait avec l'attitude plus pieuse de quelques chefs de provinces, qui « étaient des Mahometans rigides, qui n'en voulaient point boire » 33. Les satigis manifestaient une curiosité évidente pour l'islam ; afin d'améliorer leur éducation, ils faisaient venir les meilleurs marabouts maures. Labat exprimait son souci par rapport à leur présence à la cour ; derrière le prosélytisme musulman il voyait le projet politique envisageant « de s'emparer de ses états » (du satigi Siré) et de détruire la situation des Français. Sieur Brüe reçut néanmoins l'un des marabouts recommandé au satigi, venant de Kajoor, « car c'étoit bien faire sa cour au Roy Siratique que de faire honneur à ces sortes de gens ». Les Français essayaient de diminuer par tous les moyens l'influence des marabouts maures menaçant leur domination commerciale.
Le thème de la rivalité avec les Maures correspondait à l'un des sujets principaux des descriptions françaises du Fuuta. On retrouve par exemple ses échos dans les considérations sur l'aspect physique des habitants. Au début du XVIIIe siècle, la couleur de la peau ne représentait pas encore une valeur taxinomique distinguant les Peuls des autres. Au contraire, l'observation que les « Princesses » peules étaient moins noires que leurs sujets évoquait leurs mélanges avec les Maures, ce qui était, pour les Français, à leur désavantage : [elles] « ne sont pas d'un beau noir lustré comme les Jaloffes », « ils [les Peuls) ont gâté leur beau noir en leur communiquant leur couleur de bistre » (c'est-à-dire celle des Maures) 34. Ces alliances avec les Maures suscitaient chez les Français la plus grande méfiance car elles étaient des signes annonçant le détournement de l'élite locale du commerce européen.
Ainsi Labat décrivit-il la société en pleine mutation, tiraillée entre les querelles intestines des satigis, sensible à la pression des Maures et des Européens, traversant une crise de son système religieux. Tout en profitant de cette période trouble, les Français ne se sentaient néanmoins pas en sécurité et envisageaient la détérioration de leur commerce avec le Fuuta. Labat exprima bien ce pressentiment de la fin d'une époque qui allait de pair avec la recrudescence des formes classiques de la prédation armée pratiquée de concert par la Compagnie et par les régimes guerriers locaux (pillages, prises d'esclaves, incursions) :
« […] Quand on ne peut obliger ces Princes à satisfaire à ces prêts forcez, on pille quelque village, on enlève les Habitants que l'on fait Esclaves, et ensuite on compte avec le Roy, et si on a enlevé plus d'Esclaves qu'il n'en devait, on luy en tient compte. Mais ces expediens ne réussissent pas toujours, et quand même on serait assuré d'être payé par ces sortes d'exécutions, il faut en user sobrement, parce qu'on s'attire la haine de la nation, et tôt ou tard on se repend des violences qu'on a exercées » 35.
Leur supériorité militaire n'étant que relative, les Français envisageaient la construction de postes fortifiés le long du fleuve. Labat, qui prônait l'établissement de ces « forteresses », fut l'un des apôtres du programme colonial.
Le récit de Pierre David (1744) contenait une sorte de bilan des connaissances françaises sur le Fuuta, accumulées vers le milieu du XVlW siècle 36. L'État des Peuls l'intéressait surtout à cause de ses rapports avec les Maures, bêtes noires des Français et leurs concurrents dans les tentatives de contrôler les pays riverains. Ayant décrit le gouvernement du Fuuta comme instable, sujet aux crises et aux luttes intestines et subjugué par les Maures, il en tirait la conclusion que les Peuls étaient des partenaires perfides et changeant de camp. Cependant, au cours du XVIIIe siècle, l'importance du Fuuta émergea comme valeur per se, en raison de ses ressources en mil qui pouvaient nourrir la colonie du Sénégal.
A la fin du XVIIIe siècle, les récits de voyages des navigateurs remontant le fleuve Sénégal deviennent plus nombreux. Ils obéissaient au modèle commun de la description de la nature et des « nations », selon lequel les conditions naturelles déterminaient les phénomènes sociaux ; ils formaient un ensemble représentant le « caractère » de chaque peuple. Les jugements sur les peuples, les généralisations sur leur « nature » et sur leurs gouvernements servirent d'arguments dans le débat entre les partisans et les adversaires de l'abolition.
Plusieurs relations de voyages vers le Galam apparurent entre 1789 et 1802. Leurs auteurs, agents des Compagnies de commerce, de l'administration ou aventuriers traitant pour leur propre compte, suivaient le même plan et privilégiaient les mêmes thèmes se recopiant souvent entre eux. Ces récits transmirent aux générations postérieures un certain système de représentations sur le Fuuta.
Par leurs écrits, les négociants voulaient encourager le commerce libre et réprimer le régime des privilèges. La plupart d'entre eux défendaient la traite des esclaves, même si quelques-uns envisageaient de la remplacer par d'autres produits. Les populations qu'ils côtoyaient ne les intéressaient qu'en raison de leur implication dans le système de commerce entre la côte atlantique et la région du Galam ; chaque groupe ethnique « fonctionnait » dans un espace précis ; le changement de rôles ou l'intrusion d'éléments externes (des Anglais, par exemple) endommageait le commerce et sollicitait l'attention des commerçants. Les peuples étaient donc définis par rapports à leurs « places » dans le trafic : comme entités géographiques, et aussi comme « acteurs » participant au système du commerce.
Les récits des négociants ressemblaient, d'une certaine façon, à une carte des lieux qui rendait compte de la circulation des marchandises : « C'est donc un service à rendre au commerce que de lui offrir les moyens de faire, sur les côtes, des opérations sûres, de connaître les points où les échanges peuvent avoir lieu, ainsi que les marchandises les plus favorables pour la traite » 37. L'action coloniale n'avait de sens qu'en tant qu'outil du commerce : les forts français « situés le long du fleuve Sénégal et enclavés dans les possessions des rois nègres » étaient vus comme des possessions qui n'étaient « rien par elles-mêmes ; c'est le commerce et l'industrie qui les animent et les vivifient » 38.
Cependant, ces écrits n'étaient pas dépourvus de réflexions sur la nature humaine dans ses différentes manifestations, par exemple sur le « sauvage » ou sur l'influence du climat et de la nourriture sur la couleur de la peau. Les faits des sciences n'échappaient pas à l'attention de certains négociants : ils étaient au courant de l'activité des botanistes, des entreprises de classification des plantes et des animaux, de la création des jardins d'acclimatation. Des liens « assez étroits » existaient entre « le milieu philosophique et certains commis ou administrateurs des colonies » 39. Le métier de négociant exigeait une culture large, « très ouverte, à la fois encyclopédique et pratique, générale et technique, fruit de l'expérience comme du savoir, acquise sur une longue durée » 40.
Les négociants défendaient leur propre genre de récit de voyages: ils se distanciaient des auteurs des des récits fantastiques à la mode, et des philosophes, associés aux littéraires 41. Les commerçants affirmaient l'authenticité de leur expérience; dans l'introduction à leurs ouvrages ils clamaient la « vérité » de leurs récits et rejetaient la « littérature » comme l'apanage des philosophes. Pour prouver leur rôle personnel dans la communication avec les Africains, ils évoquaient les épreuves encourues, la durée de leur séjour et leur familiarité avec les coutumes et les langues des pays : « il faut, non-seulement y avoir vécu long-temps, mais il faut y avoir voyagé chez les différents peuples; il faut entendre & parler la langue de ces contrées » 42. Ils considéraient leurs relations de voyages non pas comme des oeuvres littéraires, mais comme le moyen de transmettre le savoir et de convaincre l'opinion publique.
Le commerce de la gomme et la traite des esclaves constituent les principaux sujets des écrits des commerçants. L'administrateur Golberry soulignait l'importance de ces thèmes pour l'organisation de son récit : « […] et je me suis déterminé à extraire ces fragmens dont le commerce de la gomme et le pays, et les mines d'or du Bambouik forment les principaux chapitres » 43. La côte atlantique et les mines d'or de Galam et de Bambouk (« […] le rendez-vous de toutes les caravannes qui viennent de Tombut, de Bambarenna, etc. » 44 constituant les pôles de ce commerce attiraient toutes les curiosités, tandis que ses étapes intermédiaires associées au Waalo et au Fuuta, avaient moins d'importance. L'intérêt principal du Galam résidait dans la possibilité qu'il offrait de traiter rapidement un grand nombre d'esclaves : « et que c'est là que se tient le grand marché de la traite des captifs, qu'on y mène des régions intérieures » 45. Labarthe, dont le récit décrivait les années 1784-1785, prétendait que la traite des Noirs la plus abondante se faisait au Galam 46. Labarthe fut le chef du bureau des Colonies orientales et des côtes d'Afrique au département de la Marine. Il défendait les idées de la libre concurrence et de la suppression des compagnies à privilèges. Adepte de l'abolition, il voulait démontrer par son récit l'intérêt commercial que la côte occidentale de l'Afrique présentait en dehors de la traite des esclaves (gomme, cuirs, or, cire, morfil).
Au demeurant, l'image du Fuuta se construisit par rapport à ces deux pôles du commerce français, le Galam et Saint-Louis. L'emplacement intermédiaire de l'État peul lui communiquait une importance indéniable, mais rendait aussi sa connaissance sommaire. Dans l'imaginaire des commerçants, ce pays évoquait des troubles, des obstacles et des dangers de toutes sortes, mais surtout des retards en raison des pourparlers interminables avec ses chefs. La navigation dans la région du Fuuta n'était possible que pendant les crues ; aussi, en dehors de ces périodes, les traitants risquaient-ils de se trouver otages du fleuve et prisonniers des chefs locaux. Le temps représentant le facteur crucial pour le succès des entreprises commerciales vers le Galam, les descriptions de la traversée de l'almamat traduisaient les craintes des traitants de se voir retarder par les autorités locales.
Le thème de l'angoisse devant la maladie, la ruine, la mort, lié au Fuuta-Tooro, fut omniprésent dans les récits de voyages de la fin du XVIIIe siècle. Tous les auteurs insistaient sur la difficulté de passage des convois à travers ce pays. Le retour fréquent de ce sujet reflétait la dégradation des rapports des Français avec le régime du Fuuta après 1776 et la crise générale du commerce esclavagiste avec le Galam. Ces
descriptions trahissaient un état d'esprit particulier des commerçants dont le trait essentiel était l'impatience. L'impératif de la circulation des marchandises, des idées, des personnes avait une signification cruciale pour les personnages de cette époque, tels, par exemple, le chevalier de Boufflers, gouverneur de Saint-Louis, successivement « abbé libertin, militaire philosophe, diplomate chansonnier, émigré patriote, républicain courtisan », administrateur et député : « le déplacement est son maître, voyageant sans cesse, d'une cour à l'autre, jusqu'au Sénégal dont il est nommé gouverneur en 1785 » 47. Gênés dans leurs transports, les négociants établissaient un parallèle entre les faits de la nature et ceux de la société ; dans leurs textes, une association morbide s'installa entre le climat périlleux, le lit traître du fleuve, les moeurs perfides des riverains et l'inconstance de leur gouvernement.
Tous les récits des commerçants évoquaient le cadre chronologique de la navigation. Elle se déroulait entre juillet et octobre, durant la saison des pluies, la plus chaude et la plus malsaine de l'année. Chaque étape de ce périple était soigneusement calculée et ne devait pas dépasser les limites préétablies. Labarthe indiquait, par exemple, que la grande foire des esclaves au Galam, où venaient les Maures, avait lieu pendant les quinze premiers jours de novembre. Lorsque les eaux du fleuve commençaient à baisser, on donnait le signal du départ. Le retour des bâtiments à Saint-Louis s'effectuait en l'espace de quinze jours à peu près 48.
Or les habitants du Fuuta retardaient systématiquement la remontée : « il faut s'arrêter, attendre, négocier »; quelquefois « on en vient aux prises ». L'année 1784, quand les Français retournèrent au Sénégal après le départ des Anglais, fut particulièrement riche en « insultes » que le convoi de Galam subissait à Saldé de la part des gens de l'almamy. En effet, en 1785, l'almamy essaya d'imposer ses conditions aux Français, d'interdire la vente des musulmans, d'instaurer le paiement d'une coutume annuelle de 900 livres sterling en plus des droits perçus sur chaque bateau de passage pour le Haut-Fleuve 49. Les commerçants constatèrent que dorénavant ils étaient obligés de renouveler à chaque fois les pourparlers avec l'almamy pour confirmer leurs droits à la navigation. Ainsi, avouaient-ils leur faiblesse et leurs craintes vis-à-vis des « Peuls » : « Mais ces sortes de traités ne sont nullement suivis de la part des princes riverains, qui ne reconnaissent d'autre loi que la force, et dont on ne gagne l'amitié que par des présens ». 50
L'idée de l'instabilité du régime politique du Fuuta s'installa dans les écrits qui mettaient en doute la capacité de l'almamy à exercer son autorité sur tout le territoire. Les traitants soupçonnaient l'existence de pouvoirs parallèles à celui de l'almamy. Ils tiraient de ce constat un jugement de valeur sur le pays et ses habitants : les Peuls sont perfides et imprévisibles.
Les convois, normalement composés de vingt à quarante bâtiments, représentaient un gros gibier pour ceux qui voulaient les piller. Ils attaquaient aussi, pillaient les populations riveraines et les prenaient en esclavage. A cette époque, les négociants comptaient peu sur l'aide du gouvernement, même s'ils le sollicitaient. La navigation s'apparentait à une entreprise militaire :
« Lorsque l'on part pour cette traite ou pour toute autre, dans la rivière du Sénégal, on arme les vaisseaux en guerre […] comme si on devoit livrer un combat » 51.
D'où la signification que l'on accordait aux escales fortifiées. Ainsi, les négociants regrettaient-ils l'abandon du fort de Podor, délaissé dans les années 1780 en raison du peu de traite qui s'y faisait. Le fort offrait l'avantage de « contenir les Maures et les Peuls […] qui ne vivent que des pillages » 52. En cas d'accrochage, les Français comptaient sur les canons de leurs bateaux, mais surtout sur les pourparlers avec les chefs, et même sur la prise d'otages de membres des familles importantes. Le commerçant Saugnier décrivait comment, pour assurer sa sécurité, il prenait des otages parmi les Maures et les Peuls à Podor et à Saldé. Déjà, au XVIIe siècle, les Français envoyaient des otages à Saint-Louis afin de garantir le passage de leurs convois vers le Galam. Cette tradition fut réitérée par les accords entre l'almamat et la colonie française ; les Français recouraient systématiquement à cette pratique après leur retour à Saint-Louis en 1817.
Les difficultés du climat étaient rendues encore plus pénibles par les pourparlers. Les récits confondaient les épreuves d'ordre naturel et les difficultés relationnelles avec le Fuuta :
« […] On est d'ailleurs dévoré par des insectes, inondé par des pluies continuelles. Lorsque le fleuve est dans sa plus grande crue, les courants sont d'une force incroyable, et les vents, presque toujours contraires […] Enfin, on est réduit à la nécessité d'aller à la cordelle […] pour avoir le passage libre, on paye des coutumes à plusieurs princes de la rivière, et surtout à celui du pays des Foules » 53.
L'image de la nature violente accentuait le caractère « sauvage » de la société. Le danger « d'être faits captifs » allait de pair avec celui d'être victimes « des animaux féroces, tels que les tigres et les lions, à être dévoré ». Le voyageur Saugnier, qui fut marqué par son expérience de la captivité chez les Maures, revenait sur la pratique courante dans toute la vallée, du Waalo à Bakel, de considérer un navire en naufrage (ses marchandises et son équipage compris) comme la proie du souverain du pays riverain 54. Il décrivait le Fuuta comme un pays hostile par excellence, couvert de forêts épaisses rendant le climat malsain ; rempli de bêtes féroces de toutes les espèces.
Le Fuuta symbolisait le commencement de l'Afrique inconnue et dangereuse : « c'est l'immense réservoir de l'Afrique». Les habitants n'étaient que le prolongement de cette nature : cruels, misérables, portés sur le vol et « fanatiques à l'excès ».
Selon Saugnier, il fallait compter à peu près un mois de navigation « la plus pénible et la plus triste » pour arriver à Saldé, « un lieu de rendez-vous dans le pays de Fuuta ou Almamy », où s'opérait le règlement des coutumes, mais aussi lieu de tous les dangers. Le retard de la flottille au Fuuta à cet endroit mettait en question la traite à Galam : « D'ailleurs on est toujours pressé par les eaux qui ne croissent que pendant un temps déterminé, aussi n'a-t-on souvent pas quinze jours à demeurer à Galam ». Tandis que les commerçants étaient impatients de continuer le plus rapidement leur remontée — « […] d'en repartir le plus tôt possible pour consommer notre voyage, dont nous n'avons encore fait que le tiers, & que l'on ne trouve point de traite à faire que l'on ne soit arrivé à Galam » — l'entourage de l'almamy voulait profiter au maximum du convoi transportant de riches marchandises : « L'intérêt de ce Prince [l'almamy] & de celui de son peuple est de nous retenir là le plus long-tems qu'ils peuvent pour que les gens de tous les villages voisins ayent le tems de venir là vendre leurs denrées » 55.
Les habitants du Fuuta manifestaient le désir de faire du commerce avec le convoi : « Dans tout le cours du fleuve, par tout où il y a des villages, les habitans montrent un très-grand empressement de venir trafiquer avec nous » 56. L'hostilité provenait de la différence entre le gros négoce des trafiquants d'esclaves et le petit commerce local. Encore au XVIIe siècle, les négociants européens témoignaient de leur déception due au peu d'envergure des marchés locaux, en dehors des escales. Les voyageurs étaient choqués par la distance économique entre la France et l'Afrique. Ils furent surpris par la modestie des marchés dans les villages, où il leur était impossible d'acheter en gros : « des marchez particuliers pour eux, mais si peu importans » 57. C'est sous la pression du commerce avec l'Europe que les valeurs d'échange se propagèrent : « de la Rassade, de bagatelles de verre, aussi bien que de la barre de fer ». Les seuls achats importants que les Européens effectuaient au Fuuta, sur le chemin du retour de Galam, se limitaient au mil pour la colonie de Saint-Louis. Ce commerce était cependant irrégulier. Ne tirant pas de profits du Fuuta, les négociants le réduisirent à un simple lieu de passage. Le traitant Pruneau de Pommegorge estimait, au milieu du XVIIIe siècle, que les opérations avec ce pays étaient négligeables. Les autres observateurs partageaient ce point de vue : « Le commerce que l'on fait avec ces peuples est très peu de choses. On ne tire de tous ces pays, que le mil nécessaire pour la colonie, du tabac et quelque peu de morfil » 58.
Ainsi le rôle que le Fuuta jouait dans le négoce des traitants fut-il déterminant pour la construction de son image dévalorisante qui persista durant deux siècles. Les pays plus « ouverts » à l'influence française suscitaient davantage de sympathie, comme par exemple les Saracolé de Galam. Au sujet du roi de Galam, Saugnier remarquait que son père avait été laptot au Sénégal et le roi lui-même fut élevé au Sénégal : « il parle françois et anglais » 59. Par conséquent, ses sujets qui « sont tous des Saracolets » étaient décrits comme laborieux.
Les navigateurs laissèrent de riches descriptions des convois et des conditions dans lesquelles ils remontaient le fleuve. La navigation vers le Galam impliquait la participation d'un grand nombre d'esclaves. En raison de la mortalité des Blancs au cours du voyage, les équipages se composaient principalement de traitants saint-louisiens et de leurs esclaves :
« On met des équipages nombreux tous composés de Nègres ; les libres font les fonctions de gourmets, c'est-à-dire de gobiers, de pilotes et de timoniers, les esclaves & mêmes des libres pauvres, font le service de laptots … qui hâlent le vaisseau lorsqu'il ne peut pas aller à la voile. Souvent, il n'y a pas un seul Blanc dans te vaisseau, & ordinairement au plus un ou deux. L'air est si mal-sain, la chaleur si excessive, que les Matelots Blancs ne peuvent pas y faire le travail qu'ils font ailleurs » 60.
Une représentation discriminante de la différence des natures humaines par rapport aux conditions naturelles émanait de ces descriptions :
« Les naturels résistent aux périls de ce voyage, mais les étrangers y succombent presque toujours: ceux qui reviennent sont mourans » 61.
Les esclaves étaient nécessaires pour en acquérir d'autres. Ceux qui en possédaient plus réussissaient mieux leur commerce :
« La traite des Noirs est celle où nous avons généralement le plus de part ; parce que nous avons des bateaux & des esclaves matelots que nous envoyons jusques à Gatam traiter des Noirs que nous vendons ensuite à des marchands européens au Sénégal, avec un leger profit » 62.
Le nombre de personnes à bord variait selon les possibilités des négociants. Le voilier de Saugnier, par exemple, petit commerçant qui traitait pour son propre compte, avait « vingt-quatre laptots, quatre gourmets, un maître de langue, un charpentier, un capitaine en second, six pileuses, et une douzaine de rapasses » 63, c'est-à-dire une véritable petite société, composée en grande partie de Noirs de Saint-Louis. Selon Lamiral, le nombre d'hommes d'équipage était ordinairement de trois à quatre cents 64 : « Tous sont armés de fusils de pistolets & de sabres ». Les mulâtres et les métis de Saint-Louis, aussi bien que les « négresses libres », louaient leurs captifs à la Compagnie au prix de « 6 livres chacun, par mois, pour la navigation de la rivière » 65.
Les laptots, libres et esclaves, encadrés par le « maître de langue », devaient défendre le bateau contre les riverains ; leur attitude était donc essentielle pour le déroulement de la mission. Les récits rapportent les épisodes d'insoumission, le refus de continuer le voyage, les cas d'association avec les guerriers sur les bords du fleuve au détriment du capitaine. Le « maître de langue » assurait le lien entre les laptots et le capitaine ; il était plus qu'un interprète : selon Saugnier, c'était le « maître d' équipage, qui entend
et commande la manoeuvre en français ». Il arrivait que les agents français des compagnies de commerce fussent pris en otages par leurs équipages :
« Les laptos sont très mutins & ils sont soutenus par leurs maîtres : il nous est arrivé plus d'une fois qu'ils nous ont menacés, étant à cent lieues en rivière, de laisser là le bâtiment & de s'en retourner seuls au Sénégal si on ne leur donnoit pas une plus forte ration » 66.
En faisant la petite traite avec les Peuls des rives du Sénégal, les laptots et les commandants saint-louisiens tiraient un profit personnel de ce commerce 67. Cette activité contrariait habituellement l'objectif des négociants de remonter le plus rapidement possible vers le Galam.
Beaucoup de commandants des navires étaient des « Nègres » et des « Mulâtres » de Saint-Louis : les commerçants français comptaient sur l'aide de ces capitaines. Saugnier relatait par exemple la riposte que son capitaine Scipion, esclave de la « nation Banbara », opposa aux attaques des Peuls ; il brûla entièrement le village du Fuuta qui empêchait le passage d'un des convois : « dans cette occasion, ce capitaine nègre quoique esclave fut reconnu pour général » . « Scipion » incarnait un certain type d'habitant saint-louisien, sorte de mercenaire au service des navigateurs, ayant des contacts et des alliances dans les États riverains, connaissant bien le fleuve et prompt à faire la guerre. Ainsi les convois, comprenant normalement de vingt à quarante
bateaux, correspondaient-ils à des groupes impressionnants de gens armés, traversant le territoire du Fuuta. Ces flottilles ne pouvaient susciter chez les habitants que craintes et méfiance. Les chefs de la société hiérarchique du Fuuta-Tooro y voyaient l'image repoussante d'un esclave doté du pouvoir, armé par son maître et n'ayant pas de scrupule à réduire des musulmans en esclavage.
Les habitants du Fuuta faisaient facilement l'association entre les « Blancs de la mer » (Européens) et les « Blancs de Saint-Louis » (traitants métis). Les Noirs de Saint-Louis se sentaient dans le Fuuta comme dans un pays hostile : « Ils [les Officiers] n'avaient pas à craindre de n'être pas secondés par les Nègres & les habitans de l'Isle Saint-Louis, qui composaient la flotte ; au contraire ceux-ci brûlaient du désir de se venger » 68. Aux yeux des puristes musulmans qui avaient pris le pouvoir au Fuuta les bâtiments des commerçants symbolisaient la corruption du monde métis de Saint-Louis, le pouvoir des « haaɓe » (infidèles) et la perversion des valeurs de l'islam.
Les voyageurs français de l'époque soulignaient que le commerce lucratif avec le Galam provoquait la corruption dans l'administration coloniale de Saint-Louis.
Certains employés s'engageaient dans la concurrence avec les représentants des compagnies et profitaient de leur fonction afin de traiter pour leur propre compte. Les négociants se plaignaient que lorsqu'une caravane se préparait, des alliances se créaient entre les agents de l'administration et les métis (et les métisses) de Saint-Louis. Les récits évoquent le commerce pratiqué sous les noms de tierces personnes et l'usage, par les agents, des bateaux de leurs épouses saint-louisiennes « à la mode du pays ». Ainsi Lamiral s'indignait-il des avantages que les agents de l'État, notamment les officiers, tiraient de leur situation : selon lui, la corruption des fonctionnaires était à l'origine de la faiblesse de la France dans le Fuuta :
« […] les abus n'auraient pas eu lieu si tous les Officiers qui ont commandé le bâtiment d'escorte, armé au compte du Roi, pour protéger la flotte, eussent fait leur métier au lieu de faire celui de marchands […] le bâtiment du Roi leur servoit de magasin pour leur commerce, ou bien ils avoient des bâtimens à eux sous des noms empruntés […] n'importe à quelque prix que ce fut, ils voulaient passer et achever le voiyage » 69.
L'aspect corrompu de la traite, les rivalités qu'elle suscitait entre les Blancs, notamment entre l'administration de la colonie et les compagnies de commerce, entre ceux qui jouissaient du régime des privilèges et ceux qui en étaient exclus, n'échappaient pas aux autorités du Fuuta. Les réputations étaient connues, et les familles du Fuuta essayaient d'utiliser à leur avantage ces contradictions. Si le négociant Lamiral accusait l'administration d'avoir dégradé les affaires, l'administrateur Golberry en voulait autant aux commerçants. Mais les deux se rejoignaient dans leurs jugements hostiles à l'égard du régime du Fuuta.
Les difficultés de relations avec le gouvernement musulman du Fuuta s'accentuaient lorsque les deux parties discutaient les coutumes réglant le passage des négociants. Ces pourparlers avec l'almamy et sa cour se déroulaient habituellement à l'escale de Saldé : « ce village est situé à une lieue dans les terre, mais on mouille à sa hauteur, et c'est l'endroit où les Poules reçoivent leurs coutumes ». On reconsidérait la somme des coutumes à verser tous les ans : Saugnier nota qu'en 1785 les Fuutankés établirent la coutume « à un prix beaucoup trop fort ». Les Français constataient que les almamys essayaient de contrôler ainsi la circulation des bateaux : ils augmentaient le prix des coutumes et bloquaient le convoi à Saldé. Les tractations par rapport aux coutumes traduisaient la signification différente que Français et Peuls leur accordaient. En versant la coutume, les Blancs croyaient acheter le droit de passage, mais aussi une certaine liberté de manoeuvre pour leur négoce :
« […] on se soumet à ces coutumes, afin d'être libres en rivière tout le temps du voyage, de pouvoir se promener à terre quand on veut, et d'avoir dans le pays les mêmes facilités que les naturels ».
Par contre, les autorités du Fuuta associaient à la coutume l'idée d'une limite. En accordant le droit payant de passage, ils recevaient une garantie de non-intrusion dans leur territoire.
Le prix des coutumes était abordable uniquement pour les grands bateaux : les petits préféraient plutôt « manquer le voyage de Galam que de se soumettre aux coutumes. » 70. Les musulmans payaient moins cher que les chrétiens. S'il s'agissait de propriétaires français, le prix restait le même indépendamment des dimensions du bâtiment. La règle était différente pour les habitants musulmans de Saint-Louis : « Les gros bateaux des habitans nègres payèrent moitié de cette coutume, et les petits un quart » 71. Par contre, le bateau d'un propriétaire saint-louisien prétendant appartenir à la famille chérifienne fut exempt des coutumes : « Il n'y a eut que le bâtiment du Sherif qui ne paya rien ».
Les navigateurs essayaient de précipiter la remontée du fleuve par des cadeaux. L'usage transforma ces offrandes en norme (« Elles sont devenues très considérables par la faute des divers gouverneurs du Sénégal, qui, plus attachés à leurs intérêts particuliers qu'à ceux de la nation françoise, ont tous les ans fait, pour le Roi, de nouveaux présens à ces sauvages » 72, en les rapprochant ainsi des coutumes. Les voyageurs critiquaient ces pratiques et insistaient sur le caractère non-obligatoire des présents. A la différence des coutumes, la valeur des présents n'était pas fixée, ce qui laissait la place aux abus : « […] & il n'y a sorte de moyen qu'il n'imagine pour nous forcer à prolonger notre séjour à Shaldé & pour obtenir de nous des présans. … ; mais comme les préparatifs de ce voyage ont coûté de grands frais,… on souffre toutes les avances, on paye tout ce que ces gens là exigent » 73.
La fusion entre les coutumes et les présents témoignait une fois de plus de la nature esclavagiste du négoce européen. La signification des présents était initialement autre que celles des coutumes ; on les offrait en espérant recevoir des esclaves : « Ils recevaient en retour des nègres ». Chacun recherchait ses bénéfices : tandis que les traitants essayaient de « rattraper » le prix des présents en vendant leurs marchandises plus chères en rivière (Saugnier employait une expression « la récapitulation en barres de rivière »), les autorités du Fuuta calculaient les coutumes en estimant les gains éventuels que les Blancs pouvaient obtenir dans le trafic des esclaves. Le prix des coutumes augmentait si le prix des esclaves en haut fleuve baissait ; on calculait en « barres » ou en« esclaves », les deux valeurs étant « convertibles ». En somme, les petits commerçants et ceux qui ne profitaient pas des privilèges souffraient le plus du double fardeau des coutumes et des présents. Ainsi les écrits des négociants blâmaient-ils les « abus » des almamys tout en stigmatisant le régime des privilèges. L'exactitude avec laquelle les voyageurs précisaient où commençait et où se terminait le territoire du Fuuta 74 en disait long sur le coût élevé de leur passage à travers cet État.
Les commerçants établissaient un lien entre le retour au régime des privilèges et la dégradation des rapports avec le Fuuta :
« Les gens du pays nous recevaient bien, nous ne payions que des droits très modiques aux Princes Riverains. Mais depuis le privilège les choses sont bien changées, nous sommes à la fois à la merci des vexations de ces princes & de celles de la Compagnie. Nous payons des droits énormes & nos bateaux sont pillés, parce que, disent-ils, tout ce que nous traitons est pour le compte de la compagnie ; & que nous nous sommes les captifs de la compagnie » 75.
Selon Golberry, le privilège sur la traite de la gomme fut à l'origine de la baisse des opérations marchandes sur le fleuve. Les almamys savaient tirer profit des divisions entre les commerçants: avec la réintroduction des privilèges, les coutumes augmentèrent et la sécurité chuta.
Pour éviter les tractations avec l'almamat du Fuuta, les compagnies de commerce élaborèrent le projet d'atteindre Galam par voie terrestre en passant au sud du fleuve Sénégal : l'on espérait que ce trajet pourrait se faire en vingt-cinq jours. Plusieurs expéditions de prospection furent lancées; elles furent accueillies avec sarcasme par les commerçants qui se croyaient être spécialistes du fleuve :
« M. Le Chevalier de Boufflers a tenté aussi une expédition dans ce genre ; cinq à six jeunes gens tous frais moulus, qu'il avoit amené de France, formèrent sous ses auspices le projet de pénétrer par terre jusqu'à Galam : ils devoient vivre et s'habiller à la mode du pays, & camper sous des tentes. A leur tête étoit un jeune Officier, fils de M. Geoffroi le Médecin […] je les prévins […] au milieu des déserts les risques qu'ils courraient d'être insultés, pillés & peut-être faits captifs … [ils sont revenus) après avoir rodés pendant sept ou huit jours aux environs de Gorée & de l'Ile Saint-Louis. Ainsi MM. les Naturalistes, les Peintres et les Physiciens qui étoient de la partie n'ont pas enrichi beaucoup la collection de M. Le Chevalier de Boufflers » 76.
Le voyage de Rubault (1786), employé de la Compagnie du Sénégal, qui entreprit de marcher de Saint-Louis au Galam, confirma les difficultés de ce trajet ; il était accompagné « d'un Maraboux et de deux nègres » ; il avait trois chameaux. Malgré les complexités liées à la remontée du fleuve, cet itinéraire fut reconnu irremplaçable : les tentatives pour traverser le désert du Ferlo furent abandonnées.
En dehors de la traite, les Européens étaient peu renseignés sur l'organisation de l'État du Fuuta. A la fin du XVIIIe siècle, leurs contacts avec ce pays et leurs connaissances s'amenuisèrent. L'univers des populations de la vallée du fleuve Sénégal se partageait, selon eux, en tribus maures et en « royaumes » des peuples noirs. Ces derniers seraient tous ressemblants : l'on pouvait décrire les uns en évoquant les autres » 77. Cependant le Fuuta se détachait de cet ensemble : il était vu comme un État plus puissant, plus étendu et mieux organisé que les pays voisins ; l'on versait à ses chefs des coutumes supérieures. Les Français comparaient le Fuuta notamment avec le Waalo qui, selon eux, croupissait dans l'anarchie. Labarthe caractérisait le souverain du Fuuta comme « beaucoup plus puissant que le roi brac », possédant une cavalerie nombreuse. Le Fuuta présentait davantage d'organisation : « Ses états sont divisés en plusieurs provinces. Chaque province est gouvernée par un lieutenant qui a un pouvoir absolu, et qui commande les milices » 78. La déchéance des pays voisins, dévastés par le trafic des esclaves, contrastait avec la puissance de l'État des Peuls : « jusques à Podor, les Rois Nègres sont bien déchus de leur puissance par les guerres intestines qui ont ravagé les pays, & ces guerres excitées par les Maures pour avoir occasion de faire des pillages, n'avaient d'autre objet que d'alimenter notre commerce inhumain » 79.
La force et la hiérarchie de l'État des almamys ne suscitaient pas pour autant de remarques positives de la part des Français qui entretenaient de meilleurs rapports avec le brak, vendant ses sujets aux étrangers. Ils exprimaient leurs préférences politiques à travers les comparaisons portant sur l'aspect physique : « Les Foules ont la peau d'un noir peu foncé ; ils ne sont ni aussi beaux, ni aussi grands, ni aussi bien faits que les Yolofs » 80.
Les Français notaient sommairement le caractère complexe du pouvoir du Fuuta où la figure de l'almamy était aussi importante que celles de ses douze électeurs. Saugnier était l'un des rares voyageurs à communiquer quelques renseignements sur le fonctionnement de ce système. Sans pour autant pouvoir expliquer son mécanisme, il remarquait, en 1785, son caractère régulier et son appui apparent sur la tradition musulmane : « il est toujours choisi parmi les Tampsirs qui sont du nombre de douze […] » ; « Les Tampsirs sont les interprètes de la loi : ils sont les plus savans ou les plus fanatiques » 81. L'observateur savait que l'almamy devait composer, dans sa politique, avec l'attitude des électeurs : « L'Almamy a droit de vie et de mort sur ses sujets ; cependant il peut être déposé par une assemblée de Tampsirs : c'est pourquoi il est de son intérêt de les ménager ». Son rôle était certainement de distribuer les coutumes ; il en tirait également un profit personnel : « Quoiqu'une part [de coutumes] appartienne à l'almamy, il exige toujours un présent particulier pour sa personne ».
Les voyageurs constataient une certaine différence entre le Fuuta occidental et le Fuuta oriental, comme si les deux parties n'obéissaient pas au même régime. Tandis qu'à l'ouest ils n'échappaient pas au contrôle de l'almamy, à l'est chaque village traitait pour son propre compte :
« […] on rencontre assez fréquemment des villages fort grands et très peuplés. Presque tous ces villages ont leurs seigneurs particuliers ; il faut s'arrêter presque partout, pour leur payer des droits & leur faire quelques présens ; ces Seigneurs font ce qu'ils peuvent pour faire rester-là les vaisseaux … Chacun d'eux apporte ce qu'il a à vendre ; tout ce petit trafic est abandonné aux laptos, on s'arrête le moins que l'on peut ; notre objet est d'aller plus loin » 82.
Le caractère superficiel des informations sur l'organisation intérieure du Fuuta datant de la fin du XVIIIe siècle témoigne de son éloignement des Français. A l'image d'une société plus ou moins ouverte à la présence française succéda celle d'un État austère, réduit à un lieu de passage représentant un obstacle à la traite esclavagiste. A la fin du XVIIIe siècle les commerçants entreprirent une tentative pour systématiser l'histoire de leurs rapports avec le Fuuta. La période charnière de ces relations qui fit basculer la perception du pays et de ses habitants correspondait incontestablement à la suppression du régime des siratiguis et à son remplacement par celui des almamys.
Les récits de la seconde moitié du XVIIIe siècle présentaient l'époque révolue des satigis comme le siècle d'or dans les relations avec le Fuuta ; elle contrastait avec la période d'« excès du fanatisme » et des hostilités, associée à l'almamat. On voulait surtout comprendre comment, dans quelles conditions, ce changement redoutable pour les Français avait pu se produire. La plupart des récits insistaient sur les aspects illégitimes et violents du nouveau pouvoir ; ils décrivaient l'almamy comme le « chef des Peuls, usurpateur du Royaume de Siratic & Patriarche des Maraboux ». Ils évoquaient également l'exil des familles dépossédées du pouvoir vers l'est du Fuuta :
« L'héritier du trône des Siratiks est à vingt lieues de-là, souverain d'un petit village, où s'était réfugié son père lorsqu'il fut chassé : il est allié avec quelqu'autres petits Souverains du voisinage, avec lesquels il vient quelquefois faire des incursions sur le patrimoine de ses pères » 83. On attribuait aux nouveaux chefs la violence, l'injustice et l'obscurantisme religieux. Les Français se méfiaient surtout des progrès de l'islam dans les pays encore récemment réfractaires, de son impact négatif sur les circuits commerciaux : « Les Peuls, au contraire, commandés par les Prêtres, voulaient tout ravager non pour faire des esclaves, disaient-ils, mais pour les soumettre au culte de Mahomet » 84.
Derrière les projets du prosélytisme musulman, les négociants esclavagistes percevaient des desseins politiques nuisant au rôle de la France dans la région :
« Ils eurent même l'audace de nous menacer de venir à l'Isle Saint-Louis, nous faire payer les contributions » 85.
Le peu de sympathie que les observateurs français éprouvaient à l'égard du régime musulman du Fuuta-Tooro reflétait la mentalité anticléricale de certains d'entre-eux 86. Une association persistante s'établit donc à la fin du XVIIIe siècle dans les récits des voyageurs entre l'idée de l'obscurantisme religieux, de l'attitude anti-française et de la violence dans la politique. Ce stéréotype détermina la représentation du Fuuta pendant toute l'époque coloniale, y compris au début du XXe siècle.
Lorsque l'almamy Abdul Kader Kane entreprit la tentative d'imposer la loi islamique aux souverains du Waalo, du Jolof et du Kajoor et d'étendre son autorité dans le Haut-Fleuve, les Français soutinrent activement la coalition dirigée par le damel du Kajoor Amari Ngoone Ndeela ; l'armée de l'almamy échoua. Sa défaite fut interprétée par les observateurs français comme le signe de la faiblesse du pouvoir musulman. Le récit le plus détaillé de ces événements a été fait par Jean-Baptiste Léonard Durand qui séjourna au Sénégal à la fin des années 1780 en qualité d' attaché au ministère de la Marine, puis de directeur de la Compagnie du Sénégal à l'Ile Saint-Louis, peu de temps avant sa dissolution par le décret de l'Assemblée constituante (1791). Il présentait le nouveau chef du Fuuta dans un rôle peu glorieux ; le damel, au contraire, fit preuve de noblesse de caractère : tandis que « Almamy lui-même fut fait esclave et conduit devant Damel qu'il avait osé menacer », Damel « Je regarda d'un oeil de pitié … ; Almamy resta donc prisonnier à la cour de Damel ; il y resta trois mois et loin d'être réduit à la condition des esclaves, il y fut traité avec la plus grande distinction » 87. En conclusion, Durand tirait de cette histoire une sorte de sentence morale : « Almamy profita de cette leçon ; il gouverna avec plus de prudence et de sagesse ». Selon l'observateur européen, l' islam n'avait rien à apprendre aux sociétés locales ; au contraire, les régimes musulmans étaient des usurpateurs du pouvoir légitime.
Saugnier qui visita le Fuuta peu de temps après la révolution musulmane, soulignait la distance qui séparait dorénavant le nouveau régime musulman et les familles des Dényankés. Il les présentait même comme deux peuples différents. Les territoires où les satigi étaient encore influents se trouvaient à l'extrémité orientale du Fuuta que ses informateurs ne considéraient pas comme faisant partie du l' almamat. Ils les associaient aux « Saracolets » de la région de Bakel :
« Les Saltiguets, peuple nègre, occupent les bords du fleuve au-dessus d'Yafane, et s'étendent jusqu'aux dominations des Saracolets. Ils ne font…avec cette dernière nation, qu'un seul et même peuple. Ils sont commandés par un prince, qui, par droit de naissance, devrait être le roi des Poules ; mais les prêtres qui l'ont dépouillé, l'ont chassé de son pays. Ce prince est courageux, il fait de fréquentes incursions sur les terres des Poules, et vend tous ses captifs aux Maures, ses voisins, qui les conduisent au Sénégal » 88.
L'image du régime musulman fut légèrement différente chez les auteurs qui se prononçaient contre la traite des esclaves. Ils constataient le renforcement du Fuuta à l'époque des almamys, dont ils voyaient la raison principale en la suppression de la traite. Pruneau de Pommegorge évoqua le Fuuta d'avant et d'après l'installation de l'almamat. Sa première description, datée des années 1740, mentionnait le règne de « Siratique-Conco » ; l'auteur, qui était à cette époque agent de la Compagnie, et ensuite son directeur, y exprima ses points de vue de trafiquant d'esclaves 89. Par contre, à la fin des année 1780, dans son ouvrage la Description de la Nigritie, il s'opposait énergiquement à la traite. Il y mettait en valeur sa longue expérience de la vie en Afrique 90 et ses connaissances des langues africaines. Son premier texte décrivait un pays faible, ravagé par la chasse aux esclaves, avec une population terrorisée par des incursions des Maures. En revanche, étant devenu à la fin de sa vie sympathisant de l'abolition de l'esclavage, Pruneau de Pommegorge voyait un lien entre la politique de l'almamy et l'essor économique de son pays :
« Il [l'almamy] a engagé tous les grands de ce royaume à se faire comme lui marabou. Il a défendu dans tout son pays les pillages, ni de faire aucun captif; & enfin, par d'autres moyens politiques (& au fond très-humains) il est parvenu à repeupler son vaste royaume, à y attirer des peuples, qui y trouvent leur sûreté. Il commence même à se rendre redoutable à tous ses voisins, par sa bonne administration. Ainsi voilà un homme, d'une contrée presque sauvage, qui donne une leçon d'humanité à d'autres peuples policés, en défendant dans tous ces états la captivité et les vexations » 91.
Malgré ce constat, Pruneau, comme ses contemporains, réitérait des jugements désapprobateurs sur le régime : il fustigeait le pouvoir « usurpateur » des « marabouts » qui, « sous le prétexte de la religion » chassèrent « Siratique-Conco, légitime souverain ». La tradition d'opposer le gouvernement des almamys à celui des satigis s'enracina dans le système des représentations françaises sur le Fuuta : au milieu du XIXe siècle elle se transforma en l'habitude de voir dans les Fulbé (associés aux satigis) et dans les Haalpulaar'en (gouvernés par les almamys) deux « races » différentes. Ce n'est qu'au début du XXe siècle que l'administrateur et le foulanisant Henri Gaden démontra une certaine continuité entre les deux régimes et indiqua le caractère déformé de cette opposition.
A la fin du XVIIIe siècle s'élabora l'image du Fuuta en tant que pays musulman ayant une population particulièrement fanatique. On craignait que son islam pût jouer un rôle subversif dans les autres États : « Les Prêtres, nommés Maraboux, ont acquis une force d'opinion sur les peuples voisins, qui les rend extrêmement redoutables » 92. Les négociants constataient que les traitants de Saint-Louis consultaient volontiers les marabouts du Fuuta : « Le Sieur Dubois, habitant Mulâtre du Sénégal, le plus rusé, le plus hardi et le plus superstitieux des habitans du Sénégal, étoit le capitaine du bâtiment qui me portoit : il ne passa pas un village sans consulter les Maraboux, il leur acheta des Grisgris à tous […] J'étois malade : il vouloit absolument religion, y voyant tantôt une superstition, tantôt une spéculation intéressée de ses hypocrites « prêtres », qui ne seraient « attachés à leurs idées qu'en public ». Saugnier, par exemple, interprétait les pratiques religieuses du Fuuta comme un « méprisable mélange de mahométanisme et de paganisme».
Confrontés à la crise de la traite des esclaves, les commerçants recherchaient ses substituts. La mission de Golberry, par exemple, avait pour objectif la prospection de nouvelles ressources pour le commerce, « en supplément des pertes immenses qui ont été les suites de la résolution trop précipitée d'abolir en un seul jour l'esclavage et la traite à es noirs » 94. Les Européens constataient la richesse de l'élevage et de l'agriculture du Fuuta (de « vastes champs d'indigo & de cottonnier ») ; certains envisageaient la culture de la canne à sucre 95. Les forêts de bois précieux couvraient les rives du fleuve ; les plantes paraissaient croître « sans soins ». Les récoltes abondantes (elles excédaient quelquefois la consommation) désignaient ce pays comme particulièrement prometteur et le distinguaient de ses voisins (de la région de Bakel, par exemple, à la frontière orientale du Fuuta, où l'on peinait à établir le fort en raison de la pauvreté de la population environnante, incapable de nourrir les résidents). Il existait des endroits, comme l'île de Bilbas 96, particulièrement indiqués pour un établissement français : les pâturages y étaient abondants et l'air était « salubre ».
L'image de la nature opulente accompagnait celle de l'indigène indolent 97. Connaissant mal le régime foncier du Fuuta (les navigateurs n'avaient qu'une faible idée de ses régions méridionales et septentrionales : « il s'étend sur les bords de la rivière, dans une longueur d'environ deux cents lieus, jusqu'au royaume de Galam : sa largeur est inconnue » 98, les Français reprochaient aux habitants leur peu de zèle pour augmenter leurs récoltes : « il y des endroits où on pourroit charger vingt bâtimens de riz ; mais la paresse des Noirs laisse perdre les quatre-vingt-dix-neuf centièmes de cette précieuse subsistance » 99. Leurs techniques agricoles paraissaient rudimentaires. On en concluait à l'incapacité des naturels de tirer profit des richesses de leur pays. La tradition de dissocier les populations de leur terre et de la nature s'installait à cette époque dans les narrations.
C'est ainsi qu'à la fin du XVIIIe siècle naquirent les premières ébauches des futurs essais agricoles dans la vallée du fleuve. Elles étaient concomitantes avec les projets de construction des escales fortifiées.
Les opinions divergeaient à propos de la nécessité d'entretenir des établissements fortifiés au Fuuta. L'histoire du fort de Podor, construit « pour contenir les Maures et les Peuls », en témoignait. Golberry considérait que initialement la vocation du fort« où l'on tenait une petite garnison de quarante hommes, [était] de protéger la traite de la gomme, d'entretenir nos liaisons avec les tribus des Maures Brachknaz et Ouled-El-Haghi Darmanko, et d'imposer au Siratik, roi des Foulhas Peuls » 100. Au fort se déroulaient habituellement les pourparlers avec les chefs des tribus maures. A la fin du XVIIIe siècle, bien que la Compagnie confirmât ses fonctions d'étape stratégique reliant Saint-Louis au Fuuta et de fournisseur des vivres 101, il était en réalité délaissé ; il « n'était plus gardé que par les Nègres » 102, tombait en ruines et était réputé comme l'endroit le plus malsain de toute l'Afrique. Les raisons de son abandon provenaient de la traite médiocre que l'on faisait à Podor dans les années 1750 103. Pruneau, par exemple, le caractérisait comme insignifiant. Le lieu était devenu peu sûr : menacé par les incursions fréquentes des Brakna, le commandant demandait systématiquement des renforts à Saint-Louis ; aussi était-il obligé d'être un habile diplomate avec les Maures. La situation du fort laissait à désirer, puisque les attaquants pouvaient se cacher dans l'encaissement du fleuve : « Ce fort n'est utile à rien puisqu'il ne peut défendre les bâtimens qui sont en rivière, ni être secouru par eux » 104. Le projet d'approvisionner Saint-Louis en mil et en mais à partir de Podor échoua également à cause du peu de sécurité pour les colons et les producteurs. Aux inconvénients de sa situation stratégique s'ajoutaient les contraintes du climat.
Mais le sort du fort devint un argument pour ceux des négociants qui voulaient détruire les privilèges et défendaient la liberté du commerce. Lamiral confirmait son utilité et accusait la Compagnie de l'avoir délaissé. Le fort était précieux en raison de l'image de la puissance française qu'il renvoyait aux habitants : « le respect qu'il impose aux habitants des contrées voisines et la nécessité dont il est pour contenir les Maures et les Peuls […] » ; « le nom du fort seul en impose plus que les batteries » 105.
Les projets d'une implication plus énergique de la France dans les affaires du fleuve nécessitaient la participation d'intermédiaires, aussi bien que l'existence de « zones-tampons » ayant des espaces politiques favorables à l'activité des Français :
« Ce n'est que par la voie d'insinuation que les Français peuvent parvenir à s'établir chez toutes les nations qui bordent la rivière du Sénégal, jusqu'en Bambouë. C'est ainsi qu'agissait autrefois M. David, ancien commandant-général de concession. […] la force serait toujours inutile, parce qu'il serait facile à ces peuples de nous faire mourir de faim. […] en formant des établissemens sur les mines, dans les terres, et sur le fleuve du Sénégal, on doit placer autour de ces établissemens sous la protection de nos canons, des familles libres, dont nos anciens établissemens abondent, comme métiss, mulâtres, nègres mêmes, & leurs captifs » 106.
En prônant la colonisation par le métissage, Pruneau était-il le précurseur des idées de Faidherbe ? La représentation, en termes « démographiques », de la présence française dans la région était fréquente à la fin du XVIIIe siècle. Elle s'appuyait sur l'idée de la liberté du commerce promouvant la création de colonies de traitants dans les États du fleuve qui, « par la force seule du nombre », briseraient la résistance des pays récalcitrants. Cette perspective préoccupait les autorités du Fuuta redoutant l'expansion physique et culturelle de Saint-Louis 107. Leur méfiance se traduisit notamment par l'interdiction des unions avec les Blancs :
« Quoique les Blancs ayent des relations bien intimes avec les Nègresses de la rivière, on ne voit aucun enfant Mulâtre dans l'intérieur du pays ; ces femmes se font toutes avorter. Elles ne pourraient pas demeurer chez elles, si elles avaient fait un enfant blanc ; les Nègres feraient périr l'enfant. Ils ne veulent pas souffrir que leur race soit altérée : ils craignent que s'il venait beaucoup d'enfants blancs chez eux, ils ne finissent par se rendre maîtres du pays … & ce n'est que là où nous avons des établissemens & sous la protection de nos canons que les gens de couleur peuvent naître et s'y propager ». 108
Les limites physiques et symboliques que le Fuuta imposa à l'avancée de la présence des Français et de leurs associés ajoutèrent des traits supplémentaires à l'image négative de ce pays. Ces représentations reflétaient surtout l'idée que les agents des compagnies avaient des chefs de l'almamat. Comment percevaient-ils les simples habitants, la population en général ?
Les trafiquants d'esclaves laissèrent de nombreuses descriptions des populations africaines. Leur principe essentiel résidait dans l'établissement de listes de traits formant des « caractères » que l'on comparait et entre lesquels on établissait des différences. C'est ainsi que Golberry, par exemple, déterminait l'objectif de ses notes : « Je ferai mention seulement de quelques observations sur les différences physiques, et sur les différences de caractères, de langage et d'intelligence, qu'on remarque entre ces peuples; sur leurs religions et sur des usages et des institutions fort anciennes, qui existent encore parmi eux […] » 109. Dans les récits de voyages du XVIIIe siècle les considérations sur la différence des « caractères » justifiaient la traite des esclaves, mais offraient aussi des arguments à ceux qui la critiquaient : certains peuples, les mieux organisés, devaient être exclus de la chasse aux hommes, tandis qu'au sujet d'autres, plus sauvages, l'opinion éclairée pouvait ne pas éprouver de remords.
La notion de « caractère » comme fondement de la description anthropologique remontait à l'âge classique 110. Elle correspondait à une dérivation ancienne du concept de « forme », lié à l'idée d'une configuration précise de l'être humain, de son contour, de l'inscription de son corps dans l'espace. Le « caractère » serait un lieu : le locus de l'être moral. Il permettait de distinguer les hommes selon les « types », conformément aux classifications des esprits et des humeurs que l'on associait, au XVIe siècle, aux « natures » et aux « nations » particulières. Au XVIIIe siècle, les voyageurs enrichirent ce modèle classificatoire par de nouvelles informations, élargissant le spectre de comparaisons et insistant sur le caractère « moral » des « nations ». Les « caractères » appliqués à des populations entières inscrivaient les notions relevant de la morale dans un cadre géographique et territorial précis 111.
La représentation du territoire était primordiale pour les descriptions des peuples du Sénégal dans les récits des commerçants du XVIIIe siècle. Les premières tentatives de comparer les différentes fractions des Peuls dans un ensemble géographique plus vaste datent de cette époque. Telle était la démarche de Golberry, chargé « d'exercer les fonctions d'ingénieur en chef dans toute l'étendue de ce gouvernement » : son rôle dans l'administration royale lui inspirait ses accents impérialistes et des réflexions sur les liens entre les régions éloignées ; il élabora tout un programme d'organisation des territoires du Sénégal. Selon lui, les Peuls de la Guinée appartenaient à la même « nation » que ceux du Sénégal ; ils ont « fondé plusieurs colonies, qui sont devenues des royaumes », parmi lesquels le royaume « des Nègres qu'on nomme Foules ou Peuls », « entre Podhor et Galam » ne serait qu'une des branches de ce corps principal qu'il découvrait « sous son nom propre de Foulhas » sur « un grand territoire vers les sources du Rio-Grande, sous le dixième parallèle Nord, et entre le cinquième et le douzième méridien oriental de l'île de Fer » (c'est-à-dire dans une vaste région entre le Fuuta-Jaloo et la Mauritanie). La capitale de ce pays serait « Téémbou » (Timbo), qu'il qualifiait comme une « ville très populeuse ». En somme, c'était une population beaucoup plus importante que ne le pensaient les observateurs qui se référaient uniquement au Fuuta sénégalais.
Sous l'emprise des Maures, la branche sénégalaise des Peuls évolua vers le régime musulman : « ils sont intelligens et industrieux, mais dans le commerce habituel qu'ils ont avec les Maures du Zaarha [le Sahara], ils sont devenus sauvages et cruels, et nos convois de Galam ont plus d'une fois éprouvé leur perfidie » et l'islam s'installa en maître : « Les Foules des bords du Sénégal sont tous Mahométans très-zélés » 112. L'influence néfaste des Maures était en partie compensée par la proximité de la colonie du Sénégal rendant les populations avoisinantes plus « policées ». Autrement dit, certains négociants admettaient que les circonstances pouvaient faire basculer l'ordre universel qui avait préétabli les « caractères ». Ils trouvaient dans ces réflexions un argument pour le maintien de l'esclavage qui permettrait aux Africains de sortir de l'état « sauvage ». Ces opinions reflétaient le débat sur les facteurs susceptibles de modifier la « nature » propre à chaque peuple : la nourriture, le climat, les lois et les coutumes sont-ils capables de l'altérer ?
Les discussions sur ce sujet se déroulaient dans les cercles savants, au sein de la Société des observateurs de l'homme (1799-1805) rassemblant des philanthropes, des philosophes, des médecins et des naturalistes : leurs échos pénétraient dans les écrits des administrateurs et des commerçants 113. Les membres de la Société établirent une prime destinée à récompenser la meilleure étude concernant l'influence des professions sur le caractère de ceux qui les exercent. A ce sujet, des points de vue divergents coexistaient au sein de la Société. De Gérando affirmait que la nature humaine était partout la même à toutes les époques et que son développement obéissait aux lois naturelles, bien que les rythmes de chaque société fussent différents. Il était possible d'aider les sociétés attardées à accéder au niveau supérieur de la civilisation. Un rôle particulier de moteur du progrès fut assigné au commerce, puisque les échanges auraient suscité chez les « sauvages » de nouveaux besoins 114. Une autre opinion annonçant l'optique du déterminisme racial était celle de Cuvier sur les différences anatomiques entre les « races ». On retrouve les traces de ces deux approches dans les écrits des commerçants.
Pourtant la plupart parmi eux continuaient à croire que les différences entre les « natures » obéissaient au projet divin et étaient immuables : le climat malsain et la nature ingrate condamnaient les peuples « sauvages » à croupir dans leur misère. Ils enlevèrent facilement aux Africains une part d'humanité et les rapprochèrent du monde animal : « Partout j'ai vu des peuples qui diffèrent à peine des brutes : partout je les ai vu privés des dons les plus précieux de la nature » 115. Les calamités naturelles provoquaient des insuffisances du caractère des populations, dont les défauts principaux seraient l'apathie, l'absence de jugement, l'imprévoyance : « c'est pour cela qu'ils ne font pas de magasin ». La traite apportait, selon ses défenseurs, une solution à ces problèmes, car elle épargnait à ceux qui la subissaient de mourir de faim. Les imperfections de ces sociétés se résumaient dans leurs mauvais gouvernements : « Leurs tyrans & les sous-tyrans qui les environnent, ne s'approprient-ils pas tout ce que possèdent les pauvres Nègres » 116. Ces arguments offraient des raisons naturelles à l'esclavage : « L'esclavage des Nègres a des causes purement physiques, inhérentes au climat, au génie & au caractère moral des Nègres ». L'histoire, science d'autorité au XVIIIe siècle 117, offrait des arguments pour fixer la place précise de chaque peuple dans l'ordre moral et définitif de l'univers : « Qu'on lise l'histoire, on verra que tous les peuples ont un caractère distinctif, & que ce caractère est permanent » 118.
Vers la fin du XVIIIe siècle les considérations sur les particularités des caractères des populations observées devinrent une partie obligatoire du récit de voyages. On croyait que l'accumulation de renseignements de ce type rendait service à la science. Labarthe, par exemple, soulignait que son récit répondait à cet objectif, puisque « l'Afrique, particulièrement vers la fin du XVIIIe siècle, a fixé l'attention des amis des arts et des sciences », notamment celle de Buffon. Saugnier regrettait de ne pas avoir pu fournir de descriptions « utiles pour la science » 119.
L'aptitude pour le commerce correspondait, dans le registre des négociants, à une composante principale du « caractère ». Ce trait serait développé chez les Peuls, aussi bien que chez les Maures ; il était à l'origine d'autres aspects positifs de leur nature 120. Les croyances permettaient également de distinguer les « caractères » : ceux qui avaient une « religion » et possédaient une notion de « l'Être Suprême » ne pouvaient pas être vendus comme esclaves ; ils étaient supérieurs aux « sauvages » suivants leurs « superstitions ».
Les auteurs des récits de voyage vers le Galam considéraient le physique et le moral comme étant liés : les traits de l'apparence témoignaient du caractère et le caractère se manifestait dans l'apparence, il se révélait aussi dans la langue. Tout en se distanciant des « philosophes », les négociants aspiraient à une description systématique des peuples, où chaque élément se reflèterait dans l'autre, le répèterait et le rappellerait ; leurs récits obéissaient au modèle de l'histoire naturelle 121.
Ce souci du système se manifestait, par exemple, dans les « portraits » des Wolofs. Les Français décrivaient le brak comme un souverain faible, « misérable chef d'une petite nation barbare » ; il pouvait « impunément réduire ses sujets en esclavage et les vendre». Mais ils soutenaient des rapports généralement bons avec le Waalo, partenaire de leur traite : « La nation des Iolofs… s'est toujours regardée comme notre amie et notre alliée naturelle, et qu'elle se croit même comme Française ». Aussi multipliaient-ils des descriptions avantageuses des Wolofs : ils seraient les « plus beaux nègres de cette partie de l'Afrique », « ils sont honnêtes, hospitaliers, généreux, fidèles, et leur couleur est du noir le plus foncé et le plus brillant ». Cette société, où la classe des guerriers thiédo vivait grâce à la chasse aux esclaves et où « en cas de guerre, tous prennent les armes. […] Un seul combat décide du sort de la guerre. […] ces milices ne reçoivent aucun paye. […] La crainte d'être faits esclaves les rend braves dans l'action » 122 , était cependant présentée comme bien organisée : « leur noir est si pur … ils sont si disposés à l'ordre, à la civilisation … qu'on pourrait conjecturer qu'ils descendent d'une colonie de ces anciens Ethiopiens, dont Hérodote a dit qu'ils étoient les mieux faits de tous les hommes » 123.
La comparaison avec les Wolofs et avec les Maures fut cruciale pour la création des premières représentations des Peuls. Les jugements de valeurs d'ordre esthétique (« beau » ou « pas beau ») y occupaient une place importante ; ils rendaient plus convaincantes les opinions des auteurs sur les régimes politiques.
Aucun fait observé ne paraissait anodin : chaque phénomène naturel ou social se trouvait en rapport de cause à effet avec un autre. On remarquait que les Peuls de l'intérieur des terres semblaient être plus clairs que les habitants des bords du Sénégal et on cherchait à établir une dépendance entre la couleur de la peau et les conditions naturelles, le climat et la nourriture 124.
Quelques observateurs constataient que les habitants du Fuuta ne constituaient pas une population homogène. Ils essayaient de les partager en « types » et d'indiquer les causes sociales ou climatiques de ces différences. Tout devait converger pour témoigner de la nature vicieuse de ce régime et de ces habitants :
« même la langue que l'on trouvait mélodieuse révélait une mollesse du caractère. Ainsi Pruneau constatait-il que « Ces peuples (foulles) parlent une langue très-douce, très facile à prononcer ; mais moins précise, & moins énergique que celle des Yolofs » 125.
Lamiral était du même avis :
« La langue de ce peuple est analogue à sa condition physique : elle manque d'expressions fortes : elle est cependant douce, agréable à entendre … On croit cette langue faite pour le peuple le plus doux, le plus civil, tandis qu'il n'en est point de plus sauvage & de plus méchant que le Peul » 126
Seules les femmes parlaient joliment cette langue, ce qui correspondait à leur beauté. Les récits des navigateurs abondaient en éloges des femmes peules. Lamiral, par exemple, les décrivaient en ces termes :
« J'ai dit que les Sénégalaises avoient en général de beaux traits, mais les femmes Peules les surpassent de beaucoup, elles sont de la plus jolie figure, elles ont la taille mince et déliée, leurs yeux sont superbes, mais un peu languissans, & leurs voix est toujours tendre. Elles sont beaucoup plus portées à l'amour que les Sénégalaises. Leur costume a aussi quelque chose de plus galant & plus original […] & leurs pagnes d'une mousseline claire et flottante, fabriquées par elles, ressemblent à la ceinture de Venus … Elles chantent avec goût et agrément » 127.
Pour les observateurs du XVIIIe siècle, les femmes constituaient un peuple à part. Cette particularité du regard persista au XIXe siècle, dans les récits des militaires, et jusqu'au XXe siècle, dans les observations des administrateurs. Au XVIIIe siècle, ces descriptions évoquaient souvent un jugement sur leur qualité d'amantes, réelles ou imaginaires.
Les histoires d'aventures galantes ne figuraient pas dans les récits des agents des compagnies. On les laissait à la marge d'une narration qui se voulait non pas « littéraire » mais instructive. En revanche, les négociants évoquaient le succès dont ils bénéficiaient auprès des femmes locales ; ils se présentaient aussi auprès des chefs en tant qu'experts dans les affaires délicates.
Ainsi, Lamiral relatait-il longuement comment il s'était fait l'ami (au grand profit de son commerce) d'un chef maure vieillissant à qui il offrit quelques médecines revigorantes 128. Ce rôle de l'« étranger savant » possédant des objets exotiques et des recettes miraculeuses que les commerçants français s'attribuèrent auprès des notables locaux, s'éclipsa, au Fuuta-Tooro, après la révolution musulmane. Le changement fut spectaculaire : si, à l'époque des siratiguis, les résidents de Saint-Louis embarquaient les « princesses peules »pour les transporter vers leurs amants, leurs parents ou, au contraire, pour les rendre à leur mari, à l'époque des almamys les rencontres avec les étrangers se faisaient clandestines. Mais les bateaux des commerçants constituaient toujours un cadre privilégié pour les rendez-vous particuliers.
Pour ce qui est des langues, les voyageurs étaient certainement plus familiers avec le wolof qu'avec le peul. De cette époque datent les premiers recueils de mots, les vocabulaires, les descriptions des manières de compter en wolof. Pruneau de Pommegorge, aussi bien que d'autres voyageurs, introduisit dans son livre« quelques phrases en usage chez les peuples Iolofs ». Par conséquent, les Français fondaient leurs connaissances sur les autres peuples en grande partie sur les renseignements communiqués par leurs informateurs wolofs.
Les Maures correspondaient à un autre pôle de comparaison faisant mieux apparaître le caractère des Peuls. Les compagnies attachaient une importance particulière aux relations avec les tribus Trarzas, partenaires dans le commerce de la gomme 129 et dans le trafic des esclaves, mais aussi dangereux prédateurs menaçant la traite. La passion des Maures pour divers échanges détermina leur image : « Ils sont extrêmement actifs pour le commerce : mais ils sont menteurs, trompeurs, avares et voleurs » 130. A Saint-Louis on craignait leur rapprochement avec les Anglais 131 et on redoutait leurs incursions sur les convois, sur la colonie et sur les États voisins. Ces « bêtes de proie » intriguaient les Français et leur inspiraient de la répulsion et de l'admiration. Le penchant des Maures pour la traite créa, selon les observateurs européens, une distance fondamentale entre eux et les leurs voisins noirs : « [ils] ont un esprit et des moeurs toutes opposées […] [ce peuple] industrieux commerçant se répand chez toutes les Nations, & qu'il s'enrichit par la ruse & son adresse; de quoi le Nègre est absolument incapable » 132. Par conséquent, les récits de voyages divisaient tous les habitants de la vallée du fleuve Sénégal en tribus Maures et en « autres » («même caractère, mêmes vices, mêmes talents » 133).
A force de fréquenter les Maures, les négociants acquirent une certaine connaissance de leur organisation sociale : ils distinguaient, par exemple, les tribus de « Maraboux » qu'ils considéraient être un « corps particulier ». Ils notèrent que son
statut était compatible avec le commerce et que les ressortissants des tribus maraboutiques bénéficiant de « la vénération générale » pouvaient voyager en sécurité. Un autre aspect des sociétés maures correspondait au caractère guerrier de leur économie ce qui la rendait dépendante des importations européennes d'armes à feu 134.
Les voyageurs découvrirent chez les Maures une capacité étonnante de s'adapter aux conditions naturelles difficiles : « Ces peuples sont très-sobres & vivent de peu de choses » 135.
Dans la première moitié du XVIIIe siècle, les Peuls étaient présentés comme un objet passif subissant la politique expansionniste des tribus maures dont les incursions seraient à l'origine des changements fréquents de pouvoir au Fuuta. Ce point de vue traduisait l'inquiétude des Français qui voyaient grandir l'influence des Maures dans la région. Ils la voyaient s'exercer en politique, en religion, en démographie, mais surtout être à l'origine d'un état d'esprit anti-français. L'affirmation du Fuuta en tant qu'acteur politique autonome à la suite de la révolution musulmane modifia sa représentation dans les récits qui faisaient dorénavant le rapprochement entre les Maures et les Peuls. A partir de la fin du XVIIIe siècle, on les évoquait fréquemment ensemble (« les Maures et les Peuls ») en leur découvrant une certaine analogie.
On attribuait cette ressemblance à la communauté de leur organisation psychique. Lamiral était ainsi fasciné par la force de caractère que les Maures manifestaient lors de la traite avec les Blancs :
« Ils ont une patience & un phlegme qui nous mettent en torture ». Le bras de fer avec les traitants se terminait souvent à l'avantage des chefs maures : « Il n'est pas possible de se peindre les tourmens que l'on éprouve … Si l'on portait la main sur un Maure, la guerre seroit déclarée, la traite seroit fermée & l'on perdroit le fruit de son voyage […] » 136.
La manipulation psychologique était un véritable art de la guerre que les agents des compagnies devaient maîtriser : certains attribuaient leurs succès à la familiarité avec les moeurs et la mentalité des « indigènes ». Saugnier, par exemple, comptait sur sa connaissance des Maures (qu'il avait acquise lorsqu'il était leur captif) pour réussir son commerce : « ce n'étoit que par les connaissances locales » qu'il espérait mener à bien son entreprise au Galam. En décrivant son séjour à Podor, il relatait comment il avait déjoué les projets d'Ahmet Moktar des Trarzas (« Admet Moctar, roi des Trassarts ») :
« Il savoit que j'étois arrivé depuis peu au Sénégal, et étoit loin de penser que ses paroles et ses menaces ne me faisaient aucune impression… ; mais j'avais été esclave chez les Maures, j'avois appris par mes malheurs à les connoître parfaitement » 137.
Il se considérait lui-même comme « à-demi sauvage » ; il avait appris les façons indigènes de traiter et avait l'habitude de procéder par des intermédiaires. Ces compétences lui offraient des chances dans sa compétition avec les autres Blancs, notamment dans la région du fleuve : « si je n'étois pas en état de supporter la concurrence dans la colonie, au moins j'aurais sur toutes les autres maisons, l'avantage en rivière » 138. Saugnier, comme ses confrères, appuyait son négoce sur le réseau de relations dans les États du fleuve. Il lui fallait aussi faire preuve d'un certain charisme personnel. Le motif de l'initiative, du savoir-faire des négociants face au milieu hostile était l'un des thèmes courants de leurs récits qui ne tarissaient pas d'éloges sur l'audace et la débrouillardise de leurs auteurs 139.
Les récits des commerçants de la fin du XVIIIe siècle établirent un nombre de thèmes qui restèrent attractifs durant plusieurs siècles. Le problème principal de cette période résidait dans l'appréciation du régime musulman qui avait remplacé celui des chefs guerriers siratiguis. Ce thème ramenait dans les narrations toute une panoplie de jugements de valeurs sur les Peuls d'avant et d'après les réformes. La différence entre les deux images était significative : les difficultés causées par le Fuuta des almamys au commerce des esclaves marquèrent les représentations des Français ; l'idée négative de ce pays et de ses habitants persista. La révolution musulmane était interprétée comme un véritable choc dans l'histoire de l'État des Fulbé. Le fait que les almamys s'étaient installés au pouvoir à l'époque des Anglais ne pouvait que rajouter à l'impression de la rupture avec la France. Saint-Louis craignait l'effet subversif de la révolution sur toute la région : aussi la politique visant l'isolement du Fuuta s'était-elle mise en place. Les Français nouaient des alliances à son insu avec le Waalo à l'ouest et avec le Khasso à l'est. Les récits de navigation sur le fleuve assignaient à ce pays une place à part.
Le détachement de l'almamat du domaine de l'influence française fut un évènement fondateur qui déclencha une réflexion de longue durée sur la pluralité des populations du Fuuta. Elle se traduisit par la recherche de la souche générique purement « peule » : sa conséquence principale fut la formalisation de la différence entre les Peuls et les Haalpulaar'en.
Au XIXe siècle, on proposa une interprétation raciale à l'histoire politique du Fuuta.
D'autres raisons expliquent l'emprise de la pensée du XVIIIe siècle sur les générations futures. Les négociants laissèrent des images particulièrement structurées des populations du fleuve Sénégal ; elles obéissaient au modèle de l'histoire naturelle mettant en correspondance le milieu, l'homme et la société. Des liens furent établis entre langue, corps, comportement, religion, commerce, gouvernement qui se rejoignaient dans la notion de « caractère ». Chaque dimension de cette image interpellait l'autre. Dans ce sens, le modèle descriptif appliqué aux Peuls n'était pas singulier. En revanche, le « cas » du Fuuta était particulier : il engendra un amalgame entre le lieu que l'on avait investi d'intenses sentiments d'angoisse, d'insécurité, évoquant l'idée de mort, et ses habitants, réduits à un « peuple de passage », peuple liminaire, qui n'avait pas d'existence propre en dehors de cette fonction. Symboliquement, les Fuutankooɓe représentaient la frontière entre le monde familier de Saint-Louis et de ses régions avoisinantes et « l'intérieur » menaçant de l'Afrique. Les commerçants créèrent une association où l'idée d'une nature sinistre et périlleuse appelait celle d'une société hostile aux Français.
Dans ce sens, les Peuls se détachaient nettement de l'ensemble des populations noires que l'on opposait aux « Maures ». Or pour les hommes du XVIII" siècle, cette « singularité » n'était pas d'ordre physique et « racial ». Les Peuls marquèrent l'imagination des Français non pas à cause de la couleur de leur peau, mais en raison de leur place cruciale dans les opérations des négociants. L'idée de la différence physique des Peuls fut donc une création tardive.
Notes
1. Au sujet des premiers établissements français, voir Cultru, Prosper, Histoire du Sénégal du XVe siècle à 1870, Paris, E. Larose, 1910; Jore, L. Les établissements français sur la côte occidentale d'Afrique de 1758 à 1809, Paris, Société française d'Histoire d'Outre-mer, 1965 ; Ly, Abdoulaye, La Compagnie du Sénégal, Nouv. éd. rev. et augm., Paris, Karthala, Dakar, IFAN, 1993.
2. L'appellation française de l'Etat de Gajaaga, et que l'on utilisait aussi dans un sens plus vaste pour désigner les territoires du haut fleuve avec les postes français à Saint-Joseph et plus tard avec Bakel et Médine, dans le Khasso, aussi bien que les Etats de Gajaaga, de Bambuk, de Ɓundu et de Khasso (Clark, Andrew Francis, Phillips, Lucie Calvin, Historical Dictionary of Senegal, Second ed., African historical dictionaries; 65, Metuchen,London, The Scarecrow press, 1994, p. 145-146). Sur I'Etat du Gajaaga, voir Chastanet, Monique, « De la traite à la conquête coloniale dans le haut Sénégal : l'Etat soninké du Gajaaga de 1818 à 1858 », Cahiers du CRA, n° 5 (Contributions à l'histoire du Sénégal, sous la direction de Jean Boulègue), 1987, p. 87-108 ; et aussi Gomez, Michael Angelo, Pragmatisme in the Age of Jihad: The Precolonial State of Bundu, Cambridge University Press, 1992.
3. Jaucourt, Chevalier de, in: Encyclopédie au dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, publié par M. Diderot, t. 7, 1752, p. 221.
4. Voir au sujet de l'activité des compagnies: Barry, Boubacar, La Sénégambie du XVe au XIXe siècles : traite négrière, Islam et conquête coloniale, Paris, L'Harmattan, 1988; Boulègue, Jean, Le grand Jolof (XIIIe-XVIe siècles), Paris, Façades, 1987.
5. Satigui ou satigi était le nom du titre porté par le chef peul de la dynastie des Dényankoobé du Fuuta-Tooro. Il apparaît sous plusieurs variantes: siratigui, silatigui, siratik, saltigi, satigi, et même « cheyrotick », selon certaines orthographes du XVIIe et du XVIIIe siècles. C'est une dérivation du titre mandingue « silatigui », signifiant « chef de la route » ou de la migration, autrement dit, « guide », chef, Johnson, James Philip, The Almamate of Futa Toro, 1770-1836: a Political History, The University of Wisconsin, Ph. D., 1974, p. 50, note 5).
[Remarque. — L'équivalent pular/fulfulde de silatigui/satigi est Arɗo (singulier), Arɓe (pluriel) ; une contraction respectivement de ardiiɗo et ardiiɓe, avec le même sens générique de guide du chemin. Toutefois, le mot est sémantiquement bivalent en Pular/Fulfulde. Il signifie en effet (a) le chef spirituel, prêtre, astrologue du groupe nomade et (b) le chef temporel de la communauté, restreinte ou élargie, propriétaire du plus gros troupeau de boeufs, …. (Consulter Amadou Hampâté Bâ, A.I. Sow & Lilyan Kesteloot dans Kaydara, Christiane Seydou dans Silaamaka e Pulloori). Dans Kumen, le chef-d'oeuvre de A.H. Bâ & Germaine Dieterlen, Arɗo Dembo est présenté comme le maître-initiateur de Hampâté aux rites de la boolatrie fulɓe — Tierno S. Bah]
Sur l'histoire des satigui au XVIIIe siècle, voir Kane, Oumar, La première hégémonie peule. Le Fuuta-Tooro de Koli Tengella à Almaami Abdul, Karthala, Presses universitaires de Dakar, 2004, et aussi Robinson, David, Curtin, Philip, Johnson, James, « A Tentative Chronology of Futa Toro from the Sixteenth through the Nineteenth Centuries », Cahiers d'Etudes Africaines, 48, 1972, p. 554-592.
6. Dodwell, H., « Le Sénégal sous la domination anglaise », Revue de l'histoire des colonies françaises, 4e année, 3e trimestre, 1916, p. 267-300.
7. Sur l'histoire de l'usage de ce titre au Fuuta, voir Curtin, Philip D., « Jihad in West Africa: Early Phases and Inter-relations in Mauritania and Senegal », Journal of African History, XII, 1, 1971, p. 11-24. « Almamy » (ou « almami») correspond à la déformation peule du mot arabe al-imam, le chef de prière.
8. Oumar Kane soulignait la nécessité de voir une continuité entre le système politique du Fuuta à l'époque des satigis et celle des almamys : « On a tendance à opposer la stabilité du régime des Dényankobé à l'instabilité du régime des almamis. Cette image ne correspond pas toujours avec la réalité historique », Kane, Oumar, « Essai de chronologie des satigis du XVIIIe siècle », Bulletin de I'IFAN, série B, t. XXXII, 3, 1970, p. 755-766, p. 755. Henri Gaden démontra que les almamys maintinrent en grande partie le régime foncier qui s'était établi sous les satigis (Gaden, H., « Du régime des terres de la vallée du Sénégal au Fouta, antérieurement à l'occupation française », Bulletin du Comité d'études historiques et scientifiques de l'AOF, t. 18, n° 4,1935, p. 403-414. ). Olivier Leservoisier développa cette thèse dans Leservoisier, O., La question foncière en Mauritanie. Terres et pouvoirs dans la région du Gorgol, Paris, L'Harmattan, Connaissance des Hommes, 1994. p. 49-62.
9. On retrouve le bilan des connaissances contemporaines sur cette guerre dans Curtin, « Jihad in West Africa ». Voir aussi Norris, H. T., « Znaga Islam During the Seventeenth and Eighteenth Centuries », Bulletin of the School of Oriental and African Studies, XXXII, 1969, p. 495-526; Barry, La Sénégambie du XVe au XIXe siècles ; Kane, La première hégémonie peule. Voir aussi la préface de Delcourt, dans David, Pierre-Félix-Barthélemy, Journal d'un voyage fait en Bambouc en 1744. Paris, Société française d'histoire d'outre-mer et Librairie orientaliste Paul Geuthner, 1974.
10. Les sources principales qui évoquent la guerre de Nasir al-Din sont : Chambonneau, “L'histoire du Toubenan, ou changement du Rayes, et réforme de religion des nègres du Sénégal coste d'Afrique depuis 1673 qui est son origine, jusqu'en 1677,” in Ritchie C.A., Carson I. A., « Deux textes sur le Sénégal (1673-1677) », Bulletin de l'IFAN, sér. B., XXX, 1968, p. 289-353 ; David, Journal d'un voyage fait en Bombouc en 1744. Pour les sources arabes traduites, voir Curtin, « Jihad in West Africa », p. 16, note 14.
[Remarque. — Une chronologie plus exacte des “Hégémonies peules des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles” (Jean Suret-Canale) situe le déclenchement de ce processus au Ɓundu (Sénégal méridional) avec la dynastie Siisiiɓe (Sy), vers 1690. La flamme de la suprématie de ces élites musulmanes fut relayée successivement au Fuuta-Jalon (1725), au Fuuta-Tooro (1755), au Sokoto (1803), au Maasina (1818). Elle s'éteignit en 1903 au Sokoto (Nigeria) avec la défaite des héritiers de l'Empire d'Usmani ɓii Fooduye par l'armée britannique. Les sources lointaines des révolutions musulmanes Fulɓe/Halpulaar se trouvent dans le Tekrur (Ve-XIIe siècles) alternativement vassal, rival et allié de l'Empire de Gana et, historiquement, le premier Etat sub-saharien à embrasser l'Islam. — Tierno S. Bah]
[10bis. Remarque. — Cent ans séparent Nasir al-Din de Souleyman Bal. Il paraît difficile dès lors d'établir une causalité directe entre les rôles joué par l'un et l'autre. Plus probablement et vraisemblement, les hégémonies islamiques fulɓe disposaient, chacune, d'autonomie de leadership et de personnel religieux. Elles maintenaient les contacts avec les grands centres intellectuels et faisaient allégeance aux maîtres-rénovateurs, certes. Toutefois, aucun de ces états ne dépendit d'apports extérieurs pour s'imposer et fonctionner. Ajoutons cependant que leur autonomie ne signifiait nullment autarcie. Au contraire, les rapports inter-personnels et les échanges bilatéraux entre les dirigeants furent reguliers et importants. Ainsi, Souleyman Baal séjourna à la cour de Timbo (Fuuta-Jalon) avant de retourner au pays pour lancer le Jihad et fonder l'imamat du Fuuta-Tooro. De même, plusieurs princes de Timbo trouvèrent accueil auprès de la dynastie Siisiiɓe (Sy) du Ɓundu. Plus tard, avant d'entreprendre le pèlerinage aux Lieux Saints et son long séjour au Moyen-Orient, le jeune Omar Tall étudia auprès de Sheykh Abel Naɠel Diallo à Labé (Fuuta-Jalon). Enfin, les rapports entre la Diina du Maasina, l'Empire de Sokoto et l'émirat d'Adamawa furent très suivis … — Tierno S. Bah]
11. La dynastie des Deeniyankooɓe (pl. de Deeniyanke) s'installa au Fuuta-Tooro après la conquête de ce pays par les Peuls dirigés par Koli Tenŋella Ba ou Koly Tengela (au pouvoir de 1495 à 1512) (Robinson, Curtin, Johnson, "A Tentative Chronology of Futa Toro », p. 566) et venus du Fuuta-Jaloo. Koli s'appuyait sur les guerriers, les Seɓɓe (pluriel de ceɗɗo) et recrutait parmi eux des nouveaux chefs de territoires, renforçant ainsi le rôle des guerriers dans le régime des Dényankoobé. Le nom des Deeniyankooɓe vient probablement d'une localité dans le pays de Niani où Koli et ses guerriers habitaient avant de conquérir le Fuuta (Johnson, The Almamate of Futa Toro, p. 50. note 4).
[Remarque. Cette note écourte et réduit considérablement la profondeur historique du champ étudié. En réalité, le fondateur de la dynastie Deeniyaaɓe ou Koliyaaɓe, Koli Tenŋella Pullo Baa, était un contemporain de Soundiata Keia. Et le règne de ses successeurs alla de la défaite du Tekrur par Soundiata Keita, circa 1217, au triomphe du réformateur Souleyman Bal, circa 1775.
Se référer, entre autres, à Djibril Tamsir Niane et al. dans :
L'historien Niane — lui-même, Tekrurien/Haalpular — analyse les erreurs et les contradictions de Delafosse et de Gaden sur les origines et les ramifications du long règne des Koliyaaɓe. De même, l'empire deeniyanke était discontinu géographiquement. Il incluait des régions comprises aujourd'hui dans le Sénégal, la Gambie, la Guinée-Bissau, la Guinée et le Mali. Enfin, l'actuel Fuuta-Jalon fut soumis au règne des souverains Koliyaaɓe, certes. Mais les racines familiales de ces derniers se trouvaient plus au nord, dans l'ancien Tekrur, et non dans une terre aussi méridionale que le Fuuta-Jalon. — Tierno S. Bah]
12. Le sens étymologique du nom des Toorodɓe ou des Tooroɓe (pl. de Toorodo) est, selon Henri Gaden, « ceux qui sollicitent ensemble, par groupes ». Il désigne le groupe statutaire ayant des origines ethniques et sociales hétéroclites, uni par l'identité musulmane et par des liens de parenté construits en opposition à l'oppression exercée par les guerriers fulɓé : « […] on a appelé, au Fouta Sénégalais, Tôrodbe (sing. Torôdo) les marabouts locaux et ceux qui leur étaient inféodés, formant la classe maraboutique, le parti musulman, nous dirons clérical, qui, en 1776, a conquis le pouvoir sur le parti peul des Satigui Déniankés, les « Siratiques » des voyageurs du XVIIe siècle, et a achevé l'islamisation du pays » (Gaden H., Proverbes et Maximes Peuls et Toucouleurs, traduits, expliqués et annotés, Paris, Institut d'Ethnologie, 1931, p. 316-317). Pour l'analyse de l'apparition des Toorodbé, voir aussi: Gaden, H., Le Poular, dialecte peul du Foula sénégalais, 2 vol., Paris, E. Leroux, 1913-1914, v. t, Etude morphologique; Willis, John Ralph. « The Torodbe Clerisy: a Social View », Journal of African History, XIX, 2, 1978, p. 195-212; Robinson, « The Islamic Revolution of Futa Toro ».
13. En 1785 l'almamy Abdul Kader interdit la vente des musulmans (Barry, Boubacar, Le Royaume du Waalo : le Sénégal avant la conquête, préf. de Samir Amin, Nouv. éd. rev. et augm., Paris, Karthala, 1985, p. 206-207).
14. Robinson, David, La guerre sainte d'Al-Hajj Umar. Le Soudan occidental ou milieu du XIXe siècle, Traduit de l'anglais, Paris, Karthala, 1988, p. 83-84.
15. Charles Becker insiste sur la pérennité du processus de « l'ajustement des formes politiques de la société pré-islamique aux revendications religieuses et légales de l'Islam » au cours de toute la période de la traite atlantique (Becker, Ch., « la Sénégambie à l'époque de la traite des esclaves », Revue française d'Histoire d'Outre-mer, t. 64, 235, 1977, p. 203-224, p. 205 et p. 219.
16. Jannequin, Claude, Voyage de Lybie au royaume de Senega, le long du Niger : avec la description des habitans qui sont le long de ce fleuve, leurs coûtumes & façons de vivre, les particularités les plus remarquables de ces pays, A Paris: chez Charles Rouillard, 1643, L'exemplaire cité est : Jannequin, Claude, Le Voyage de Libye : au royaume de Sénégal, le long du Niger, Genève, Slatkine, 1980, Reprod. en fac-sim. de l'édition de Paris, C. Rouillard, 1643.
17. « Premièrement celuy des Negres, de Lybie, commandé par Damel, celuy des Foules par Brac, celuy des Maures de Barbarie, par Camalingue, & celuy des Maures & Barbares voisins du Royaume de Tombuto, & par le grand Sambalame, du quel Roy, relevent les autres trois », Ibid., p. 80-81.
18. Sous le règne de Samba Lamu au début du XVIIe siècle, la dynastie Denyanke atteint son apogée : il contrôlait le commerce du Soudan vers le Sahara et participait au commerce européen (Barry, La Sénégambie, p. 82.). Sawa Lamu faisait partie des satigis qui favorisaient le parti maraboutique. En revanche, si l'on accepte la chronologie d'Oumar Kane, selon laquelle Siré Sawa Lamu régnait de 1682 à 1702 (Kane, « Les causes de la révolution musulmane de 1776 », p.129), on est obligé d'admettre que le récit de ]annequin publié en 1643 ne pouvait pas évoquer ce satigi.
19. Kamalinku (« Camalingue ») était le titre du premier dignitaire du Fuuta après le satigi, sorte d'héritier désigné. Le titre revenait au plus âgé de la famille royale après le satigi (Kane, Oumar,« Essai de chronologie des satigis du XVIIIe siècle », Bulletin de l'Institut fondamental d'Afrique noire, série B, t. XXXII, 3, 1970, p. 755-766, p. 756).
20. La Courbe, Michel Jajolet de, Premier voyage du sieur de la Courbe fait a la coste d'Afrique en 1685, publié avec une carte de Delisle et une introduction par P. Cultru, Paris, E. Champion, 1913.
21. Labat, Jean-Baptiste, Nouvelle relation de l'Afrique occidentale : contenant une description exacte du Sénégal & des pars situés entre le Cap-Blanc & la rivière de Serrelionne jusqu'à plus de 300 lieuës en avant dans les terres, L'histoire naturelle de ces pais, les différentes nations qui y sont répanduës, leurs religions et leurs moeurs avec l'état ancien et présent des compagnies qui y font le commerce. Ouvrage enrichi de quantité de cartes, de plans, & de figures en taille-douce, Paris, Guillaume Cavelier, 1728, 5 vol.
22. Sur sa vie, voir Berlioux, Etienne Felix, André Brue, ou l'origine de la colonie française du Sénégal, Paris, Librairie de Guillaumin, 1874 ; Maran, René, Les Pionniers de l'Empire : J. André Brüe, Joseph-Français Dupleix, René Madec, Pigneaux de Behaine, Paris, A. Michel, 1955.
23. Sur les sources de Labat, voir : Cohen, Français et Africains, p. 44.
24. Labat, op. cit., v. I, p.j.
25. Ibid., p. v. III, p. 168
26. Pour la persistance de ce système de succession, y compris dans les familles maraboutiques, voir Schmitz, Jean, « Un politologue chez les marabouts », Cahiers d'Etudes africaines, 91, XXIII-3, 1983, p. 329-351. Le système politique des satigis était sujet aux conflits entre les clans dont l'une des sources résidait dans les règles de succession : le pouvoir ne pouvait pas se transmettre au-delà de la famille des descendants de Koli Tengela. On recrutait le satigi parmi les membres les plus âgés qu'ils soient frères, neveux, oncles ou fils du souverain défunt (Barry, B., La Sénégambie du XVe au XIXe siècle, p. 39).
27. Sur la formation des clientèles et l'ingérence des Compagnies dans la procédure successorale, voir Kane, « Les causes de la révolution musulmane», p. 128-129.
28. Labat, op. cit., v. III, p. 208.
29. Ibid., v. Ill, p. 187
30. Ibid.
31. L'influence musulmane venait au Fuuta depuis deux régions: de la Mauritanie, des Zwaya, par le biais des familles maraboutiques berbères, et à partir du Sudan, par l'intermédiaire des Jaxanke, originaires de Diakha dans le Maasina, sous l'impulsion du marabout Al Hadjj Salimu Suware : Barry, B. La Sénégambie, p. 68. Sur les directions du prosélytisme musulman au Fuuta, voir: Curtin, « Jihad in West Africa ».
32. Labat, op. cit., v. II, p. 271.
33. Ibid., t. III, p. 230
34. Ibid., p. 201.
35. Ibid., p. 209.
36. David, Pierre-Félix-Barthélemy, Journal d'un voyage fait en Bombouc en 1744. Publié d'après le manuscrit de la Bibliothèque municipale de Rouen avec une introduction, des notes et des documents annexes par André Delcourt, Paris, Société française d'histoire d'outre-mer et librairie orientaliste Paul Geuthner, 1974.
37. Labarthe, Pierre, Voyage au Sénégal, pendant les années 1784 et 1785, d'après les mémoires de Lajaille, ancien officier de la Marine française … avec des notes sur la situation de cette partie de l'Afrique, jusqu'en l'an X (1802 et 1802), Paris, Dentu, 1802, p. viii.
38. Labarthe, Pierre, Mémoire pour servir de réponse à celui du Colonel Laserre, ex-commandant en chef du Sénégal, contenant quelques détails sur la situation intérieure, l'administration et le commerce de cette colonie, Paris, Didot, 1805, p. 14.
39. Duchet, Michèle, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières: Buffon, Voltaire, Rousseau, Helvétius, Diderot, Paris, F. Maspero, 1971, p. 130.
40. Bergeron, Louis, « L'homme d'affaires », in: L'homme des lumières, sous la dir. de Michel Vovelle, Paris, Seuil, 1992, p. 135-157, p. 136.
41. Les philosophes s'inspiraient des récits de voyages ; ils y recherchaient des exemples leur servant pour la critique des moeurs de la société européenne et pour la création de nouveaux mondes utopiques. Voir à ce sujet Bourguet, Marie-Noëlle, « L'explorateur », p. 285-346, in Vovelle, op. cit. p. 334- La prolifération de ces « faux » à la fin du XVIII' siècle suscitait la réaction des commerçants et des administrateurs qui leur opposaient leurs récits « authentiques ».
42. Pruneau de Pommegorge, Antoine Edme, Description de la Nigritie, Amsterdam, Maradan, 1789, p. v.
43. Golberry, Sylvain Meinrad Xavier de, Fragmens d'un voyage en Afrique : fait pendant les années 1785, 1786, et 1787, dans les contrées occidentales de ce continent, comprises entre le cap Blanc de Barbarie, par 4 degrés, 47 minutes, et le cap de Palmes, par 4 degrés, 10 minutes, latitude boréale… , Paris, Chez Treuttel et Würtz, 1802, 2 vol., v. 1, p. 27.
44. Lamiral, Dominique Harcourt, L'Affrique et le peuple afriquain considérés sous tous leurs rapports avec notre commerce & nos colonies… : De l'abus des privilèges exclusifs, & notamment de celui de la Compagnie du Sénégal. Ce que c'est qu'une société se qualifiant d'Amis des noirs, Paris, Dessenne, 1789, p. 34.
45. Golberry, op. cit., p. 372.
46. Labarthe, Pierre, Voyage au Sénégal, p. 47.
47. Lasowski, Patrick Wald, L'ardeur et la galanterie, Paris, Gallimard, 1986, p. 83.
48. Labarthe, Voyage ou Sénégal, p. 47.
49. Barry, La Sénégambie, p. 158.
50. Labarthe, op. cit., p. 190, note 12.
51. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 89.
52. Ibid., p. 36
53. Labarthe, Voyage ou Sénégal, p. 49.
54. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, du Maroc, au Sénégal, à Gorée, à Galam, etc., Avec des détails intéressans pour ceux qui se destinent à la traite des nègres, de l'or, de l'ivoire, etc., Tirées des journaux de M. Sougnier…, Paris, Chez Gueffier jeune, 1791.
55. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 290.
56. Ibid., p. 310
57. Lemaire, Jacques Joseph, Les voyages du sieur Le Moire aux Iles Canaries, Cap-Verd, Senegal, et Gambie : Sous Monsieur Doncourt, directeur·génerol de la Compagnie roïale d'Affrique, Paris, Chez Jacques Collombat, 1695.
58. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 264.
59. Ibid., p. 214.
60. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 89-90.
61. Labarthe, Voyage au Sénégal, p. 51.
62. Lamiral, op. cit., p. 19.
63. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 183.
64. Lamiral, op. cit., p. 276.
65. Pruneau de Pommegorge, Description de la Nigritie, p. 2.
66. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 364.
67. Vers 1755, la population de Saint-Louis était de 3 000 habitants. Les métis constituèrent leur propre réseau commercial dans la vallée du fleuve (Barry, La Sénégambie, p. 127).
68. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 291
69. Lamiral, op. cit., p. 291.
70. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 202.
71. Ibid., p. 206.
72. Ibid.
73. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 290.
74. « Elle [la nation Poule] commence au-dessous de Podor, à un endroit nommé le Coq, situé à deux lieues du fort, et finit à Matam, fort village, occupé partie par des Poules, partie par des Saltiguets, autre peuple peu nombreux, et que l'on confond assez ordinairement avec les Poules », Saugnier, op. cit., p. 207.
75. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 20.
76. Ibid., p. 349.
77. « Les moeurs, les usages, la constitution et la religion du royaume des Foules sont, à peu de chose près, les mêmes que ceux du pays du roi brac. Le langage seul est différent », Labarthe, Voyage au Sénégal, p. 44. Le récit de Durand reprenait ces propos presque mot à mot : «La religion de I'Etat, la constitution, les moeurs et les usages sont, comme dans le royaume de Brack, à peu de chose pres, les mêmes que ceux du pays des Mandingues : le langage seul est différent », Durand, Jean-Baptiste Léonard, Voyage au Sénégal ou Mémoires
historiques, philosophiques et politiques sur les découvertes, les établissements et le commerce des Européens dans les mers de I'Ocdan atlantique, depuis le Cap-Blanc jusqu'à la rivière de Serre-Lionne inclusivement ; Suivies de la Relation d'un voyage par terre de l'île Saint-Louis à Galam, et du texte arabe de trois traités de commerce faits par l'auteur avec les princes du pays, Paris, H. Agasse, 1802, 2 parties, v. I, p. 70.
78. Labarthe, op. cit., p. 44.
79. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 91.
80. Durand, op. cit., p. 70.
81. Saugnier, Relations de plusieurs voyag à la côte d'Afrique. p. 208.
82. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 305.
83. Ibid., p. 297
84. Ibid., p. 172.
85. Ibid., p. 175.
86. Lamiral était explicite sur ses opinions anticléricales : « Cela prouve aux yeux du Philosophe & de l'Observateur que, par-tout les Ministres de la Religion étant les premiers instruits, se sont servis de leurs lumières pour subjuguer les peuples », Ibid., p. 113.
87. Durand, Voyage au Sénégal, p. 73.
88. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 266. La colonie des Dényankoobé dans le Damga fut l'objet de plusieurs études. Par exemple, Johnson l'évoque en tant qu'enclave autonome qui n'obéissait pas aux lois musulmanes de l'almamat. Johnson, The Almamate of Futa Toro p. 307). Ces Dényankooɓé s'associaient avec les Bambara pour attaquer périodiquement les régions du haut fleuve.
89. Becker, Charles, Mémoire sur le commerce et la concession du Sénégal par Pruneau, Joseph [sic] (1752), publié et commenté par Charles Becker, Kaolack, mai 19B2, s. n., 121 p.
90. Il y critiquait sévèrement la compilation du père Labat, qui n'avait pas séjourné sur la côte occidentale de l'Afrique et qui avait écrit son ouvrage « d'après les questions qu'il faisoit aux matelots nègres, qui venoient à bord de son navire, & qui, pour avoir un verre de vin ou d'eau-de-vie,lui débitoient chacun ce qui leur venoit en tête », Pruneau de Pommegorge, Description de la Nigritie, p. v.
91. Ibid., p. 74.
92. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 298.
93. Ibid., p. 307-309.
94. Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 10.
95. Labarthe, Voyage au Sénégal, p. 42.
96. L'île de Bilbas est une ancienne appellation de l'île à Morfil (Vivien de Saint-Martin, Louis, Rousselet, Louis, Nouveau dictionnaire de géographie universelle, Paris, Hachette, 1887, 7 vol., t. III, p. 1010). Cette île se situe entre le fleuve Sénégal et son principal dérivé, le marigot de Dué. Il s'étend entre Podor et Saldé, sa longueur est de 150 km, sa largeur est de 20 km.
97. Sur l'image négative des Africains dans les recueils de récits de voyages (Prévost, Raynal), voir: Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, p. 36; Cohen, William B., Français et Africains. Les Noirs dans le regard des Blancs. 1530-1880, traduit de l'anglais par Camille Garnier, Paris, Gallimard, 1981.
98. Durand, Voyage au Sénégal ou Mémoires historiques, p. 69.
99. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 303.
100. Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 192.
101. Les Instructions au gouverneur de 1782 étalent claires à ce sujet : Podor avait pour fonction: « 1) d'assurer la subsistance de Saint-Louis, l'île à Morphil produisant une grande quantité de mil et de bestiaux ; 2) de protéger la traite ; 3) de favoriser la communication du centre de la concession avec les parties supérieures du Fleuve », Schefer Chr., Instructions générales données de 1763 à 1870 aux Gouverneurs et Ordonnateurs des établissements français en Afrique Occidentale, Paris, 1921, t. I, p. 84, cité par Delcourt, dans David, Journal d'un voyage, p. 234.
102. Lamiral, op. cit., p. 352.
103. Delcourt dans David, op. cit., p. 233.
104. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 250.
105. Lamiral, op. cit., p. 352.
106. Pruneau de Pommegorge, Description de la Nigritie, p. 91-92.
107. Sur les mécanismes démographiques compensatoires face à la traite, mais aussi à l'intervention étrangère, voir : Coquery-Vidrovitch, Catherine, Afrique noire. Permanences et ruptures, Deuxième édition révisée, Paris, L'Harmattan, 1992, p. 37-45.
108. Lamiral, op. cit., p. 311.
109.Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 98-99.
110. Au sujet du rapport entre les notions de caractère, d'ethnie et de lieu au XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, voir : Van Delft, Louis, Littérature et anthropologie. Nature humaine et caractère d'âge classique, Paris, Presses Universitaires de France, 1993.
111. Sur les sens multiples dont étaient investis les frontières et les lieux en Afrique au XVIIIe et au XIXe siècle, voir L'invention de la Méditerranée : Egypte, Morée, Algérie, sous la dir. de Marie-Noëlle Bourguet, Bernard Lepetit, Daniel Nordman, Maroula Sinarellis, Paris, Ed. de l'Ecole des hautes études en sciences sociales, 1998.
112. Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 103.
113. Sur l'histoire de cette Société, voir: Copans, Jean, Jamin, Jean, éd. et préf., Aux origines de l'anthropologie française. Les Mémoires de la Société des Observateurs de l'Homme en l'an VIII, Textes publiés et présentés par Jean Copans, Jean Jamin. Préf. de Paul Faivre, Paris, Le Sycomore, 1978. Les créateurs de la Société voyaient en la science de l'homme une discipline complète, réunissant l'étude des paramètres physiques et des phénomènes culturels et psychologiques (Stocking, George W., « French anthropology in 1800 », in: Stocking, George W., Race, culture and evolution: essays in the history of anthropology, Chicago, London, University of Chicago Press, 1982, p. 13-41, p. 16).
114. Ibid., p. 27.
115. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 158.
116. Ibid., p. 164.
117. Au sujet de l'histoire parmi les autres disciplines au XVIIIe siècle, voir : Gaehtgens, Thomas, W., Pomian, Krzysztof, Le XVIIIe siècle. Histoire artistique de l 'Europe, sous la dir. de Georges Duby et Michel Laclotte, Paris, Seuil, 1998.
118. Lamiral, op. cit., p. 195.
119. « […] n'ayant point assez d'aisance pour employer une partie de mon temps à faire des remarques, je ne faisais que légèrement attention à l'histoire naturelle, aux sites et aux productions de ces contrées », Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique. p. 198.
120. Les Peuls de Guinée ou « Foulhas de la grande nation » sont « de beaux hommes, forts et braves, ils ont de l'intelligence, ils sont mystérieux et prudens, ils entendent le commerce, ils voyagent en marchands jusqu'aux extrémités du golfe de Guinée, et ils sont redoutés de leurs voisins », Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 102.
121. Marie-Noëlle Bourguet évoque la similitude entre les procédés des philosophes et des voyageurs qui organisaient leurs renseignements en inventaires, Bourguet, Marie-Noëlle, « L'explorateur », p. 285-346.
122. Ibid.
123. Golberry, Fragmens d'un voyage en Afrique, p. 105.
124. « Ces Nègres sont beaucoup moins noirs que ceux du bord de la rivière. Ils sont presque rougeâtres, quoi qu'ils habitent un pays plus chaud que celui du bord de la rivière, & quoi qu'ils soient alimentés de la même nourriture que ces derniers », Pruneau de Pommegorge, Description de la Nigritie, p. 52.
125. Ibid., p. 61.
126. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 298.
127. Ibid.
128. « L'opinion qu'ils ont du pouvoir des Blancs & de leur science, a engagé plusieurs de ces Maures déjà vieux & débiles, de me demander quelques recettes qui les rendit vaillants en amour … par reconnaissance, ils me donnaient toujours la préférence & à meilleur marché qu'aux autres négocians », ibid., p. 105.
129. Les commerçants soulignaient le caractère lucratif de ce commerce en raison de la différence entre le prix d'achat de la gomme et celui de sa vente en Europe.
130. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 106.
131. A Saint-Louis on craignait que les Maures ne réorientassent leur commerce vers les Anglais, qui, malgré leur départ après la signature du traité de 1783, gardèrent te droit de traiter dans les comptoirs de Portendik et d'Albréda.
132. Lamiral, op. cit., p. 169, note.
133. Dans les Suppléments de l'Encyclopédie (1776), De Sacy employait cette expression au sujet des tribus indiennes qu'il trouvait ressemblantes (Duchet, Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, p. 29).
134. « Ces tribus sont souvent en guerre. L'objet de ces guerres est la possession de quelques pâturages ou de la récolte de la gomme. Ils se servent d'armes à feu et de poignards. Ils préfèrent les fusils fins à deux coups. […] Ces tribus regardent le roi du Maroc comme leur schérif ; mais l'éloignement des états de ce prince assure l'indépendance de ces hordes errantes », Labarthe, Voyage au Sénégal, p. 34.
135. Pruneau de Pommegorge, Description de la Nigritie, p. 15.
136. Lamiral, L'Affrique et le peuple affriquain, p. 97.
137. Saugnier, Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, p. 190.
138. Ibid., p. 181.
139. Ce qui correspondait à l'habitude qu'avaient les entrepreneurs de la fin du XVIIIe siècle de mettre en valeur leurs mérites (Bergeron, Louis, « L'homme d'affaires », p. 154).